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16/08/2012

Au bar à Jules - De Simenon

Un abécédaire: S comme Simenon

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Georges Simenon ressemble à un membre de ma famille. Il me semble l'avoir toujours côtoyé à travers les enquêtes du commissaire Maigret que je dévorais en vacances - haut comme trois pommes - sur les plages italiennes, puis les séries télévisées avec Jean Richard et Bruno Cremer, enfin les films tirés de son oeuvre, avec Albert Préjean, Pierre Renoir, Harry Baur, Jean Gabin et Charles Laughton.

Une autre raison de proximité est liée à mon père qui - autour de la cinquantaine - était surnommé Maigret, avec sa collection de pipes, son pas tranquille, et qui était bien plus à l'aise avec ses proches collaborateurs ou les ouvriers qu'avec la classe dirigeante de son entreprise dont pourtant il faisait partie. Un point de ressemblance avec SimenonClasses dirigeantes, gentilhommes, personnalités distinguées, classes sociales sont des mots que je hais depuis mon enfance, parce que depuis mon enfance je n'arrive pas à les comprendre. Ou plutôt je ne comprends que trop bien, que même en démocratie, chacun a son rang déterminé qui dépend surtout du bon vouloir du pouvoir.

Plus tard, je me suis passionné pour les autres romans de Simenon et films adaptés de ses livres, dont j'aimais les personnages souvent solitaires ou meurtris envers lesquels l'auteur semblait faire preuve - au contraire des nantis - d'une empathie toute particulière. Parmi les premières lectures, ce furent Le destin des Malou, La neige était sale, L'horloger d'Everton, Le rapport du gendarme et Les demoiselles de Concarneau. Tant d'autres, par la suite parmi lesquels deux titres éclairent l'homme Simenon - déjà présentés dans ces pages -, Pedigree et Les mémoires de Maigret.

A propos de son style si caractéristique, je me souviens d'avoir suivi une série d'entretiens radiophoniques sur France Culture, où Simenon expliquait que, si le lecteur était dès les premières lignes happé par l'intrigue romanesque, l'atmosphère, la progression dramatique, cela provenait de ses débuts d'écrivain dans la presse où il fallait d'emblée captiver et éveiller la curiosité de découvrir la suite du récit, le lendemain. Pas de verbiage inutile chez lui: Pendant l'écriture d'un livre, il s'agit que j'écrive aussi rapidement que possible en y pensant le moins possible, de façon à laisser travailler l'inconscient. Au fond, un roman que j'écrirais consciemment serait probablement très mauvais. Il ne faut pas que l'intelligence intervienne pendant l'écriture du roman.

Je ne me suis intéressé que tardivement à l'homme dont je voulais nuancer le portrait caricatural retenu par le grand public au cours de ses dernières années. Deux images en disent long sur ce vrai Simenon qui transparaît dans ses écrits: L'important, à mes yeux, c'est que je ne suis jamais devenu une grande personne et que mes réactions soient les mêmes que lorsque j'avais moins de quinze ou seize ans. A soixante-dix ans j'agis, je pense, et me comporte comme l'enfant d'Outremeuse.

Et, ailleurs: Si dans mes romans je prends des hommes très quelconques, c'est que pour moi ils représentent davantage l'homme qu'un normalien, un général, un dictateur, un savant, un génie quelconque. Et si mes personnages ratent, c'est que l'homme rate, fatalement. C'est même à mes yeux, le seul drame: la disproportion entre ce que l'homme voudrait, pourrait être, entre ses aspirations et ses possibilités.

Au coeur de l'humain, l'ami Simenon!

Michel Lemoine,  Simenon - Ecrire l'homme (coll. Découvertes/Gallimard, 2003)

Pierre Assouline, Simenon (coll. Folio/Gallimard, 1996)

15/08/2012

Musica présente - 27 Clara Haskil

Clara Haskil

pianiste roumaine et suisse, 1895-1960

*

Wolfgang Amadeus Mozart:

Piano Concerto No 20 in D minor, KV 466 / No 24 in C minor, KV 491 / No 13 in C major, KV 415 (Orchestre des Concerts Lamoureux, Igor Markevitch)

Piano Concerto No 13 in C major, KV 415 / III. Rondo allegro (Festival Strings Lucerne, Rudolf Baumgartner)

Rondo for Piano and Orchestra in A major, K 386 (Wiener Symphoniker, Bernhard Paumgartner)

Piano Concerto No 23 in A major, KV 488 (Wiener Symphoniker, Paul Sacher)

Piano Concerto No 27 in B flat major, KV 595 (Bayerisches Staatsorchester, Ferenc Fricsay)

Variations for piano in C major, KV 265 / Piano Sonata No 10 in C major, KV 330

Variations for piano In D Major, KV 573 / Piano Sonata No 2 in F major, KV 280

 Ludwig van Beethoven:

Piano Sonata No 18 in E-flat major, Op 31 / No 17 in D minor, Op 31

Robert Schumann:

Abegg Variations, Op 1 / Kinderszenen, Op 15

Franz Schubert:

Piano Sonata No 21 in B-flat Major, D 960

merci à Sara G


Le poème de la semaine

Jean-Pierre Schlunegger

Dans un café j'ai mis mon bras sur tes épaules 
Mon bras mes mains
J'ai vu tes yeux dans la carafe de vin noir
La groseille du verre illuminait ta joue
Tu renversais la tête contre le bois
 
La porte s'ouvrait sur des hommes
Ils apportaient le bruit du lac
Et son haleine d'algue en pénétrant ta robe
Brouillait aussi tes yeux faisait battre ton coeur
 
Tu m'apportes la nuit du lac sur tes épaules
Galets polis par la paume des vagues
Ton corps brun comme un jeune bourgeon
de noisetier
Respire avec le calme des animaux sages
 
Tes épaules me donnent la nuit du lac
Tu me donnes le ciel le soleil et la terre
Et je repose en toi comme sur l'eau la barque
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

14/08/2012

La citation du jour

Henri Laborit

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D'un ami on n'attend ni morale, ni règlements de manoeuvres, ni principes, ni lois. Ce qu'on demande à un ami, c'est son amitié, et tout le reste on laisse à ses pires ennemis le soin de l'inventer. 

Henri Laborit, Eloge de la fuite (coll. Folio Essais/Gallimard, 1989)

image: Henri Laborit (boutique.ina.fr)

08:12 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/08/2012

Lire les classiques - John Keats

John Keats

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Le jour s'est enfui - et toutes les douceurs avec lui!
Douce voix, douces lèvres, douce main, seins plus doux encore,
Souffle chaud, soupirs de transe, tendre chuchotement,
Oeil brillant, forme accomplie, taille langoureuse!
Enfuis la fleur et ses charmes rêvés
Enfuie de mes yeux la vue de la Beauté
Enfuie de mes bras la forme de la Beauté
Enfuies, la voix, la chaleur la blancheur paradisiaques
Disparues sans attendre, avec la lumière,
Quand le jour et la nuit ont commencé à tisser
La trame épaisse d'ombre du Plaisir secret.
Mais j'ai lu tout le jour le missel de l'Amour
Et il me laissera dormir, voyant que je jeûne et prie.
 

John Keats, Les Odes (Arfuyen, 2009)

traduit de l'anglais par Alain Suied

image: Jean-Baptiste Perronneau, Mademoiselle Huquier, 1747 (eurocles.com)

11:08 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/08/2012

Au bar à Jules - Du roman

Un abécédaire: R comme Roman

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Dans Carnets du vieil écrivain, Jean Guéhenno écrit ceci à propos du roman: Lit-on un grand roman? On s'identifie à son héros. On y vit par procuration. Et cela devient  plus conscient, et vient le moment où on ne lit plus pour aucun intérêt, pour aucun profit, rien que pour admirer, en toute gratuité et dans une joie indéfinissable, au-delà de soi-même. Dès lors, on devient de plus en plus difficile. On ne supporte plus les fantômes d'auteurs, les fantômes d'ouvrages. Mais un vrai livre est devenu la chose la plus précieuse. Un homme vous parle et il vous semble qu'il dise précisément ce que vous attendiez, ce que vous vouliez dire mais n'auriez jamais su dire. C'est tout simple et merveilleusement étrange.

A quelques nuances près, tel est mon sentiment quand je découvre un roman qui me captive dès les premières lignes, aussi redoutables que les dernières. Mais alors, d'où vient cette réticence qui me saisit bien souvent, à propos de la littérature française tout particulièrement? Autrefois, invité de la célèbre émission Apostrophes de Bernard Pivot, Maurice Nadeau , éditeur de Malcolm Lowry, Witold Gombrowicz, Leonardo Sciascia, Georges Perec et Hector Bianciotti entre autres, rappelait - je cite de mémoire - ce qu'est un roman: une oeuvre d'imagination, avec un début, une fin, un cadre, des personnages et une action... Le dictionnaire Littré lui fait écho en ces termes: Une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des passions, des moeurs, ou par la singularité des aventures.

Et c'est là que la bât blesse, car en France tout est roman, notamment cette majorité de titres parmi les nouveautés dont la qualité n'est pas toujours en cause, mais qui mériterait le titre de récit ou de fiction romanesque - histoire réelle ou inventée que l'on raconte par écrit - ou d'autofiction - autobiographie empruntant les formes narratives de la fiction - prétexte à une quête identitaire de l'auteur. Un éditeur justifiait cette étiquette arbitraire de roman, afin que ses livres puissent figurer sur les rayonnages des grandes chaînes de la distribution. Dans le cas contraire: aucune chance!

Les vrais romans sont ainsi devenus, dans leur construction et leur qualité, plutôt rares. On ne dira jamais assez combien l'émergence du Nouveau Roman aura laissé des traces - exception faite de Samuel Beckett et de Nathalie Sarraute - qui ressemblent à un séisme dont les prolongements demeurent vifs dans la littérature française actuelle. Avec l'acuité habituelle de son regard, Alexandre Vialatte notait: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu à créer que le roman sans lecteur. C'est un genre connu depuis longtemps!

Rien de tel par exemple chez les anglo-saxons, les italiens ou les espagnols qui savent encore raconter des histoires. Et si nous ne goûtez pas trop les auteurs étrangers, (re)lisez un bon auteur classique ou parmi les auteurs actuels, un roman de Philippe Claudel ou de Pascal Quignard. Vous ne le regretterez pas...  

Jean Guéhenno, Carnets du vieil écrivain (Grasset Digital, 1971)

Alexandre Vialatte, La porte de Bath-Rabimm (Julliard, 1986) 

image: Jean-Jacques Henner, La femme qui lit (culture.gouv.fr)

11/08/2012

Carson McCullers

9782253035893.gifCarson McCullers, La ballade du café triste (Coll. Livre de poche, 2000)

Amelia Evans inspire le respect de ses concitoyens : on apprécie autant l'alcool qu'elle distille clandestinement que ses talents de guérisseuse. Le mystère plane cependant autour d'elle... Cette aventure pleine de mystère et d'humour donne son titre à ce recueil de nouvelles très représentatives du talent de Carson McCullers.

Peu d’écrivains ont su, avec autant de simplicité et d’émotion contenue, évoquer ce besoin effréné d’amour, en contrepoint à la solitude, à l’injustice, à la fragilité intérieure des êtres. L’immense écrivain de Le cœur est un chasseur solitaire signe, avec ce livre, un chef-d’œuvre de la littérature américaine.

04:18 Écrit par Claude Amstutz dans Carson McCullers, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; nouvelles; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/08/2012

Lire les classiques - Victor Hugo

Victor Hugo

littérature; poésie; anthologie; livres

pour Catherine P

Quand deux coeurs en s'aimant ont doucement vieilli
Oh! quel bonheur profond, intime, recueilli!
Amour! hymen d'en haut! ô pur lien des âmes!
Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.
Ces deux coeurs qu'il a pris jadis n'en font plus qu'un.
Il fait, des souvenirs de leur passé commun,
L'impossibilité de vivre l'un sans l'autre.
Chérie, n'est-ce pas? cette vie est la nôtre!
Il a la paix du soir avec l'éclat du jour,
Et devient l'amitié tout en restant l'amour!

Victor Hugo, Toute la lyre - Poésie, vol. 4 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)

image: Chemin de Ruth, Cologny

08:59 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Sylvie Aymard

9782862312149_1_75.jpgSylvie Aymard, La vie lente des hommes (Maurice Nadeau, 2010)

En 1939, c'est la mobilisation générale et Bussy, 13 ans, est conduite par son père Matteo loin de Paris afin d'échapper aux affres de la guerre. Avec son drôle de diable dans le regard et sa beauté à couper le souffle, elle tombe sous le charme de Daniel, un jeune résistant qui lui rend la paix de l'enfance, mais ce dernier est tué, et la blessure de Bussy qui s'en suit ne se refermera jamais. Pourtant, à la Libération, le hasard lui fait rencontrer Tristan, qui s'amourache d'elle, l'épouse et adopte son enfant, Esther. Il croit au bonheur, tente l'impossible pour raviver la gaieté enfuie de Bussy, mais s'il se montre exemplaire, est-il en revanche capable d'aimer? Pas d'imprévu ou de passion avec un homme parfait? Bien plus tard, elle part pour se recueillir sur la tombe de son père en Sicile et ne reviendra pas. Réconciliée avec elle-même? Peut-être. Libre? Enfin!

Les pages autour de la rencontre de Bussy et Daniel sont sublimes: Bussy espérait sourdement que rien ne commencerait jamais pour elle, qu'on lui laisserait la liberté de se raconter des histoires, de s'engourdir, de se mirer. Sa splendeur lui suffisait... et plus loin: Rose et fraîche dans le grand manteau rêche, il l'enferma. Elle le fixa de ses yeux bleus d'enfant et de voyante. Un cri sous les arcades moussues du pont se mêla au vent, au clapotis des poissons, à la roue cerclée d'une charrette sur le dur. La brise retroussa les feuilles sensibles des arbres...

Ce roman bouleversant, avec ses phrases courtes, son émotion contenue - 140 pages à peine - est servi par une écriture qui rappelle Maupassant pour son atmosphère mélancolique, ou Bernanos pour son intériorité qui ne parvient pas à franchir les lèvres.

Sylvie Aymard a déjà publié Courir dans les bois sans désemparer (2006) et Du silence sur les mains (2008) parus chez le même éditeur.E

 

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | |  Imprimer |  Facebook | | |

09/08/2012

Morceaux choisis - Vincenzo Consolo

Vincenzo Consolo

littérature; récit; morceaux choisis; livres

Alors toi, les vains présents des hôtes moqueurs, la tromperie du viatique, la hantise du but (tu as enfermé tes remords dans la cage de l'eau, dans la volière du vent) et moi, voix rauque dans l'air retentissant, gauche rapporteur de ton long voyage, allons. Le navire laboure l'étendue plate, le courant blafard, il fait lentement voile vers le port sûr, le rivage certain, vers les spectres du temps. L'histoire est toujours la même.

La tempête s'est apaisée, dans la grotte la nappe de l'écume se fige sur la jarre enfouie. Tu espères que le cercle - stigmates, taches et mousses fiévreuses - se refermera dans le calme. Ignore le présage, le doute philologique, qu'il puisse t'arriver de loin ou de la mer. Tu ne sais à qui dévoiler le secret qui gît dans les racines, dans le tronc de cet arbre, ta maison est vide, ton appel se perd en traversant les chambres. Tu avances en des couloirs d'ombre, tu te retournes et ne vois que tes traces. Une poussière tomba sur tes yeux, un sommeil dans l'absence. Que la fumée du soufre serve à ta conscience. Que le calme t'aide à présent à retrouver ton nom d'antan, le point de départ.

In my beginning is my end.

Et pourtant, des sirènes hurlent dans cette anse, des carcasses remontent à la surface, des navires clandestins abordent, l'aube ouvre leur vol aux oiseaux de passage. Par deux, gendarmes et artificiers avancent, en groupes, les âmes dissoutes, parfois les voix, les visages, les rues, les portes d'entrée et de sortie se confondent.

Recherche dans le grenier catalogues et cartes, recommence à partir de pâles traces - le désert est angoisse - la piste que le sable a recouverte. Que l'ermite, l'exilé, le reclus t'assistent, que la flamme d'une lampe, les sonorités du soir te guident, que ta peine, ta détresse t'absolvent.  

Vincenzo Consolo, Le palmier de Palerme (Seuil, 2000) 

traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro