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13/04/2014

Fabio Geda

littérature; récit; livresFabio Geda, Dans la mer il y a des crocodiles - l'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari (coll. Piccolo/Liana Levi, 2012)

Enaiatollah Akbari, âgé de dix ans à peine, est né dans la province de Ghazni, au sud-est de l'Afghanistan. Il est hazara, une ethnie méprisée et souvent réduite à l'esclavage tant par les talibans que les patchounes. Son père est mort. Sa famille - comme bien d'autres - connaît l'oppression, la sueur et les larmes, mais surtout la peur face à la violence et aux menaces qui les entourent. Un jour - la plus terrible des preuves d'amour - sa mère, fuyant leur maison de Nava, l'abandonne à Quetta, un village pakistanais non loin de la frontière afghane, avec trois commandements pour tout bagage: Ne pas prendre de drogues, ne pas utiliser d'armes, ne pas voler.

Commence alors pour Enaiatollah Akbari un périple de cinq ans, le conduisant du Pakistan à l'Italie, en passant par l'Iran, la Turquie, la Grèce. Un voyage long, dangereux, à haut risque. Il apprend à se débrouiller pour survivre et même s'il côtoie l'horreur ou la misère, son regard toujours tourné vers l'avenir reste sensible à la beauté des sentiments - qui lui sera marquée à certaines heures en raison de sa bonne éducation, de sa politesse, de son habileté - traduite par un sourire de gratitude qui ne le quitte jamais.  

Ce livre est le récit de son incroyable aventure, transcrite par Fabio Geda avec un souci de coller au plus près de sa vérité, non sans nous partager une oeuvre littéraire à part entière. Si son odyssée racontée avec naturel et simplicité nous touche tant, c'est qu'elle transpire de l'empathie de son auteur, lui-même éducateur depuis une dizaine d'années auprès de mineurs immigrés à Turin et qui ne nourrit d'autre souci que de décliner une histoire dont il ne se veut que le témoin. Mais au-delà de ces fragments de vie que nous expose Enaiatollah Akbari, ce livre nous sensibilise aux réalités de l'immigration - le trafic des êtres humains, les coups qui pèsent sur les clandestins, la fuite par nécessité - dont Dans la mer il y a des crocodiles montre avec une douce ironie qu'elle n'est ni noire, ni blanche.

Aujourd'hui, notre jeune rescapé a 22 ans, un permis de séjour depuis 2007, étudie, profite enfin d'une vie bien à lui, a des amis et parle l'italien comme un turinois! Dans le dernier chapitre du livre - l'un des plus émouvants que je vous laisse découvrir - vous verrez qu'il renoue avec les siens. Il rêve de repartir en Afghanistan pour s'y rendre utile ou devenir - en Italie - le porte-parole de sa communauté, nous dit Fabio Geda. Une belle leçon de vie qui n'occulte malheureusement pas l'aventure d'autres enfants semblables à lui qui ont fait le voyage avec la même détermination, mais qui n'ont survécu à l'enfer. Ce livre est aussi la trace de leur histoire, transparente, invisible, engloutie dans le ventre des baleines ou des crocodiles... 

Du même auteur ont paru trois autres livres: Pendant le reste du voyage, j'ai tiré sur les indiens (coll. Piccolo/Liana Levi, 2011), La séquence des gestes (Gaïa, 2011) et Le dernier été du siècle (Albin Michel, 2014).

25/12/2013

Heureuses fêtes

Bloc-Notes, 25 décembre / Les Saules

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A toutes et à tous, je souhaite d'heureuses fêtes, nourries par la présence aimante de vos proches, ainsi que de celles et ceux qui ont quitté et rejoint le monde des étoiles: inextinguibles et glorieuses dans notre coeur. En ce jour de Noël, je vous propose ces Méditations d'Orient, interprétées par Soeur Marie Keyrouz.

Plus nous apprenons comment toucher la réalité de notre être par le beau et le sacré, plus nous offrons à notre humain, le privilège de vivre le spirituel infini qui nous habite et qui est à l'origine de toute chose. Une prière du Christ, une offrande lyrique de Tagore ou une poésie mystique, ces méditations sont choisies et chantées pour allumer une chandelle sur le chemin de l'homme, dans son pèlerinage vers son intérieur. Juif, chrétien ou musulman; religieux, croyant, ou antagoniste, l'être humain est à la recherche inlassable du sens de son existence et de la zone la plus profonde de son âme où il n'y a que consonance, harmonie, liberté et paix.

Avec ces méditations nous avons essayé de puiser dans les thèmes musicaux des traditions liturgiques: Araméenne, Byzantine, Syriaque et Maronite; de même que dans les plus subtiles des échelles de la musique orientale classique avec ses micro-intervalles et les couleurs qu'elle apporte pour soutenir le texte sacré. Quand la prière déborde d'émotion humaine et spirituelle, la voix et l'instrument prennent leur liberté pour exprimer l'inexprimable et dresser une échelle verticale vers l'au-delà. Ce phénomène qui est l'improvisation est très ancien dans l'histoire de la musique sacrée; il est né d'une confession de foi où les notes et les modes n'existaient que pour incarner le sens théologique de la prière et sacraliser l'émotion humaine.

Chaque instrument est choisi pour son timbre et l'atmosphère qu'il pourrait installer, laissant à la voix, toute la faveur de chercher le plus adéquats des siens, se servant de toutes les richesses des fioritures et les subtilités des intervalles non-tempérés nécessaires pour faire résonner ces prières dans les coins intimes du cœur humain. Pourrait-on, par la grâce de ces méditations, faire rencontrer l'Humain avec le Divin qui est dans son être et se laisser fondre dans le mystère du silence de la paix éternelle de Dieu?

Vous pouvez vous procurer ce CD - 20 euros - sur le site ci-dessous:

http://www.keyrouz.com/FR_meditations.html


illustration musicale:  Marie Keyrouz, Méditations d'Orient (http://www.keyrouz.com/FR_meditations.html)

image: Orson Welles, Citizen Kane / 1941 (weeatfilms.com)

01:06 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Chant sacré, Le monde comme il va, Marie Keyrouz | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique classique; noël | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/11/2013

Marie de Hennezel

images-4.jpegMarie de Hennezel, La chaleur du coeur empêche nos corps de rouiller (Robert Laffont, 2008)

A contre-courant de la pensée commune glorifiant la seule jeunesse, Marie de Hennezel ouvre les fenêtres au monde de la vieillesse pour nous dire, avec beaucoup de sensibilité et de réalisme, que cette étape cruciale de la vie n’est pas nécessairement vouée à la souffrance, à la frustration ou à la déchéance. Sans occulter les interrogations incontournables – le défi de la solitude, la question du désir, la peur de mourir – l’auteur de La mort intime et du Souci de l’autre sonde, à travers de nombreux témoignages recueillis au cours de son expérience de psychothérapeute, l’énergie du cœur qui peut, lui, ne pas vieillir, riche de promesses, de sensations nouvelles et de libération. Un merveilleux livre de chevet, parole de sexagénaire!

Egalement disponible en coll. Pocket (Pocket, 2010)

04:01 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livres; sciences humaines | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/11/2013

Vendanges tardives - De Yllana

Un abécédaire: Y comme Yllana

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Tous les matins, invariablement, qu'il pleuve ou qu'il vente, je vois passer Yllana, dos courbé sous mes fenêtres, avec ses papiers sous le bras, avant de se tenir pour la journée, à l'entrée du supermarché de mon quartier, proposant pour la somme modique de deux euros, le journal Sans Abri, consacré à la lutte contre la précarité, dans l'exaspération ou l'indifférence générale.

Or, mon cher Fred, depuis la semaine dernière, au vu de l'insuccès de sa démarche, elle a décidé de changer de stratégie: elle emprunte le tramway ou fait le tour des tables de restaurants en extérieur. Heureuse initiative ou non? Sur son visage, je peux lire toute la douceur, la détresse et la douleur du monde, quand on lui signifie qu'il n'est pas question de payer pour un journal - français de surcroît! - ou de promouvoir l'état de droit de la mendicité. 

Pas vraiment parmi les villes les plus pauvres de Suisse, Genève arbore alors son visage le plus nauséabond, qui vient s'ajouter à l'arrogance, au manque de cordialité et à la froideur, fréquents dans les bistrots, les transports publics ou les commerces. Et quand il m'arrive d'emprunter un taxi, les plus courtois ou serviables s'avèrent être - la plupart du temps - des maghrébins, des hindous, des ressortissants de l'ex-Yougoslavie... et je pourrais multiplier les exemples.

Je sais que mon coup de gueule ne règle aucun problème de société - ce n'est pas mon propos - mais si je n'ai jamais porté cette ville inhospitalière dans mon coeur, sinon pour les amis que j'y retrouve, c'est au nom de ce prétendu esprit libertaire qui cache hypocritement sous une légende - avec de moins en moins de subtilité - ce premier pas qui manque en direction de l'autre - étranger toujours, même venu de Suisse ou de France voisine! - susceptible de favoriser cet épanouissement dans la différence dont parle Albert Jacquard: notre vraie richesse, envers de l'atrophie, de l'indifférence et du déclin.

Mais, heureusement, Genève n'est pas la Suisse! Pas vrai?

Albert Jacquard, Eloge de la différence (coll. Points Science/Seuil, 1981) 

image: Rues de Genève / Suisse, 2010 (planetephotos.blog.tdg.ch)

12/10/2013

Vendanges tardives - De Xenakis

Un abécédaire: X comme Xenakis

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Pas snob pour deux sous, Marie-Chantal, quand, tirant sur son légendaire fume-cigarette en ivoire rose à l'entracte d'une pièce de Thomas Bernhard, Avant la retraite, elle te confesse de sa voix rauque et théâtrale qu'elle a pris goût à la musique stochastique au Tibet, en écoutant sur un transistor de fortune Radio France International, mais uniquement le célèbre Pop Club de José Arthur dont, en transe, elle ne prêtait l'oreille qu'à la bande-son de Iannis Xenakis: Polytope.

Hélas, vois-tu Fred, je trouve que tout de même, avec le temps, elle baisse, car quand le monsieur bien sous tous les rapports l'a bousculée et a maculé sa dernière robe toute en cuir bleu et transparences signée Jean-Paul Gaultier, avec un vulgaire american pancake, elle ne s'est pas écriée: Me voici enfin griffée toute en Rothko!

Mais que veux-tu? L'esprit comme la politique, avec l'âge ça se confond parfois avec la sottise: ce grand silence blanc...

Thomas Bernhard, Avant la retraite (Arche, 1987)

image 1: Défilé Jean-Paul Gaultier 2014 / IMAXTREE (lexpress.fr)

image 2: Mark Rothko (minimalexposition.blogspot.com)

illustration musicale: Iannis Xenakis, Polytope, Ensemble Ars Nova / Marius Constant 

littérature; musique; mode


16/09/2013

Vendanges tardives - De la Winchester

Un abécédaire: W comme Winchester

cinéma

J'avoue, mon cher Fred, que - contrairement à toi - j'éprouve bien souvent, au cinéma, une aversion tenace pour le western. En raison de ses héros fréquemment machos, frustres, plutôt racistes et conservateurs, avec la Bible dans une main et une Winchester dans l'autre. Mais surtout parce que, derrière les bons abolitionnistes du Nord et les exécrables Sudistes, ou les peaux-rouges sans foi ni loi, d'un côté - fossoyeurs de la civilisation - et les justiciers blancs à la morale irréprochable de l'autre - of course - je reconnais toute une image détestable de l'Amérique, exaltant les valeurs nationalistes à travers une vision manichéenne de la société, et qui aura survécu jusqu'à aujourd'hui.

Cela dit, mon approche du genre est assez caricaturale, je te le concède, même si nombreux traits de ces films aux personnages stéréotypés, se retrouvent parmi des cinéastes de renom tels Raoul Walsh - La piste des géants -, ou Anthony Mann - Winchester 73 - parmi d'autres.

Cette gigantesque production hollywoodienne des années 50 et 60 livre pourtant quelques exceptions mémorables - j'en ai choisi trois -  qui te réjouiront, parmi lesquelles le formidable Duel au soleil de King Vidor: Après avoir vu son père tuer sa mère et l'amant de celle-ci, Pearl est recueillie dans le ranch du sénateur McCanles. Le patriarche a deux fils, Jesse et Lewt, aussi différents qu'Abel et Cain. Partagée entre les frères ennemis, Pearl deviendra une furie, tourmentant et déchirant tous ceux qui la convoitent.... Dans ce film, les héros s'avèrent plus complexes que de coutume, avec un brave peu réjouissant et un noceur pas antipathique du tout, se disputant le coeur de la belle.

De même El Perdido de Robert Aldrich: Aussitôt arrivé au ranch des Breckenridge, Brendan O’Malley se fait engager pour aider au convoyage du cheptel du propriétaire. Il entreprend également la femme de celui-ci, qu’il a aimée il y a longtemps. Il se fait enfin rejoindre par Dana Stribling, qui l’accuse d’avoir tué son beau-frère et est bien décidé à le venger… Ici, les mécanismes habituels sont brouillés par des passions troubles et débouchent sur une fin empreinte de mélancolie et de dérision.

Enfin ce western crépusculaire - un pur chef-d'oeuvre - L'homme qui tua Liberty Valance de John Ford: Le sénateur Ransom Stoddard et sa femme se rendent en train dans la petite ville de Shinbone, pour assister à l’enterrement d’un dénommé Tom Doniphon. La presse locale est intriguée car à ses yeux, Doniphon est un sombre inconnu et la venue de Stoddard paraît de fait totalement énigmatique. Un journaliste insiste auprès du sénateur pour obtenir une explication, et celui-ci lui raconte alors les circonstances de sa rencontre avec Doniphon et un bandit nommé Liberty Valance, bien des années plus tôt... Toute l'émotion transpire dans ce qui n'est pas vu ni exprimé entre le héros présumé devenu sénateur et ce cowboy inconnu, autrefois son ami.

Au fait, sais-tu que John Ford fut l'idole cinématographique de Akira Kurosawa?





sources: AlloCiné et Wikipedia

extrait 1: Anthony Mann, Winchester 73 (1950) avec James Stewart, Shelley Winters et Dan Duryea

extrait 2: King Vidor, Duel au soleil (1946) avec Gregory Peck, Jennifer Jones et  Joseph Cotten

extrait 3: John Ford, L'homme qui tua Liberty Valance (1962) avec John Wayne, James Stewart et Lee Marvin

extrait 4: Robert Aldrich, El Perdido (1961) avec Kirk Douglas, Rock Hudson et Dorothy Malone

 

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Films inoubliables, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/08/2013

Vendanges tardives - De Schubert

Un abécédaire: S comme Schubert

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Ca ne prévient pas quand ça arrive, ça vient de loin... Comme un grain de sable qui s'est glissé dans l'enveloppe d'une nuit trop parfaite, trop sereine, trop claire; ou un objet familier qui n'est plus à sa juste place, comme un mauvais père; ou encore un souffle court qui t'étreint, non pas celui de l'angoisse ou de la désespérance, mais celui d'une appréhension accompagnant ce sentiment de déjà vu et qui semble fragiliser la petite cage de verre qui fait tinter ta petite horloge interne, comme aux jours maudits de ta jeunesse. Et là, d'un seul coup, tout ce qui t'entoure semble si loin, insupportable, étranger, sur le point de basculer dans le néant, de rejoindre le paradis des pierres, sans même que tu y comprennes quelque chose. Le mal de vivre?

Alors, dans ces moments-là, fugaces et imprévisibles, tu te retires dans ta chambre et plonges dans les sonates de Franz Schubert, ou mieux encore, dans ses Lieder, où tu retrouves à la fois l'obscurité et la lumière de ce que tu ne saurais exprimer ici, et qui te rapproche de ta propre énigme, de tes sensations vraies, de ton intériorité. C'est l'heure des larmes invisibles qui te permettent de retrouver - ni vu ni connu - le chemin juste, l'escalier sans contrefaçon, le désaveu de l'encre noire, le tremblement d'un horizon approximatif...

Et vois-tu Fred, à chacun ses fatigues incertaines, ses envols transitoires, ses pages blanches de mots - que nulle ombre n'envahit - sinon pour dire cet incroyable amour d'une terre peuplée de signes qui habitent ton coeur, incapable de les contenir ou les lire, derrière les volets clos...



image: Pascal Giroud, L'horiron (pgiroud.fr)

illustration musicale 1: Barbara, Le mal de vivre

illustration musicale 2: Franz Schubert, Winterreise, D 911: Ian Bostridge, Julius Drake

18/07/2013

Vendanges tardives - De la panne

Un abécédaire: P comme Panne

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Comme chaque année, notre brave Madame Angela Martinez a investi pour tout l'été la loge de concierge de l'immeuble. Je la connais de longue date, pour lui confier souvent - au noir - quelques corvées de nettoyage ou tâches ponctuelles, telles les changements de literie ou les courses encombrantes du supermarché! Or, toi qui recours aussi de temps à autres à ses services, tu as peut-être remarqué que cette année ne ressemble pas aux précédentes, notre fée du logis arborant la mine d'une résistante en état de guerre totale. Et pourquoi donc?

Tout a commencé par un doute qui m'a saisi lors de ses derniers achats chez notre épicier local, dont je voyais les tickets de caisse prendre soudain l'ascenseur. Elle m'a alors expliqué qu'elle avait biffé de sa liste tous les produits au label Made in France, les remplaçant par les produits du Terroir suisse. Et le melon, alors: il est suisse? Non, me répondit-elle, il est italien, et aussi savoureux que son homologue bleu-blanc-rouge... Ah, donc un léger différend avec nos voisins et néanmoins amis?

J'aurais sans doute mieux fait de ne pas la provoquer, car Angela ouvrit toutes grandes les vannes de ses griefs: donneurs de leçons détestés même dans son pays d'origine; jaloux de la réussite des pays étrangers à leurs dépens; avides de faire les poches des autres plutôt que resserrer les cordons de leur propre bourse; incorrigibles bavards aux propos dispersés par le vent; encourageant la délation (financière) - et on voit où cela a pu les mener, les français - sans oublier cette insupportable vanité qui les fait croire (à eux-mêmes) qu'ils sont les sauveurs d'une Europe inéquitable! Rien que ça...

Je passe sous silence ses propos lapidaires sur le football ou la politique intérieure, mais mon cher Fred, ce qu'Angela ne m'a pas dit, c'est que son ami Xavier, maçon venu voici trois hivers de Villeurbanne, l'a larguée le mois dernier et a choisi de rejoindre sa régulière dans la région lyonnaise, sans autre forme de procès... Petite amertume passagère? Depuis hier à 17h15, elle jubile, car sa télévision est tombée en panne - elle ne compte pas la réparer de si tôt - lui évitant le lavage de cerveau des informations people en continu et le bla-bla des initiés ou gourons en tous genres, semblables à ceux de la veille, de l'avant-veille etc. A toute chose donc, malheur est bon, car ce soir, au moment où je te parle, elle regarde un DVD de Stanley Donen que je lui ai prêté: Singin' in the Rain (Chantons sous la pluie) avec Gene Kelly, Donald O'Connor, Debbie Reynolds et Cyd Charisse!

Quant à moi, je regarde avec le sourire mes fruits et légumes, délicatement disposés sur ma table de cuisine. Une pomme suisse: ça te tente? Ou allons-nous pencher vers un Rosé de Provence?

D'accord, j'éteins la télévision! A ta bonne santé, l'ami...

image: http://farm8.staticflickr.com

03:29 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (1) | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/07/2013

Bel Paese 1b

Morceaux choisis - Giancarlo De Cataldo

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Lettre de Giuseppe Mazzini à Elena Sacchi, le jour de son vingtième anniversaire.

29 septembre 1854.

La vague de la mer est salée et amère: la lèvre refuse de s'y désaltérer. Mais quand le vent souffle sur elle et la soulève très haut dans l'atmosphère, elle retombe douce et fécondante. Et la vie est comme la vague: elle se dépouille de l'amertume qui l'envahit, en s'élevant. Ne demande pas le bonheur à la vie: tu pécherais, et inutilement, par égoïsme. Ne désespère pas de la vie: le désespoir es l'athéisme de l'âme. La vie est un devoir. Souvent, pour qui le remplit avec une sérénité résignée, Dieu envoie, dans les affections, un rayon de bonheur, il envoie son rayon à travers les nuages ou diffracte sa lumière, après la tempête, en arc-en-ciel. Et là où même le rayon ne descendrait pas pour rendre joyeuse ta vie, conserve, oh jeune fille, ta foi: l'espérance est sa compagne insurpassable, et l'espérance est le fruit en graine. Comme la fleur a ses racines souterraines et se fait beauté et parfum en passant dans un autre élément, les aspirations, les saints concepts de ta vie, sont des promesses de bonheur et se développeront en fleurs de vérité à d'autres stades de ton être, dont celui-ci est une étape et une préparation.

Giancarlo De Cataldo, L'anti-Italien / extrait, dans Bel Paese - Introduction, sélection et traduction de Serge Quadruppani (Métailié, 2013)

à propos de Elena Sacchi-Casati: http://www.veronainblog.it/wp/2011/03/21/verso-la-primavera-profili-le-donne-del-risorgimento-elena-casati

image: Giuseppe Mazzini (totalita.it)

04/06/2013

Alexandre Jardin

9782253162353-G.jpgAlexandre Jardin, Des gens très bien (coll. Livre de poche/LGF, 2012)

Dans la préface au récit de son père Pascal, Le nain jaune, Alexandre Jardin écrit: Je viens de lire "Le nain jaune" de bout en bout pour la première fois : depuis la mort de mon père, je n'y parvenais pas. Ce livre, ce miraculeux Nain jaune, je me le gardais comme une bonne bouteille que l'on met à vieillir au frais pour la boire en une grande occasion, histoire de fêter des retrouvailles. Je ressors groggy. Je tremble, comme si sa soif de père me torturait à mon tour. Pourquoi faut-il que nous ne réussissions à nous parler d'amour que par-delà les tombes? Il y a sans doute de la pudeur dans tout cela; j'y vois surtout une immense infirmité. Mais les grands livres ne sont-ils pas toujours des jambes de bois ?

Une préfiguration à la douleur de l'enfantement de son dernier opus - sommes-nous tous condamnés à ne percevoir que ce qui résonne avec nos douleurs? - consacré à son grand-père, Jean Jardin, directeur du cabinet de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 novembre 1943, couvrant le terrible événement de la rafle du Vél d'Hiv, le 16 juillet 1942, avec la question centrale qui taraude son petit-fils: Pourquoi n'a-t-il pas démissionné ce jour-là?

L'idée de ce livre a pris racine en 1999. Dix ans de recherches, de réflexions, de plongée au fond de soi-même, non pour réécrire l'Histoire, mais pour tenter de comprendre celle de la famille Jardin: Publier ces pages encolérées reste pour moi une réparation minimale. Elles me permettent de renoncer aux bénéfices sympathiques de notre légende et assurent une certaine sape de notre crédit; ce qui est bien le moindre. Le parfum joyeux qui nimbait la saga de notre clan n'y résistera pas. Je signe ces pages comme on refuse un héritage devant notaire. Pour sectionner une filiation après l'avoir reconnue. 

Ces fiançailles du chagrin et de la pitié comme il le dit si bien, ne plairont pas à tout le monde, pas plus aux Jardin qu'à d'autres qui ont soigneusement effacé de leur mémoire cette période de l'Occupation qui a tout de même - pour certains - exercé une force d'attraction envers une idéologie audacieuse, créative, fascinante dont il est de bon ton de ne pas raviver les cendres.   

Au sein de tout ce petit monde qui gravite autour du cercle familial de Vevey, Alexandre Jardin ne ménage personne: ni Raymond Abellio, ni Coco Chanel, ni Couve de Murville, ni Robert Aron ou encore Paul Morand, avec en contrepoint un émouvant passage reflétant sa rencontre avec Frédéric Mitterand dans l'oeil duquel il a vu la douleur muette d'un homme qui, lui aussi, avait dû être esquinté par une famille de gens très bien où l'on pratiquait une cécité intensive. Sévère avec lui-même, il l'est aussi, devançant les critiques de ceux qui pourraient lui reprocher de cracher sur des morts qui ne peuvent se défendre: A l'époque du "Roman des Jardin", mes nerfs n'étaient pas à l'épreuve de la vie.

A présent que je quitte ma condition de faux-monnayeur polygraphe, d'illusionniste espiègle pour oser m'aventurer dans le réel, qui vais-je devenir? Un type un peu dégoûté par le projet de s'autocréer. Sans doute serai-je moins ce que je raconte. Et plus domicilié dans ma propre peau.

Qu'il devait donc l'aimer, ce nain jaune qui ne se lassait pas de croquer des chocolats Lindt ultra-fins au bord du lac Léman et qu'il imagine à la fin du livre, quand il lui demande d'arrêter la rafle et s'entend répondre, comme un écho lointain: Mon chéri, les choses ne sont pas si simples...

Le récit de cet homme en colère qui dresse un réquisitoire impitoyable contre les siens n'est sans doute pas à opposer au "Roman des Jardin", version enjouée et affectueuse de son évocation familiale à laquelle répondent aujourd'hui les mots de la tragédie et du refus: Peut-être que mûrir, justement, c'est accepter de vivre dans l'étau de nos contradictions.

Le regard d'Alexandre Jardin n'est pas celui d'un historien, qu'on se le dise; il y a des redites, parfois, ou des faiblesses, tel le chapitre un peu simpliste intitulé Le nain vert qui évoque le personnage controversé de Tariq Ramadan; mais c'est le prix d'un écrivain qui choisit délibérément de privilégier, avec un courage discret et poignant, une éthique personnelle plutôt qu'une réussite de style, soucieux d'être au plus vrai possible de sa propre histoire.

Depuis l'âge de quinze ans, je ne suis retourné qu'une seule fois sur la tombe du Nain Jaune et celle de mon père, voisines dans le cimetière bucolique de Vevey; à l'exception des enterrements où je ne pouvais pas me défiler. Mes propres enfants n'en connaissent pas l'emplacement. Ils ne se sont jamais inclinés devant nos ascendants communs. Nulle négligence dans cette dérobade au long cours. Je n'ai jamais pu déposer de fleurs sur leurs mensonges. (...) Même une petite fleur m'aurait semblé un outrage aux enfants du Vél d'Hiv, une des pages les plus nauséabondes de l'histoire de France contemporaine...

Pascal Jardin, Le nain jaune (coll. Folio/Gallimard, 1999)

Alexandre Jardin, Le roman des Jardin (coll. Livre de poche/LGF, 2007)

07:32 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, Le monde comme il va, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |