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30/03/2013

Morceaux choisis - Maïssa Bey

Maïssa Bey

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Est-il déjà trop tard? Les deux mains autour du visage, elle essaie d'effacer les plis aux commissures de ses lèvres, de remonter le temps. Dans le fragment de miroir qu'elle vient d'extraire de sa cachette, elle s'assure qu'aucune ride encore n'étoile ses yeux. 

Elle se lève. Au centre exact de la chambre, elle ôte un à un tous ses vêtements. Elle est nue. Elle déroule ses jambes en arabesques lentes et dans ses hanches ondulent encore les airs triomphants de sa jeunesse. De ses mains de magicienne s'échappent des oiseaux en frissons légers et leurs ailes lui caressent doucement le visage. 

Quand il n'est pas là, elle danse. Au bord du jour qui tombe des fenêtres, la lumière dérive et traîne ses écharpes blafardes sur les murs. Un à un elle a ôté ses vêtements et de ses cheveux ruisselants, elle se fait un voile de ténèbres. Les fenêtres sont hautes et les portes sont fermées. Il la croit prisonnière. Il a mis des barreaux sur ses rêves et des boulets à sa vie. Chaque matin, il emporte les clés avec lui. Il ne revient qu'à la nuit.

Il ne sait pas, non, il ne sait pas que par ce seul geste il la délivre. Quand il n'est pas là, elle danse, et le jour lui appartient. La nuit aussi parfois. Quand, tout près de lui, ses songes la déchaînent. Sa main qui glisse l'emporte et ses doigts tracent les chemins ensoleillés de ses voyages.

Redis-moi encore, mon âme, ces mots plus légers qu'un souffle, nous allons si tu veux nous perdre, suis-moi, je saurai où te mener.

Les yeux ouverts, elle guette sur le sol la lente reptation du jour qui commence et se glisse sans bruit à travers les barreaux dressés aux fenêtres. Elle arrache de son corps les oripeaux tissés de mensonges et de simulacres, et se revêt de soie diaphane et de délires. Invisible et plus légère qu'une bulle, elle s'envole au-dessus des villes peuplées d'hommes aveugles et de chiens couchants. Elle est de feuilles et de fleurs dans la lumière verte qui fait trembler les aubes frileuses et se défait en tourbillons graciles jusqu'à n'être plus que l'instant extrême du plaisir.

La haine explose en gerbes de feu. Puis elle retombe, cendres nacrées au coeur du silence.

Avec lui, le silence est entré dans sa vie...

Maïssa Bey, Nouvelles d'Algérie (Poche/L'Aube, 2011) 

23:20 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; nouvelles; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Joyeuses fêtes

Joyeuses fêtes

A toutes et à tous, amis ou oiseaux de passage sur La scie rêveuse ou sur Facebook, je souhaite d'heureuses fêtes, avec cette très belle chanson de Leonard CohenGod Is Alive, Magic Is Afoot, chantée par Buffy Sainte-Marie. Pour les visiteurs qui ne maîtrisent pas la langue anglaise, vous trouverez ci-dessous le lien pour la traduction française...

pour Depi P


 

Leonard Cohen, Les perdants magnifiques (Bourgois, 2002)

Traduction française: Martina Charbonnel, Leonard Cohen / Un texte magique (http://emportesparlafoule.blogs.nouvelobs.com/leonard-cohen)

Morceaux choisis - Isaac de Ninive

Isaac de Ninive

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Hâte-toi d'entrer dans la chambre nuptiale de ton coeur. Là, tu trouveras la chambre nuptiale du ciel. Car ces deux chambres n'en sont qu'une et, par une seule et même porte, ton coeur peut pénétrer dans l'une et dans l'autre. L'escalier qui monte au Royaume est caché au plus profond de ton coeur.

Isaac de Ninive, dans: Daniel-Ange, Les feux du désert, vol. 1/Solitudes (Rémy Magermans, 1973)

image:  Pablo Picasso, Nu de dos (francesco.venier.forumcommunity.net)

07:43 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/03/2013

Lire les classiques - Odilon-Jean Périer

Odilon-Jean Périer

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Il pleut. je n'ai plus rien à dire de moi-même 
Et tout ce que j'aimais, comme le sable fin 
Sans peser sur la plage où les vents le dispersent 
(Amour dont je traçais un émouvant dessin)
 
S'évanouit... La seule étendue inutile 
Mais seule, mais unie, en pente vers la mer, 
Me laisse par l'écume aller d'un pas tranquille 
Qu'elle efface après moi. Toi, paysage amer,
 
Paysage marin, le seul où je sois libre, 
Qui parle mieux qu'un homme, avec plus de grandeur, 
Donne-moi, pour un soir, cette raison de vivre, 
Le secret de ta grâce au milieu du malheur:
 
Sans faiblesses, sans fleurs charmantes ni flétries 
Mais tellement plus beau qu'aucun ouvrage humain, 
La terre unie au ciel par la foudre ou la pluie 
Et les quatre éléments tenus dans une main.
 
Vous faites ces beautés, lumières de l'orage, 
Dunes, léger trésor, mouvement des éclairs, 
Mais il reste à traduire un si noble langage 
Et vous n'aurez de sens que celui de mes vers
 
Quand je n'avais plus rien à dire de moi-même 
Ce paysage m'a répondu sagement :
Car la création est le jeu que je mène 
Et jusqu'à mes ennuis doivent former un chant.
 

Odilon-Jean Périer, Le promeneur, dans: Poèmes (Labor, 2005)

image: Denys Puech (larousse.fr)

10:52 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/03/2013

Musica présente - 58 Sophie Yates

Sophie Yates

claveciniste britannique

*

Carlos de Seixas

6 Sonatas


11:44 Écrit par Claude Amstutz dans Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

Anne Brécart

9782881826429.gifAnne Brécart, Le monde d'Archibald (Zoé, 2009)

 

Peut-on vivre sans la protection d'une maison familiale, qu'elle soit réelle ou fantasmée ? Dans une vieille demeure de famille où tous se réunissent pour célébrer la ronde des étés éternels, la narratrice tombe sous le charme de son oncle Archibald, patriarche incontesté quoique fragile...


Pour apprécier ce court récit, il faut prendre le temps de le lire, de savourer les mots, de se laisser imprégner par l’atmosphère qui se dégage de la maison familiale que fréquente depuis son enfance la narratrice, séduite  par la personnalité de l’oncle Archibald, maître des lieux hors du commun, indomptable et philosophe à ses heures. Une quête touchante sur le sens de la vie ainsi que sur la destinée des morts dont la fragilité, la présence, les secrets suintent au-delà des murs de cette maison du lac, comme un reflet du passé capable d’illuminer l’avenir.


aussi en coll. de poche (Poche/Zoé, 2011)

08:50 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/03/2013

Le poème de la semaine

Maurice Carême

Hé oui, je sais bien qu'il fait froid, 
Que le ciel est tout de travers; 
Je sais que ni la primevère
Ni l'agneau ne sont encor là.
 
La terre tourne; il reviendra,
Le printemps, sur son cheval vert. 
Que ferait le bois sans pivert,
Le petit jardin sans lilas? 
 
Oui, tout passe, même l'hiver,
Je le sais par mon petit doigt 
Que je garde toujours en l'air.
 
N’entends-je pas frémir en moi
Un pré naïf et recueilli
Autour de son clocher fleuri?
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08:38 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/03/2013

Morceau choisis - Marcelle Sauvageot

Marcelle Sauvageot

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Sur les gondoles vénitiennes, le soir, le long des canaux fétides où le Sole mio s'éraille sous les lanternes tricolores, près de ces palais morts et tristes, j'ai pleuré d'être seule et de savoir que vous ne voudriez pas vous laisser prendre avec moi par ce charme morbide.

Du haut des montagnes, glissant comme dans un rêve sur les grandes pentes de neige blanche, j'ai pensé à garder dans mon coeur la vision merveilleuse, afin que, revenue près de vous, je puisse vous la faire voir; j'ai cherché les mots ardents capables de vous faire goûter ma joie et de vous donner le désir de venir avec moi. Mais vite vous ne m'avez plus écoutée et vous avez pris un air sombre. J'ai voulu vous emmener voir des danses et entendre des concerts uniques. Toute ma volonté se tendait pour que vous fussiez content, et mon bonheur était plus grand quand vous aviez été ému. Mais vous résistiez pour m'accompagner, et vous avez cessé de vouloir venir.

Partout où j'étais, vous étiez en moi. Vous vous posiez devant mes sensations. Elles étaient tristes parce que vous n'étiez pas là. J'essayais de les garder avec tous leurs détails pour vous les apporter presque brutes. N'avez-vous jamais senti la passion que je mettais à tenter de vous les faire vivre? Je pensais à vous avoir toujours avec moi pour que vous sentiez ce que je sentais, pour que rien de moi n'ait lieu en votre absence: la lueur du soleil dans mes yeux, l'attitude de mon corps dans une danse... Et j'étais impatientée, si je me sentais atteindre un bel épanouissement quand vous n'étiez pas là. Un succès me comblait, car je pouvais vous le dire; un ennui devenait léger, car je pouvais vous le conter. J'ai voulu faire plus de choses, toujours plus de choses, pour vous apporter cet accroissement de ma richesse.

Et le soir, dans les rues de Paris où toujours je passais vite sans rien voir, j'ai essayé d'aimer ce que vous aimiez. Je mettais timidement mon bras sous le vôtre comme tous les couples de la rue, et, curieuse de sentir comme vous, j'ai aimé le parfum du brouillard, le frôlement de la foule, l'agitation des petites midinettes. Dans les rues sombres, moi qui déteste toute démonstration publique, j'ai pris plaisir - un plaisir défendu - à vous rendre vos baisers peu confortables, mais doux parce que vous les aimiez.

Marcelle Sauvageot, Laissez-moi (coll. Libretto/Phébus, 2012)

image: George Hoyningen-Huene, Horst P.Horst and Model / 1930 (ebgruppe-services.de)

20:34 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; morceaux choisis; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Vendanges tardives - De la grâce

Un abécédaire: G comme Grâce 

littérature; spiritualité; livres

Le plus étonnant, Fred, c'est qu'il te semble l'avoir côtoyée depuis toujours. Tu l'as recherchée, parfois ardemment, à certaines périodes de ta vie davantage qu'à d'autres. Tu l'as désirée, de même que l'on désire une femme, un objet précieux sans prix, dont la beauté indéfinissable remplirait ton être tout entier comme la pluie joyeuse lavant les pierres de ton jardin de campagne. Tu l'as traquée, avec ta volonté, ton intelligence ou ta force, à travers les soubresauts d'un environnement trépidant, tantôt hostile, tantôt fraternel, épousant ton besoin de savoir, de reconnaissance et d'amour. Souvent, tu te l'es représentée - ou l'as-tu seulement imaginée? - sous les formes les plus extravagantes ou merveilleuses, comme une récompense à tes efforts et ton obstination. Maintes fois, tu as cru la saisir, mais toujours, au bout du compte, elle t'a échappé, de même que tout ce que tu as chéri en ce monde, voué bientôt à la disparition, à l'oubli, à la mort: cet hiver de la vie qui pourrait ne pas connaître de fin.

Alors, au fil du temps, tu as renoncé à la poursuivre. Tu ne t'es pas détourné, oh non, simplement tu n'y as plus pensé, tu as abandonné sa conquête, à la manière d'un homme qui discerne son impuissance avec tristesse ou regret, et se trouve confronté aux limites de sa pensée, de sa perception. Mais un beau jour, dans le silence de ta chambre, au coeur d'une solitude aimante et sans objet, au moment le plus inattendu, sans même y réfléchir ni soucieux d'accomplir ou d'achever quoique ce soit, tu as soudain éprouvé cette inexplicable dilatation du coeur, obéissant si peu aux mécanismes de ta logique coutumière.

Las de chercher à comprendre, tu l'as reconnue, là, évidente, au plus profond de toi-même: elle, qui t'avait habitée depuis le commencement, tandis que tu t'agitais au dehors à la recherche d'un sens au monde - celui des idées, des sentiments, de la société, de l'histoire - à travers les étroites parois de verre de ton univers fragmentaire, douloureux, inachevé. Ainsi qu'une digue qui aurait résisté à la poussée des eaux, tu l'as sentie, discrète et réjouie, devant ta nudité, ton absence de résistance et de mérites, t'éclaboussant de son mouvement pacificateur qui te rend la vue et t'ouvre à la beauté, à l'ordre harmonieux des choses, au temps présent, à la bonté sans traces.

Et tu t'es souvenu, le sourire au lèvres, des paroles de Simone Weil - c'est l'éternité qui descend s'insérer dans le temps - de même que de celles, bouleversantes de simplicité, de Jean-Marie Vianney, curé d'Ars - elle nous est nécessaire comme les béquilles à ceux qui ont mal aux jambes - te réconciliant enfin avec toi-même, avec ces semblables - que tu crois prendre en affection pour la première fois - et qui sait: avec le ciel? 

Simone Weil, Oeuvres (coll. Quarto/Gallimard, 1999)

Janine Frossard, Pensées choisies du saint Curé d'Ars et petites fleurs d'Ars (Téqui, 1961)

image: Grindelwald (2006)

01:18 Écrit par Claude Amstutz dans Simone Weil, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/03/2013

Lire les classiques - Emile Verhaeren

Emile Verhaeren

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Sur la glycine en fleur, que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les milles insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh ! la merveille de leurs ailes qui brillent
Et leurs corps fins comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d'herbe ou de roseau.
 

Emile Verhaeren, Sur la glycine en fleur, dans: Toute la Flandre - Poésies complètes vol.8 (Renaissance du Livre, 2012)

image: unjardinsurunbalcon.wordpress.com 

08:02 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |