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30/11/2011

Le poème de la semaine

Gustave Roud

Aux bergers de la rivière on cueille
le mélilot blanc la vipérine
Le chemin mouillé noue aux collines
son collier de flaques et de feuilles
 
Les nuages les roseaux les lentes
herbes en chevelure confuse
le ciel les trois saules de novembre
descendent avec l'eau de l'écluse
 
L'air a le goût du noir gel nocturne
et se déchire au cor des chasseurs
Un oiseau perdu lustre ses plumes
avec un triste cri perce-coeur
 
Tais ce cri Nul ne le peut entendre
Ne fatigue plus ton frêle corps
Je sais qui m'appelle et se lamente
les yeux clos sous le soleil des morts
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

29/11/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

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Bien avant que n'abondent les récits de vie tels qu'on en découvre une dizaine par semaine de nos jours - plus ou moins inspirés - les années 70 auront été marquées par un témoignage d'une force et d'une rage inoubliables: Le pavillon des enfants fous, écrit par une gamine de quinze ans, Valérie Valère.

Elle y relate son internement pour anorexie, à l'âge de treize, dans un grand hôpital parisien. Une vision implacable du monde psychiatrique qui résonne à nos oreilles en écho aux textes fondateurs de l'antipsychiatrie de Ronald Laing - Le moi divisé et Soi et les autres - ou encore au film de Ken Loach, Family Life: En vérité, tout le monde a perdu, je suis là, triste et morose, méfiante et lâche. Je fais semblant de vivre et je me cache pour pleurer. Ils me reprendraient pour dépression nerveuse, ça les amuserait de me revoir. Ils m'ont gardée dans leurs griffes, j'ai conservé l'angoisse d'un emprisonnement, la colère refoulée d'une injustice, la rage de l'impuissance. (...) Je m'acharne à écrire et je retrouve la solitude. Cette volonté de continuer malgré la fatigue, malgré mes doutes et leur menace rejoint l'autre prison. Je suis restée là-bas, dans la chambre vingt-sept, avec mes refus, avec ce mal de vivre. Et je crois bien que je n'arriverai jamais à en sortir.

Elle s'en sortira pourtant, Valérie Valère, à sa manière, jetant un regard lucide et désespéré sur ses deux années d'internement et son avenir possible, à la fin du livre: Et moi, dans votre monde? Je fuis dans la tendresse des salles de cinéma, je rêve devant l'écran magique pendant les quatre séances de l'après-midi. Et dans le métro, l'éclat métallique des rails m'attire, me renverse comme quelque chose venu d'ailleurs, du plus profond de moi-même. Moi-même c'est tout ce qu'il me reste, tout ce que vous m'avez laissé. (...) J'essaie de retrouver un monde, je regarde tous les chemins avant de choisir le mauvais, mais rien n'est indiqué et personne ne veut me tendre la main, ou plutôt, je ne veux en prendre aucune. Une angoisse me serre le coeur. Ici, la solitude est moins belle car elle est fausse tout en ayant l'apparence d'être véritable. Plus douloureuse. Vivre, qu'est-ce que cela veut dire? Je ne sais pas. Je veux dire, je ne sais pas si cette fois-ci j'ai trouvé la vraie route. Je n'arrive pas à oublier et je me réveillerai encore souvent, en criant, pour avoir entendu le petit bruit de la clé tournée dans la serrure.

L'écriture lui aura été d'un grand secours, mais pas suffisamment pour la guérir de son mal-être ou lui apporter le réconfort. Quelques années après la parution de son premier livre, Le pavillon des enfants fous, Valérie Valère s'éteint un certain 17 décembre 1982 dans son sommeil, victime d'une crise cardiaque après une overdose médicamenteuse: une délivrance pour cette écorchée vive de 21 ans à peine, qui, malgré le succès, n'aura jamais connu le bonheur...

Reste l'oeuvre: Outre Le Pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 1983) réédité en 2001, les autres textes de Valérie Valère sont malheureusement tous épuisés. Je vous les mentionne néanmoins ci-dessous, car chez les bouquinistes ou avec un peu de chance dans les bibliothèques, vous pouvez sans doute les dénicher, pour la plupart: Malika ou un jour comme tous les autres (coll. Livre de poche/LGF, 1983), Obsession blanche (coll. Livre de poche, 1992), Laisse pleurer la pluie sur tes yeux (coll. Pocket, 1988), La Station des Désespérés ou Les Couleurs de la Mort (Bartillat, 1992). Il faut y ajouter un livre qui lui fut consacré, écrit par Isabelle Clerc et Françoise Xénakis: Valérie Valère - Un seul regard m'aurait suffi (Perrin, 2001) indisponible lui aussi.  

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 2001)


27/11/2011

Planète Payot

Bloc-Notes, 27 novembre / Les Saules

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Dans la cadre de notre journal d'entreprise, Planète Payot - qui, à chaque numéro, donne la parole à l'un ou l'autre de ses collaborateurs - mon cher collègue de librairie, Thierry du Sordet, m'a sollicité pour recueillir, à deux mois de ma retraite professionnelle, les impressions que je retiens de mes expériences de bloggeur sur La scie rêveuse et Facebook. Il en résulte l'interview ci-dessous, que je vous livre en toute décontraction et simplicité. Conscient de n'être ni écrivain, ni critique littéraire - à chacun son métier ! - je m'efforce de partager une passion viscérale pour la littérature et la musique surtout, avec des amis attachants, sensibles et attentifs dont vous êtes, lecteurs, les passeurs indispensables. Rien de plus ...

Pourquoi un blog? Et avez-vous rencontré des difficultés techniques pour le réaliser?

Le blog est un lieu d'échanges extrêmement gratifiant, un espace de liberté partagée, de découvertes, de passions : celle de transmettre surtout, pour ne pas oublier. Sur le site qui héberge mon blog – le même que Jean-Louis Kuffer – l’utilisation est très facile pour un novice comme moi. Il faut juste être clair dans sa tête et rigoureux dans les styles de présentation propres aux différentes rubriques choisies. Seule la fonction recherche n’est pas au top, mais je fais avec !

Quels sont les liens que vous entretenez avec l'informatique?

Une philosophie très Mac : je ne cherche pas à comprendre comment ça marche. Je suis simplement content que ça marche ! L’aspect technique ne m'intéresse pas du tout et aurait plutôt tendance à m'exaspérer.

Vous avez switché pour Mac, êtes-vous toujours content de votre choix?

Oh oui! C'est le retour à mes premières amours: un apprentissage avec un petit Mac muni de disquettes ... L’approche est plus ludique, simple et intuitive pour ce qui touche mes activités, mais c’est avant toute chose une question d’affinités, car les différences s'estompent entre les systèmes d'exploitation actuels.

Quels sont les critères de choix de sujets sur votre blog? 

Il n’y a rien de prémédité et la formule a évolué avec le temps, depuis les débuts en décembre 2009. De simple critique de livres que j'ai pris plaisir à découvrir, au départ, est apparu plus tard le bloc-notes - présentation longue d’un livre ou fantaisie littéraire - le poème de la semaine - auteurs francophones du XXe siècle -, la citation du jour ou la rubrique In memoriam où je parle d’auteurs souvent oubliés, même dans nos librairies ! La scie rêveuse compte 680 notices littéraires environ, enrichies d’interviews, de vidéos, de films. Avec La musique sur FB, il s’ouvre depuis le début de cette année à la musique – classique - avec 210 extraits à ce jour.

Existe-t-il un type d'articles que vous aimez particulièrement? 

Ceux qui mettent en évidence les ambiguïtés et les contradictions de la vie, les confrontations avec la modernité, les certitudes, l’enracinement humain ou spirituel. Je l’ai fait avec La chute de Camus par exemple, Albergo Italia de Guido Ceronetti ou la Lettre à un jeune libraire

Vous lisez et relisez beaucoup. Comment trouvez-vous le temps d'être si régulier dans l'écriture d'articles?

Je dors (trop) peu… Et j’aime lire et écrire: dans le silence, la solitude et la distance qui me sont précieuses aujourd'hui. Ecrire est un plaisir et un besoin. Une manière comme une autre de conjurer la mort, de faire reculer l’oubli. 

Voyez-vous le blog comme un complément dans votre travail de libraire?

Je vais peut-être vous décevoir, mais non : ce n’est pas complémentaire. La démarche est autre, sans aucun souci commercial, sans contrainte ni compromis. Il y a en revanche des répercussions dans mon travail, intéressantes mais faibles en terme d’impact sur les ventes. La poésie par exemple, les classiques – Paul Valéry, François Mauriac, Jules Supervielle, Saint-John Perse ou Georges Perros - intéressent un nombre restreint de lecteurs en librairie, alors que sur La scie rêveuse ou Facebook c’est tout le contraire : ce sont les nouveautés qui souvent rencontrent un faible écho … Un signe d’espérance donc, qui émerge de ces voies nouvelles de communication !

Quand vous serez à la retraite, aurez-vous l'impression grâce à votre blog, de garder un pied dans le monde du livre?

Certainement, et même sans blog, ce serait le cas ! Je créerai en revanche de nouvelles rubriques avec une variante d’abécédaire où je partagerai mon ressenti personnel aux bruits du monde; une anthologie de la poésie étrangère contemporaine – déjà amorcée sur Facebook - verra le jour aussi; une place plus grande sera accordée aux classiques, probablement …

Vous êtes un contributeur régulier du Passe-Muraille - revue romande consacrée à la littérature - dont le rédacteur en chef est Jean-Louis Kuffer. Etes-vous dans la même démarche qu'avec votre blog? Rédigez-vous de la même façon?

Oui, c’est un espace culturel qui ne fait aucune concession aux modes. C’est devenu bien rare ! Dans le cas contraire, je n’aurais pas rejoint ce groupe de passionnés de tous âges qui ressemble à une seconde famille. Un seul regret : la non-diffusion du Passe Muraille en librairie, chez Payot Libraire entre autres… 

Quels sont les liens qui s'établissent entre les visiteurs du blog et vous. Certains vous retrouvent sur Facebook? 

Les échanges sont sensibles, spontanés, respectueux, parfois d'une simplicité bouleversante. Une seule règle d’or : je réponds toujours – en privé – à un commentaire. Le relais via Facebook est très gratifiant. Les réactions y sont en live, et prêtent parfois à polémique : à propos de Céline par exemple, du mime Lindsay Kemp ou d'Elie Wiesel !  

Les hébergeurs de blogs fournissent des outils pour analyser selon différents critères la fréquentation des blogs. Comment les utilisez-vous? 

Au plus simple. Je ne cherche pas à atteindre des records, mais à rester authentique, fidèle à mes convictions, à ma ligne de conduite. Tant pis si la fréquentation doit en souffrir ... 

Savez-vous combien de visiteurs consultent votre blog, pour un mois ou une semaine, par exemple? Savez-vous de quelles régions viennent ces derniers?

Les visites sont environ de 5'200 à 6'200 par mois – 190 par jour en moyenne – pour 11'000 à 17'000 pages consultées par mois. Les liens sont culturellement très forts avec la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, le Canada et l’Afrique du Nord.  

A l'ère de la blogosphère, pensez-vous que la multiplication des blogs est un avantage pour l'individu qui peut ainsi partager sa passion pour un ou plusieurs sujets, ou bien au contraire cette multitude réduit-elle la portée de partage en augmentant les plateformes, sources d'informations ou de partage?

C’est une richesse partagée – les blogs sur Facebook surtout - mais elle peut devenir une prison. On ne peut suivre les activités de tout le monde. Je me fixe une limite de temps de fréquentation par jour : 30 minutes ! Certains bloggeurs sont devenus des amis de cœur, sincèrement. Le contraire du virtuel ou de la diabolisation dont nous abreuve régulièrement la presse …

Comment filtrez-vous les commentaires, que ce soit sur votre blog ou sur votre page Facebook?

Pas de filtre sur Facebook. En revanche, sur La scie rêveuse je n’accepte pas les commentaires hors de propos ou insultants – cela arrive rarement, mais tout de même – détestant les débats à la manière du blog de Pierre Assouline où après 15 avis ou commentaires, il n’y a plus aucun rapport au sujet.

Vous partez à la retraite au mois de février ...

A cette date, j’ouvrirai pour une semaine la porte de mon blog à quelques coups de cœur de mes collègues de Payot Nyon, une façon de les remercier pour leur amitié et leur défense de la littérature, même si, comme le dit Marco Lodoli – dans Les prétendants - nous ne sommes après tout que du vent sur une page !

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

le blog de Thierry du Sordet: http://strictnecessaireouquestce.blogspot.com/

image: Thierry du Sordet, libraire - Payot Nyon

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26/11/2011

La citation du jour

Elie Wiesel

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J'appartiens à une génération qui s'est souvent sentie abandonnée par Dieu et trahie par l'humanité. Et, pourtant, je crois qu'il nous incombe de ne nous séparer ni de l'un ni de l'autre. Est-ce hier - ou autrefois - que nous avons appris combien l'être humain peut atteindre la perfection dans la cruauté plus que dans la générosité? Que, pour les tueurs et les tortionnaires, il est normal, donc humain, de se montrer inhumain? Dès lors, faudrait-il se détourner de l'humanité? Je crois que la réponse appartient à chacun de nous. Car il incombe à chacun de choisir entre la violence des adultes et le sourire des enfants, entre la laideur de la haine et le désir de s'y opposer. Entre infliger souffrance et humiliation à son semblable et lui offrir la solidarité et l'espoir qu'il mérite. Peut-être.

Je sais - je parle d'expérience - que, même dans les ténèbres, il est possible de créer la lumière et nourrir des rêves de compassion. Que l'on peut se sentir libre et libérateur à l'intérieur des prisons. Que, même en exil, l'amitié existe et peut devenir ancre. Qu'un instant avant de mourir, l'homme est encore immortel. Voilà: je crois en l'homme malgré les hommes. Je crois dans le langage bien qu'il ait été meurtri, déformé et perverti par les ennemis de l'humanité. Et je continue à m'accrocher aux mots parce qu'il nous appartient de les transformer en instruments de compréhension plutôt que de mépris. A nous de choisir si nous souhaitons nous servir d'eux afin de maudire ou de guérir, pour blesser ou consoler. 

Elie Wiesel, Coeur ouvert (Flammarion, 2011)

25/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 3/3

Bloc-Notes, 25 novembre / Les Saules

En guise de conclusion au livre de Edouard et Marie de Hennezel, je vous propose trois illustrations musicales qui, chacune à sa manière, aborde le thème de la vieillesse: Jacques Brel avec Les vieuxBarbara avec A mourir pour mourir et Daniel Guichard avec Mon vieux. Pour de nombreux témoins de Qu'allons-nous faire de vous?, Barbara exprime davantage qu'un voeu pieux. N'oublions pas, cependant, qu'elle chantait encore cette même chanson à 60 ans, tout comme votre fidèle serviteur qui la compte toujours parmi ses préférées... Alors... à vous de choisir, avec le sourire!






Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011) 

24/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 2/3

Bloc-Notes, 24 novembre / Les Saules

document; témoignage; livres

Ce qui frappe dans les témoignages recueillis par Edouard et Marie de Hennezel face à la vieillesse et la dépendance, tient au constat que notre grand âge ne ressemblera pas à celui de nos parents. Non que les valeurs fondamentales s'en trouvent nécessairement changées, mais la génération montante connaîtra sans doute des années de vie active et professionnelle prolongées; la précarité du travail peut-être, l'emploi à accepter où qu'il se trouve, même à des milliers de kilomètres; des moyens financiers qui, compte tenu d'une longévité accrue, risquent de leur suffire pour eux-mêmes, à peine. Donc insuffisants pour nous entretenir. Et cela change tout.

Aujourd'hui on meurt loin de chez soi, et généralement seul, à l'hôpital, ou sur un brancard dans les services d'urgences. Certainement de moins en moins chez soi, dans son univers familier, entouré des siens, nous confie Marie de Hennezel et pourtant, tout ce que nous disent la plupart des participants à ce livre formidable converge dans une volonté à envisager toutes les solutions, afin de permettre à leurs aînés une fin de vie paisible, même si dans ces intentions généreuses et sincères, ils en oublient souvent l'incontournable conflit de priorités: leur propre vie, leur conjoint, leurs enfants, leur vie professionnelle ou leurs loisirs à ménager avec bienveillance et réalisme.

Edouard de Hennezel résume très bien ce que les quadras attendent de leurs parents ou de leurs familles en général: Faites du ménage dans vos vies. Vous vous allégerez et vous nous allégerez aussi. Ne baissez pas les bras. Vivez votre vieillissement le mieux possible, continuez à célébrer la vie. Ne nous faites pas porter les regrets, les rancunes ou les remords de votre passé. Prenez soin de vous, mais surtout prenez soin de la relation que vous avez avec nous. (...) Se faire léger, ce serait commencer par parler de ces questions taboues - l'avenir - pour qu'elles pèsent moins sur la pensée des enfants. Tout ce qui peut contribuer à une maturité heureuse.

Les plus belles pages traitent du bonheur de la vieillesse: Au fond, nous avons besoin que vous soyez heureux de vieillir et nous savons que vous ne le serez que si vous vous tournez vers le coeur et l'esprit. Vieillir, c'est un travail difficile qu'il faut mener joyeusement. L'essentiel pour une bougie n'est pas l'endroit où elle est posée, c'est la lumière qu'elle irradie jusqu'au bout.

La santé fragilisée n'empêche ni le charme ni la gaieté, ni l'intérêt pour ce qui nous entoure. Certains vieillards font moins vieux que des gens de cinquante ans. On grandit en sagesse, on a du recul, on est de bon conseil: Les personnes âgées et vulnérables peuvent donner et recevoir autre chose, et autrement. La vulnérabilité peut faire appel au meilleur chez l'autre, qui en est le témoin, ajoute Marie de Hennezel.

Il n'empêche que le souci de l'avenir de nos seniors - si nous ne sommes pas des monstres - peut légitimement nous déstabiliser et fondre sur nous à l'improviste, comme la foudre. Tous, dans notre voisinage, connaissons au moins un cas de personne âgée particulièrement difficile à gérer, quand le fil est rompu, comme c'est le cas avec une maladie de Alzheimer, par exemple. Saurons-nous, dans notre propre entourage, accueillir chez nous un parent dépendant? Pourrons-nous franchir la barrière des soins intimes à prodiguer? Accepterons-nous d'envisager d'autres solutions sans culpabiliser ni briser le lien? Parviendrons-nous à jouer la carte de l'apaisement, sans fuir le réel ni connaître l'épuisement?  

Il n'est pas de réponse universelle à ces questions que chacun est amené - le plus tôt possible - à se poser, mais une certitude émane de tout ce qui est dit dans ce livre: la force de solidarité entre générations existe davantage qu'on l'imagine et finalement, comme concluent Edouard et Marie de Hennezel: Quand il y a l'amour, il y a des solutions.

Nous sommes indissolublement égoïstes et altruistes, soucieux comme jamais de notre bien-être individuel, et cependant convaincus qu'il y a parfois plus de joie à donner qu'à prendre, à partager qu'à accumuler. Luc Ferry

A suivre...

Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011)

image: Edouard et Marie de Hennezel

06:07 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/11/2011

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j'entraîne avec moi plus d'un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d'en sortir même pour un moment ?
J'entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pèle-mêle, les passagers et les marins,
Et j'éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

22/11/2011

Qu'allons-nous faire de vous? 1/3

Bloc-Notes, 22 novembre / Thonon-les-Bains

document; témoignage; livres

Parler de la vieillesse et davantage encore en tout ce qu'elle implique dans l'avenir de nos proches, demeure bien souvent un sujet tabou, mais curieusement, dans ma propre vie, elle a toujours fait partie d'un décor naturel ou mieux, d'un monde où elle tutoie certes la mort, mais dialogue de même avec les vivants. Quelques impressions douces et agréables - parmi d'autres, beaucoup moins paisibles à cette époque - me reviennent en mémoire au temps de mon adolescence: à dix-huit ans à peine, avec un groupe d'amis toujours les mêmes - cinq ou six - dans ma sphère professionnelle, une fois par mois, nous partions à la découverte de restaurants d'exception, dans la campagne genevoise. Prétexte à dévorer la vie à pleines dents, en bonne compagnie, sans arrière-pensées. Le plus jeune des membres de cette fratrie voisinait la cinquantaine. Un souvenir de bien-être où se mêlaient la nostalgie d'un temps révolu que je ne connaîtrais jamais, la légèreté de l'être, le rire malicieux et une certaine sagesse que je n'éprouvais pas auprès de mes contemporains. Quarante ans plus tard, mon regard n'a pas changé - auprès des hôtes de passage à la librairie ou mes liens familiaux - même si je fais désormais partie du club moi aussi, celui des aînés!

Le second exemple - déjà mentionné dans un autre article - me vient de ma grand-mère paternelle - qui venait habiter chez nous en famille, trois ou quatre fois par an, décidant par elle-même du moment choisi pour réintégrer son foyer, à près de 150 km de chez nous. Devenue dépendante avec une présence et des soins permanents nécessaires auxquels nous ne pouvions répondre durablement, elle a intégré un établissement médicalisé pour personnes âgées et mon père - qui occupait alors une haute fonction professionnelle - soutenu sans réserve par ma mère et accompagné de son fiston, lui rendait visite au moins tous les quinze jours, malgré un horaire de travail frisant les 70 heures par semaine. Un lien jamais interrompu donc, jusqu'à la fin du voyage.

Une dernière image enfin, beaucoup plus récente cette fois-ci - et plutôt négative - se trouve liée au thème de la vieillesse en littérature, reflet à bien des égards de notre société résolument tournée vers la performance, montrant du doigt avec une effarante régularité ce temps comme celui de la fin de la jeunesse, donc de la séduction et de l'espérance dans tous les domaines: la faillite en amour, la maladie qui submerge tout, la maltraitance, la précarité financière, les fractures familiales, la dignité perdue. Que de récits et de témoignages abondent dans ce sens! Rares sont les ouvrages qui, sans occulter une réalité parfois triste ou douloureuse, présentent à contre-courant ce grand âge comme une chance, une promesse tenue, un bonheur toujours possible. C'est le cas - heureusement - avec La grand-mère de Jade écrit par Frédérique Deghelt, Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer ou encore Grandir sous la plume de Sophie Fontanel. Trois auteurs qui pourraient être le fil rouge du livre écrit par Edouard et Marie de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? consacré à la vulnérabilité et à la fragilité liées à la vieillesse. 

A lire absolument, car derrière cette trentaine de témoignages - souvent poignants, sincères, empreints de tendresse et de culpabilité - recueillis par Edouard et Marie de Hennezel, c'est la question des parents qui est envisagée, mais aussi, par projection dans le futur, la nôtre. Vous savez bien: cette génération bénie des dieux qui a connu le plein-emploi, le boum économique, les frasques amoureuses sans le spectre du sida et qui, farouchement individualiste, s'est payé de luxe de faire comme si elle n'allait jamais ni vieillir ni mourir, et voudrait tout à coup donner de la voix quand se profile l'intolérable miroir de la dépendance, face aux quadras qui la juge parfois avec une certaine sévérité, voire de la rancoeur.

Injustes, les jeunes? Pas si sûr...

A suivre...

Marie et Edouard de Hennezel, Qu'allons-nous faire de vous? (Carnets Nord, 2011)

Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade (coll. J'ai Lu, 2011)

Jean-Louis Kuffer, Les bonnes dames (Campiche,  2006)

Sophie Fontanel, Grandir (Laffont,  2010)

image: Edouard et Marie de Hennezel

00:01 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Jean-Louis Kuffer, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/11/2011

Nelly Arcan

nelly.jpgNelly Arcan, Putain (Seuil, 2001 - coll. Points/Seuil, 2002))

 

Cachée derrière les rideaux de sa chambre, une prostituée patiente entre deux clients. L’attente se nourrit du souvenir : une famille dévote, une mère absente et un père distrait. Et parfois la jouissance éprouvée avec ces hommes auxquels elle fait l’amour, ces hommes qu’elle déteste peut-être autant qu’elle-même. Un récit obsessionnel qui ressemble à un exorcisme désespéré pour se maintenir en vie...


Les amateurs de pornographie ou de voyeurisme seront déçus par ce premier roman stupéfiant qui témoigne, malgré un langage cru ou impudique, d’une maîtrise émotionnelle et d’une qualité littéraire indiscutables. Au-delà de la haine et du dégoût de soi, cette mise à nu autobiographique est-elle capable de guérir des démons du passé ?

 

Nelly Arcan, l'auteur québécoise de ce texte ainsi que de FolleA ciel ouvert, et Burqa de chair chez le même éditeur, a mis fin à ses jours en 2009, à l'âge de 34 ans.

06:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/11/2011

La citation du jour

Jean-Louis Kuffer 

citations; livres

Pluie au chalet, combien aimée, comme autrefois avec les miens, je ne sais où, probablement à Grindelwald, dont je me rappelle le souffle glacé des glaciers et l'herbe des prairies entourant le chalet, ou des années auparavant dans la ferme plus frustre de Montricher où nous vivions dans la hantise d'être attaqués par le vagabond Gavillet, ou plus tard dans la haute maison de pierre de Scajano, au Tessin, où j'aimais voir les eaux ruisseler le long des vignes, avant que le soleil ne sèche tout en un clin d'oeil.

Jean-Louis Kuffer, L'Ambassade du Papillon - Carnets 1993/1999 (Bernard Campiche, 2000)

image: Grindelwald (2010)

03:02 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Louis Kuffer, La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |