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04/07/2013

Andrea Camilleri

9782265086050.gifAndrea Camilleri, Un été ardent (Fleuve Noir, 2009)

 

D'abord il y a une invasion de cafards, puis de souris, et enfin de rats : la villa que le commissaire Montalbano a trouvée à Vigàta pour les amis de sa fiancée Livia semble vraiment maudite. La série de catastrophes atteint son paroxysme lorsque le petit garçon du couple disparaît, pour être finalement retrouvé sain et sauf dans un sous-sol dont même les locataires ignoraient l'existence. Mais une autre découverte y attend le commissaire: le cadavre d'une jeune fille du village disparue plusieurs années auparavant. Dans la chaleur étouffante du mois d'août en Sicile, Montalbano se lance dans une nouvelle enquête dont la progression est perturbée par la soeur jumelle de la défunte, la ravissante Adriana...


Le plus beau compliment que l’on peut adresser à Camilleri, c’est qu’on ne se lasse pas de découvrir les multiples facettes de la personnalité complexe de son flic – le plus célèbre de la péninsule – Montalbano, et que l’originalité de ses enquêtes demeure au rendez-vous, après tant d’années ! De plus, les personnages qui l’entourent contribuent à notre plaisir : Ses coéquipiers Fazio et Catarella, sans oublier sa compagne Livia dont les scènes de ménage sont légendaires … Enfin, il y a la Sicile, le soleil, une chaleur étouffante qui exacerbe les passions, comme cet épisode ne manquera pas de vous en convaincre !


Egalement disponible en coll. Pocket (Pocket, 2010)

22/06/2013

La citation du jour

Angèle de Foligno

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Ce n'est par pour rire que Je t'ai aimée.

Angèle de Foligno, L'amour vrai et l'amour menteur, dans: Le livre des visions et instructions (coll. Points Sagesse/Seuil, 1991)

image:  Angèle de Foligno (liebesiegt.com)

15/06/2013

Milena Agus

9782867464331.gifMilena Agus, Mal de pierres (Liana Levi, 2007)

Comme dans cet autre chef d’œuvre contemporain de la littérature italienne, L’amandière de Simonetta Agnello-Hornby, nous suivons le destin d’une jeune femme sarde hors du commun par les yeux de sa petite-fille. Sans compromis, sauvage, passionnée, son destin bascule entre son mari et le rescapé - dans le livre - brève rencontre sur le continent, croisant au passage des personnages secondaires originaux, attachants, dans cette chronique d’après-guerre. Une heureuse découverte, pleine de saveur !

également disponible en coll. Livre de poche (LGF, 2009) 

 

07:47 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/04/2013

Morceaux choisis - Antonio Tabucchi

Antonio Tabucchi

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On est en train de le suivre, le personnage inconnu qui est arrivé en Crète pour rejoindre une agréable localité marine et qui à un certain moment, brusquement, pour une raison elle aussi inconnue, a pris une route en direction des montagnes. L'homme poursuivit jusqu'à Mourniès, traversa le village comme s'il savait où aller, sans savoir où il allait. En réalité il ne pensait pas, il conduisait et c'est tout, il savait qu'il allait vers le Sud, le soleil encore haut était déjà dans le dos. 

Depuis qu'il avait changé de direction il avait retrouvé cette sensation de légèreté qu'il avait éprouvée pendant quelques instants à la petite table du glacier en regardant d'en haut l'ample horizon: une légèreté insolite, et en même temps une énergie dont il ne gardait pas mémoire, comme s'il était redevenu jeune, une sorte de subtile ivresse, presque un petit bonheur. Il arriva jusqu'à un village qui s'appelait Fournès, traversa le bourg avec assurance, comme s'il connaissait déjà la route, il s'arrêta à un croisement, la route principale continuait sur la droite, il s'engagea sur la route secondaire qui indiquait Lefka Ori, les montagnes blanches. Il poursuivit tranquillement, la sensation de bien-être se transformait en une sorte d'allégresse, un air de Mozart lui vint en tête et il sentit qu'il pouvait en reproduire les notes, il commença à les siffloter avec une facilité qui le stupéfia, en se trompant de ton de façon pitoyable sur un ou deux passages, ce qui le fit rire.

La route filait entre les âpres gorges d'une montagne. C'étaient des lieux beaux et sauvages, l'automobile parcourait une étroite bande d'asphalte le long du lit d'un torrent à sec, à un moment le lit du torrent disparut entre les pierres et l'asphalte se transforma en un sentier de terre, dans une plaine dénudée au milieu des montagnes inhospitalières, pendant ce temps la lumière tombait, mais il allait de l'avant comme s'il connaissait déjà cette route, comme quelqu'un qui obéit à une mémoire ancienne ou à un ordre reçu en rêve, et à un certain point il vit sur un poteau branlant une pancarte en fer-blanc avec des trous comme si elle avait été transpercée par des balles ou par le temps et qui disait: Monastiri, le monastère. 

Il suivit cette direction comme si ça avait été ce qu'il attendait jusqu'à ce qu'il voie un petit monastère avec un toit à moitié en ruine. Il comprit qu'il était arrivé. Il descendit. La porte dégondée de ces ruines penchait vers l'intérieur. Il pensa qu'il n'y avait désormais plus personne dans ce lieu, un essaim d'abeilles sous le petit portique semblait en être l'unique gardien. Il descendit et attendit comme s'il avait rendez-vous. Il faisait presque nuit. 

Dans l'embrasure de la porte apparut un moine, très vieux et se déplaçant avec difficulté, il avait l'aspect d'un anachorète, avec les cheveux hirsutes sur les épaules et une barbe jaunâtre, que veux-tu? lui demanda-t-il en grec. Tu connais l'italien?, répondit le voyageur. Le vieux fit un signe d'assentiment de la tête. Un peu, murmura-t-il. Je suis venu prendre le relai, dit l'homme.

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Antonio Tabucchi, Contretemps/ extrait, dans: Le temps vieillit vite (coll. Folio/Gallimard, 2010)

traduit de l'italien par Bernard Comment

image: Ile de Spinalonga, Crète (www.tangka.com)

06/04/2013

Loriano Macchiavelli

littérature: roman; livresLoriano Macchiavelli, Les souterrains de Bologne (Métailié, 2004)

 

Attention à cette première traduction de Loriano Macchiavelli qui met en scène le sergent Sarti Antonio. Sur les talons du meurtrier de Mainardi Zodiaco, au coeur d'un vrai labyrinthe souterrain abritant bien des secrets de l'Histoire, il va se heurter à l'Eglise et à la magistrature, aidé dans son enquête par des personnages plutôt innatendus. Violence politique, immigration incontrôlée, bureaucratie étouffante et manipulations sordides constituent ce parfait cocktail policier à l’italienne, dérisoire et attachant.

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/04/2013

Marco Lodoli

9782357070028.gifMarco Lodoli, Iles - Guide vagabond de Rome (La Fosse aux Ours, 2009) 

 

Amoureux de l’Italie et de la littérature, ce délicieux recueil d’impressions romaines vous fera découvrir par une succession de portes dérobées, Rome telle que vous ne l’avez jamais vue! Vous y croiserez le fantôme de Vittorio Gassman, les vers de Leopardi ou de Montale, la via Veneto, Santa Maria in Aracoeli, la magie des fontaines, la philosophie des pâtes, l’âme changeante au gré des saisons. En moins de 220 pages, vous survolerez, ravi, plusieurs siècles d’histoire avec la légèreté de l’oiseau. Vous visiterez, vous apprendrez, vous vous divertirez tout au long de cette lecture, puis apaisé, vous gagnerez le pays des songes! Et le lendemain matin, vous vous hâterez de réserver une place dans le Cisalpino… Destination : Rome, bien sûr.

06:06 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne, Marco Lodoli | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/03/2013

Marcello Fois

9782020934039.gifMarcello Fois, Mémoire du vide (Seuil, 2008)

Un rituel de mort qui dit la vie : ainsi se joue, dans l’odeur et le goût du sang, le destin de Samuele Stocchino, le plus célèbre bandit sarde au début du XXe siècle. Il nous semble être confortablement assis dans un fauteuil près d’une cheminée, et entendre Marcello Fois nous raconter son histoire, tant son style, empreint de tradition orale, nous séduit dès les premières pages. Qu’est-ce que la vérité, et où commence la légende ? Il laisse à chacun le soin de conclure, comme il lui plaira, au gré du déroulement de ce récit dans lequel seule Mariangela, la fatzuda – l’effrontée – par quelques scènes fugaces mais déterminantes, incarne un choix qui repose sur l’amour plutôt que sur la rancune, la transgression ou la violence.

18:05 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/03/2013

Lire les classiques - Dante Alighieri

Dante Alighieri

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J'étais parmis ceux qui sont en suspens
quand une dame heureuse et belle m'appela,
telle que je la priai de me commander.
Ses yeux brillaient plus que l'étoile,
et elle me parla, douce et calme,
d'une voix d'ange, en son langage:
 
"Ô âme courtoise de Mantoue,
dont la gloire dure encore dans le monde,
et durera autant que le monde,
mon ami vrai, et non ami de la fortune,
est empêché si fort, sur la plage déserte,
que la peur le fait s'en retourner,
et je crains qu'il ne soit déjà si égaré
que je me sois levée trop tard à son secours,
pour ce que j'entendis de lui au ciel.
Va donc, et aide-le si bien
par ta parole ornée, et ce qui peut servir
à son salut, que j'en sois consolée.
Je suis Béatrice, qui te prie d'aller;
je viens du lieu où j'ai désir de retourner;
Amour m'envoie, qui me fait parler.
Quand je serai auprès de mon seigneur,
je lui ferai souvent ta louange."
 
Elle se tut alors et je repris:
 
"Ô dame de vertu, vertu qui permet seule
que l'espèce humaine excède tout ce qui est
sous le ciel qui a les cercles les plus petits,
ton commandement m'agrée si fort
qu'y obéir, même aussitôt, me semble tard ;
il ne sert plus que tu m'expliques ton désir.
Mais dis-moi la raison qui t'enlève la peur
de descendre ici en ce centre
du vaste lieu où tu désires t'en retourner."
 
"Puisque tu veux savoir un tel secret,
je te dirai brièvement," répondit-elle,
"pourquoi je n'ai pas craint de venir par ici.
Il faut avoir peur seulement de ces choses
qui ont pouvoir de faire mal à autrui;
des autres non, car elles ne sont pas redoutables.
Je suis faite par Dieu, et par sa grâce, telle
que votre misère ne peut me toucher,
et que la flamme de cet incendie ne m'atteint pas.
Une noble dame est au ciel qui a pitié
de la détresse où je t'envoie,
si bien qu'elle brise la dure loi d'en haut.
Or cette dame a appelé Lucie
et lui a dit : - Ton fidèle a maintenant besoin
de toi, et moi, à toi je le recommande - .
Lucie, ennemie de toute cruauté,
se mit en chemin, et vint là où j'étais,
assise auprès de l'antique Rachel,
et dit : - Béatrice, louange de Dieu vraie,
pourquoi n'aides-tu pas celui qui t'aima tant
que pour toi il sortit de la horde vulgaire?
N'entends-tu pas la pitié de ses pleurs,
ne vois-tu pas la mort qui le menace
sur le grand fleuve où la mer ne vient pas? –
Personne jamais ne fut plus prompt
à faire son bien, et à fuir son dommage,
que je ne fus, à ces paroles dites,
à venir ici-bas de mon siège d'élue,
me confiant dans ton parler honnête
qui t'honore toi-même, et ceux qui t'entendent."
 

Dante Alighieri, L'enfer / extrait, dans: La Divine Comédie, volume 1, édition bilingue (coll. GF/Flammarion, 2011)

traduit de l'italien par Jacqueline Risset

image: Giovanni Battista Comolli, Dante e Beatrice / Villa Melzi, Bellagio (Italie)

27/02/2013

Morceaux choisis - Dino Buzzati

Dino Buzzati

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pour Eléona U, Olivier M et Pascal V

Des allusions voilées, des plaisanteries allusives, de prudentes périphrases, de vagues murmures ont fini par m'inciter à penser que, dans cette ville où je suis venu vivre depuis maintenant trois mois, il y a un mot que personne n'a le droit de prononcer. Lequel? Je n'en sais rien. C'est peut-être un mot curieux, inhabituel, insolite, mais il pourrait aussi bien faire partie du vocabulaire le plus courant. Auquel cas, pour quelqu'un exerçant un métier comme le mien, il risque de s'ensuivre certains désagréments.

Plus par curiosité que par inquiétude, je vais donc interroger Geronimo, le plus sage de tous mes amis et qui, dans la mesure où il habite ici depuis une bonne vingtaine d'années, en sait tout ce qu'il convient d'en savoir.

C'est exact, me répond-il aussitôt. C'est tout à fait exact. Nous avons ici un mot prohibé, dont nous nous tenons tous prudemment à l'écart.

Et quel est ce mot?

Vois-tu..., me dit-il, je sais que tu es une personne honnête, en laquelle je puis avoir une confiance absolue. En outre, j'éprouve pour toi des sentiments réellement amicaux. Eh bien, malgré tout, crois-moi, mieux vaut que je ne te réponde pas. Écoute-moi bien: je vis dans cette ville depuis plus de vingt ans, elle m'a accueilli, elle m'a donné du travail, elle me permet de mener une existence honorable, ne l'oublions pas. De mon côté j'en ai loyalement accepté toutes les règles et les lois, quelles qu'elles soient. Rien ni personne ne m'empêchait de m'en aller. C'est un fait que je suis resté. Je ne voudrais pas me donner des airs de philosophe et je n'entends sûrement pas singer Socrate quand on lui a proposé de s'évader de sa prison, mais il me répugnerait absolument de contrevenir aux normes d'une ville qui me tient pour un de ses enfants... même pour une broutille de ce genre. Et pourtant, Dieu sait que ce n'est réellement qu'une broutille...

Mais nous pouvons parler en toute          . Il n'y a ici personne pour nous entendre. Un bon mouvement, Geronimo! Tu peux bien me le dire, ce fichu mot. Qui pourrait te dénoncer? Moi peut-être?

Je constate, remarqua Geronimo avec un sourire plein d'ironie, je constate que tu vois les choses avec l'état d'esprit de nos arrière-grands-parents. La peur du gendarme ? Oui, c'est vrai, jadis on croyait que, sans punition à la clef, la loi ne pouvait être d'aucun effet contraignant. Ce n'était peut-être pas totalement faux. Mais ce n'est qu'un concept primitif, rustre. Même si aucun risque de sanction ne l'accompagne, un commandement peut conserver toute sa valeur; nous sommes des gens évolués...

Mais alors qu'est-ce qui te retient? Ta conscience? La peur d'avoir à t'en repentir?

Oh, la conscience! Ce misérable fourre-tout... Il est vrai que, pendant des siècles et des siècles, la conscience a rendu d'inestimables services à l'humanité; il lui a fallu toutefois s'adapter aux temps nouveaux; elle s'est désormais transformée en quelque chose qui ne lui ressemble plus que vaguement, très vaguement même, quelque chose de beaucoup moins compliqué, de plus standardisé, de plus tranquille, je dirais beaucoup, mais alors beaucoup moins astreignant et dramatique.

J'aimerais que tu t'expliques plus clairement...

Difficile d'en donner une stricte définition scientifique. En langage vulgaire nous l'appellerons: conformisme. C'est la paix trouvée par celui qui se trouve en conformité avec le monde qui l'entoure. Ou bien c'est le désagrément, la gène, l'inquiétude, le désarroi de celui qui sort de la norme.

Et cela suffit?

Et comment que cela suffit! C'est d'une puissance phénoménale, cent fois supérieure à celle de la bombe atomique. Evidemment elle n'est pas toujours égale. Il existe une géographie du conformisme. Dans les pays arriérés, il demeure sous-jacent. embryonnaire... ou alors il se déploie de façon désordonnée, anarchique, sans aucune réelle directive: la mode en est un exemple typique. En revanche, dans les pays les plus modernes, cette force s'est désormais étendue a tous les champs d'activité, elle s'est totalement ancrée, affermie, on peut même dire qu'elle fait partie intégrante de l'atmosphère générale. Et elle est entre les mains du pouvoir.

Et ici?

Ici, ce n'est pas trop mal. L'interdiction du mot, par exemple, a été une heureuse initiative des autorités, destinée justement à tester le degré de maturité conformiste de nos populations. Et le résultat a été de beaucoup supérieur à toutes les prévisions. Ce mot est désormais tabou. Tu peux toujours allumer ta lanterne pour essayer de le dénicher, je te garantis d'avance que tu ne le rencontreras plus jamais chez nous, absolument jamais, pas même dans les caves ou dans les débarras. Les gens se sont adaptés en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire. Sans aucun besoin de recourir à la menace d'une amende ou d'une peine de prison.

Si tout ce que tu racontes était vrai, il devrait être parfaitement possible de rendre tout le monde honnête...

Evidemment. Il y faudra pourtant de nombreuses années, des décennies, peut-être, même des siècles. Diable! c'est qu'il est assez facile d'interdire un mot; et y renoncer ne demande pas un trop grand effort. Mais les combines, les médisances, les vices, les traîtrises, les lettres anonymes pèsent un peu plus lourd... Les gens s'y sont habitués, y ont pris goût: essaie voir de leur dire que tu y renonces! Il s'agit là de véritables sacrifices. En outre, cette immense vague de conformisme spontané, abandonnée à elle-même au début, s'est dirigée vers le mal, les compromissions, la lâcheté. Il faut faire marcher la machine à l'envers, et ce ne sera pas si facile. Oh, on y parviendra sans aucun doute, avec le temps, tu peux être assuré qu'on y parviendra!

Et tu trouves tout cela superbe! II n'en découle pas un nivelage par le bas ? Une épouvantable uniformité?

Superbe? Non, on ne peut pas le dire. En compensation c'est utile, extrêmement utile. C'est toute la collectivité qui en profite. Dans le fond — n'y as-tu pas réfléchi? — les grands caractères, les personnalités brillantes, les gros bonnets, tous ceux qu'hier encore nous aimions, nous adulions, n'étaient jamais que le premier germe de l'illégalité, de l'anarchie. Est-ce qu'ils ne représentaient pas une faille dans la structure même de notre société? D'un autre côté, n'as-tu jamais remarqué que c'est chez les peuples les plus forts qu'on trouve une phénoménale uniformité de types humains?

Bref, ce mot. tu as décidé de ne pas me le dire...

Allons, mon vieux, ne prends pas la mouche ! Rends-toi bien compte que ce n'est aucunement par méfiance de ma part. Simplement, si je le disais, je ne me sentirais plus du tout à mon aise.

Alors toi aussi? Toi aussi, un homme supérieur, nivelé, réduit à la bonne commune médiocrité?

Eh c'est ainsi, mon cher... (et je le vois qui secoue mélancoliquement la tête) il faudrait être un titan pour résister à la pression de l'environnement.

Et la           ? Le bien suprême! Jadis, tu l'aimais. Tu aurais fait n'importe quoi pour ne pas la perdre. Et maintenant?

N'importe quoi, n'importe quoi... c'est vite dit. Les héros de Plutarque... Il n'y a pas que cela au monde... Même les sentiments les plus nobles finissent par s'émousser, s'atrophier, se dissoudre peu à peu si plus personne autour de toi ne les prend en compte. C'est triste à reconnaître, mais on ne peut pas rester toujours seul à désirer un inaccessible paradis.

Donc tu ne veux pas me le dire ? C'est un mot scabreux ? Ou chargé d'une connotation délictueuse?

Pas du tout. C'est un mot tout ce qu'il y a de plus honnête et parfaitement limpide. C'est justement ce qui démontre l'extrême finesse du législateur: pour les mots indécents, abjects, nous pratiquions déjà un rejet tacite, même s'il restait voilé... La prudence, la bonne éducation. Dans ce cas l'expérience n'aurait pas été d'une très grande valeur.

Dis-moi quand même : c'est un substantif? un adjectif? un verbe? un adverbe?

Mais pourquoi insistes-tu? Si tu restes encore parmi nous, un beau matin tu l'identifieras de toi-même, ce mot prohibé, à l'improviste, presque sans t'en apercevoir. C'est ainsi, mon vieux, pas autrement. Tu l'absorberas avec l'air ambiant.

Fort bien, mon cher Geronimo, tu es têtu comme une mule. Patience, cela signifie seulement qu'il va me falloir, pour apaiser ma curiosité, aller consulter les textes officiels en bibliothèque. Il y aura bien eu une loi n'est-ce pas? Et il faudra bien qu'elle ait été publiée cette loi! Et dans ce texte de loi on ne pourra manquer de mentionner clairement ce qui est interdit!

Ah, ah, ce que tu peux être rétrograde! Tu raisonnes encore selon les vieux schémas. Et pas seulement rétrograde mais véritablement ingénu. Une loi qui pour interdire l'usage d'un mot nommerait ce mot, se contreviendrait automatiquement à elle-même, ce serait une aberration, une monstruosité juridique. Si tu veux aller en bibliothèque, tu y perdras ton temps.

Geronimo, cesse de te moquer de moi s'il te plaît! Tu ne me feras pas croire qu'il n'y a pas eu au moins quelqu'un pour déclarer: à compter de ce jour le mot x est interdit de circulation. Il lui aura bien fallu le prononcer, non? Sinon, comment les gens auraient-ils compris?

De fait, tu touches là à un point délicat et pas encore totalement élucidé. Il y a trois théories: certains disent que l'interdiction a été annoncée verbalement par des agents municipaux camouflés; d'autres assurent qu'ils ont trouvé dans leur boîte aux lettres une enveloppe fermée contenant le décret en question, avec injonction de tout brûler sitôt après en avoir pris connaissance. Enfin il y a les intégralistes — tu les nommerais, je pense: les pessimistes —, ceux-là soutiennent mordicus qu'il n'y a eu nul besoin de spécifier un ordre quelconque tant nos concitoyens sont des veaux. Il aurait donc suffi que les Autorités l'aient souhaité pour qu'aussitôt tout le monde en prit conscience, par une sorte de télépathie.

Ils ne peuvent quand même pas tous être devenus des carpettes! Même s'il n'en reste qu'une poignée, on doit bien trouver encore dans cette ville des personnes indépendantes qui raisonnent avec leur propre tête. Des opposants, des hétérodoxes, des déviants, des rebelles, des hors-la-loi, tu peux les nommer comme tu voudras. Il pourra bien arriver, non, que l'un d'eux, par défi, ose écrire ou prononcer le mot tabou ? Qu'est-ce qui se passera alors?

Rien, absolument rien. C'est justement la preuve de l'extraordinaire réussite de cette expérience: l'interdiction est à tel point ancrée désormais au plus profond des esprits qu'elle est parvenue à conditionner jusqu'à la perception sensorielle.

Ce qui signifie?

Ce qui signifie que, par un veto du subconscient — toujours prêt à intervenir en cas de danger —, si quelqu'un s'avisait de prononcer le mot ignominieux, les gens ne l'entendraient même pas, et s'ils le trouvaient écrit ils ne le verraient pas.

Et qu'est-ce qu'ils verraient à la place du mot?

Rien, un emplacement blanc sur le papier ou, si c'est écrit sur un mur, le mur tout nu.

Je tente un dernier assaut: 

Je t'en prie. Geronimo. Par simple curiosité: aujourd'hui, là, en te parlant, est-ce que je l'ai employé, ce mot mystérieux? Cela, du moins, tu peux me le dire: ça ne t'engage à rien.

Le vieux Geronimo sourit, cligne d'un oeil sans répondre.

Alors, je l'ai employé?

Il cligne de l'oeil à nouveau. Mais il ne sourit plus, une tristesse souveraine s'est soudain plaquée sur son visage.

Combien de fois? Ne fais pas de manières, je t'en prie, dis-le-moi. Combien de fois?

Combien de fois... Vraiment, je ne saurais te le dire, ma parole d'honneur. D'ailleurs, si tu l'as prononcé, je n'ai pas pu l'entendre. Toutefois il m'a semblé, oui je dis bien: semblé, qu'à un certain moment, mais je te jure que je ne me souviens pas quand, il y a eu comme une parenthèse dans ton discours, un bref espace vide, comme si tu avais effectivement parlé mais que le son de ta voix ne pouvait plus me parvenir. Au demeurant, c'était peut-être une simple pause de ta part, comme il peut en arriver dans toutes les conversations...

Une seule fois?

Cela suffit maintenant, n'insiste pas.

Alors, tu sais ce que je vais faire? Tout ce que nous venons de nous dire, à peine rentré chez moi je vais le coucher sur le papier, mot pour mot. Et puis je vais courir le faire imprimer.

Pour quoi faire?

Si ce que tu m'as dit est vrai, le typographe — dont nous pouvons raisonnablement présumer qu'il s'agit d'un bon citoyen — n'apercevra pas le mot incriminé. Il y aura donc deux possibilités: soit il va laisser un espace vide en composant mon texte, et je verrai immédiatement à quel endroit; soit il n'en laissera pas. et il me suffira de comparer l'imprimé avec mon original, dont je vais évidemment conserver un double, pour découvrir où se trouve et quel est ce mot.

Geronimo sourit à nouveau, apitoyé.

Mon pauvre ami. tu n'en seras pas plus avancé... Chez n'importe lequel de nos typographes que tu pourras contacter, le conformisme est devenu tel qu'il saura immédiatement ce qu'il convient de faire pour déjouer ton piège par trop puéril. En conséquence, pour une fois, il verra le mot que tu auras écrit — en admettant évidemment que tu l'aies écrit, que tu l'aies prononcé — et il se gardera de l'omettre en composant ton texte. Tu peux en être assuré. Les typographes de chez nous sont parfaitement bien dressés, parfaitement aguerris.

Peux-tu au moins me dire dans quel but toutes ces précautions? N'y aurait-il pas, pour la ville j'entends, un avantage certain à me laisser connaître de cette façon le mot prohibé, sans que personne n'ait à me l'écrire ou à me le dire?

Sans doute que non, pour l'instant du moins. Il semble évident, d'après les discours que tu viens de me tenir, que tu n'es pas encore mûr. Il te faut une initiation. Tu n'es pas encore digne — selon l'orthodoxie en vigueur dans notre ville — de respecter la loi...

Et mes lecteurs, quand ils prendront connaissance de ce dialogue, crois-tu vraiment qu'ils ne s'apercevront de rien?

Ils verront seulement qu'il y a un blanc quelque part. Et tout simplement, ils se diront: tiens, quels étourdis, ils ont sauté un mot!

Dinu Buzzati, Le mot prohibé, dans: Panique à la Scala (coll. 10-18/UGE, 2006)

traduit de l'italien par Michel Breitman

16/02/2013

Ginevra Bompiani

Bloc-Notes, 16 février / Thonon-les-Bains

Ginevra Bompiani.jpg

La première scène du roman de Ginevra Bompiani, nous introduit par la voix de Lucy, une fillette accompagnant sa tante, dans l'hôtel d'une station thermale qui pourrait ressembler à n'importe quel autre, sauf que celui-ci se trouve être le plus laid de tous et ressemble à un hôpital pour personnes en bonne santé. Quatre personnes vont s'y côtoyer. Outre la petite qui s'ennuie et tante Emma joyeuse dès qu'elle voit quelqu'un, Lucy nous présente Lucia et Giuseppina, deux femmes dont l'une boite tandis que l'autre tangue!

Au cours de ce séjour dans la station, elles vont apprendre à se connaître toutes les quatre, livrant peu à peu quelques secrets de leur existence et - qui sait - en échafauderont d'autres... Présenté en quelques phrases ou extraits de dialogues, on serait tenté de décréter que nous sommes au coeur d'une sempiternelle comédie à l'italienne. Pas si sûr, car une fois le décor planté et les personnages fondus dans le quotidien, une gravité mélancolique les couvrira de son aile dans ce lieu de cures magiques où on soigne dans le corps ce qui est malade dans l'âme et qui donne l'impression de faire un petit pas en arrière pour que le présent trébuche de nouveau dans le futur.

Ginevra Bompiani cerne avec beaucoup d'acuité, dans Une station thermale, cet univers de bien-être qui consiste à s'enfermer dans un cocon et faire semblant que le monde n'existe pas: C'est bizarre que cette chose que tout le monde fait, une chose si commune, personne n'y arrive... Vieillir. Et, derrière les masques qui se lézardent, perce l'anxiété commune déclenchée par la solitude affective, la résistance au changement, la crainte de la maladie et pire, peut-être. Ce qui n'effleure pas Lucy qui, pour tromper la monotonie des jours, espère bien ne pas s'en aller sans avoir percé les secrets des unes et des autres - ce serait comme jeter un roman policier qu'on n'a lu qu'à moitié - et confié au lecteur les siens.  

Dans ce petit monde frivole en apparence, exclusivement féminin - à l'exception de quelques pages consacrées à l'autrefois séduisant Stefano - Ginevra Bompiani, comme seule une femme sait le faire, appréhende à merveille ce mystère du corps où, derrière la faiblesse, la fragilité et les fissures de la vie se nichent en révélateurs, ces signes qui peuvent, au-delà de la beauté formelle, dissoudre les blessures intimes et réserver des moments de fête, de tendresse - voire d'amour - innatendus.   

Et le désespoir, on s'en passe, conclut Lucia... 

Fille de l'éditeur Valentino Bompiani, Ginevra Bompiani, née en 1939 à Milan, est écrivain, éditrice chez Nottetempo à Rome, enseignante et traductrice: entre autres de Antonin Artaud, Louis-Ferdinand Céline, Marguerite Yourcenar et Gilles Deleuze. Parmi ses oeuvres traduites en langue française, mentionnons Les règles du sommeil (Verdier, 1986), Ciel ancien, terre nouvelle (L'Arpenteur, 1990) et Le grand ours (Stock, 1995). 

Ginevra Bompiani, La station thermale (Liana Levi, 2013)

23:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |