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21/04/2012

La citation du jour

Albert Camus

littérature; essai; livres

L’histoire n’est que l’effort désespéré des hommes pour donner corps aux plus clairvoyants de leurs rêves.

Albert Camus, Actuelles - Essais (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1965)

18/04/2012

Morceaux choisis - Luc Ferry

Luc Ferry

littérature; philosophie; livres

Sans ce sentiment que la vie passe et qu'il presse, on ne voit pas bien ce qui nous inciterait à nous lever le matin, à travailler, à tenter d'agir sur le monde, à hiérarchiser nos priorités et nos passions. Il se pourrait en dernière instance que ce soit cette réconciliation avec notre condition de mortels, cette acceptation de la finitude qui, d'une part, donne de l'intensité à l'existence et qui, de l'autre, puisse conférer à l'instant présent le statut de fragment d'éternité, nous inciter à ne pas nous presser afin de nous réjouir du simple fait d'exister, du fait même que les choses soient. Il faut avoir la mort en tête pour que le charme gratuit de l'existence nous apparaisse en tant que tel, pour que l'on puisse prendre plaisir au simple fait d'exister. Ces deux exigences, en apparence contradictoires, sont en fait indissociables et toutes deux dérivent de la conscience de la finitude. C'est parce qu'il y a urgence que nous ne laissons pas filer le temps, mais c'est aussi parce qu'il nous est compté, et que nous le savons, que nous pouvons parfois le laisser filer volontairement. Il faut tenir ensemble ces deux mouvements si l'on ne veut pas que la mort, déniée, s'empare subrepticement de la vie derrière notre dos.

Luc Ferry, L'anticonformiste - Une autobiographie intellectuelle / entretiens avec Alexandra Laignel-Lavastine (Denoël, 2012)

20:19 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/04/2012

Annie François

Bloc-Notes, 12 avril / Les Saules

littérature; récit; document; livres

Avec Mine de rien s'achève, partiellement inaboutie, cahotante et comme vidée de ses forces, la trilogie par laquelle Annie avait rntrepris de raconter sa vie, considérée sous le triple rapport de ses relations au livre: Bouquiner, puis au tabac: Clopin-Clopant, et enfin à la souffrance. Ainsi s'exprime son compagnon François Chaslin dans ce texte poignant qu'est De guerre lasse, comblant les trous du récit laissés par Annie François elle-même, à la fin de sa vie. Au regard de l'intérieur se superpose ainsi celui du conjoint: deux réalités bouleversantes, intrinsèquement mêlées.

Tout commence donc un ténébreux 8 février 1991, quand les médecins de Annie François diagnostiquent un cancer du sein. Pas de quoi lui ôter le goût de vivre, ni celui pour son travail aux éditions du Seuil, ni la complicité avec François. Elle sait exprimer en revanche, comme nulle autre, l'altération de la fraîcheur et de l'innocence qu'entraîne la maladie quand tout bascule: la concrétisation de l'abstrait, dit-elle. Ainsi que dans ses précédents ouvrages, l'humour - même s'il fait un peu mal dans ce récit - reste une de ses armes favorites, dont elle use comme d'un bouclier fissuré, mine de rien: Tout milite pour réserver ses angoisses à ses médecins et confrères du malheur. C'est ainsi que j'ai créé le club des irradieuses - fort de quatre membres -, partant du principe qu'on ne peut parler de golf qu'avec des golfeurs et de cancers qu'avec des cancéreux. Même là règnent le mensonge, l'esquive, la dérobade. C'est pourtant dans ces cercles très fermés qu'on peut échanger de vraies informations et surtout se livrer à un humour noir salutaire. Je n'ai jamais autant ri qu'avec Domio, Danièle et Catherine

Elle traduit aussi, avec beaucoup de justesse, la sensation du vide et de l'abandon qui suit un cap critique auquel succède un repos temporaire: Après ce combat intense, presque quotidien, centré sur ma bosse alimentaire, on me livre à mes démons intérieurs, qui adorent le vide et détestent l'action, d'où leur prédilection pour la nuit et les insomnies, pour les temps morts, bien nommés.

Si Mine de rien est un hymne formidable à la vie et s'attache à mettre en lumière - même en situation précaire ou dans la souffrance, la rage, le découragement - le bon côté des choses, son auteur n'en délivre pas moins quelques messages qui mériteraient d'être entendus de toute personne proche en pareilles circonstances: L'entourage baigne dans une abominable confusion des sentiments: angoisse et sollicitude, empathie et exaspération, tendresse et brutalité. Et, réciproquement, du malade envers son entourage. Fais gaffe, ma fille, fais gaffe. Ailleurs, Annie François ajoute: Son rôle est bien ingrat; même démoralisé, même ratiboisé d'angoisse et de fatigue, voire moribond, le malade est actif; même attentif, même aux petits soins, l'entourage est passif. L'un est acteur, souvent peu doué pour son rôle; l'autre spectateur qui ne peut ni applaudir ni huer la pièce qui se joue sous ses yeux. Une approche mutuelle à petits pas, qui réduit peu à peu la distance entre la scène et la ville. Le spectacle demeure, mais les amis intimes comprennent mieux les sautes d'interprétation ou d'humeur de l'actrice.

Le pire n'est pas la fuite, qui trahit une sorte de peur de la contagion de la mort, l'anticipation d'une séparation programmée. Non, le pire, c'est la sollicitude forcée, dit-elle encore.

Annie François a tenu le coup pendant dix-huit ans, forte de sa curiosité, de ses passions, de son entourage. Elle s'est éteinte en juin 2009. Ses cendres, mêlées de terreau, ont été enfouies dans un bel endroit, entre les racines d'un arbuste piquant, conformément à ses volontés... 

Annie François, Mine de rien - Autobobographie 
suivi de:
François Chaslin, De guerre lasse
(Seuil, 2012)

19/03/2012

La citation du jour

Alain

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Nous vivons sur une mince couche d'humanité au-dessus d'un abîme de barbarie ; il s'agit de nous maintenir dans cette pénible position.

Alain, Propos sur les pouvoirs - Elements d'éthique politique (coll. Folio Essais/Gallimard, 1985)

07:39 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/03/2012

O tempora, o mores 1b

Bloc-Notes, 12 mars / Les Saules

Voici un court extrait du livre de Gospé et Sempinny

Nicolas a bien grandi

actualité; politique; humour; livres

D'habitude, c'est quand on saigne qu'on va à l'infirmerie. Comme la fois où Dominique avait donné un coup de poing à Raffarin et qu'il avait mis du sang partout sur son tablier, même qu'après, il avait un chouette coton qui dépassait du nez. Ou quand Brice s'était pris la porte dans la figure en regardant par le trou de la serrure pour espionner le Potage qui était en train de passer un savon à Ségolène parce qu'elle avait tiré les cheveux de Martine en passant derrière elle dans la cour. Le Potage - c'est notre surveillant, c'est comme ça qu'on l'appelle même si c'est pas son vrai nom -, il avait brusquement ouvert la porte, et Brice avait eu un oeil au beurre noir avec deux points de souture. Il n'était pas beau à voir parce qu'il était tout violet.

Une autre fois, au cours de gymnastique, on avait fait du lancer de poids - c'est un peu comme le jeu de la pétanque en vacances, sauf que là, il n'y a pas de cochonnet et qu'il faut seulement envoyer la boule le plus loin possible -, et Marine l'avait lancé sur la tête de Fanfan. Fanfan, c'est le surnom qu'on lui a donné depuis qu'il y a deux François dans la classe: c'est peut-être à cause de ses grandes oreilles, parce que c'est vrai qu'il ressemble à un lapin, et qu'il aime bien donner des conseils, comme d'arrêter de nous disputer par exemple, et de le choisir comme chef.

Gospé et Sempinny, Le petit Nicolas a bien grandi (Mango, 2012)

00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; politique; humour; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/03/2012

La citation du jour

Denys Caton 

littérature; philosophie; livres

Ne soutiens jamais par colère quelque fait que ce soit, surtout s'il est douteux: la raison vainement t'offrira sa lumière, lorsque la passion te fermera les yeux.

Denys Caton, Distiques - Livre II (Garnier, 1864)

image: Thonon-les-Bains 

22:37 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Le monde comme il va, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/02/2012

Je tire ma révérence

Bloc-Notes, le 19 février / Les Saules

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Voici venu le moment de tirer ma révérence professionnelle - à 65 ans chez nous autres, suisses - avec un an d'avance, après 47 ans de passions partagées avec des auteurs, des éditeurs, des représentants, des journalistes et des libraires, tous des maillons indispensables de cette chaîne du livre qui auront largement contribué à mon bonheur de vivre.

J'avais promis qu'en quittant les librairies Payot, j'ouvrirais exceptionnellement ces colonnes aux coups de coeur de mes désormais anciens collègues de Nyon qui poursuivent la route, reprennent courageusement le flambeau en une période délicate pour la profession, avec simplicité, modestie et sincérité, par amour du livre et des lecteurs.

Pour ma part, l'aventure continue, autrement certes, mais elle continue, aussi belle et lumineuse qu'elle le fut jusqu'à ce jour: dans ma vie, auprès de mes amis, sur La scie rêveuse, sur Facebook, dans la revue du Passe MurailleQuand je pense à tous les livres qu'il me reste encore à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux, dit Jules Renard.

Place donc à mes amis libraires! Je reprendrai prochainement la parole sur La scie rêveuse, avec Le poème de la semaine, puis avec un thème plus polémique - qui ne me vaudra pas que des amitiés! - Pourquoi Sarko va gagner selon Eric Brunet (Albin Michel), ainsi que la reprise de chroniques consacrées aux parutions récentes, telles Le champ du potier de Andrea Camilleri (Fleuve Noir), Les lieux et la poussière de Roberto Peregalli (Arléa) et La femme au masque de chair de Donna Leon (Calmann-Lévy).

Belle fin de dimanche à tous! 

image: Dora Maar par Man Ray / Paul Eluard, Le temps déborde (Les Cahiers d'Art, 1947) 

17:19 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/12/2011

Notre Dimitri

Bloc-Notes, 12 décembre / Les Saules

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Il n'est pas surprenant qu'après l'hommage rendu à Vladimir Dimitrijevic dans la revue Le Passe Muraille, en octobre dernier, les éditions de l'Age d'Homme à leur tour rassemblent quelques témoignages autour de cet homme hors du commun, éclairant tour à tour son parcours d'éditeur, ses convictions, ses amitiés. Si vous connaissez mal le personnage, lisez le Petit dictionnaire amoureux de l'Age d'Homme, par Jean-Pierre Baronian. Dans son texte, il évoque les grands noms de son parcours d'éditeur: Henri-Frédéric Amiel, Gilbert Keith Chesterton, Charles-Albert Cingria, Pierre Gripari, Octave Mirbeau, Georges Simenon ou Milos Tsernianski. Il faut y ajouter Vassili Grossman - dont parle Eugenio Corti - ou encore Andréï Biély, Grigori Zinoviev - que mentionne Claude Frochaux - sans oublier, bien sûr, Georges Haldas - que met en lumière Georges Nivat -, Branimir Scepanovic, Dejan Stankovic, Alexandre Tisma, et j'en oublie... !

Mais dans ce présent recueil, ce sont les moments d'émotions partagées avec Dimitri qui soulignent son incroyable diversité - bien au-delà des clivages politiques et religieux -, son ouverture à tout ce qui tressaille, interroge, bouge ou vit, tout simplement, dont le catalogue des éditions de l'Age d'Homme portent le prolongement en littérature. Robert Calasso, par exemple, parle de lui comme d'un passeur et d'un jardinier, séduit par ceux qui ont une certaine démesure de l'âme et débordent du cadre de la réalité, propos auxquels résonnent comme un écho les mots de Dobrica Cosic: Vlamidir Dimitrijevic est le Don Quichotte du livre dans la galaxie Gutenberg. Quant à Jean-Michel Olivier, il use d'une jolie image qui illustre bien ce saint contrebandier: Les gitans vivent dans les caravanes. Lui, qui avait un peu de sang rom, passait le plus clair de son temps dans sa camionnette. Il faisait la navette entre les imprimeries, les librairies, sa maison d'édition. Il était toujours en vadrouille. Il passait l'or en contrebande. 

Comme tous ceux qui ont côtoyé Dimitri et ont connu à ses côtés au moins un éclair de folie slave partagée, Jean-Louis Kuffer se souvient d'une soirée où Vladimir Dimitrijevic a récité par coeur les stances de L'ange exilé de Thomas Wolfe, qu'il avait édité: Une pierre, une feuille, une porte inconnue; d'une pierre, d'une feuille, d'une porte. Et tous les visages oubliés. Nus et solitaires, nous vinmes en exil. Dans l'obscurité de ses entrailles, nous n'avons pas connu le visage de notre mère; de la prison de sa chair, nous sommes entrés dans l'inexprimable, l'incommnicable prison de cette terre. Qui de nous a connu son frère? Qui de nous a lu dans le coeur de son père? Qui de nous n'est à jamais resté prisonnier? Qui de nous ne demeure à jamais étranger et seul? 

Tous les autres textes qui constituent cet hommage à Dimitri mériteraient d'être cités ici, mais plutôt que d'en parler davantage, courez vite vous procurer - dans une bonne librairie - ce recueil de textes qui brassent un air tonique et frais dans la grisaille ambiante, parfois même au royaume des lettres...  

Notre Dimitri - Vladimir Dimitrijevic 1934-2011, textes réunis par Lydwine Helly (L'Age d'Homme, 2011)

pour obtenir le numéro 87 de la revue du Passe Muraille consacré à Vladimir Dimitrijevic: http://www.revuelepassemuraille.ch/index12.html

03/12/2011

Elie Wiesel

Bloc-Notes, 3 décembre / Les Saules

littérature; récit; document; livres

Il arrive que les livres les plus courts soient les meilleurs. Cela me vient à l'esprit, comme ça, en refermant le récit de Elie Wiesel, Le coeur ouvert: retour sur une année maudite - 2011 - qui commence à la mi-janvier avec une double pneumonie, à laquelle quelques mois plus tard devant un implacable diagnostic - cinq artères bloquées - succède une opération à coeur ouvert: Les infirmières sont prêtes à pousser mon lit à roulettes vers la sortie. Je jette un dernier regard vers la femme avec laquelle je vis depuis plus de quarante-deux ans. Tant d'événements, de découvertes et de projets nous unissent. Tout ce que nous avons accompli dans la vie, nous l'avons fait ensemble. Et voilà une expérience supplémentaire. La dernière?

Au moment de rejoindre le bloc opératoire, Elie Wiesel laisse monter en lui les émotions, les visages, les souvenirs qui l'habitent - malgré l'effroi devant la mort possible - et donnent un sens à sa vie: Ce n'est pas ainsi que j'avais imaginé ma fin. Et puis je ne me sens aucunement prêt. Tant de choses encore à achever. Tant de projets à élaborer. Tant de défis à affronter. Tant de prières à composer. Tant de mots à trouver, de silences à faire chanter.

Elie Wiesel revisite sa mémoire et son présent dans les regards et les gestes les plus simples, porteurs d'espérance et sources de gratitude. De très belles pages consacrées à son épouse jalonnent son texte: Marion, l'unique, est arrivée. Les yeux fermés, je sens sa présence. Je la vois presque. Les qualités de cette femme extraordinaire, douée, motivée. Sa force de caractère. La sensibilité de son intelligence. Son génie? Elle ne cesse jamais de me surprendre. De même à propos de son fils Elisha: Je lui fais signe de s'approcher. Maintenant il se trouve tout près de mon lit, prend ma main dans la sienne et la caresse doucement. J'essaye de la serrer, mais n'y arrive pas. Je sais qu'il désire me transmettre sa force, sa foi en ma guérison. Enfin devant le docteur Patel: C'est fini. Tout s'est bien passé. Vous vivrez... Jamais je n'oublierai le sourire sur son visage.

Entre l'avant et l'après, il s'interroge aussi sur son passé de rescapé, de témoin, de passeur, face à l'ennemi noir qui le presse, face à Dieu: Qui suis-je? Que suis-je devenu? Je sais avoir échappé à la mort. Je sais aussi que ma vie ne sera plus la même. Plus loin, Elie Wiesel ajoute: La différence tient à ce que je sais combien chaque moment est un recommencement, chaque poignée de main une promesse et un signe de paix intérieure. Je sais que toute quête implique l'autre, de même que toute parole peut devenir prière. Si la vie n'est pas une célébration, à quoi bon s'en souvenir?

Malgré la gravité des faits qui ont entraîné l'écriture de ce livre, il en émane une douceur impalpable coulant même entre les pierres du désespoir - parfois avec légèreté ou un certain humour - et dont le fondement se trouve peut-être dans ces mots de l'Ecriture cités par Elie Wiesel: Ubakharta bakhaim - Tu choisiras la vie.

Méfiez-vous des petits livres - celui-ci se compose de 89 pages à peine! - et lisez vite Le coeur ouvert. Puis relisez-le une fois, et encore une autre, car il s'y nichent des trésors de sagesse et matières à réfléchir, à s'émerveiller et se consoler dans l'autre: Le corps n'est pas éternel, mais l'idée de l'âme l'est. Le cerveau sera enterré, mais la mémoire lui survivra...

Dans la catégorie La citation du jour - le 26 novembre 2011 - vous pouvez retrouver un autre extrait magnifique de ce récit de Elie Wiesel

Elie Wiesel, Coeur ouvert (Flammarion, 2011)

image: Marc Chagall, La paix (Sarrebourg, Moselle)

29/11/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

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Bien avant que n'abondent les récits de vie tels qu'on en découvre une dizaine par semaine de nos jours - plus ou moins inspirés - les années 70 auront été marquées par un témoignage d'une force et d'une rage inoubliables: Le pavillon des enfants fous, écrit par une gamine de quinze ans, Valérie Valère.

Elle y relate son internement pour anorexie, à l'âge de treize, dans un grand hôpital parisien. Une vision implacable du monde psychiatrique qui résonne à nos oreilles en écho aux textes fondateurs de l'antipsychiatrie de Ronald Laing - Le moi divisé et Soi et les autres - ou encore au film de Ken Loach, Family Life: En vérité, tout le monde a perdu, je suis là, triste et morose, méfiante et lâche. Je fais semblant de vivre et je me cache pour pleurer. Ils me reprendraient pour dépression nerveuse, ça les amuserait de me revoir. Ils m'ont gardée dans leurs griffes, j'ai conservé l'angoisse d'un emprisonnement, la colère refoulée d'une injustice, la rage de l'impuissance. (...) Je m'acharne à écrire et je retrouve la solitude. Cette volonté de continuer malgré la fatigue, malgré mes doutes et leur menace rejoint l'autre prison. Je suis restée là-bas, dans la chambre vingt-sept, avec mes refus, avec ce mal de vivre. Et je crois bien que je n'arriverai jamais à en sortir.

Elle s'en sortira pourtant, Valérie Valère, à sa manière, jetant un regard lucide et désespéré sur ses deux années d'internement et son avenir possible, à la fin du livre: Et moi, dans votre monde? Je fuis dans la tendresse des salles de cinéma, je rêve devant l'écran magique pendant les quatre séances de l'après-midi. Et dans le métro, l'éclat métallique des rails m'attire, me renverse comme quelque chose venu d'ailleurs, du plus profond de moi-même. Moi-même c'est tout ce qu'il me reste, tout ce que vous m'avez laissé. (...) J'essaie de retrouver un monde, je regarde tous les chemins avant de choisir le mauvais, mais rien n'est indiqué et personne ne veut me tendre la main, ou plutôt, je ne veux en prendre aucune. Une angoisse me serre le coeur. Ici, la solitude est moins belle car elle est fausse tout en ayant l'apparence d'être véritable. Plus douloureuse. Vivre, qu'est-ce que cela veut dire? Je ne sais pas. Je veux dire, je ne sais pas si cette fois-ci j'ai trouvé la vraie route. Je n'arrive pas à oublier et je me réveillerai encore souvent, en criant, pour avoir entendu le petit bruit de la clé tournée dans la serrure.

L'écriture lui aura été d'un grand secours, mais pas suffisamment pour la guérir de son mal-être ou lui apporter le réconfort. Quelques années après la parution de son premier livre, Le pavillon des enfants fous, Valérie Valère s'éteint un certain 17 décembre 1982 dans son sommeil, victime d'une crise cardiaque après une overdose médicamenteuse: une délivrance pour cette écorchée vive de 21 ans à peine, qui, malgré le succès, n'aura jamais connu le bonheur...

Reste l'oeuvre: Outre Le Pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 1983) réédité en 2001, les autres textes de Valérie Valère sont malheureusement tous épuisés. Je vous les mentionne néanmoins ci-dessous, car chez les bouquinistes ou avec un peu de chance dans les bibliothèques, vous pouvez sans doute les dénicher, pour la plupart: Malika ou un jour comme tous les autres (coll. Livre de poche/LGF, 1983), Obsession blanche (coll. Livre de poche, 1992), Laisse pleurer la pluie sur tes yeux (coll. Pocket, 1988), La Station des Désespérés ou Les Couleurs de la Mort (Bartillat, 1992). Il faut y ajouter un livre qui lui fut consacré, écrit par Isabelle Clerc et Françoise Xénakis: Valérie Valère - Un seul regard m'aurait suffi (Perrin, 2001) indisponible lui aussi.  

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 2001)