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28/11/2012

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Siméon

Malgré la pluie et le coeur exposé
nous allons
plus haut
plus voyageurs
moi dans l'appel
toi dans le soleil qui lui répond
 
Nos joies nous escortent
plus loin que les routes
et le malheur rusé des hommes
 
Soudain ma parole
est un mur dont tu es le jardin
 
Parcourons encore contre l'usage
et contre ceux qui dorment
sous un ciel trop éteint
cherchons l'autre patrie
 
Il est des nuits non civilisées
pour la hâte des lèvres
et la vigueur des parfums
 
Eveille-toi avant les larmes
tu sais que ta main est sauve
 
Je dis pierre
pour que vous lisiez le mot pierre
pour que vous entendiez le mot pierre
mais aussi cette chose
en dessous
qui a à voir avec votre enfance
- l'été la rivière - 
mais aussi un amour peut-être
débâti par le vent
ou bien ce mur
qui fait le bord vertigineux
du vide
 
Et je dis homme ton orage
serré dans le poing
 
Et si je cherche à genoux 
dans le gravier des métaphores
le nom qui nous rend
à la beauté des corps
c'est que nul n'a assez de peau
pour éprouver l'air
que fait le mouvement
du jour
 
Enfin je dis que j'aime
pour que le monde paraisse
dans l'effort qu'accomplit le sang
dans mes veines
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

11:21 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

Musica présente - 41 Maurizio Pollini

Maurizio Pollini

pianiste italien, né en 1942

*

Franz Schubert

Drei Klavierstücke, D 946

pour Charline K


09:28 Écrit par Claude Amstutz dans Franz Schubert, Musica présente, Musique classique, Rosebud | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/11/2012

Lire les classiques - François de Malherbe

François de Malherbe

Frank Bernard Dicksee 1.jpg

Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine
A, comme l’Océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,
Ou je me vais résoudre à ne le souffrir plus.
 
Vos yeux ont des appas que j’aime et que je prise,
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté;
Mais pour me retenir, s’ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l’amour autant que de beauté.
 
Quand je pense être au point que cela s’accomplisse
Quelque excuse toujours en empêche l’effet;
C’est la toile sans fin de la femme d’Ulysse,
Dont l’ouvrage du soir au matin se défait.
 
Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire
De me l’avoir promis, et vous rire de moi;
S’il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire,
Et s’il vous en souvient, vous n’avez point de foi.
 
J’avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m’en séparer qu’avecque le trépas;
S’il arrive autrement, ce sera votre faute
De faire des serments et ne les tenir pas.
 

François de Malherbe, Poésies (coll. Poésie/Gallimard, 1997)

image: Frank Bernard Dicksee,  Contemplation / 1897 (galerie-creation.com)

01:09 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Daniel Fazan

Bloc-Notes, 26 novembre / Les Saules

Daniel Fazan.jpg

Paul est vigneron, quelque part dans le Dézaley vaudois. Depuis de nombreuses années, il ne supporte plus sa femme Roberte qui a coupé les sarments de sa tendresse, porte le phylloxéra du couple et se défoule avec des mots assassins pour oublier qu'elle n'a plus sa place auprès de lui, rageant de savoir qu'elle ne trouvera plus chaussure à son pied, ailleurs, selon toute vraissemblance. Délaissée, Roberte? Plutôt deux fois qu'une puisque Paul refait sa vie avec... Roger, un vigneron comme lui, qui a des mots rares, jolis comme un coquelicot d'octobre quand on ne l'attend pas au pied d'un cep.

Et tandis que Roberte déverse ses rancoeurs auprès du pasteur Borda - dont la rumeur populaire dit que le fils partagerait la même ambiguïté que son mari -, Paul se raconte à Madame - sa psy -, lui parle de Roger, de sa noblesse terrienne d'aristocrate, de ses silences qui laissent pousser la vie, de sa beauté comme la vendange du siècle. L'alcool - une pause dans la cruauté ambiante d'une Roberte qu'il préfère floue - est aussi au programme de Paul qui compte bien réussir sa cure de désintoxication et se contenter de fantasmer sur un nettoyage des dents au chasselas, pas avalé, un peu comme le dentrifice!

Beaucoup d'humour, donc, dans ce Millésime, mais comme dans son précédent récit Vacarme d'automne, Daniel Fazan règle ses comptes avec l'hypocrisie, le conformisme et la médiocrité. Le décor s'y prête et parmi ses plus belles pages figurent celles consacrées au village de Paul, perché au milieu des vignes: Les maisons se sont agrippées les unes aux autres dans l'impossibilité de prendre de la distance. Il n'y en a pas. Cette communauté est jalouse de tout, des autres, de ses avoirs en plus. Chaque cep est connu de tous, chaque mètre vaut son pesant de bouteilles. On n'a plus besoin de policer qui que ce soit, la police locale c'est chaque habitant qui l'incarne. (...) Ici on économise tout, surtout les mots.

Provocateur avec ce sujet délicat de l'homosexualité rurale et de l'alcoolisme, Daniel Fazan sait à merveille réveiller sa tendresse d'insoumis et son amour des beautés qui l'environnent à travers ce roman dont le personnage principal est, bien sûr, la vigne: Une vigne, c'est une image vivante et souvent arrêtée. Et ce ciel jamais lassé de se regarder dans l'eau, cette eau jamais agacée par ces nuages qui font les malins. Cette eau que remuent les vents pour en mélanger tout le mystère. Les poètes ont marché sur ma terre, les musiciens ont joué ce spectacle, à lui seul un opéra silencieux.

Ailleurs, Paul médite sur ce plus bel endroit du monde: Je suis fragilisé par l'étreinte, presque mortifère du paysage protégé, étroit comme une image cernée par une fenêtre de la dimension d'une meurtrière de château-fort qui regarde l'espace sublime et changeant d'un lac capricieux et solitaire, parfois morne, proche de l'ennui. Je me sens prisonnier de mes devoirs, de mes voisins, des avis saturés d'incompréhension alors que j'aspire à la tendresse.

Et cette tendresse, Paul la trouvera auprès de Roger, et la scellera avec cette force de vie qui devrait lui permettre, un jour, de bien mourir... Millésime est une lecture tonique et pétillante, comme cette vigne sur laquelle baigne parfois une lumière cruelle, mais qui répand de même sur nous une brise légère qui parle d'amour et incline à la bonne humeur!  

Daniel Fazan, Millésime (Olivier Morattel, 2012)

Daniel Fazan, Vacarme d'automne (Olivier Morattel, 2011)

image: Daniel Fazan (rts.ch)

00:35 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/11/2012

Morceaux choisis - François Mauriac

François Mauriac

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J'ai toujours eu horreur des neurasthéniques; le retour à Paris me fut donc cette année-là une délivrance. Je n'échangeai plus avec ma belle-mère que quelques billets indifférents. Michèle, qui attendait pour se marier que Jean eût achevé ses deux années de service, habitait toujours cours de l'Intendance. Elle faisait allusion, dans ses lettres, à une histoire incroyable de Brigitte, mais se réservait de me la raconter de vive voix lors d'un séjour qu'elle allait faire à Paris, chez les La Mirandieuzé.

Histoire incroyable, en effet, au poit que d'abord je haussai les épaules. Que ma belle-mère fût devenue amoureuse, et de son médecin qui avait passé la soixantaine, je ne vis là qu'une imagination de Michèle; mais à Bordeaux, il fallut me rendre à l'évidence. Il ne s'agissait pas de l'attachement d'une vieille femme malade à l'homme qui la soigne, mais d'une passion farouche, exclusive, et (c'était là sans doute le plus étrange) heureuse, comblée. Non, bien entendu, qu'il se passât rien entre eux de répréhensible: le docteur Gellis, huguenot fervent et qui avait pour clients toute la haute société protestante de la ville, était au-dessus des soupçons; mais, séparé d'une femme qui l'avait autrefois couvert de honte, en butte aux exigences de nombreux enfants dont la plupart étaient mariés, besogneux et âpres, il découvrait avec délices, au déclin de sa vie, le bonheur d'être devenu l'unique pensée d'une créature plus forte, mieux armée qu'il ne l'était lui-même; il la voyait chaque jour, ne décidait rien sans son avis. Nulle pudeur n'atténuait, chez ces deux solitaires, l'expression verbale de leur attachement, ni non plus le moindre sentiment du ridicule. Aucun des deux ne discernait un vieillard dans le visage baigné de tendresse qui se penchait vers le sien. Ils vivaient l'un pour l'autre, comme deux innocents, au milieu de leurs familles irritées et moqueuses et de la ville chuchotante.

François Mauriac, La pharisienne (coll. Livre de poche/LGF, 1972)

image: Maison de François Mauriac, Malagar (dipity.com)

24/11/2012

Les grands pianistes 1b

Bloc-Notes, 24 novembre / Les Saules

En complément à cette présentation du livre de Alain Lompech, Les grands pianistes du XXe siècle, voici, pour le plaisir, Monique de La Bruchollerie, qui interprète ici le 2e mouvement - lento - de la Sonate pour piano de Henri Dutilleux... 


Alain Lompech, Les grands pianistes du XXe siècle (Buchet-Chastel, 2012)

16:15 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les grands pianistes 1a

Bloc-Notes, 24 novembre / Les Saules

littérature; musique classique; livres

Avec Les grands violonistes du XXe siècle / vol. 1: de Kreisler à Kremer, 1875-1947 écrit par Jean-Michel Molkhou, les éditions Buchet Chastel ont inaguré en 2011 la série Les Grands Interprètes. Une initiative à saluer dans le monde de l'édition où - exception faite d'Actes Sud et Fayard - ce domaine a plutôt rejoint les oubliettes de l'histoire.

Je vous présente ici le second titre de cette collection qui ne peut que ravir les mélomanes, sous la plume de Alain Lompech - journaliste et critique musical au Monde de la Musique et au Monde pendant plus de trente ans, aujourd'hui conseiller des programmes à la direction de France Musique - et intitulé Les grands pianistes du XXe siècle.

Pas moins de quarante-quatre pianistes sont ainsi présentés dans cet ouvrage, de Serge Rachmaninov à Catherine Collard. Comme dans le volume précédent, pour chacun d'entre eux, vous pouvez découvrir une succinte biographie de l'artiste, les caractéristiques de sa sensibilité et de son répertoire, ainsi que sa place particulière dans l'histoire de la musique. Si ce livre est tout à fait accessible aux néophytes du classique, il est aussi un incontournable livre de références pour le spécialiste, fourmillant de détails et d'anecdotes intéressantes.

Ainsi, sur Clara Haskil, Alain Lompech relève que, présentée comme une sainte du piano, elle était en réalité une femme dont la passion intérieure lui faisait prendre des risques parfois insensés. A propos de Annie Fischer, il parle d'une pianiste imprévisible, sans le moindre ego déplacé,qui dit "je" sans chercher à faire oublier qu'elle était le truchement du compositeur. Enfin, dernier exemple, celui de Catherine Collard, dont l'auteur souligne qu'il y avait dans son jeu un tel oubli d'elle-même que la pianiste laissait parler la musique sans aucune entrave et que le public en était à jamais bouleversé. 

Si tous les grands noms du piano sont au rendez-vous dans cet ouvrage, c'est une bénédiction d'en savoir davantage sur certains interprètes dont on sait peu de choses tels Guiomar Novaes, William Kapell ou Monique de La Bruchollerie. Après la rétrospective de ces artistes d'exception, il ne vous reste qu'à mettre vos oreilles à l'épreuve, au moyen des deux CD - au format MP3 - accompagnant Les grands pianistes du XXe siècle: 16 heures de musique!

Si j'ajoute que la réalisation de ce livre est extrémement soignée et que - CD inclus - il ne coûte que 23 euros, vous comprendrez qu'il ne peut que rejoindre votre bibliothèque, au plus vite!

Alain Lompech, Les grands pianistes du XXe siècle (Buchet-Chastel, 2012)

Richard Martet, Les grands chanteurs du XXe siècle (Buchet-Chastel, 2012)

Jean-Michel Molkhou, Les grands violonistes du XXe siècle / vol. 1: de Kreisler à Kremer, 1875-1947 (Buchet-Chastel, 2011)

image: Annie Fischer (bbc.co.uk)

21/11/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Encore frissonnant 
Sous la peau des ténèbres 
Tous les matins je dois 
Recomposer un homme 
Avec tout ce mélange 
De mes jours précédents 
Et le peu qui me reste 
De mes jours à venir. 
Me voici tout entier, 
Je vais vers la fenêtre. 
Lumière de ce jour, 
Je viens du fond des temps, 
Respecte avec douceur 
Mes minutes obscures, 
Épargne encore un peu 
Ce que j’ai de nocturne, 
D’étoilé en dedans 
Et de prêt à mourir 
Sous le soleil montant 
Qui ne sait que grandir.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

20/11/2012

Musica présente - 40 Anne Queffélec

Anne Queffélec

pianiste française, née en 1948

*

Georg Friedrich Haendel

Suite for keyboard Vol 2, No 3 in D minor, HWV 436

 

07:46 Écrit par Claude Amstutz dans Anne Queffélec, Georg Friedrich Haendel, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/11/2012

Morceaux choisis - Simone Weil

Simone Weil 

littérature; essai; morceaux choisis; livres

Les institutions qui déterminent le jeu de la vie publique influencent toujours dans un pays la totalité de la pensée, à cause du prestige du pouvoir. On en est arrivé à ne presque plus penser, dans aucun domaine, qu'en prenant position pour ou contre une opinion. Ensuite on cherche des arguments, selon le cas, soit pour, soit contre. C'est exactement la transposition de l'adhésion à un parti.

Comme dans les partis politiques, il y a des démocrates qui admettent plusieurs partis, de même dans le domaine des opinions les gens larges reconnaissent une valeur aux opinions avec lesquelles ils se disent en désaccord. C'est avoir complétement perdu le sens même du vrai et du faux. D'autres, ayant pris position pour une opinion, ne consentent à examiner rien qui lui soit contraire. C'est la transposition de l'esprit totalitaire.

Quand Einstein vint en France, tous les gens des milieux plus ou moins intellectuels, y compris les savants eux-mêmes, se divisèrent en deux camps, pour ou contre. Toute pensée scientifique nouvelle a dans les milieux scientifiques ses partisans et ses adversaires animés les uns et les autres, à un degré regrettable, de l'esprit de parti. Il y a d'ailleurs dans ces milieux des tendances, des coteries, à l'état plus ou moins cristallisé. Dans l'art et la littérature, c'est bien plus visible encore. Cubisme et surréalisme ont été des espèces de partis. On était gidien comme on était maurassien. Pour avoir un nom, il est utile d'être entouré d'une bande d'admirateurs animés de l'esprit de parti.

De même il n'y avait pas grande différence entre l'attachement à un parti et l'attachement à une Eglise ou bien à l'attitude antireligieuse. On était pour ou contre la croyance de Dieu, pour ou contre le christianisme, et ainsi de suite. On en est arrivé, en matière de religion, à parler de militants.

Même dans les écoles on ne sait plus stimuler autrement la pensée des enfants qu'en les invitant à prendre parti pour ou contre. On leur cite une phrase de grand auteur et on leur dit: Etes-vous d'accord ou non? Développez vos arguments. A l'examen les malheureux, devant avoir fini leur dissertation au bout de trois heures, ne peuvent passer plus de cinq minutes à se demander s'ils sont d'accord. Et il serait si facile de leur dire: Méditez ce texte et exprimez les réflexions qui vous viennent à l'esprit.

Presque partout - et même souvent pour des problèmes purement techniques - l'opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à l'opération de la pensée.

C'est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s'est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée.

Il est douteux qu'on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques. 

Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques (Climats, 2006)

image: La balance de la justice, Vancouver (cic.gc.ca)