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05/04/2011

L'idiot du village

Bloc-Notes, 5 avril / Les Saules 

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Depuis vingt-sept ans, le Prix du jeune écrivain, soutenu par la Fondation BNP Paribas, récompense chaque année une oeuvre d’imagination inédite, en prose - nouvelle, conte, récit - de 5 à 25 pages, de jeunes auteurs de nationalité française et francophone, qui ont entre 15 et 24 ans révolus. Chaque candidat ne peut envoyer qu’un seul texte. Les écrits présélectionnés sont soumis à un jury tournant, composé d’écrivains et de critiques littéraires tels David Foenkinos, Christiane Baroche, Jean-Baptiste del Amo, Boualem Sansal, Marie-Hélène Lafon, Vincent Delecroix, Minh Tran Huy, Georges-Olivier Châteaureynaud et Ananda Devi, pour n'en citer que quelques-uns pour la présente édition.

Par le passé, ce prix littéraire a révélé des auteurs qui, par la suite, ont confirmé leur chemin d'écriture, tels Jean-Baptiste del Amo, Marie Darrieussecq, Antoine Bello, Leïla Haddad ou Dominique Mainard.

Douze nouvelles ont été choisies pour le Prix du jeune écrivain 2011, soit les textes ayant été récompensés par les cinq premiers prix auxquels sept autres - distingués par le jury - ont été ajoutés. La palme revient cette année à l'auteur suisse Bruno Pellegrino, pour L'idiot du village, la nouvelle qui donne son titre au recueil. Collaborateur régulier au Passe Muraille - revue des livres, des idées et des expressions - ce grand admirateur d'Albert Cohen, Romain Gary, Charles-Ferdinand Ramuz, Virginia Woolf et Emily Brontë, déploie dans ce récit d'une trentaine de pages à peine un talent fou, tout simplement stupéfiant, au point que j'ai remis à plusieurs jours la lecture des autres textes. Sans vous raconter toute l'histoire, sachez qu'elle se déroule dans un petit village avant la deuxième guerre mondiale, où plusieurs personnes meurent. Victimes d'un mauvais sort, celui de l'idiot du village, par exemple? On les pleure. On pointe le doigt vers le ciel. Trop injuste. Et voilà que l'idiot du village - bien vivant lui - vient leur annoncer en bégayant: mobilisation générale, c'est la guerre...  

Aucun texte littéraire, sur ce thème, ne m'a autant remué depuis Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel. Et que dire du style qui, par ses parenthèses - comme les points de suspension d'un certain Louis-Ferdinand Céline - construit ce récit magistral, interroge les consciences, brasse les images sans ce verbiage excessif qui caractérise parfois les débuts d'un écrivain. A cet exercice, Bruno Pellegrino s'inscrit dans la lignée de Noëlle Revaz et Douna Loup, pour la singularité de son écriture, preuve qu'en Suisse - un pays qui ne brille pas vraiment par son imagination ou sa créativité - la jeunesse de ces trois auteurs réconcilie avec la littérature de qualité et nourrit de belles promesses. 

Dans ce même recueil, un autre texte tout à fait remarquable s'intitule L'oeuvre de la pierre, écrit par Elodie Soury-Lavergne, le monologue d'une femme enterrée vivante, qui voudrait sauver ce qui peut l'être encore: son musée intérieur... Un immense talent dans la construction de son récit qui, comme dans celui de Bruno Pellegrino - une histoire de folie collective, dans les deux cas - en dessine les contours par une tension ordinaire, progressive, terrifiante où le lecteur, insidieusement, devient sans même s'en apercevoir, le témoin, l'acteur, la mémoire vivante, redonnant ses lettres de noblesse à un genre littéraire trop souvent négligé - la nouvelle - dans lequel bon nombre d'écrivains chevronnés, qui divulguent à la première page les deux cents qui s'en suivent, ne seraient pas trop à l'aise...

Bonne chance en tous les cas à ces heureux lauréats qui, outre les deux auteurs mentionnés plus haut, se nomment Alexandre Sordet, Pauline Feray, Aurélia Demarlier, Carole Awit, Karim Haroun, Valérie Lamesch, Baptiste Ledan, Clémence Lefèvres, Baptiste MongisLydiane Tsane Tsayem et méritent - c'est la moindre des choses - tous nos applaudissements! 

L'idiot du village - et autres nouvelles (Buchet-Chastel, 2011)

image: Bruno Pellegrino

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