15/01/2014
La citation du jour
Khalil Gibran
Sachez que du plus grand silence je reviendrai. La brume qui disparaît à l'aube, ne laissant que la rosée dans les champs, s'élèvera et s'amassera en un nuage et alors retombera en pluie. Et je n'ai pas été différent de la brume. Dans le silence de la nuit j'ai marché dans vos rues, et mon esprit est entré dans vos maisons, et vos battements de coeur étaient dans mon coeur, et votre souffle était sur mon visage, et je vous connaissais tous. Oui, je connaissais votre joie et votre peine, et dans votre sommeil vos rêves étaient mes rêves. Et souvent j'étais parmi vous tel un lac parmi les montagnes. Je reflétais vos sommets et les pentes courbes et même les troupeaux errants de vos pensées et de vos désirs. Et vers mon silence vinrent en ruisseaux le rire de vos enfants, et en rivières le désir de vos jeunes gens. Et lorsqu'ils atteignirent ma profondeur les ruisseaux et les rivières ne cessèrent pas de chanter.
Khalil Gibran, Le prophète (Casterman, 1956)
12:33 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
Le poème de la semaine
Louise de Vilmorin
De ce temps si vite passéRien n’est resté à la patience. Je n’eus pas le temps d’y penserNi de faire un traité d’allianceJ’ai tout pris et tout dépensé. Chaque plaisir, chaque malaiseTrouvaient les mots qui font pâlir. Rimes du cœur sous les mélèzes,La forêt comprend le désirEt pleurait pour que mieux je plaise. J’ai pris le rire en sa saisonQuand il venait en avalanche. Quand parfumés de déraisonS’ouvraient les jasmins à peau blancheJ’acceptais la comparaison. Il faisait bon si j’étais bonneMeilleur si je faisais semblant. Les vœux qu’on ne dit à personneÉveillés par le cri des paonsChantaient au remords qui fredonne. La neige tombe, ohé! traîneauJe vais partir en promenade. La neige anoblit mon manteauJe suis la reine des nomadesDans mon lit à quatre chevaux. Je suis la reine sans coutumesQui connaît tous les jeux anciens. La parole était mon costumeEt la lune mon petit chienJaloux d’un astre qui s’allume. Une larme au bord de mes cilsJe dois poursuivre mon voyage. Beau château restez de profil,Pour rebroder vos personnagesJe prends mon aiguille et mon fil. Le bonheur est un invalideQui passe en boitant comme moi. Il n’a pas l’épaule solideMais je sais ce que je lui dois:Mon cœur est plein, j’ai les mains vides. Quelques traces de craie dans le ciel, Anthologie poétique francophone du XXe siècle
04:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature;poésie | | Imprimer | Facebook |
14/01/2014
Goran Petrovic
Goran Petrovic, Soixante-neuf tiroirs (Coll. Motifs/Serpent à plumes, 2006)
Adam, étudiant en lettres et correcteur intérimaire, se voit confier un travail singulier : remanier, pour le compte d'obscurs clients et pour des raisons qu'il lui faudra élucider, un vieux livre mystérieux. Se plongeant littéralement dans ce texte, il s'aperçoit vite qu'il n'est pas seul. D'autres lecteurs le hantent, parmi lesquels une vieille dame excentrique, un ancien agent d'une section très spéciale des services secrets, une jeune fille au parfum câlin...
Avec ses portes ouvertes sur l’imaginaire, le livre est-il dangereux, subversif ou au contraire salutaire? Pas innocent, c’est sûr, et capable de faire perdre pied à son lecteur… Ce que tentent d'élucider les personnages de ce roman habités par une réalité - ou un fantasme - qui les dépasse. Fantaisie de la mémoire collective, des amours secrètes et des destinées imprévues, ce texte très original - qui rappelle J.L. Borges – se laisse respirer comme un parfum d’exception.
Goran Petrovic est né en 1961 à Kraljevo, en Serbie, aujourd'hui bibliothécaire au monastère de Zicà. Soixante-neuf tiroirs est son premier livre traduit en français.
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13/01/2014
Ann Packer
Ann Packer, Un amour de jeunesse (Coll. Points/Seuil, 2005)
Ce livre, extrêmement attachant, raconte l’histoire d’une jeune femme dont le fiancé est victime d’un terrible accident qui va remettre en question toute son existence. Elle va découvrir que son amour n’est peut-être plus vivant, que sa vie réglée comme une horloge dans un petit village du Wisconsin avec ses parents, ses amis, son travail, ne lui suffisent plus. Elle partira donc pour New York, s’épanouira dans le milieu artistique de Chelsea où elle connaîtra un nouvel amour et qui sait, le bonheur. malgré le remords qui la hante : A-t-on le droit d’abandonner celui auquel on a voué sa vie en pleine détresse ? Il y a aussi – en dépit du sujet – de l’humour et de la légèreté dans ce roman sensible qui répond à des interrogations plutôt modernes.
Hier encore tout à fait inconnu, ce premier roman d'Ann Packer traduit en langue française est un bonheur de lecture communiqué de bouche à oreille, jusqu’au succès considérable qu’il connaît aujourd'hui, malgré une presse discrète. Sans doute cela s’explique-t-il par son héroïne, proche de nous, de même que sa famille ou les autres personnages de ce roman bouleversant.
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11/01/2014
Domnica Radulescu
Domnica Radulescu. Un train pour Trieste (Belfond, 2010)
Lyrique, poignant, incandescent, un premier roman émouvant qui brosse, à travers l'odyssée d'une adolescente de Bucarest jusqu'à la lointaine Amérique, un bouleversant portrait de femme en quête d'identité et de liberté. Roumanie, 1977. Mona, impulsive gamine de dix-sept ans, aime Mihai. Mais, autour d'eux, le monde sombre et l'étau de la dictature chaque jour plus insupportable. La police secrète guette à caque coin de rue, et Mona vit dans l'angoisse que la machine à écrire de son père dissident ne soit découverte, cachée dans le four. Ou pire, comme le lui suggèrent ses amis, que Mihai lui-même fasse partie de la Securitate... Alors, pressée par ses parents, Mona va devoir fuir. Munie d'un passeport obtenu à la sauvette, elle réussit à prendre le fameux train pour Trieste. Seule, terrifiée, sans avoir pu dire au revoir à Mihai...
Ce roman mêle avec beaucoup de crédibilité le premier amour de Mona - une jeune roumaine de 17 ans - avec le mystérieux Mihai, et sa soif de liberté dans un climat de terreur, au temps de Ceausescu. Elle s'enfuit à Trieste avant de s'établir à Chicago, mais bien des années plus tard, elle revient au pays pour traquer la vérité sur Mihai qu'elle n'a jamais oublié. Sur le thème de la trahison et de l'exil, l'auteur nous convie avec beaucoup d'émotion, d'intensité, de conviction, à croiser son destin.
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10/01/2014
Musica présente - 47 Ivo Pogorelich
Ivo Pogorelich
pianiste croate, né en 1958
*
Frédéric Chopin
Piano Concerto No. 2 in F minor, Op 21
(Chicago Symphony Orchestra, Claudio Abbado)
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Sam Savage
Sam Savage, Firmin - Autobiographie d'un grignoteur de livres (Actes Sud, 2009)
S’il est un seul livre vraiment jubilatoire qui mérite de trôner aux devantures des librairies, c’est bien celui de Firmin, rat difforme, insouciant et désespéré à ses heures qui, de grignoteur boulimique de livres, devient au contact de Norman puis de Jerry, lecteur érudit. S’inventant une destinée peu ordinaire entre réalité et fiction, il se prend au fil de ses découvertes, pour Moby Dick, Anne Frank ou Hamlet. Comme nous, n’est-ce pas ? Mais ce roman est bien plus qu’un voyage à travers les livres. Ballade nostalgique dans un quartier en voie d’extinction, quelque part entre Pembroke Books et le Casino Theater, il est aussi un reflet de notre époque pour ceux qui ne tolèrent pas la différence ou éprouvent un rejet devant ce miroir qui pourrait les révéler à eux-mêmes.
Egalement disponible en coll. Babel (Actes Sud, 2010)
05:32 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
09/01/2014
Morceaux choisis - Heinrich Böll
Heinrich Böll
Ils restèrent longtemps éveillés, fumant des cigarettes, tandis que le vent qui mugissait à travers la maison faisait tomber des pierres, arrachait, aux étages supérieurs, des plaques de crépi qui s'écrasaient à grand bruit et volaient en éclats. Il ne la voyait que comme une lueur, un souffle chaud et pourpre, quand ils tiraient sur leurs cigarettes; les formes moelleuses de ses seins mous sous la chemise, son paisible profil. Contempler le creux de ses lèvres minces, bien serrées, cette petite coulée noire au milieu de son visage le remplissait d'une immense tendresse. Ils bordèrent leurs couvertures et se blottirent l'un contre l'autre, c'était merveilleux de savoir qu'il faisait chaud et que l'on resterait toute la nuit au chaud. Les volets battaient, le vent sifflait à travers les carreaux cassés, balayait, là-haut, ce qui restait de la toiture. A intervalles réguliers, quelque chose heurtait violemment un mur avec un bruit métallique.
Elle murmura près de lui: C'est une gouttière, il y a si longtemps qu'il faut la réparer. Elle s'interrompit, une seconde seulement, lui prit la main et poursuivit tout bas: C'était avant la guerre, j'habitais déjà ici et, quand je rentrais à la maison, je voyais la gouttière et je me disais: "Il faut qu'ils la fassent réparer", mais elle n'était toujours pas réparée quand la guerre est arrivée, elle était toujours de guingois, l'une des fixations avait lâché, elle était prête à tomber. Je l'entendais chaque fois qu'il y avait du vent, chaque nuit de tempête, je couchais ici. Les traces humides apparaissaient nettement sur la façade chaque fois que la pluie frappait le mur à l'oblique, traînée blanche bordée de gris foncé, qui descendait en longeant la fenêtre, avec, à droite et à gauche, de grandes taches circulaires dont le centre était blanc, entouré de cercles d'un gris de plus en plus foncé... Par la suite, je suis partie loin, j'ai dû travailler en Thuringe et à Berlin et, lorsque la guerre a touché à sa fin, je suis revenue ici et les choses n'avaient pas changé. La moitié de la maison s'était effondrée - j'étais partie loin, très loin, j'avais vu beaucoup de souffrance, de mort et de sang, j'avais eu peur - et, pendant tout ce temps, cette gouttière endommagée n'avait pas bougé, elle projetait désormais la pluie dans le vide, puisqu'il n'y avait plus de mur. Les tuiles s'étaient envolées, des arbres avaient été abattus, le crépi était parti en lambeaux, mais ce morceau de zinc était finalement resté accroché six ans durant.
Sa voix se fit douce, presque chantante, elle lui pressa la main, il sentit qu'elle était heureuse... De nombreuses pluies étaient tombées en six ans, beaucoup d'hommes étaient morts, des cathédrales avaient été détruites, mais la gouttière était toujours là et je l'entendais claquer la nuit, quand il y avait du vent. Crois-tu que j'étais heureuse?
Oui, dit-il.
Heinrich Böll, Le silence de l'ange (Seuil, 1995)
traduit de l'allemand par Alain Huriot
03:18 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
08/01/2014
Le poème de la semaine
Georges Perros
merci à Maveric G
Ces envies de vivre qui me prennent Et cette panique, cette supplicationCette peur de mourirAlors que je n’ai pas encore vécuEt que dans ces momentsJ’ai ma vie sur ma langueIl me semble que ça va être possible, enfinQue je vais y aller d’une grande respirationQue je vais avaler le soleil et la luneEt la terre et le ciel et la merEt tous les hommes mes amisEt toutes les femmes mes rêvesD’un seul grand coupDe poitrine éclatéeQuitte à en mourir, oui,Mais pour de bonPas de cette mort ridiculeDéshonorante, inutile,Qui accuse la parodieQui accuse le défautDe ce qu’on appelle la vieSans trop savoir de quoi nous parlons. On se renseigne auprès des autresOn leur pose des tas de questionsAvec cette hypocrisie de bonne sociétéOn marque des points en silenceIls souffrent autant que nous, tant mieuxOn se dit mêmeQu’on est un peu plus vivants qu’euxO l’horreurEt la fragilitéDe nos amours. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:40 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésiee | | Imprimer | Facebook |
07/01/2014
Anne Serre
Anne Serre, Débutants (Mercure de France, 2011)
La vie réserve parfois des surprises, agréables et douloureuses à la fois, pour Thomas et Anna, impossibles pour Guillaume, le mari de cette dernière depuis vingt ans. Leur couple ne voguait pas à la dérive: leur amour encore à vif, le désir tel un signe visible de leur union heureuse. Pourtant, leur histoire se lézarde, comme une mécanique trop bien huilée ne suscitant plus l'étonnement, la folie: Elle avait toujours cru qu'ils parlaient la même langue. Or, elle commence à comprendre: lorsqu'il dit aimer il veut dire être amoureux, plein de désir et d'émoi. Elle, non. Lorsqu'elle dit aimer elle veut dire englober ou être à l'intérieur de l'autre, le connaître dans presque toutes ses nuances, se sentir pleinement heureux avec lui.
Un roman léger et délicat sur le coup de foudre, sur le vieillissement et l'amour éprouvé envers deux hommes dont l'un - le malheureux Guillaume - s'excluera de lui-même, muré dans son incompréhension, son entêtement, sa possessivité. Une approche du sentiment amoureux célébré comme une liberté à deux qui préfère la brûlure de l'imprévu à un bonheur trop bien orchestré. Etre jeune dans le regard de l'autre, n'est-ce pas le bien le plus précieux au monde?
également en format de poche (coll. Folio/Gallimard, 2013)
10:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |