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30/04/2011

Louis-Ferdinand Céline

9782070762644.gifLouis-Ferdinand Céline, Ballets sans musique sans personne sans rien (Coll. Imaginaire/Gallimard, 2001)

Quand Céline rencontre les dieux et revisite la mythologie, quand il met en scène son imaginaire, on assiste à un spectacle total où l'amour, la jalousie, les sons et les lumières se mêlent en une sarabande extravagante d'invention et de drôlerie. Injustement méconnus, ces textes méritent incontestablement un détour. Il sont probablement parmi les plus représentatifs du style célinien et abordent des thèmes chers à l’auteur : le mal, la dérision et la mort. Une œuvre majeure qui ressemble à une musique, et concrétise la passion de Céline pour la danse… et les danseuses!

00:23 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis-Ferdinand Céline | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: récits; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/04/2011

Quasi une fantasia 3/3

Bloc-Notes, 28 avril / Les Saules

littérature; essai; voyages; livres

Le livre de Guido Ceronetti est bien plus qu'un compagnon de voyage. D'une humanité sous-jacente à tous ces billets d'humeur, il s'y exprime souvent avec un humour féroce - voir Du nouveau dans la mendicité ou Que sauver d'Italoshima? - mais parfois aussi avec une nostalgie tendre et rageuse, par exemple dans un chapitre émouvant intitulé L'Italie à une lire: La perte des chansons à une lire n'est pas la perte d'une lire. On n'accorde jamais un minimum de perte d'âme à ce qui ne correspond pas à une avancée du front entier des ténèbres. (...) Ce n'est pas la perte d'une lire, parce que la voix humaine qui chante exclut, brise prodigieusement le fini. D'un seul coup le poids qui nous écrase devient moins terrible, moins intolérable; en quelques notes l'infini a fait levier, il soulève le monde, le trop grand mal du monde.

Dans Lettre à une prostituée, je vous partage aussi cette belle réflexion sur l'amour: Il suffit d'une certaine idée de la beauté pour réprimer ce qu'il est nécessaire de réprimer. S'il manque cette idée universelle et la conscience de la douleur, on ne peut sentir le battement revivifiant de l'éventail sublime, de la fraîcheur incomparable de l'amour. Vouloir que tout soit libre est la folie du monde actuel, et la vie n'en devient que plus sombre, plus désespérée.

Un art de vivre et une conscience qui ne peuvent laisser indifférent - surtout de nos jours - quand Guido Ceronetti croque la mort des rizières ou le sens du patriotisme. Le plus beau visage de Albergo Italia est sans doute celui de l'un de ces Iraniens qui vend le journal de ceux qui combattent les crimes du régime, un message jailli de la profondeur de l'océan des douleurs: Je vais vous dire ce que vous perdez en n'achetant pas le feuillet illisible. Moi qui l'achète, je le sais... Non, ce n'est pas pour la lire... C'est pour le sourire. Si vous leur mettez dans la main, avec à peine un signe muet de solidarité, ces mille cinq cents lires, les Iraniens vous en récompensent d'un sourire si rayonnant de sympathie et de douceur, si débordant de reconnaissance, qu'il vous fait rougir à l'idée du peu d'effort qu'il vous en a coûté pour l'obtenir. Le sourire de l'Iranien vous rassure: non, vous n'êtes pas de ces charognes égoïstes, même si vous êtes conscients d'en faire partie. Alors, si vous vous sentez seuls, si l'absence d'âme de la coulée humaine qui vous heurte et vous bouscule vous accable, ne perdez pas cette occasion (...) et vous verrez à chaque fois pointer cette fleur rare, absurde, ce sourire d'humanité vive, massacrée mais vivante, ni pétrifiée, ni vitrifiée, ni éteinte.

Hymne à la beauté autant que croisade désespérée contre l'abrutissement, la vulgarité et le profit, Albergo Italia est précédé, chronologiquement, par Voyage en Italie, paru chez Albin Michel en 1996. Guido Ceronetti, né en 1927 à Andezeno, dans la province de Turin, est à la fois poète, penseur, journaliste, dramaturge, traducteur d'oeuvres latines et marionnettiste. Parmi ses écrits traduits en langue française - outre les deux précédentes - peuvent être cités Le silence du corps, Une poignée d'apparences et La patience du brûlé - carnets de voyage 1983-1987, tous les trois publiés par Albin Michel.

Un mot encore: Un jour peut-être, vous vous hasarderez dans la librairie où je butine depuis de nombreuses années. Derrière mes traits pâles et tirés, vous devinerez que, malheureusement pour vous, ce n'est ni le jour ni l'heure propice aux échanges, aux épanchements, aux sourires. De l'électricité dans l'air? De l'exaspération? De la colère? Ne rebroussez pas chemin, mais ne me parlez pas, ne me demandez rien... Cherchez simplement du regard la section des essais littéraires. Sous la lettre C vous trouverez le livre Albergo Italia de Guido Ceronetti. Achetez-le, lisez-le. Ensuite - et ce sera votre revanche - vous pourrez à votre tour rédiger un billet d'humeur dont les premiers traits de plume diront à peu près ceci: Tout avait pourtant mal commencé, dans une librairie nyonnaise...

Mais je plaisante, bien sûr! 

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

Guido Ceronetti, Voyage en Italie (Albin Michel, 1996)

27/04/2011

Le poème de la semaine

Jean-Pierre Siméon

 

Rien n'est plus beau

qu'un amour qui ne se croit pas immortel

qui a la souple respiration du voilier

endormant la vague

prodige oui mais qui se sait tributaire

d'un vent si incertain

qu'il voudrait d'un seul déploiement de son erre

boire toute une nuit d'étoiles et de lune pleine

 

 un amour comme une joie d'enfance

grandie de sa fin trop proche

et qui se tient timide

au faîte de l'instant 

 

nid d'hirondelle

dans le noir

ah ce n'est pas cela un amour de légende

qui se targue des mélancolies

et geint à genoux sous la couronne des roses

 

 toi mon aimée

demeure princière en ton rire

chaque matin devant ta mort et ma mort

sois libre et fière et ferme

car il suffit de la caresse d'un rire

pour que tout en nous se recompose

et que soit le monde uniment

sous nos mains le passage et la durée

la nudité d'une âme dans la douceur du corps

 

 nous mourrons mon amour sans rien perdre

si nous séjournons visages étonnés

dans l'instant qui nous prolonge

et fait de nos gestes les plus simples

- baiser murmure épaule lente -

un feu dormant

 

 demeurons mon aimée

fût-ce au coeur d'un sanglot silencieux

une joie ouverte

 

 sommet de l'éclair

rire et bonté persistants

dans la disparition

 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:09 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/04/2011

Quasi une fantasia 2/3

Bloc-Notes, 26 avril / Les Saules 

littérature; essai; voyages; livres 

Outre mon attirance naturelle pour tout ce qui concerne l'Italie, ce qui me touche d'emblée dans Albergo Italia de Guido Ceronetti, c'est la mise en perspective de deux mille ans et plus d'art, de culture, d'histoire, de valeurs revisitées dans ces années 80, avec une liberté de pensée et un sens critique très aiguisé devenus si rares en littérature, où les auteurs communément, tantôt font preuve d'une admiration sans discernement, tantôt se livrent à une entreprise de démolition sans fondement. Rien de tel dans cet ouvrage dont il vaut la peine - même si l'extrait peut sembler long - de se laisser imprégner par les premières lignes de ces billets d'humeur publiés à l'origine dans les colonnes de la Stampa, donnant toute la mesure de la tonalité de ces promenades attachantes et érudites à travers l'Italie:

L'Albergo Italia est un hôtel de malaise, de l'ennui et de l'insomnie avec, ici ou là, toujours plus d'anxiété et de peur. Mais il conserve l'attrait des grands hôtels déchus où des plaques commémorent des séjours d'empereurs ou de musiciens. Et c'est aussi le mien... On me connaît et, si je ne suis pas vraiment une personnalité, je n'y suis pas non plus personne. S'il m'arrive de crier dans la nuit, une main se tend. J'occupe une bonne chambre, toujours la même; elle a des rideaux pour voir ou ne pas voir, mais ce qu'il est possible d'apercevoir de la fenêtre a perdu peu à peu une grande partie de sa beauté. Une chose qui change, touchée chaque jour davantage par l'inexplicable. Une colline disparaît et à sa place on ne voit plus que fumée et acier. Une cour et ses cariatides chantantes se sont tues pour devenir un columbarium pour défunts coûteux. Un oratoire pour la Madone est maintenant un dépôt de motocyclettes. Aux bonnes odeurs de cuisine et de jardin ont succédé des miasmes qui brûlent la gorge. Pourtant, si j'ouvre les volets, je me dis qu'il est encore bon de sentir ces odeurs âcres auxquelles nous avons fini par nous habituer, de crainte qu'il nous arrive pis.

Pessimiste, Guido Ceronetti? On le serait à moins, mais contrairement à ce que suggère le quatrième de couverture de Albergo Italia, il n'y pas seulement de l'amertume ou de la nostalgie dans les évocations de son pays pour qui sait - ou veut - savourer, au détour d'une phrase ou d'une citation, l'enchantement certes lézardé, mais encore suffisamment séduisant pour conduire le lecteur attentif à prendre son bâton de pèlerin et le suivre en toute confiance, hors des sentiers battus.

J'aspire à redécouvrir, dans son ombre, certains lieux mal visités autrefois, tels Mantoue dont il dit demeurer surpris de voir que l'âme lombarde - ce qui est aimable, généreux, tolérant, peu enclin à la fatuité, attentif, virgilien - survit encore dans cette ville des brumes; il n'est pas moins généreux avec Trieste - une intense couleur de noblesse morale, une agitation nerveuse venue non des limbes vulgaires, mais d'âmes vivantes en révolte - ou Gubbio - qui a vu Gubbio une seule fois ne peut plus jamais l'oublier - mais se montre sévère avec d'autres lieux.

Naples, par exemple: Une ville de philosophes désormais réduite à un parfait télescopage de vulgarités, à un choc désespéré de grincements qui étouffent toute idée d'une cohabitation humaine décente. (...) Le golfe entier est désormais un véritable cloaque: urbain, administratif, touristique, alimentaire, moral; aucune beauté ne subsiste; le vitriol des camorras a défiguré partout la droiture; s'il vous reste encore un coeur et des yeux, vous pouvez seulement vous en servir pour pleurer. Il n'est pas plus tendre avec Rome: On n'y rêve pas, on n'y prie pas, on prend seulement des autobus dont on descend toujours avant d'être arrivé, en détestant le visage humain.

Pourtant, même en ces deux villes, sa curiosité nous attire dans quelques recoins secrets où vacille encore une faible lumière, comme il le fait avec Assise - qu'un vent inimitable ne parvient pas à blesser (...) Intoxiquée par la foule, elle reste solitaire. Elle s'est avilie, mais l'air la soutient - ou Venise - il y a des coffres enfouis dans les épaves coulées - qu'il n'apprécie guère.

Si je ne partage pas son appréhension de cette dernière, à laquelle j'ai toujours été sensible hors saison - tôt le matin ou tard le soir, longeant des canaux méconnus de l'étranger ou entrant dans une église où je ne rencontrais personne - avec Guido Ceronetti j'ai plaisir à me laisser bousculer, à priori toujours tenté d'idéaliser ce qui parfois ne le mérite pas ou d'effleurer seulement ce qu'il vaudrait la peine de creuser ou d'apprendre.

Mais Albergo Italia, ce n'est pas que cela...

A suivre...           

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

25/04/2011

Quasi une fantasia 1/3

Bloc-Notes, 25 avril / Les Saules 

littérature: essai; voyages; livres

Tout avait pourtant bien commencé, ce jour-là. Emergeant d'un sommeil prolongé - recommandé depuis quelques semaines par la faculté de médecine! - écartant les rideaux de ma chambre, je pressentais une belle journée, tandis que le chant multiple des oiseaux, tout alentour, me confortait dans l'idée que le bonheur goûté en silence, me prive de diffuser, de partager ou de fuir tant de niaiseries, de bêtises ou de banalités qui, pour sûr, une heure plus tard, ne manqueraient de fondre sur moi comme un vol têtu de mouches insouciantes de tacher cette magnifique et changeante robe du ciel où s'ébattent ces amis de frère François, auxquels, soit dit en passant - c'est ma forme de gratitude - je fournis le gîte et le couvert, même quand les saisons sont clémentes.

Le temps de glisser une musique pour mes amis sur Facebook, me voici, empruntant le chemin de Ruth où j'habite, afin de rejoindre l'autobus au chemin des Princes. Un premier désagrément aurait dû éveiller ma méfiance et me suggérer de rebrousser chemin: Je croise une femme, plutôt une zombie accompagnée d'un chien bien vivant dont je ne conserve aucun souvenir - entendez par là une de ces nouvelles riches qui prolifèrent à foison depuis le débarquement des oligarques russes - pour qui répondre au bonjour d'un proche voisin, constitue une faute de rang impardonnable. La scène se reproduit à l'arrêt des transports publics, mais avec quelques nuances: Cette fois-ci, il s'agit d'enfants prêts à emprunter le minibus du réputé collège privé de Florimont. A leur propos, je n'ai rien à dire, mais Ils sont accompagnés d'une femme entre deux âges, philippine sans doute, qui imite la zombitude de ma rencontre précédente, comme si ce signe malin - un copier/coller vide et creux - ferait d'elle une des leurs. Une membre de la classe dirigeante. Quelle ignorance revancharde, quelle affligeante imbécillité, et cela, de si bon matin!

Dans mon autobus chéri - qui me réserve souvent des moments de lecture privilégiés - un nouvel incident se produit, à l'arrêt de La Rippaz: Une africaine avec un landau ne prend pas garde que dans les anciens modèles de transport, seule une porte est aménagée pour accéder au véhicule. Elle en emprunte une autre, et là, l'enfer se matérialise. Le chauffeur, une espèce de Rocky VI ou VII manifestement contrarié ou excédé, quitte sa place, se plante devant ladite passagère, la sermonne vertement sur sa responsabilité en cas d'accident, les interdictions à observer dans les transports publics, les retards occasionnés sur l'horaire et que sais-je encore. Elle l'écoute avec attention et respect. Dans le balancement gracieux du cou qui s'harmonise avec son regard discret empreint d'une douce mélancolie, je devine qu'elle a l'habitude de ces dérapages, qu'ils n'ont pas trop d'importance et qu'elle en a probablement connu de bien pires, sous nos latitudes inhospitalières. Un peu plus loin, lui traduisant en des termes un peu plus civilisés les propos du conducteur, j'apprends qu'elle ne comprend que la langue anglaise...

Sur le quai de la gare Cornavin où j'attends le chemin de fer qui m'emmènera à Nyon, je vitupère intérieurement contre tous ceux qui s'acharnent à gâcher ma si belle journée naissante, ici au milieu d'un autre type de zombies: les adeptes de la pensée unique avec leur 20 minutes - quotidien gratuit - ou leur natel manipulé à l'infini, oublieux du silence et de l'immobilité auxquels fort heureusement fait obstacle un club de randonneurs du troisième âge dont l'oeil, malicieux et rieur, témoigne d'un reste d'humanité dans cette foire au béton. Comme pour enfoncer définitivement le clou de mon exaspération, j'apprends par la manchette d'un quotidien lausannois que les fumeurs, sur les quais de gare, incommodent de plus en plus les autres, candidats à l'immortalité. Sinon, pour quoi d'autre? Ah la sage Helvétie au sein de laquelle le mot verboten - interdit - résonne comme un anesthésiant puissant et salvateur. La canne blanche des futurs zombies... complément recherché de la désormais célèbre phrase de Georges Clemenceau reprise par Paul Claudel: la tolérance, il y a des maisons pour ça!

Arrivé sur mon lieu de travail, j'apprends enfin que, la veille, je n'ai pas respecté une procédure quelconque - je les envoie systématiquement valser dans la poubelle la plus proche avec une désinvolture persistante - et voilà: Ma journée est, semble-t-il, définitivement pourrie...

Mais là encore, je me serai trompé. Au cours de la matinée, un de mes jeunes et sympathiques collègues m'apprend qu'une de mes récentes commandes de livres, vient d'être honorée. Il s'agit de Albergo Italia, de Guido Ceronetti, qu'un ami m'avait chaleureusement recommandé et là, j'oublie tout. Un moment de grâce commence...

A suivre... 

Guido Ceronetti, Albergo Italia (Phébus, 2003)

24/04/2011

Dimanche de Pâques

Heureuses fêtes de Pâques à tous, avec Girolamo Frescobaldi (1583-1643)


Toccate e Partite d'Intavolatura di Cimbalo et Organo - Libro Secondo

Toccata Quarta per l'organo da sonarsi alla leuatione

Moritz Fiechter




07:44 Écrit par Claude Amstutz dans Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/04/2011

Yves Navarre

littérature; récit; livresYves Navarre, Je vis où je m'attache (Robert Laffont, 1978 et LGF, 1989 - épuisés)

Un premier août au bord de la mer. Gabriel et Adrienne vont fêter leurs cinquante ans de mariage. Les quatre fils sont là, les belles-filles et les petits-enfants aussi. Tout prédispose à la fête... Il arrive que l'imagination et le vécu se mêlent, se croisent, se répondent pour donner naissance à un beau roman. Tel est le cas de Je vis où je m'attache qui n'est pas sans ressembler au monde entrevu dans Le coeur qui cogne, mais en plus tendre ou apaisé. Une atmosphère et des sentiments délicats, tracés d'une plume légère.

Disponible sur www.yves-navarre.ch au format PDF

05:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/04/2011

Stewart O'Nan

9782879294964.gifStewart O'Nan, La part des ténèbres (Editions de l'Olivier, 2006)

 

J’espère sincèrement que vous partagerez mon enthousiasme pour ce roman engagé, généreux et profondément humain. Non seulement parce qu’il traduit la vacuité de la vie quotidienne d’une ville de province (avec ses silences, ses non-dits, ses grimaces de perfection, ses rêves factices, ses valeurs de réussite qui ressemblent à un « copier-coller » d’une maison à l’autre et qui n’intéressent en rien les acteurs de cette histoire) mais bien davantage par le déroulement profondément original de ce récit de vie et de mort très contemporain, tout en ombres et lumières réunies, dont la lecture s’effectue sous deux angles différents :


La trame linéaire du récit d’abord, qui décrit ces êtres meurtris, à la dérive : Tim qui a tout perdu, ne ressent plus l’envie de vivre et aspire à rejoindre ses amis disparus ; Kyle, déficient mental à la suite de l’accident et que sa mère essaie désespérément d’aimer comme un nouvel enfant, devenu étranger tout à coup ; Brooks enfin, le flic au caractère complexe, rongé par son terrible secret, dont la vie est détruite à tout jamais. Tous hantés par le culpabilité de leur tragique aventure.


La voix des morts, ensuite, plus douce (entre parenthèses, dans le livre), Marco, Toe et Danielle – la petite amie de Tim – tour à tour graves, drôles ou compatissants et qui voudraient aider leurs amis survivants, les consoler, colmater leurs blessures.


Ce roman lyrique, poignant, est admirable de style, de finesse et dépasse largement le cadre du Connecticut, parce qu’il véhicule des thèmes et des personnages universels. Aussi mérite-t-il d’être lu sans tarder !


« Il n’y a pas d’avenir, seulement le présent, cette minute-ci. Peu importe l’heure qu’il est ; nous ne voulons pas rentrer à la maison. Nous sommes jeunes et foutus dans les ténèbres au cœur de ce pays, à l’abri au sein de notre coûteuse innocence, coincés derrière des lignes ennemies. Il est tard et il n’y a nulle part où aller car cette ville craint trop, mais nous nous en fichons. Nous sommes juste une bande de mômes idiots qui s’amusent.. Nous voulons que la nuit dure éternellement. » Stewart O’Nan, Le pays des ténèbres

00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Stewart O'Nan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/04/2011

Le poème de la semaine

Saint John Perse

 

Nous n'habiterons pas toujours ces terres jaunes,

notre délice ...


L'Eté plus vaste que l'Empire

suspend aux tables de l'espace

plusieurs étages de climats.

La terre vaste sur son aire roule à pleins bords

sa braise pâle sous les cendres ...

couleur de soufre, de miel,

couleur de choses immortelles,

toute la terre aux herbes

s'allumant aux pailles de l'autre hiver ...

et de l'éponge verte d'un seul arbre

le ciel tire son suc violet.


Un lieu de pierres à mica!

Pas une graine pure dans les herbes du vent.

Et la lumière comme une huile ...

De la fissure des paupières

au fil des cimes m'unissant,

je sais la pierre tachée d'ouïes,

les essaims du silence aux ruches de lumière;

et mon coeur prend souci d'une famille d'acridiens ...


Chamelles douces sous la tonte,

cousues de mauves cicatrices,

que les collines s'acheminent

sous les données du ciel agraire ...

qu'elles cheminent en silence

sur les incandescences pâles de la plaine;

et s'agenouillent à la fin, dans la fumée des songes,

là où les peuples s'abolissent

aux poudres mortes de la terre.


Ce sont de grandes lignes calmes

qui s'en vont à des bleuissements de vignes improbables.

La terre en plus d'un point

mûrit les violettes de l'orage;

et ces fumées de sable qui s'élèvent

au lieu des fleuves morts,

comme des pans de siècles en voyage ...


A voix plus basse pour les morts,

à voix plus basse dans le jour.

Tant de douceur au coeur de l'homme,

se peut-il qu'elle faille à trouver sa mesure? ...

"Je vous parle, mon âme ...

mon âme tout enténébrée d'un parfum de cheval."

Et quelques grands oiseaux de terre,

naviguant en Ouest,

sont de bons mimes de nos oiseaux de mer.


A l'orient du ciel si pâle,

comme un lieu saint scellé des linges de l'aveugle,

des nuées calmes se disposent,

où tournent les cancers du camphre et de la corne ...

Fumées qu'un souffle nous dispute!

La terre tout attente en ses barbes d'insectes,

la terre enfante des merveilles! ...

Et à midi, quand l'arbre jujubier

fait éclater l'assise des tombeaux,

l'homme clôt ses paupières

et rafraîchit sa nuque dans les âges ...

Cavalerie du songe au lieu des poudres mortes,

ô routes vaines qu'échevèle

un souffle jusqu'à nous!

Où trouver,

où trouver les guerriers

qui garderont les fleuves dans leurs noces?


Au bruit des grandes eaux en marche sur la terre,

tout le sel de la terre tressaille dans les songes.

Et soudain, ah! soudain que nous veulent ces voix?

Levez un peuple de miroirs

sur l'ossuaire des fleuves,

qu'ils interjettent appel dans la suite des siècles!

Levez des pierres à ma gloire,

levez des pierres au silence,

et à la garde de ces lieux,

les cavaleries de bronze vert

sur de vastes chaussées! ...


 

Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

 

06:38 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/04/2011

Mélanie Chappuis

 

9782882412072.gifMélanie Chappuis, Frida (Campiche, 2008)

Un premier roman attachant pour dire la quête amoureuse, la peur de se brûler les ailes, la crainte des lendemains ordinaires. Les interrogations de son auteur touchent notre corde sensible par la finesse des perceptions, la sincérité dans l’approche des autres, le ton enjoué du récit. Un écrit de l’urgence pour dire que les amoureux sont seuls au monde, et un dénouement qui réjouit le cœur.

 

07:37 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |