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13/01/2012

Patrick Tafani

Bloc-Notes, 13 janvier / Les Saules

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Les poètes empruntent parfois des chemins inhabituels, audacieux ou escarpés pour dire leur sensibilité au monde et aux hommes. Comme de petits tableaux ou une succession de délicates épiphanies, Patrick Tafani cherche et creuse à travers l'oeuvre d'André de Richaud, Armel Guerne, Fernando Pessoa, Friedrich Hölderlin, Cesare Pavese, Charles-Ferdinand Ramuz, Camille Claudel, Stefan Zweig et d'autres encore, ce battement du temps, ce mouvement des couleurs qui désignent sa propre trace, vivante: images surgies des limbes, de son imaginaire et de sa mémoire ouvrant sur sa démarche poétique propre, aux antipodes d'une critique littéraire ou d'un inventaire exhaustif.

Curieusement, les plus beaux passages sont consacrés aux peintres. Sur Pierres Soulages, il note: Lumière arrêtée par les étincelles, par la couche de froid, jadis et à présent, étirée sous un feu primordial, le noir ici n'est jamais noirceur mais beauté béante à travers l'aubier d'une nuit repliée. Sur Nicolas de Staël: Les mille visage du peintre pour ce seul visage. Des fenêtres ouvertes, des rideaux levés pour écouter Webern. Près de ce monde qui déambule, un monde se fonde, une mer s'éloigne, des mouettes s'éploient vers les bâillons du ciel, un piano va jouer sa dernière partition. Puis il fera nuit, on entendra le silence s'élever et la nuit aura l'émotion de ses yeux

On regrettera peut-être l'absence de quelques repères concrets facilitant la lecture aux amoureux de poésie qui connaissent peu ou mal les grandes figures de l'art qui défilent sous nos yeux. Ainsi, le plus long - et peut-être le plus émouvant - des textes de Patrick Tafani, consacré à René Char, semblera parfois hermétique ou inaccessible à ceux qui ignorent son parcours et son oeuvre.

Restent ses poèmes qui jalonnent Etoiles de terre: Que ce soit sur des chemins de terre, des chemins de feuilles, des chemins de ronces, que ce soit sur un toucher de mousse, sur un pli d'écorce ou dans l'entière forêt, que ce soit à l'orée de ma fatigue ou aux confins des premiers orages, c'est vers toi que m'entraînent mes pas, que le regard se noircit pour te reconnaître ainsi dans ton vaste monde, encore souverain et railleur, toi mon extravagant arpenteur, coloriste à tes heures de mépris et d'ardeur, mimant mille fois pour le passant chimérique, ta désinvolture et ta mort, toi au passé mélancolique, au trait bleu de ma lèvre, entre le beige et le noir, la main heureuse de l'enfant.

Si cet ouvrage - par ailleurs très soigné dans sa présentation - vous intéresse, je vous suggère de prendre contact avec son auteur Patrick Tafani, dont l'adresse Internet est mentionnée ci-dessous. Sinon, Le blog de Patrick Tafani - dans les liens permanents de La scie rêveuse - vous permet un accès direct.

Patrick Tafani, Etoiles de terre (L'inaperçu, 2011)

le blog de Patrick Tafani: http://parelie.over-blog.com/ 

00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/06/2011

Le poème de la semaine

Charles-Ferdinand Ramuz

Viens te mettre à côté de moi sur le banc devant la maison,
   femme, c'est bien ton droit;
il va y avoir quarante ans qu'on est ensemble.

Ce soir, et puisqu'il fait si beau,
et c'est ausssi le soir de notre vie:
   tu as bien mérité, vois-tu, un petit moment de repos.

Voilà que les enfants à cette heure sont casés,
ils s'en sont allés par le monde;
et, de nouveau, on n'est rien que les deux,
   comme on a commencé.

Femme, tu te souviens ?
On avait rien pour commencer, tout était à faire.
Et on s'y est mis, mais c'est dur.
Il faut du courage, et de la persévérance.

Il faut de l'amour,
et l'amour n'est pas ce qu'on croit
quand on commence.

Ce n'est pas seulement ces baisers qu'on échange,
ces petits mots qu'on se glisse à l'oreille,
ou bien de se tenir serrés l'un contre l'autre;
le temps de la vie est long, le jour des noces n'est qu'un jour;
c'est ensuite, tu te rappelles,
c'est seulement ensuite qu'a commencé la vie.

Il faut faire, c'est défait;
il faut refaire et c'est défait encore.

Les enfants viennent;
il faut les nourrir, les habiller, les élever:
   ça n'en finit plus;
il arrive aussi qu'ils soient malades;
tu étais debout toute la nuit;
moi, je travaillais du matin au soir.

Il y a des fois qu'on désespère;
et les années se suivent et on n'avance pas
et il semble qu'on revient en arrière.
Tu te souviens, femme, ou quoi ?

Tous ces soucis, tous ces tracas; seulement tu as été là.
On est restés fidèles l'un à l'autre.
Et ainsi j'ai pu m'appuyer sur toi,
   et toi tu t'appuyais sur moi.

On a eu la chance d'être ensemble,
on s'est mis tous les deux à la tâche,
on a duré, on a tenu le coup.

Le vrai amour n'est pas ce qu'on croit.
Le vrai amour n'est pas d'un jour, mais de toujours.
C'est de s'aider, de se comprendre.

Et, peu à peu, on voit que tout s'arrange.
Les enfants sont devenus grands, ils ont bien tourné.
On leur avait donné l'exemple.

On a consolidé les assises de la maison.
Que toutes les maisons du pays soient solides,
et le pays sera solide, lui aussi.

C'est pourquoi, mets-toi à côté de moi et puis regarde,
car c'est le temps de la récolte et le temps des engrangements;
quand il fait rose comme ce soir,
et une poussière rose monte partout entre les arbres.

Mets-toi tout contre moi, on ne parlera pas:
on n'a plus besoin de rien se dire;
on n'a besoin que d'être ensemble encore une fois,
et de laisser venir la nuit
dans le contentement de la tâche accomplie.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

21/05/2011

Jean-Louis Kuffer

9782882411396.gifJean-Louis Kuffer, Les passions partagées - Lectures du monde 1974-1992 (Campiche, 2004)

Tous ceux pour qui un livre est bien plus qu’un outil ou un objet – un compagnon, une présence, un écho du cœur – seront gagnés par ces passions partagées. Vous y croiserez Cingria, Léautaud, Grossman, Nabokov, Ramuz ou encore Dürrenmatt. Bien d’autres encore, à travers ces notes sobres, personnelles, attachantes. Une lecture indispensable pour les candidats libraires ou futurs professeurs de lettres en quête de sens, car sans ces rencontres avec ces écrivains qui ont souvent impregné notre regard sur les êtres et le monde qui nous entoure, sans ce besoin viscéral de transmettre ce qui dans un livre tutoyant l'universel a pu nous inspirer quelques fragments de bonheur inoubliables afin que d'autres s'y abandonnent avec la même ferveur, que resterait-il de la littérature, sinon une impression sournoise de déséquilibre du monde, enfouie dans nos propres décombres?  

05/04/2011

L'idiot du village

Bloc-Notes, 5 avril / Les Saules 

Sans-titre-11.gif 

Depuis vingt-sept ans, le Prix du jeune écrivain, soutenu par la Fondation BNP Paribas, récompense chaque année une oeuvre d’imagination inédite, en prose - nouvelle, conte, récit - de 5 à 25 pages, de jeunes auteurs de nationalité française et francophone, qui ont entre 15 et 24 ans révolus. Chaque candidat ne peut envoyer qu’un seul texte. Les écrits présélectionnés sont soumis à un jury tournant, composé d’écrivains et de critiques littéraires tels David Foenkinos, Christiane Baroche, Jean-Baptiste del Amo, Boualem Sansal, Marie-Hélène Lafon, Vincent Delecroix, Minh Tran Huy, Georges-Olivier Châteaureynaud et Ananda Devi, pour n'en citer que quelques-uns pour la présente édition.

Par le passé, ce prix littéraire a révélé des auteurs qui, par la suite, ont confirmé leur chemin d'écriture, tels Jean-Baptiste del Amo, Marie Darrieussecq, Antoine Bello, Leïla Haddad ou Dominique Mainard.

Douze nouvelles ont été choisies pour le Prix du jeune écrivain 2011, soit les textes ayant été récompensés par les cinq premiers prix auxquels sept autres - distingués par le jury - ont été ajoutés. La palme revient cette année à l'auteur suisse Bruno Pellegrino, pour L'idiot du village, la nouvelle qui donne son titre au recueil. Collaborateur régulier au Passe Muraille - revue des livres, des idées et des expressions - ce grand admirateur d'Albert Cohen, Romain Gary, Charles-Ferdinand Ramuz, Virginia Woolf et Emily Brontë, déploie dans ce récit d'une trentaine de pages à peine un talent fou, tout simplement stupéfiant, au point que j'ai remis à plusieurs jours la lecture des autres textes. Sans vous raconter toute l'histoire, sachez qu'elle se déroule dans un petit village avant la deuxième guerre mondiale, où plusieurs personnes meurent. Victimes d'un mauvais sort, celui de l'idiot du village, par exemple? On les pleure. On pointe le doigt vers le ciel. Trop injuste. Et voilà que l'idiot du village - bien vivant lui - vient leur annoncer en bégayant: mobilisation générale, c'est la guerre...  

Aucun texte littéraire, sur ce thème, ne m'a autant remué depuis Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel. Et que dire du style qui, par ses parenthèses - comme les points de suspension d'un certain Louis-Ferdinand Céline - construit ce récit magistral, interroge les consciences, brasse les images sans ce verbiage excessif qui caractérise parfois les débuts d'un écrivain. A cet exercice, Bruno Pellegrino s'inscrit dans la lignée de Noëlle Revaz et Douna Loup, pour la singularité de son écriture, preuve qu'en Suisse - un pays qui ne brille pas vraiment par son imagination ou sa créativité - la jeunesse de ces trois auteurs réconcilie avec la littérature de qualité et nourrit de belles promesses. 

Dans ce même recueil, un autre texte tout à fait remarquable s'intitule L'oeuvre de la pierre, écrit par Elodie Soury-Lavergne, le monologue d'une femme enterrée vivante, qui voudrait sauver ce qui peut l'être encore: son musée intérieur... Un immense talent dans la construction de son récit qui, comme dans celui de Bruno Pellegrino - une histoire de folie collective, dans les deux cas - en dessine les contours par une tension ordinaire, progressive, terrifiante où le lecteur, insidieusement, devient sans même s'en apercevoir, le témoin, l'acteur, la mémoire vivante, redonnant ses lettres de noblesse à un genre littéraire trop souvent négligé - la nouvelle - dans lequel bon nombre d'écrivains chevronnés, qui divulguent à la première page les deux cents qui s'en suivent, ne seraient pas trop à l'aise...

Bonne chance en tous les cas à ces heureux lauréats qui, outre les deux auteurs mentionnés plus haut, se nomment Alexandre Sordet, Pauline Feray, Aurélia Demarlier, Carole Awit, Karim Haroun, Valérie Lamesch, Baptiste Ledan, Clémence Lefèvres, Baptiste MongisLydiane Tsane Tsayem et méritent - c'est la moindre des choses - tous nos applaudissements! 

L'idiot du village - et autres nouvelles (Buchet-Chastel, 2011)

image: Bruno Pellegrino

20/02/2011

Frédéric Mairy

littérature: essai; livresFrédéric Mairy, Bref éloge de la fin (D'Autre Part, 2011)

Frédéric Mairy déroule pour nous un tapis rouge, celui des fins dernières. Pas seulement le signe annonciateur de la mort définitive, mais aussi cette boucle qui clôt une journée, concrétise la conclusion d'un spectacle ou marque l'achèvement d'une réflexion. Avec tristesse? Pas du tout, et la citation de Charles-Ferdinand Ramuz s'adressant à sa fille, mentionnée par l'auteur dans sa préface - et qui mériterait d'être apprise par coeur dans les écoles - en dit assez long sur sa perception sensible des choses: C'est à cause que tout doit finir que tout est si beau. C'est à cause que tout doit avoir une fin que tout commence. C'est à cause que tout commence que tu as connu le grand émerveillement. Tâche seulement d'être toujours émerveillée.

Dans cette promenade à travers le temps et l'espace distillée non sans humour, nous côtoyons ces écrivains qui sont en quelque sorte le fil rouge de ses observations, rêveries ou méditations: Nicolas Bouvier, Luigi Pirandello, Anton Tchekhov, Paul Claudel - pour n'en citer que quelques-uns - auxquels, pour illustrer les travers de la tragicomédie moderne, il convient d'ajouter Pierre Desproges et Woody Allen. Des mots simples dont on éprouve la proximité pour dire un monde qui souffre sous un manteau de fleurs.

Né en 1973 dans le Val-de-Travers, Frédéric Mairy partage son temps entre le théâtre, l'écriture et la lecture d'auteurs auxquels ce livre rend un bel et subtil hommage. 

00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/01/2011

Le poème de la semaine

Charles-Ferdinand Ramuz


 

C'est un petit pays qui se cache

parmi ses bois et ses collines;

il est paisible, il va sa vie

sans se presser sous ses noyers;

il a de beaux vergers et de beaux champs de blé,

des champs de trèfle et de luzerne,

roses et jaunes dans les prés,

par grands carrés mal arrangés;

il monte vers les bois, il s'abandonne aux pentes

vers les vallons étroits où coulent des ruisseaux

et, la nuit, leurs musiques d'eau

sont là comme un autre silence.


Son ciel est dans les yeux de ses femmes,

la voix des fontaines dans leurs voix;

on garde de sa terre aux gros souliers 

qu'on a pour s'en aller dans la campagne;

on s'égare aux sentiers qui ne vont nulle part

et d'où le lac paraît, la montagne, les neiges

et le miroitement des vagues;

et, quand on s'en revient, 

le village est blotti, autour de son église,

parmi l'espace d'ombre où hésite et retombe

la cloche inquiète du couvre-feu.

 


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Charles Ferdinand Ramuz, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

04/01/2011

Dans le rétroviseur

Bloc-Notes, 4 janvier / Les Saules

la-liseuse-fragonard.jpg

Voilà, c'est reparti! Le très sérieux Livres Hebdo - revue professionnelle consacrée au livre - n'annonce pas moins de 510 nouveaux romans à paraître au cours des deux premiers mois de l'année, dont 329 voués à la littérature francophone, mais... pas si vite, car l'année 2010 à peine achevée, je prends plaisir à vous partager les petites ou grandes joies que la saison dernière aura suscitées, au nez et à la barbe des statistiques qui, au contraire de la résonance affective des uns et des autres, masquent souvent l'essentiel, heureusement!

Avec un constat très encourageant: Le lecteur actuel cède beaucoup moins que par le passé, aux sirènes des prix littéraires. S'il les lit ou les offre, c'est parce qu'il les découvre ou les aime, qu'il s'agisse de Michel Houellebecq avec La carte et le territoire (Flammarion), de Jean-Michel Olivier avec L'amour nègre (De Fallois/L'Age d'Homme), de Maylis de Kérangal avec Naissance d'un pont (Verticales), de Patrick Lapeyre avec La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L.), de Fatou Diome avec Celles qui attendent (Flammarion) ou encore de Sofia Oksanen avec Purge (Stock) et de David Vann avec Sukkwan island (Gallmeister).

Il est aussi plus curieux, exigeant et surtout... prend son temps pour choisir ses livres! Ainsi, il a jeté son dévolu - pour mon plus grand plaisir! - sur Douna Loup avec L'embrasure (Mercure de France), Valérie Zenatti avec Les âmes soeurs (L'Olivier), Rosa Montero avec Instructions pour sauver le monde (Métailié), Erri de Luca avec Le jour d'avant le bonheur (Gallimard) ou Sarah Hall avec Comment peindre un homme mort (Bourgois) - à mon avis le plus beau roman de l'année! - sans oublier Kathryn Stockett avec La couleur des sentiments (Jacqueline Chambon) dont le succès repose pour une part prépondérante sur le bouche à oreille entre lecteurs et le coup de pouce des libraires, ou Jean d'Ormesson avec C'est une chose étrange à la fin que le monde (Laffont), bel exemple de fidélité entre le public et un auteur qui n'a cessé de se remettre en question, de partager ses passions, ses convictions, ses interrogations, auprès des plus jeunes et des autres...  

Qu'on se le dise enfin: La poésie n'est pas reléguée aux oubliettes. Le succès de la correspondance entre René Char et Nicolas de Staël (Editions des Busclats), l'anthologie des Poètes de la Méditerranée (coll. Poésie/Gallimard) ou les écrits récents de Jean-Michel Maulpoix, Andrée Chédid et Charles-Ferdinand Ramuz en sont la preuve vivante.

Seuls auront manqué en 2010 quelques romans légers et attachants comme on les aime... Hormis une réédition - Les raisons du coeur de Mary Wesley (Héloïse d'Ormesson) - et une nouveauté, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi de Katherine Pancol (Albin Michel), je n'ai pas oublié - comme de nombreux lecteurs, ces plaisirs de lecture plus anciens que sont La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt (Actes Sud) ou Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer (Campiche) qui rencontrent aujourd'hui encore un succès aussi vif que celui des dernières parutions en librairie!

Pour en finir avec ce petit tour d'horizon de l'année écoulée, j'ajoute que le lecteur actuel - pour autant qu'il trouve dans les librairies ou bibliothèques ce qu'il cherche - n'est pas nécessairement conditionné par l'attrait de la nouveauté, ce qui me ravit! Savez-vous que le roman de Léon Tolstoï, Anne Karénine, demeure le roman le plus populaire de 17 à 87 ans, aux côtés de celui d'Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo, parmi les classiques? Que Lark et Termite, le chef d'oeuvre de Jayne Anne Phillips (Bourgois), paru en 2009, demeure l'un des choix préférés du public, avec L'ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon (Laffont et Livre de poche) paru en 2004? Qu'on lit toujours le roman d'Axel Munthe, Le livre de San Michele (Albin Michel) ou La montagne magique de Thomas Mann (Fayard et Livre de poche)?

Sur le site de Culture Café - http://500-livres.com/index.html - vous pouvez consulter les 500 meilleurs livres choisis par les internautes, en 2008 - peu de changements, sans doute, avec aujourd'hui - avec près de 5'000 votes et 3'000 titres proposés. Comme moi, vous y reconnaîtrez bien des vôtres...  

image: Jean-Honoré Fragonard, La liseuse (National Gallery of Art, Washington)

 

15/03/2010

In memoriam

 

Bloc-Notes, 15 mars / Les Saules

Yves Navarre 2.jpeg

Au cours de l’été 1981, j’ai eu le plaisir de vivre un des moments inoubliables de mon métier de libraire, en accueillant pour une rencontre avec ses lecteurs, dans une librairie des rues basses à Genève - aujourd’hui remplacée par une pharmacie – Yves Navarre, à la parution de son texte Biographie, chez Flammarion.

J’avais été conquis par son extrême sensibilité, sa discrétion, son charme un peu suranné – il dédicaçait ses ouvrages avec une plume Mont-Blanc - et une disponibilité rare. Venu tout exprès du Midi, il avait pris soin de prendre son temps avec tous ses fans ayant fait le déplacement pour cette visite exceptionnelle, dense, émouvante au-delà des mots.

Cela explique la douleur éprouvée à sa mort – il a mis fin à ses jours – un certain 24 janvier 1994, à l’âge de 54 ans.

Mais qui donc – parmi les jeunes – sait encore qui est cet écrivain exhumé dont la plupart des livres sont épuisés ? Je vais donc vous en dire un peu plus. Yves Navarre compte une quarantaine de publications à son catalogue – romans, pièces de théâtre, récits autobiographiques – parmi lesquels je mettrai en exergue quelques titres, recensés sur ce blog, méritent de survivre au pouvoir implacable des ans et… des éditeurs: Evolène écrit en 1972 (de magnifiques pages sur l’enfance, les paysages suisses et Ramuz), Les loukoums en 1973 (une préfiguration des années sida) et surtout Le cœur qui cogne en 1974 dont émane, aux côtés de Je vis où je m’attache en 1978 et Le jardin d’acclimatation en 1980 (prix Goncourt) une atmosphère très mauriacienne. Son roman le plus personnel – dans l’équilibre trouvé entre le style et la force des sentiments – est, en ce qui me concerne, Le temps voulu écrit en 1979 (la passion confrontée à la solitude, à l’attente, à l’absence) auquel fera écho Ce sont amis que vent emporte (le stade terminal du sida dans un couple) en 1991.

Si l’œuvre d’Yves Navarre est inexistante sur les rayonnages des librairies, à qui donc la faute ? Aux grandes maisons d’édition surtout – Flammarion et Robert Laffont en tête, Albin Michel et le Livre de poche ensuite – qui ont passé à autre chose... Au diktat de la nouveauté ensuite, qui privilégie bien souvent le traitement des standards, de l'actualité ou des célébrités du jour, tant chez les libraires que dans les sphères médiatiques.

Fort heureusement, les éditions H&O ont réédité certains de ses récits – pas forcément les meilleurs à ce jour – parmi lesquels Le jardin d’acclimatation en 2009, introuvable depuis de nombreuses années.

Autre bonne nouvelle, celle du site officiel de ce grand amoureux des chats  - http://www.yvesnavarre.ch - très complet, régulièrement mis à jour, comportant de nombreux textes téléchargeables au format PDF.

Il vaut vraiment la peine de (re-)découvrir cet auteur injustement réduit à son homosexualité, relégué aux oubliettes, dont les propos dépassent – et de loin – sa quête personnelle et dont les interrogations n'ont rien perdu de leur modernité.

Un roman ne se raconte pas, il se vit. A chacun son émotion, des bruits de pas dans les aiguilles de pin. (Le temps voulu)

copiez le lien ci-dessous, et retrouvez un document rare de l'INA consacré à Yves Navarre:

http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/I00001223/interview-d-yves-navarre-prix-goncourt-1980.fr.html

00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Charles Ferdinand Ramuz, In memoriam, Littérature francophone, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; auteur | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/01/2010

L'affaire Chessex, Acte 1

Bloc-Notes, 10 janvier / Cologny

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Il faut croire que, décidément, il ne se passe rien en Suisse Romande, pour que les médias consacrent autant de pages à la désormais affaire Chessex, où le tout Suisse Romande y va joyeusement de sa chansonnette. Dernier épisode dans l'édition du 9 janvier, sur deux pages dans les colonnes du quotidien Le Matin. Une large place y est consacrée aux stratégies de marketing, dont différents intervenants vantent l’efficacité sur le plan publicitaire et commercial. Encore un effort, et vous verrez qu’affublé de lunettes caractéristiques, Jacques Chessex ressemblera un jour à Harry Potter…

 

Je rappelle que le récit posthume de Maître Jacques, Le dernier crâne de M. de Sade- publié par les éditions Grasset et distribué par Diffulivre, diffuseur pour le marché suisse – se vend sous cellophane avec la mention « réservé aux adultes ».

 

Dans cette affligeante surenchère verbeuse, trois réflexions me semble-t-il s’imposent : La première, évidente, est qu’on ne parle que de l’emballage, nulle part du contenu. La seconde, pour dire que dans le journal cité un seul interlocuteur a remis l’église au milieu du village, soit Michel Moret, directeur des éditions de l’Aire : « En le vendant sous plastique, on prend aussi le lecteur suisse pour un arriéré et un pudibond. Et on met en doute la qualité de l’œuvre littéraire en la présentant comme une revue de sex-shop. »

 

La troisième pour rappeler que de nombreuses œuvres littéraires de qualité, par exemple Histoire de Juliette ou les prospérités du vice de D.A.F. de Sade, Trois filles et leurs mères de Pierre Louÿs, Histoire d’O de Pauline Réage ou plus récemment  Putain de Nelly Arcan, n’ont pas joui de ce traitement de faveur.

 

Enfin, pourrait être décelée, plus subtilement, une analogie entre le plastique du livre et celui du préservatif, celle qui montre du doigt le danger du désordre dont parle C.F. Ramuz dans un très court mais admirable texte qui n'a pas pris une ride, Conformisme, préfacé par un certain... Jacques Chessex.

 

Mais, trêve de sarcasmes : Demain, je vous parlerai de littérature, promis, juré, avec Le dernier crâne de M. de Sade !    

16/11/2009

Noëlle Revaz

Noëlle Revaz.jpgNoëlle Revaz, Quand Mamie (Nouvelle Revue Française no 991, Gallimard, 2009) 

Noëlle Revaz signe dans cette revue un court texte, sublime, Quand Mamie (sera morte), qui aurait pu commencer par d’autres mots. Par exemple : Quand je serai à la retraite ou Quand Julie entrera au pensionnat ou Quand papa sera enfin parti. Car, derrière le choix de l’auteur, c’est de prétextes dont il est question, pour imaginer au lieu d’agir, rêver plutôt que résoudre, justifier sans parvenir à infléchir le temps. Une litanie universelle qu’on ne peut s’empêcher de lire à voix haute et qui, depuis sa création a été maintes fois représentée à la scène. Des phrases courtes qui font mouche à tous les coups, une fluidité du langage et une justesse des observations qui l’apparentent à une obsédante musique des mots dont Noëlle Revaz, dans son exigence d’écrivain, est fortement imprégnée. Un ton nouveau, volontiers incisif, teinté d’un humour décapant et d’une sensibilité en constante recherche. Confirmation que la littérature romande n’est – heureusement ! - pas morte avec ses dinosaures … Après Ramuz, Chappaz et Chessex , la filiation est assurée: Il y a désormais un style Revaz et cela réjouit le cœur.

 

Dans ce même numéro, vous pouvez également retrouver des lettres inédites et instructives de Louis-Ferdinand Céline, matière à se souvenir que s’il demeure un immense écrivain, l’homme continue d’alimenter ses rapports ambigus avec la morale, l’idéologie et l’histoire.

 

 La Chronique du Libraire 1.doc