21/06/2015
Morceaux choisis - Eugenio Montale
Eugenio Montale
Ecoute-moi:les poètes à lauriersn'évoluent que parmi les plantesau nom peu usité:buis troènes ou acanthes.Pour moi, j'aime les routesqui mènent aux fossés herbeuxoù dans les flaques à moitié asséchéesles gamins attrapentquelque chétive anguille:les sentiers qui longent les abruptsdescendent entre les touffes de roseauxet donnent dans les enclos, parmi les citronniers. Tant mieux si le tapage des oiseauxs'éteint englouti par le ciel bleu:plus clairement on écoute murmurerles branches amies dans l'air qui bouge à peineet on goûte cette odeurqui ne sait pas se détacher de terreet inonde le cœur d'une douceur inquiète.Écartées d'ici, les passionsfont par miracle taire leur guerre,ici revient même à nous pauvresnotre part de richesseet c'est l'odeur des citrons. Vois-tu,en ces silences où les chosess'abandonnentet semblent prèsde trahir leur ultime secret,parfois on s'attendà découvrir un défaut de la nature,le point mort du monde,le chaînon qui ne tient pas,le fil à démêler qui enfin nous conduiseau centre d'une vérité.Le regard fouille tout autour,l'esprit enquête accorde séparedans le parfum qui se répandà mesure que le jour languit.Ce sont les silences où l'on voiten chaque ombre humaine qui s'éloignequelque Divinité qu'on dérange. Mais l'illusion cesse et le temps nous ramènedans les villes bruyantesoù le bleu se montre par pans, seulement,là-haut, entre les toits.La pluie fatigue la terre, ensuite;l'ennui de l'hiver accable les maisons,la lumière se fait avare, amère l'âme.Quand un jour d'une porte cochère mal ferméeparmi les arbres d'une course montre à nous le jaune des citrons;et le gel du cœur fond,et en pleine poitrine nous déversentleurs chansonsles trompettes d'or de la solarité.
Eugenio Montale, Poèmes choisis 1916-1980 (coll. Poésie/Gallimard, 1999)
image: http://feedesbrumes.canalblog.com
08:46 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
08/06/2015
Morceaux choisis - Alberto Nessi
Alberto Nessi
Le soleil jette des feux soudains dans le dimanche d'août, teinte d'argent les anges au sommet de l'autel, les stucs, le manteau de Saint Roch, les yeux de la fillette dans l'église de montagne.
Hier aussi, le soleil avait des scintillements subits sur les eaux de la rivière qui prend son nom du lis. La fillette en vacances sautait de pierre en pierre avec son grand cousin, celui qui l'a déjà initiée aux pentes abruptes de la fosse à fumier et qui aujourd'hui jouera du violon pendant la messe et qui est bien plus beau que l'enfant de bois, là dans le coin de l'église.
Maintenant c'est à elle de lire la phrase inscrite sur un feuillet, c'est son tour, tandis que le soleil pointe à nouveau et fait resplendir le bleu de la colonne sur laquelle grimpent des grappes d'or. Le soleil a des reflets couleur polenta sur les stucs, hier soir la fillette est allée manger sur le terrain herbeux au bord de la rivière, tous rassemblés autour de la table de pierre, et le grand-père a coupé la polenta au fil. Là, dans ce noir habité, la fillette a vu une lumière nouvelle: le feu de joie sur la rive, le feu de la mi-août. Elle est restée sur la grève, avec sa soeur aînée qui sourit déjà aux garçons, elle est restée à fixer la flamme et à écouter le crépitement des fagots. Les poissons aussi, sous les pierres, épiaient l'incendie des eaux, le vol des étincelles.
Maintenant un petit homme s'approche du micro, cheveux gris, sac banane sur le ventre. Aussitôt la fillette pense à son chat: il trouverait place dans cette poche de kangourou. Hier, elle l'a installé pour dormir dans l'étable et elle a tiré le verrou, parce qu'il se peut que, la nuit, la fouine entre et le mange, ou bien la paysanne le prendra, elle qui a déjà liquidé dix chiots qui venaient de naître et qui était prête à supprimer aussi son chaton grand comme une souris.
A présent le cousin attaque Vivaldi. Et les stucs s'enflamment à nouveau, rappellant la rivière, le feu de joie, les yeux du chat. La fillette lève les yeux vers la tribune, elle voit son cousin avec son violon qui rutile et il lui fait l'effet d'un ange, plus beau que ces ahuris accrochés sur l'autel, oh, tellement plus beau!
Quand le soleil fait scintiller les clochettes du sanctus, la fillette pense au pré là-haut qui, en mai, s'illumine de narcisses. Hier, avec sa mère, elle est montée trouver Lucia. Et tandis que Lucia cueillait les courgettes pour les vacanciers, elle ne pouvait détacher son regard de cet enfant: il boitait en rond dans le pré sans dire un mot, puis il s'asseyait, aidé par une fille à la robe trop longue, et il restait là à se balancer d'avant en arrière sur une couverture étendue sur l'herbe. Toujours la même chose. En cage. Et Lucia a expliqué que ce gosse, à neuf mois, avait fait une otite: le médecin avait laissé à la mère les gouttes à mettre dans l'oreille et il était parti.
Au sanctus, tandis que le soleil brille sur le calice que le prêtre élève, la fillette file loin de l'église, vers l'éclat du violon avec son cousin, loin des grands! Elle va retrouver le pré aux narcisses, elle va libérer l'enfant qui tourne en rond sur l'herbe comme un chat blessé.
Alberto Nessi, Scintillements - Fleurs d'ombre (La Dogana, 1997)
traduit de l'italien par Christian Viredaz
image: http://media.paperblog.fr
07:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature suisse, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; nouvelle; morceaux choisis; livres | | Imprimer | Facebook |
29/03/2015
Morceaux choisis - Anonyme du XVe siècle
Anonyme du XVe siècle
Si je possédais deux cheveux de toi, Que l'on croirait d'or, telle est leur blondeur,J'aimerais narguer la Cour en douceur. Je voudrais bien me broder un bonnetPlein de coraux tout petits et de perles,Avec les fils d'or de tes cheveux mêmes. L'ami Tristan, appâté par le gain,Les prenant pour de l'or, non sans raison,M'attraperait pour me mettre en prison. Et j'y dirais dans un éclat de rire:Ce sont les cheveux de celle que j'adore;Salut mon gars, si tu y vois de l'or.
Anthologie bilingue de la poésie italienne (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1994)
image: Mariano Salvador Maella, Vénus remettant sa ceinture à Junon (vers 1786)
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
14/03/2015
La citation du jour
Giacomo Leopardi
Comme Anacréon, qui désirait se changer en miroir pour être sans cesse contemplé par celle qu'il aimait, ou en tunique pour la vêtir, en baume pour oindre son corps, en eau pour la baigner, en bandelette pour être serré sur son sein, en perle pour être suspendu à son cou, ou en soulier pour qu'au moins elle le pressât de son pied, de même, moi, je voudrais un moment me transformer en oiseau pour connaître le contentement et la joie qu'ils éprouvent à vivre.
Giacomo Leopardi, Petites oeuvres morales (Allia, 2007)
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
08/02/2015
Morceaux choisis - Elio Vittorini
Elio Vittorini
Je sais ce que signifie être heureux dans la vie: la bonté de l'existence, la saveur de l'heure qui passe et des objets qui nous entourent, la volupté de les aimer, ces choses, immobile, tout en fumant, et une femme parmi elles. Je sais la joie de lire, étendu à demi nu sur une chaise longue, par un après-midi d'été. un livre d'aventures chez les cannibales devant une maison des collines, qui regarde la mer. Et beaucoup d'autres joies encore: dans un jardin épier le bruissement du vent qui fait à peine frémir les feuilles - les plus hautes - d'un arbre; ou, dans le sable, être un des grains infinis qui crissent et qui tombent; ou dans un monde peuplé de coqs se lever avant l'aube et nager, seul dans toute l'eau du monde, près d'une plage rose.
Et j'ignore la forme de mon visage dans tous ces bonheurs, lorsque je sens qu'il est si bon de vivre: douceur ensommeillée ou sourire? Mais quelle soif de posséder! Non la mer seulement, ni le soleil, ni une femme et son coeur à elle sous les lèvres. Terres aussi! Iles! Voilà: je peux me trouver à l'abri, calfeutré dans le silence de ma chambre dont la fenêtre est restée ouverte toute la nuit et soudainement m'éveiller au bruit du premier tramway du matin; ce n'est rien qu'un tramway, une voiture qui roule, mais le monde est désert autour et dans cet air à peine créé tout est différent d'hier, et une nouvelle terre m'assaille.
Elio Vittorini, Sardaigne comme enfance (Nous, 2012)
traduit de l'italien par Angélique Lévi
00:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; voyages; livres | | Imprimer | Facebook |
16/01/2015
Morceaux choisis - Pietro Metastasio
Pietro Metastasio
Pourquoi, si tu es mienne,Pourquoi, si je suis rien,Pourquoi craindre, ô mon bien,Qu'un jour je ne revienne? Pour qui changer mes chaînes,Pour qui changer mes liens, Mon coeur, si tu possèdesCe coeur, qui n'est plus mien?
Pietro Metastasio, Anthologie bilingue de la poésie italienne, Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 1994)
image: J.M.W. Turner - Nocturne (jamesattlee.com)
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09/12/2014
Mario Rigoni Stern
Mario Rigoni Stern, Saisons (La Fosse aux Ours, 2008)
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05/12/2014
La citation du jour
Luigi Pirandello
Tout le mal vient de là: il est dans les mots. Nous avons tous un monde en nous, et pour chacun c’est un monde différent. Comment pourrions-nous nous entendre, monsieur, si les mots que je prononce ont un sens et une valeur en rapport avec l’univers qui est en moi, tandis que celui qui m’écoute leur donne inévitablement un sens et une valeur en rapport avec l’univers qu’il porte en lui?
Luigi Pirandello, Six personnages en quête d'auteur (coll.Livre de Poche/LGF, 2004)
03:21 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | | Imprimer | Facebook |
14/11/2014
La citation du jour
Dante Alighieri
Vous qui passez par les chemins d'amour - arrêtez-vous et regardez - s'il est douleur plus lourde que la mienne: je ne vous prie que de vouloir m'entendre; - et puis, songez si je ne suis demeure et clef de toute peine.
Dante Alighieri, Vita Nova (coll. Poésie/Gallimard, 1974)
image: Henry Holiday, Dante incontra Beatrice al Ponte Santa Trinità / 1883 (lettera43.it)
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
11/11/2014
La citation du jour
Erri de Luca
Les livres sont la plus forte contradiction des barreaux. Ils ouvrent le plafond de la cellule du prisonnier allongé sur son lit.
Erri de Luca, Les poissons ne ferment pas les yeux (coll. Folio/Gallimard, 2014)
image: http://www.streetgeneration.fr
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