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02/09/2013

Philippe Jaccottet

b1cd5ca4-15c8-11e1-b82f-9af57c99f8a6.jpgPhilippe Jaccottet, L'encre serait de l'ombre: Notes, proses et poèmes choisis par l'auteur (coll. Poésie/Gallimard, 2011)

Comme autrefois René Char avec Commune présence ou Henri Michaux avec L'espace du dedans, l'auteur nous invite à une promenade au coeur de son oeuvre dont il a lui-même choisit les textes, de 1946 à 2008. En attendant son apparition prochaine dans la prestigieuse Bibibliothèque de la Pléiade, les amoureux des oeuvres de Philippe Jaccottet auront tout le loisir de se persuader qu'il est, aux côtés d'Yves Bonnefoy, l'une des voix les plus importantes de la poésie d'expression française. 

Philippe Jaccottet, en introduction à son anthologie, nous livre un autoportrait très émouvant qui pourrait à lui seul résumer sa démarche d'homme et d'écrivain: Je me redresse avec effort et je regarde: il y a trois lumières, dirait-on. Celle du ciel, celle qui est de là-haut s'écoule en moi, s'efface, et celle dont ma main trace l'ombre sur la page. L'encre serait de l'ombre. Ce ciel qui me traverse me surprend. On voudrait croire que nous sommes tourmentés pour mieux montrer le ciel. Mais le tourment l'emporte sur ces envolées, et la pitié noie tout, brillant d'autant de larmes que la nuit.

07/08/2013

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

Tournent les martinets dans les hauteurs de l'air:
plus haut encore tournent les astres invisibles.
Que le jour se retire aux extrêmités de la terre,
apparaîtront ces feux sur l'étendue de sombre sable...
 
Ainsi nous habitons un domaine
de mouvements et de distances:
ainsi le coeur va de l'arbre à l'oiseau,
de l'oiseau aux astres lointains,
de l'astre à son amour.
Ainsi l'amour dans la maison fermée s'accroît,
tourne et travaille,
serviteur des soucieux portant une lampe à la main.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

20/06/2013

Philippe Jaccottet

9782940055364.gifPhilippe Jaccottet, Une constellation tout près - Poètes d'expression française du XXe siècle (La Dogana, 2002)

Si vous n’ouvrez qu’une seule anthologie poétique de toute votre vie, alors choisissez celle-ci, subjective, longuement mûrie comme les fruits de la vigne. Aux côtés des incontournables dont l'auteur a souvent choisi des textes méconnus – Guillaume Apollinaire, René Char, Henri Michaux, Paul Valéry  – vous en découvrirez d’autres, injustement oubliés – Charles Péguy, Paul-Jean Toulet, Edmond-Henri Crisinel – ou modernes – Pierre-Albert Jourdan, André Du Bouchet – dans cet ouvrage magnifiquement mis en pages. Un bel objet à la hauteur des émotions qu’il suscite.

Le langage de la poésie m'est toujours apparu comme celui qui rend le compte le plus juste de nos vies dans toutes leurs dimensions, celui qui peut réconcilier fumée et parfum; celui qui sait tirer un chant, ou une simple chanson, de nos peines légères ou violentes, de nos voyages - dans le temps, dans l'espace du dehors comme dans celui du dedans -, qui bâtit une musique même à partir de l'ombre et de l'absence, qui fait scintiller pour notre joie même la course des jours. Oui, cela brille, cela luit ou brûle dans la main ouverte. Une constellation tout près de nous, dans la main ouverte, dans le livre ouvert...

11/06/2013

Vendanges tardives - Des nuages

Un abécédaire: N comme Nuages

Vésenaz 16.jpg

Ce qui suscite mon étonnement et ma curiosité de presque tous les jours me vient de ce qu'aucun matin ne ressemble à un autre, tels ces nuages suspendus entre ciel et terre, tantôt semblables à des flocons épars se jouant de la lumière et des ombres, tantôt pareils à la barbapapa de mon enfance dansant au-dessus de nos têtes débarrassées pour un temps de leur trouble dans un silence assourdissant. Les oiseaux seuls s'en amusent et me défient de leurs ailes: naturelles et désinvoltes au plus profond de l'espace infini forgeant les rêves en devenir, la transparence des choses, les controverses...

Me reviennent alors en mémoire les vers de Philippe Jaccottet: A la fin d'une journée qui a été très chaude, alors que le soleil est encore haut dans le ciel, celui-ci s'assombrit rapidement à l'ouest, en même temps que se lève avec soudaineté un vent violent. (...) Ils avancent très vite, mais avec une espèce de majesté, d'ailleurs rapidement entamée. On ne sait trop à quoi les comparer pour rendre compte de l'émotion qu'ils vous donnent, vaguement enthousiaste; comme on en éprouve, serait-ce à son corps défendant, devant n'importe quel cortège. Peut-être à des montagnes légères, instables, déracinées, désamarrées; ou à des troupeaux dociles aux cris du vent, se bousculant, fuyant on ne sait quoi. A moins qu'il ne faille voir en eux, plutôt, des inventions du vent, variées, souples, mobiles, une des façons qu'il a trouvées, invisible, de se montrer, à partir de l'humide que la terre exhale.

Alors, comme un fil qui n'en finit pas d'être tiré, je pourrais te parler des nuages vus par Charles Baudelaire, Jean Moréas, Louise Ackermann ou Léon Dierx - ce sera pour une autre fois - mais le texte de Philippe Jaccottet me renvoie plutôt, par ricochets, à celui d'un autre helvète, Jean-Louis Kuffer, qui me sourit aujourd'hui: La beauté est partout et souvent, ce qu’on dit de la beauté cache la beauté, tu vois ce que je veux dire? Un rayon de soleil sur un container tagué, au matin du merle, la vieille qui murmure les airs de "La Traviata" dans le métro, l’adolescent amoureux, tous les clichés que tu relaves à l’eau pure, l’enfant qui dort, les petits cailloux de la marelle des mots d’Enfer à Paradis, enfin tu vois ce que je veux dire…

Et ce soir, Fred, comme dans la pièce de Samuel Beckett, en savourant ma cigarette et un pichet de Dôle partagé en terrasse avec toi, je pourrai dire, la mine réjouie: Quel beau jour encore... pour moi... ça aura été... jusqu'ici...

Philippe Jaccottet, Nuages (Fata Morgana, 2002)

Jean-Louis Kuffer, La beauté au vol, 2013 (facebook.com)

Samuel Beckett, Oh les beaux jours (Minuit, 1960)

image: Ciel de printemps, Vésenaz / Suisse (2013)

07/04/2013

Petite bibliothèque de poésie 1a

Bloc-Notes, 7 avril / Les Saules

A45307.jpg

pour Marie-Louise A

Les anthologies poétiques abondent dans la production littéraire. Aux incontournables, disponibles en librairie - Georges Pompidou, André Gide, Philippe Jaccottet, ou Pierre Seghers - se sont ajoutées de plus récentes, parfois avec bonheur - Jean Orizet, par exemple - ou bien, tout au contraire, avec une fâcheuse tendance à présenter des auteurs inconnus - à juste titre? - ou des célèbres dont le présentateur a choisi volontairement des textes rarement cités, souvent mineurs et peu représentatifs de leurs auteurs - Zéno Bianu, dans une récente anthologie - afin de se démarquer de ses prédécesseurs, à tout prix. 

Toute autre est l'approche de André Velter, qui choisit de nous proposer douze poètes classiques - François Villon, Charles d'Orléans, Maurice Scève, Pierre de Ronsard, Théophile de Viau, Jean de La Fontaine, Marceline Desbordes-Valmore, Victor Hugo, Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine - en consacrant à chacun d'entre eux, un petit livre d'une quarantaine de pages dont les poèmes sont précédés d'une biographie succincte, introduisant l'auteur. L'essentiel, pour planter le décor, à l'attention du lecteur.

Chaque volume de surcroît - très soigné dans sa mise en page - porte le titre d'une phrase représentant bien l'écrivain choisi: Paul Verlaine, Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant; François Villon, Frères humains qui après nous vivez; Victor Hugo, Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant, parmi d'autres. 

La Petite bibliothèque de poésie - nous dit André Velter - est un parcours, du XVe au XIXe siècle, en compagnie de ceux qui ont inventé, transformé, célébré, bousculé la langue et le chant poétiques. Choix bien sûr non exhaustif, mais à coup sûr dynamique, éclairant, qui s'en tient à une suite d'auteurs essentiels, en consacrant à chacun un livret particulier afin de mieux respecter son génie propre. C'est une polyphonie de voix singulières qui se fait entendre; c'est l'expression d'une langue commune qui, pourtant, conjugue des tonalités différentes, des accents inédits, des pensées souvent contraires.

Au prix de vente modeste - moins de 29 euros - cette belle anthologie mérite de figurer en bonne place dans la bibliothèque des amis de la poésie!

Petite bibliothèque de poésie, coffret hors série de 12 volumes - Choix de André Velter (coll. Poésie/Gallimard et Télérama, 2013)

Jean Orizet, Anthologie de la poésie française (Larousse, 2010)

Zéno Bianu, Poèmes à dire - Une anthologie de poésie contemporaine francophone (coll. Poésie/Gallimard, 2013)

15:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Baudelaire, Littérature francophone, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/07/2012

Le poème de la semaine

Philippe Jaccottet

Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches, 
tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin 
du poème, plus que le premier sera proche 
de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin. 
 
Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches 
ou reprendre souffle pendant que tu écris. 
Même quand tu bois à la bouche qui étanche 
la pire soif, la douce bouche avec ses cris 
 
doux, même quand tu serres avec force le noeud 
de vos quatre bras pour être bien immobiles 
dans la brûlante obscurité de vos cheveux, 
 
elle vient, Dieu sait par quels détours, vers vous deux, 
de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille, 
elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

16/06/2012

Philippe Jaccottet

9782070120345.gifPhilppe Jaccottet, Ce peu de bruits (Gallimard, 2008)

 

Toujours aussi discret, exigeant dans son style et ses émotions, notre plus grand poète suisse vivant poursuit ses réflexions sur le monde, la nature ou le sens de sa propre vie. Le ton est si juste qu’on se croit à ses côtés quand il parle de Verlaine ou de Schubert, de sa sœur Christiane ou de Kafka. Cet ami du silence sait mieux que quiconque parler de la lumière, de l’élan du rossignol, des couleurs du ciel, des églantines. Croyez-moi : Il faut rencontrer ou découvrir Philippe Jaccottet de toute urgence, parmi tant de bruit … Vous ne le regretterez pas.

06:49 Écrit par Claude Amstutz dans Franz Kafka, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/05/2012

Morceaux choisis - Philippe Jaccottet

Philippe Jaccottet

littérature; prose; morceaux choisis; livres

... Je pourrais écrire une liste de prénoms et de noms comme on en trace sur des monuments de pierre ou de marbre après les guerres: note bien celui-ci, ne l'oublie pas, pour être équitable, pour que la liste soit constamment à jour, et encore celui-ci du mois dernier, et cet autre, du commencement de la semaine, écris plus vite, parce que tout semble s'accélérer, comme quand la pente se fait plus forte, mais quoi de plus beau qu'une cascade, de plus vivant, de plus lumineux quand le soleil la traverse? Alors que toutes ces chutes dans le noir...

On n'enterre plus guère, aujourd'hui; on brûle; non pas à la vue de tous comme en Inde et dans une sorte de fête, mais de façon cachée, furtive - il faut surtout ne pas choquer -, cela glisse sans aucun bruit sur des rails invisibles, l'affaire expédiée en quelques minutes et même la vue de la fumée qui ne peut pas ne pas s'élever de là épargnée aux survivants. Le plus souvent, des paroles embarrassées, mises ensemble tant bien que mal, des musiques empruntées ajoutent encore leurs ornements en toc, leurs oripeaux inutiles; comme on tirerait au plus vite un rideau hailloneux, dans un théâtre de fortune, sur une pièce ratée.

... Toutes ces chutes dans le noir, les unes après les autres, et pour nous qui vieillissons, de plus en plus fréquentes et de plus en plus proches. Pendant que les verdures s'accroissent encore, comme en chaque mois de mai qu'on aura vécu.

Qui signifie avoir vu cela, puis avoir dit, ou écrit, qu'on l'a vu? Et l'écrire alors que la glissade, serait-elle même presque indolore, continue, et que la perte s'aggrave; et quand, avant nous, le même mouvement - qui est celui du temps -, les mêmes successions d'épanouissement, d'usure et de disparition, n'avaient produit aucune parole, comme si tout, alors, pendant des millions d'années, s'était produit dans un monde fermé, alors qu'avec nous commencerait, aurait commencé un entrebâillement, tout de même, en fin de compte, prodigieux? Une espèce de souffrance, mais aussi de joie, une espèce de combat, d'odyssée inimaginables avant cela; toutes nos histoires, innombrables, à cause d'un regard enfin ouvert et d'une bouche enfin ouverte pour parler de ce qui commence à être vu.

Philippe Jaccottet, Des morts (Revue Europe no 955-956, novembre-décembre 2008)

image: Le débarcadère, Rolle (Suisse)

09/04/2012

Morceaux choisis - Remo Fasani

Remo Fasani

Grisons.jpg

Se lever tout doucement avec l'aube,
grandir avec la matinée,
souffler durant l'après-midi,
se reposer quand vient le soir,
dormir en paix la nuit entière,
se réveiller au jour nouveau:
telles sont les vingt-quatre heures
de la brise de Sils Maria,
et son cycle sans fin.
 

Remo Fasani, Novénaires - postface de Philippe Jaccottet (Editions Conférence, 2011)

image: Sils Maria (Grisons)

11/11/2011

Actualité de la poésie 1/2

Bloc-Notes, 11 novembre / Les Saules

littérature; poésie; livres

Rares sont les magazines qui consacrent leurs colonnes à la promotion de la poésie, et c'est bien dommage car les efforts de qualité chez certains éditeurs - Gallimard, Mercure de France, Corti, Actes Sud, Cheyne, La Dogana, Héros-Limite, Conférence ou Empreintes pour n'en citer que quelques-uns - méritent un coup de pouce au regard de leur engagement financièrement plus délicat que la publication d'un roman, par exemple. Pourtant, comme dans une diététique du corps où rivalisent les sucres rapides - la majorité des oeuvres dites de (auto)fiction au succès souvent volatile - et les sucres lents - la poésie, les essais littéraires lus sans lien d'importance avec l'actualité - lesquels laisseront en nous l'empreinte la plus durable, la plus bénéfique, détachée des modes ou des convenances? A chacun d'y répondre: vraissemblablement un mélange des deux, sauf que, pour reprendre notre image, les sucres rapides sont accessibles en abondance dans les grandes chaînes de librairies, alors que pour les autres - à l'exception de la coll. Poésie/Gallimard - il faut se tourner vers les librairies indépendantes ou... les sites Internet - sans oublier Facebook - qui favorisent, exaltent ou éditent les ouvrages de ces domaines confidentiels désertant les rayonnages de nos professionnels du livre. Tout un débat dont les réponses sont multiples, contradictoires et mouvantes comme... les habitudes alimentaires!

Parmi les nouveautés en poésie, sachez que vient de paraître l'un des plus émouvants recueils de Yves Bonnefoy, intitulé L'heure présente qui, malgré son exigence poétique et son dépouillement, gagne en simplicité au fil des ans, avec ses battements de coeur déclinés au rythme de la nature et des hommes: On dit qu'on fait des feux sur des barques, dans ces pays de montagne. Que ces barques dérivent à travers le lac, tard la nuit. Allons voir, regardons loin devant nous puisque notre maison n'existe pas. D'admirables pages évoquent la haute mer, l'authenticité des choses vues, la sacralisation du livre, le mythe de Vénus et d'Adonis. On trouve également, dans ce volume, deux textes consacrés à la mise en scène de Hamlet - dont Yves Bonnefoy a, par le passé, assuré une traduction devenue célèbre - aux côtés de Raturer outreL'heure présente - qui donne son titre au présent livre -, Frissons d'automne, et Aller, aller encore: à lire et relire avec reconnaissance envers ces pierres rares qui gonflent les poches de notre pardessus et ne vieillissent pas.

La même exigence hante Les marges du jour de Jean-Pierre Lemaire, poète peu connu né à Sallanches - en Haute Savoie - voici 63 ans. Cet éloge de la vraie vie ancrée dans un quotidien en constant mouvement, se rapproche de l'univers d'un Yves Bonnefoy ou d'un Philippe Jaccottet, qui tous deux ont salué la première édition de ce recueil paru en 1977 - très tôt épuisé - et que La Dogana ajoute aujourd'hui à son catalogue. La nuit laisse partout des indices / ces prunes bleues, secrètes sous les feuilles / et tu regardes monter le soleil / sur le balcon en marge du temps... Ces textes essentiels, dignes des plus grands poètes contemporains, sont, dans une préface inédite, présentés par Philippe Jaccottet.

Et le voyage en poésie se poursuit... demain!  

Yves Bonnefoy, L'heure présente (Mercure de France, 2011)

Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour (La Dogana, 2011)

image: Antonio Canova, Vénus et Adonis (http://elbamboso.blogspot.com/2011/02/seduccion.html)