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25/11/2012

Morceaux choisis - François Mauriac

François Mauriac

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J'ai toujours eu horreur des neurasthéniques; le retour à Paris me fut donc cette année-là une délivrance. Je n'échangeai plus avec ma belle-mère que quelques billets indifférents. Michèle, qui attendait pour se marier que Jean eût achevé ses deux années de service, habitait toujours cours de l'Intendance. Elle faisait allusion, dans ses lettres, à une histoire incroyable de Brigitte, mais se réservait de me la raconter de vive voix lors d'un séjour qu'elle allait faire à Paris, chez les La Mirandieuzé.

Histoire incroyable, en effet, au poit que d'abord je haussai les épaules. Que ma belle-mère fût devenue amoureuse, et de son médecin qui avait passé la soixantaine, je ne vis là qu'une imagination de Michèle; mais à Bordeaux, il fallut me rendre à l'évidence. Il ne s'agissait pas de l'attachement d'une vieille femme malade à l'homme qui la soigne, mais d'une passion farouche, exclusive, et (c'était là sans doute le plus étrange) heureuse, comblée. Non, bien entendu, qu'il se passât rien entre eux de répréhensible: le docteur Gellis, huguenot fervent et qui avait pour clients toute la haute société protestante de la ville, était au-dessus des soupçons; mais, séparé d'une femme qui l'avait autrefois couvert de honte, en butte aux exigences de nombreux enfants dont la plupart étaient mariés, besogneux et âpres, il découvrait avec délices, au déclin de sa vie, le bonheur d'être devenu l'unique pensée d'une créature plus forte, mieux armée qu'il ne l'était lui-même; il la voyait chaque jour, ne décidait rien sans son avis. Nulle pudeur n'atténuait, chez ces deux solitaires, l'expression verbale de leur attachement, ni non plus le moindre sentiment du ridicule. Aucun des deux ne discernait un vieillard dans le visage baigné de tendresse qui se penchait vers le sien. Ils vivaient l'un pour l'autre, comme deux innocents, au milieu de leurs familles irritées et moqueuses et de la ville chuchotante.

François Mauriac, La pharisienne (coll. Livre de poche/LGF, 1972)

image: Maison de François Mauriac, Malagar (dipity.com)

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