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14/05/2011

Lettre à un jeune libraire 1/3

Bloc-Notes, 14 mai / Les Saules

littérature; librairie

Autant qu'il m'en souvienne - selon tes dires - cela a commencé ainsi, avec la sonate de Vinteuil: Cette soif d'un charme inconnu, la petite phrase l'éveillait en lui, mais ne lui apportait rien de précis pour l'assouvir. De sorte que ces parties de l'âme de Swann où la petite phrase avait effacé le souci des intérêts matériels, les considérations humaines et valables pour tous, elle les avait laissées vacantes et en blanc, et il était libre d'y inscrire le nom d'Odette. Puis à ce que l'affection d'Odette pouvait avoir d'un peu court et décevant, la petite phrase venait ajouter, amalgamer son essence mystérieuse. (1)

Le vide était pourtant là, intérieur et informulé. Aux contours indéfinis, il n'avait pas changé, ni en pesanteur, ni en intensité. Pourtant, à la sortie de cette librairie de quartier où tu avais acheté ce roman, tu sentais confusément que l'espace s'ouvrait à ton imagination adolescente et que, pour la première fois peut-être, lisant et relisant ces quelques lignes, tu te sentais mieux dans ta peau au sein d'un monde qui ne te suffisait pas - trop étroit, rigide ou banal - auquel le livre venait ajouter une dimension insoupçonnée. Pas le bonheur surgi par surprise, ni la fuite dans un ailleurs séduisant: tout juste une résonance capable de révéler le sens des choses, de l'éclairer, de l'approfondir ou le libérer. Ainsi, la découverte du livre était-elle associée à un lieu habitable, magique et chaleureux. Malgré les tempêtes qui n'ont pas manqué de t'assaillir par la suite, cet étroit sentiment d'appartenance ne t'a jamais quitté.

Envers et contre tout - un métier souvent comparé à celui des saltimbanques - tu as ainsi décidé, très vite, de devenir libraire, par soif d'apprendre, de découvrir, de connaître et d'élargir ton horizon aux dimensions d'un monde où la raison n'aurait jamais le dernier mot. Trop paresseux pour être médecin, trop orgueilleux pour être religieux, trop marginal pour être instituteur, ton choix était fait. L'insoumission fut longtemps pour toi, un mot illustrant au mieux ce milieu étrange du livre. Plus tard, tu l'as remplacé par celui de résistance, plus adapté à toute la chaîne de la création, depuis l'auteur qui invente jusqu'au lecteur qui interprète, en passant par le libraire, messager discret et veilleur du temps des autres.

Malheureusement - un dilemme propre à toutes les métiers artistiques - il t'a fallu ajouter un autre mot: celui de l'ambiguité, délicate balance entre les trésors que tu espérais partager et les besoins dont le grand nombre - employeurs et lecteurs confondus - réclamait la récompense. Autrement dit, la notion haïssable de commerce - disais-tu au cours de tes années d'apprentissage - faisait irruption dans la vraie vie où tu grandissais en expérience moins rapidement que dans l'autre, celle de tes lectures. Temps de l'incertitude et du défi, sur l'aile précautionneuse du vent... mais quelle importance, somme toute, puisque la parole écrite suffisait à ta faim au sein de cette grande famille du livre et te donnait des ailes, comme l'oiseau qui fait trembler la branche sans réaliser encore qu'il réjouit l'arbre tout entier.

Le changement du regard, comme la bergeronnette derrière le laboureur, de motte en motte, s'émerveille de la terre joueuse nouvellement née qui s'offre à la nourrir parmi tant de frayeur... (2) 

(à suivre)   

(1) Marcel Proust, Du côté de chez Swann - A la recherche du temps perdu (coll. Livre de poche/LGF, 2008)

(2) René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit (Gallimard, 1979)

illustration: manuscrit de Marcel Proust (Bibliothèque nationale de France)

03:09 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Marcel Proust, René Char | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; librairie | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/11/2010

L'Académie française

3145-3245-large.jpgPhilippe de Flers et Thierry Bodin, L'Académie française au fil des lettres - de 1635 à nos jours (Gallimard, 2010)

Ce livre est bien davantage que l'histoire de la célèbre Académie française. En effet, il réunit des documents, lettres et notes rassemblés par sept générations de marquis de Flers - inaccessibles au grand public jusqu'à ce jour - célébrant les immortels qui y furent admis depuis sa fondation, en 1635. On se prend à rêver, découvrant l'écriture manuscrite de Jean Racine, Gustave Flaubert, Henri-Dominique Lacordaire ou plus près de nous Marguerite Yourcenar...

Nombreux sont les écrivains qui, outre la famille de Flers, ont rédigé une notice consacrée à l'un ou l'autre de ces élus: Michel Déon sur Jean La Bruyère et Paul Valéry, Alain Decaux sur Victor Hugo, Jean d'Ormesson sur Charles Baudelaire. Humeurs de leur temps, rivalités, critiques, jalousies, convoitises, expressions du pouvoir ou de la morale, déclarations fracassantes et scandales ayant accompagné leurs candidatures: tout cela nous est restitué dans ce parcours à travers les siècles de ces hommes ou femmes d'exception, pas toujours à la hauteur de leurs oeuvres!

La dernière partie de cet ouvrage nous livre le célèbre Questionnaire de Proust auquel ont répondu, avec un bonheur inégal, les académiciens modernes: Paul Claudel, François Mauriac, Marcel Pagnol, Jean Paulhan, Alain Robbe-Grillet et Jean Rostand.

Un académicien, c'est un homme qui, à sa mort, se change en fauteuil, dit l'un de ses plus illustres membres du XXe siècle, Jean Cocteau...