Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/06/2011

Reconnaissance à Dimitri - par JLK

Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions L’Age d’Homme, s’est tué sur une route de France

par Jean-Louis Kuffer

263088_2180054787765_1438776315_2425916_2139912_n.jpg 

Une figure légendaire de l’édition littéraire européenne vient de disparaître en la personne de Vladimir Dimitrijevic, dont le van commercial est sorti de la route aux abords de Clamecy, dans la soirée du mardi 28 juin, percutant ensuite un autre véhicule et provoquant la mort immédiate du conducteur, seul à bord. Bien connu à Paris et dans les grandes foires du livre, de Francfort à Montréal, le directeur de L’Age d’Homme, âgé de 77 ans, avait fondé sa maison d’édition en 1966 et publié plus de 4000 titres.

Mondialement connu pour son catalogue slave, établi avec la collaboration des professeurs Georges Nivat et Jacques Catteau, L’Age d’Homme avait également redimensionné l’édition romande. À côté de l’intégrale mythique du Journal intime d’Amiel et des Œuvres complètes de Charles-Albert Cingria, réunies par Pierre-Olivier Walzer, de nombreux auteurs contemporains y ont publié leurs ouvrages aux bons soins particuliers de Claude Frochaux. En outre, les collections de cinéma, sous la direction de Freddy Buache, de théâtre, de sciences humaines ou de spiritualité, entre autres domaines, ont souvent fait référence au-delà de nos frontières.

Bien au-delà de l’aire romande, Vladimir Dimitrijevic n’eut de cesse de faire partager sa passion de jeunesse pour un titan de la littérature américaine, Thomas Wolfe. La révélation du bouleversant Vie et destin de Vassili Grossman, arrivée en Suisse sous la forme de microfilms miraculeusement sauvés, est également à son crédit. De la même façon, il alla jusqu’à hypothéquer sa maison de hauts de Lausanne afin de publier les pavés d’Alexandre Zinoviev, des Hauteurs béantes au mémorable Avenir radieux (prix Médicis 1976).

Au nombre des auteurs phares vivants défendus par Dimitri, comme tout le monde l’appelait, figurent en outre Georges Haldas au premier rang des écrivains romands, les Français Vladimir Volkoff ou Pierre Gripari, mais l’originalité de L’Age d’Homme a souvent consisté en découvertes dans les périphéries francophones de la Belgique ou du Québec.

Un personnage à la Simenon

La destinée de Vladimir Dimitrijevic, né en 1934 dans la Yougoslavie de Tito, est elle-même un fabuleux roman. Fils d’un artisan horloger-bijoutier jeté en prison en 1945, comme nombre de commerçants, le jeune Vladimir, fou de littérature et de football, fuira la conscription en 1954 pour débarquer en Suisse sous le faux nom d’un personnage de Simenon. Sous le titre d’Autobiographie d’un barbare, Dimitri a d’ailleurs raconté ses années d’enfance et de jeunesse hautes en couleurs en Macédoine puis à Belgrade, dans une série de propos recueillis par le soussigné : Personne déplacée. Arrivé en Suisse le 4 mars 1954 avec 12 dollars en poche, le jeune déserteur de l’armée du peuple devint libraire à Neuchâtel  puis à Lausanne, chez Payot Bourg où son passage laisse un souvenir marquant.

Un homme de passions

Impatient de combler les vides d’un catalogue selon son cœur, Vladimir Dimitrijevic, avec quelques amis et son épouse Geneviève, fonda L’Age d’Homme en 1966 et ne tarda pas à tisser des liens avec Paris, où il se rendait régulièrement avec Algernon, sa camionnette d’éternel errant dans laquelle il serrait son sac de couchage, par mesure d’économie. Les rapports de Dimitri avec l’argent marquaient d’ailleurs une partie de sa légende, autant que ses positions idéologiques...

Orthodoxe croyant et conservateur, Vladimir Dimitrijevic passa ainsi d’un anticommunisme résolu à un nationalisme serbe qui le rapprocha, dès la fin des années 1980, de ceux-là même qui avaient persécuté son père. Devenu l’éditeur des grands romans serbes historico-politiques de Dobritsa Tchossitch, futur président de la Serbie, en relation directe avec Slobodan Milosevic et même Radovan Karadzic, dont il publia les écrits, Dimitrijevic, et son lieutenant Slobodan Despot, animèrent un Institut serbe à vocation de propagande (ou de contre-propagande, selon leur dire) qui entacha durablement la réputation de L’Age d’Homme. Cela étant, l’héritage de cet éditeur sans pareil ne saurait se réduire à de tels choix, si discutables qu’ils aient pu être. 

Un être lumineux et complexe 

La somme des instants où l’on sent les choses devenir sans poids et de la vie émaner un parfum constitue pour moi la preuve de la communion avec Dieu, nous disait Dimitri en 1986, lors de conversations dont il nous reste l’aura d’une présence sans pareille.

Dimitri était un homme inspiré, proprement génial par moments, qui pouvait se montrer d’une extrême délicatesse de sentiments. Ses intuitions de lecteur étaient incomparables et ses curiosités inépuisables. Mais c’était aussi un barbare, selon sa propre expression, qui ne savait pas faire le beau.

Malgré les services exceptionnels qu’il rendit à notre littérature et à notre vie culturelle, aucune reconnaissance publique ne lui a été manifestée. Or il ne s’en plaignait pas, n’ayant rien fait pour flatter. L’opprobre s’accentuant après ses prises de positions de patriote serbe, il sembla même s’en accommoder.

En son antre du Métropole, à Lausanne, nous l’avons connu irradiant et fraternel, puis il s’est assombri. Les lendemains de la guerre en ex-Yougoslavie, la difficulté de survivre dans cet empire du simulacre qu’il fut des premiers à stigmatiser, la perte de l’être lumineux qui avait partagé tant d’années, l’obligation récente de quitter sa tanière tapissée d’icônes, le poids du monde, enfin, ont accentué la part d’ombre de cette personnalité à la Dostoïevski. Une personnalité complexe et parfois insaisissable, croyant jusqu’au fanatisme, tantôt avenant et tantôt impossible, terroriste ou bouleversant de douceur retrouvée.

Un jour que Bernard Pivot, l’accueillant à Apostrophes, lui demandait ce qu’il espérait voir par-delà la mort, Dimitri le mystique lui répondit, devant le public médusé: la face de Dieu.

«Ses» milliers de livres, sur nos murs, en sont comme le reflet, par-delà les eaux sombres de sa mort tragique.

Claude Frochaux
Écrivain et éditeur à L’Age d’Homme

Je connaissais Dimitri depuis cinquante ans. J’ai travaillé à ses côtés trente ans durant, de 1968 à 2001. Notre rencontre, fulgurante, fut celle de deux libraires. Mais immédiatement, nous avons pensé édition. Ensuite, avec son immense personnalité un brin écrasante, il a imposé une vision large qui manquait chez nous. Elle était fondée sur son amour de la littérature. Ce fut un passeur d’exception. Il m’a ouvert au monde. Son rayonnement dépasse de loin nos frontières.

Freddy Buache
Fondateur de la cinémathèque suisse et directeur de collection

Je suis triste à en crever. C’est le seul type au monde pour lequel, sans partager toutes ses idées, j’aurais pu faire n’importe quoi! La mort de Dimitri me frappe au cœur. Pas à cause de ses qualités intellectuelles ou de son talent d’éditeur, insurpassable. Mais il avait des intuitions et des observations qui relevaient de l’ordre de la sensation et de la perception du monde. Tout cela faisait qu’il ne ressemblait à nul autre, ici et maintenant. 

Patrick Besson
Écrivain

Sa mort me cause une grande peine. C’est un des très grands éditeurs européens. L’équivalent slave de Maurice Nadeau. Il a connu deux positions successives et opposées. Après avoir été le chouchou des anticommunistes lorsqu’il publiait des dissidents, il est devenu un paria pour ses positions proserbes pendant la guerre civile yougoslave. Ce dont je veux me souvenir, c’est d’abord qu’il fut un ami, un très grand lecteur et un extraordinaire éditeur. 

Pascal Bacqué
Poète, auteur de L'Age d'Homme

Qu’on me pardonne d’avance : j’ai envie d’écrire ce petit mot comme pour conjurer, pour retenir les commentaires qui ne tarderont pas de tourner leur ronde de nuit autour de la dépouille de Vladimir Dimitrijevic. Dimitri, que je connais depuis quelques années, était mon éditeur ; ce mot, comme tous les mots, est saisi dans la signification qu’on lui donne dans la tribu, où elle n’est jamais très pure, vous savez bien. Editeur, aujourd’hui, cela veut dire : il faut un peu retravailler votre écriture; vous allez bien, en ce moment ? Quand on en est là, on est au sommet. Sinon, cela veut dire : Il faut penser à la demande du public, vous comprenez ?

Editeur, aujourd’hui, est un autre mot pour normalisateur, équarisseur, marchand de soupe et non-lecteur.

Tout le monde savait, chez les éditeurs, que Dimitri lisait mieux que l’immense majorité de ses confrères ; tout le monde savait que, dans son esprit, les livres signifiaient quelque chose qui n’était pas l’objet fétiche de quelques précieuses germanopratines, ni le tube de dentifrice de la civilisation en mal d’écroulement. Dimitri, hanté par l’écroulement, désespéré par le crime commis, toujours davantage, contre l’humain, regardait les livres avec un cœur et un esprit brûlant – peu d’écrivains méritent, il faut bien le dire, qu’on les prenne avec autant de sérieux que celui qu’il accordait à leur livre.

On ne manquera pas, aujourd’hui, dans les colonnes de Libération, du Monde et de toutes les grandes institutions majoritaires, c’est-à-dire, très exactement, du camp adverse de Dimitri qui était profondément minoritaire, de saluer le très grand éditeur, tout en soulignant l’engagement serbe, et, partant, le caractère sulfureux du grand homme. De cette histoire serbe, je vais parler après. Mais quant au concert de louanges, il ne faut jamais oublier que nous vivons en Egypte, je parle de l’Egypte ancienne. Nous vivons dans la civilisation de la mort. Un homme existe s’il est mort, dans la culture, dans celle qu’on conserve pieusement, puisque celle qui vit, on a déjà réussi à la dématérialiser, à la ramener à son concept; Dimitri, donc, a désormais de fortes chances d’exister dans la culture.

Cet homme, avec qui j’ai parlé en juif quand il parlait, absolument parlant, en chrétien - cet homme qui a eu le courage de publier mon poème furieusement antichrétien, cela tout de même en dit long sur la largeur de vue du bonhomme -  ne regardait qu’une chose, nos conversations étaient faites de cela : faut-il encore espérer, quand on veut coûte que coûte assurer le triomphe de la foule, d’une foule qui préfère se noyer dans son angoisse d’être foule, de n’être rien, d’être morte, plutôt que d’affronter la terreur de vivre ?

Dimitri, je crois bien, répondait non. Je crois que Dimitri désespérait. Dimitri était vieux, Dimitri avait perdu son épouse ; Dimitri avait subi l’ostracisme de tous les médiocres, qui le jalousaient, en France et en Suisse, et qui trouvaient dans ses maladresses serbes l’occasion du coup de grâce. La maladresse serbe de Dimitri, c’était celle qu’on rêvait d’un criminel, d’un Milosevic, alors que c’était celle d’un homme, traumatisé par le Nazisme et par le Communisme, et qui voyait dans son pays, la Serbie, un rempart contre l’empire – dans l’histoire plus ancienne, Serbe signifiait non austro-hongrois ; plus tard, pendant la guerre, Serbe avait signifié non-croate, et non-bosniaque ; et il faut dire que croate et bosniaque avait signifié, infiniment plus que le signifiant serbe, barbare et criminel, massacreur de juifs, pour parler franc. Bref, Dimitri se disait que la Serbie était un rempart pour sa foi, pour son désir d’humain. Il se trompait, Dimitri ? Ptêt ben qu’oui ; et, s’il y a encore des happy few, eux sauront compléter : et alors ?

Il y avait aussi de vilains fachos, ou cyniques, qui avaient tourné autour de lui ? Vous savez quoi : je m’en contrefous. Les médiocres, même vilains fachos et cyniques, ont pour métier de tourner autour de ceux qui vivent ; c’est leur substance, c’est leur définition.  Donc que Dimitri, qui fut serbe au nom de ce qu’il voyait de plus beau dans ce mot, de plus haut dans son propre Christianisme, qu’il fût pris au piège du nationalisme laid d’autres serbes, cela est bien possible. Si un grand comme Hölderlin a chanté la Germanie, et s’il a fini dans les paquetages des SS, faut-il en conclure, avec cette distance si confortable que vous offre la doxa, à sa très-grande faute ?

C’est beaucoup plus simple : Dimitri prenait la vie au sérieux, et c’est parce qu’il prenait la vie au sérieux, et qu’il n’y a de sérieux que dans l’esprit, qu’il prenait la littérature très au sérieux. Il n’était un de ces affreux prêtres de Pharaon, experts en sortilèges, experts en culture, qui a dégénéré, aujourd’hui, en tendance. Dimitri était sérieux devant son assiette, devant ses cartons de livres qu’il trimbalait de Lausanne à Clamecy et à Paris, et qui auront eu raison de lui. Dimitri était sérieux devant la beauté des mots et des phrases. Amis journalistes, vous qui avez vécu l’outrage, vous qu’on a formés pour ne jamais prendre au sérieux les mots et les phrases, si jamais vous écoutiez ces propos d’un anonyme prononcés dans le désert, cela ne mériterait-il pas que vous vous absteniez, un bref instant, de jacasser ?

Il n’est qu’une tâche, pour ceux qui ont aimé et compris un peu Dimitri, et pour ceux qui admirent son travail : de le contredire, dans son désespoir, et de le confirmer, dans son travail. Non, Dimitri, jamais il n’est lieu de désespérer, et vous, qui n’avez jamais cessé de travailler pour l’esprit, vous devez savoir que vous n’avez pas agi en vain, et que la vie de l’esprit, même offensée, même traînée dans la boue du lieu commun, de la culture et de la complaisance, se continue, obscure et petite, à l’âge des empires d’argent, et des foules assombries par leur propre défaite ; et parce qu’il n’y a que l’esprit qui soit immortel, c’est l’esprit qui triomphera ; non, Dimitri, vous n’avez pas travaillé en vain ; vous fîtes erreur, comme tout homme, mais comme les rares hommes vivants, vous avez donné à votre erreur la forme d’une demande, furieuse, brûlante, de vie, et qui demande la vie est toujours exaucé.

 Vladimir Dimitrijevic. Personne déplacée (coll. Poche Suisse/L’Age d’Homme, 2010)

article paru dans les quotidiens suisses La Tribune de Genève et 24 Heures

retrouvez les chroniques de Jean-Louis Kuffer sur: http://carnetsdejlk.hautetfort.com/

29/06/2011

Le poème de la semaine

Charles-Ferdinand Ramuz

Viens te mettre à côté de moi sur le banc devant la maison,
   femme, c'est bien ton droit;
il va y avoir quarante ans qu'on est ensemble.

Ce soir, et puisqu'il fait si beau,
et c'est ausssi le soir de notre vie:
   tu as bien mérité, vois-tu, un petit moment de repos.

Voilà que les enfants à cette heure sont casés,
ils s'en sont allés par le monde;
et, de nouveau, on n'est rien que les deux,
   comme on a commencé.

Femme, tu te souviens ?
On avait rien pour commencer, tout était à faire.
Et on s'y est mis, mais c'est dur.
Il faut du courage, et de la persévérance.

Il faut de l'amour,
et l'amour n'est pas ce qu'on croit
quand on commence.

Ce n'est pas seulement ces baisers qu'on échange,
ces petits mots qu'on se glisse à l'oreille,
ou bien de se tenir serrés l'un contre l'autre;
le temps de la vie est long, le jour des noces n'est qu'un jour;
c'est ensuite, tu te rappelles,
c'est seulement ensuite qu'a commencé la vie.

Il faut faire, c'est défait;
il faut refaire et c'est défait encore.

Les enfants viennent;
il faut les nourrir, les habiller, les élever:
   ça n'en finit plus;
il arrive aussi qu'ils soient malades;
tu étais debout toute la nuit;
moi, je travaillais du matin au soir.

Il y a des fois qu'on désespère;
et les années se suivent et on n'avance pas
et il semble qu'on revient en arrière.
Tu te souviens, femme, ou quoi ?

Tous ces soucis, tous ces tracas; seulement tu as été là.
On est restés fidèles l'un à l'autre.
Et ainsi j'ai pu m'appuyer sur toi,
   et toi tu t'appuyais sur moi.

On a eu la chance d'être ensemble,
on s'est mis tous les deux à la tâche,
on a duré, on a tenu le coup.

Le vrai amour n'est pas ce qu'on croit.
Le vrai amour n'est pas d'un jour, mais de toujours.
C'est de s'aider, de se comprendre.

Et, peu à peu, on voit que tout s'arrange.
Les enfants sont devenus grands, ils ont bien tourné.
On leur avait donné l'exemple.

On a consolidé les assises de la maison.
Que toutes les maisons du pays soient solides,
et le pays sera solide, lui aussi.

C'est pourquoi, mets-toi à côté de moi et puis regarde,
car c'est le temps de la récolte et le temps des engrangements;
quand il fait rose comme ce soir,
et une poussière rose monte partout entre les arbres.

Mets-toi tout contre moi, on ne parlera pas:
on n'a plus besoin de rien se dire;
on n'a besoin que d'être ensemble encore une fois,
et de laisser venir la nuit
dans le contentement de la tâche accomplie.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

27/06/2011

David Servan-Schreiber

Bloc-Notes, 27 juin / Les Saules

document; témoignage; livres

Tumeur ou oedème, cette chose qui prospérait dans mon lobe frontal droit menaçait directement ma vie. En quittant le centre de radiologie, j'ai enfourché mon vélo, parfaitement conscient du risque que je m'apprêtais à courir. J'ai eu soudain besoin de tester mon courage. Aussi fou, aussi inconsidéré qu'il puisse paraître, le test du vélo a rempli sa fonction: j'ai senti que mon plaisir de vivre était intact, et avec lui ma détermination. J'ai su que je n'allais pas baisser les bras.

Ainsi peut se résumer le premier chapitre du témoignage de David Servan-Schreiber: une alchimie de douleur, de réalité et d'espoir, fil conducteur du récit où l'auteur de Guerir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse et de Anticancer - les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit, apprend la mauvaise nouvelle, celle de la rechute grave de son cancer du cerveau survenu près de vingt ans plus tôt.

Ce qui frappe d'emblée dans On peut se dire au revoir plusieurs fois, tient en quelques mots: L'honnêteté, l'absence d'arrogance, la franchise. Pas de faux-fuyants. Il a connu - et connaîtra encore, peut-être - à certains moments la peur, les larmes, le désarroi qu'il a si souvent lus sur le visage de ses patients. Il ne s'en cache pas. De même envers ses multiples activités, parfois harassantes: Je n'ai pas pris assez soin de moi, et ce depuis bien des années. Les témoignages d'intérêt et de reconnaissance que j'ai reçu m'ont rendu si heureux que je me suis donné à fond à la défense de ces idées. J'en étais venu à me sentir quasi invulnérable. Or, il ne faut jamais perdre son humilité face à la maladie. J'ai commis l'erreur de croire que j'avais trouvé la martingale gagnante.

A la lumière de ce qui précède, oserai-je dire qu'il se dégage de son dernier livre une lueur d'espoir, un appétit de vivre, une reconnaissance qui importent tant, dans la processus de guérison? David Servan-Schreiber insiste - dans sa thérapie de la douleur - sur le besoin de calme intérieur, d'images gratifiantes, d'activité physique, de distraction qui permet, grâce aux amis et aux proches, de continuer de faire partie du club des vivants qui font des choses et vivent leur vie

De très belles pages traitent des gestes de l'émotion partagée - j'ai besoin que tu continues à être dans ma vie - et du temps qui passe avec toutes ces choses, grandes ou petites, qui ont été agréables, qui ont apporté du plaisir, de la joie ou simplement de l'amusement. Les passages consacrés à ses amis Bernard Giraudeau et Guy Corneau sont eux aussi, empreints de tendresse et de gratitude.

Ce témoignage, tonique et grave à la fois, devrait tous nous interpeller, malades saisonniers ou au long cours, devant le sujet tabou qui, un jour ou l'autre, fera irruption dans notre vie: Est-ce que vous vous posez parfois la question de savoir ce qui se passerait si le traitement ne marchait pas?

Au moment de refermer ce livre, je pense aux deux DVD de Georges Lautner, Les barbouzes et Les tontons flingueurs, avec les inénarrable Bernard Blier, Lino Ventura et Francis Blanche. Ces deux films sont ma thérapie personnelle aux jours de découragement, de révolte ou d'impuissance, et lorsque, peut-être pour la centième fois je les reverrai après avoir reçu ma mauvaise nouvelle, je penserai à David Servan-Schreiber très fort, comme à un ami de longue date, lui qui parle tout au long de son livre de l'importance de la légèreté, de la détente et du rire... malgré tout!   

David Servan-Schreiber, On peut se dire au revoir plusieurs fois (Laffont, 2011)

David Servan-Schreiber, Guerir le stress, l'anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse (coll. Pocket Evolution, 2011)

David Servan-Schreiber, Anticancer - les gestes quotidiens pour la santé du corps et de l'esprit (coll. Pocket Evolution, 2011)

23:52 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

26/06/2011

Katherine Pancol

9782020319027.jpgKatherine Pancol, Les hommes cruels ne courent pas les rues (Coll. Points/Seuil 1997)

Le père de l'héroïne, homme cruel et fascinant, a disparu. Pour oublier, elle part à New York. Mais ni son amie Bonnie ni le frozen yoghourt ne suffisent à la consoler. Heureusement, Allan surgit, insaisissable, beau comme un dieu. Celui-là, il ne faut pas le laisser échapper. Entre souvenirs de petite fille et stratégies de séduction, Katherine Pancol dresse le portrait pétillant d'une femme d'aujourd'hui.

Précurseur de Vu de l’extérieur, ce roman développe presque tous les thèmes propres à Katherine Pancol : le père aimé mais absent, la mère austère, l’espièglerie et la provocation avec les hommes, le manque de confiance en soi et la peur de tout perdre. On éclate souvent de rire dans ce livre, même quand tout bascule et que les larmes ne sont pas loin ...

10:30 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/06/2011

Franz Liszt 1b

Bloc-Notes, 25 juin / Thonon-les-Bains

Voici l'exemple d'une oeuvre méconnue de Franz Liszt, un Ave Maria, dont l'interprétation - très belle - n'est malheureusement pas identifiée sur YouTube.


 

10:22 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Franz Liszt, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

Franz Liszt 1a

Bloc-Notes, 25 juin / Thonon-les-Bains

musique classique; livres 

En librairie, les parutions consacrées à la musique classique sont, depuis plusieurs années, une denrée rare. Les éditions Jean-Claude Lattès ont abandonné cette orientation, de même que l'Age d'Homme; les éditions d'Aujourd'hui ont disparu; quant à la grande distribution, seules les éditions Gallimard et Actes Sud assurent des parutions régulières, capables de raviver les braises... 

Eh bien, justement: dans l'excellente collection Classica de ce dernier - qui compte environ 35 titres - voit le jour, sous la plume de Jean-Yves Clément, un volume consacré à l'un de mes compositeurs préférés, Franz Liszt. Comme le souligne son auteur, ce livre répare une injustice envers ce visionnaire souvent incompris de son vivant, dont la vie et l'oeuvre sont marqués par le sceau de l'amour: Il y a mille manières de ressentir l'amour, mille modes pour le pratiquer, mais, pour ceux dont l'âme a soif d'absolu et d'infini, il est un, éternellement un, sans commencement ni fin. S'il se manifeste quelque part sur terre, c'est surtout dans cette haute confiance de l'un dans l'autre, dans cette invincible conviction de notre nature angélique, inaccessible à toute souillure, impénétrable à tout ce qui n'est pas lui.

Aujourd'hui encore, que sait-on de lui hormis sa relation passionnelle avec Marie d'Agoult, son amitié tumultueuse avec Richard Wagner sous les regards croisés de sa fille Cosima ou ses mondanités, ses excès? Du compositeur que retient-on d'autre que le Rêve d'amour, les Concertos pour piano et orchestre, les Rhapsodies hongroises, la Sonate en si mineur et les Années de pèlerinage?

Le grand mérite de cet ouvrage consiste à suivre le parcours hors du commun de ce génie, pianiste, transcripteur, compositeur et enseignant, novateur dans l'expression musicale autant - si ce n'est davantage - qu'Hector Berlioz. Les moments cruciaux de sa vie, illustrés par ses nombreux écrits, éclairent ainsi nombreuses de ses oeuvres moins connues, telles le Cantique d'amour, la Via Crucis, les Nuages gris ou la Bagatelle sans tonalité, préfigurant la musique contemporaine.

Celui qui a tant consacré son art au service des autres - les lumineuses transcriptions de Schubert, Schumann, Beethoven, Verdi, Berlioz ou Wagner - n'a guère joui d'une juste récompense, de son vivant. Jean-Yves Clément note avec beaucoup de justesse: Chopin, tant respecté et enseigné par Liszt, qui lui consacra de si nobles pages, n'aima personne vraiment, mais tout le monde l'aimait; Liszt, lui, joua et aima tout le monde, mais peu l'aimèrent vraiment. Si c'est une loi du monde, convenons qu'elle n'est guère divine dans le ciel de la musique...

En annexe à cette concise réhabilitation salutaire, vous trouverez les repères chronologiques de la vie de Franz Liszt et de précieuses indications discographiques, de même qu'un index des personnes citées.  

Si vous voulez en savoir davantage sur Franz Liszt, je peux vous recommander quelques lectures parmi lesquelles: la biographie écrite par Guy de Pourtalès, La vie de Franz Liszt (coll. Folio/Gallimard, 1983), ainsi que l'essai signé par Pierre-Antoine Huré, Liszt en son temps (coll. Pluriel/Hachette, 2005). Pour les mélomanes, trois ouvrages peuvent retenir votre attention: celui du même Pierre-Antoine Huré, Franz Liszt (Fayard, 2003), le court essai de Vladimir Jankélévitch, Liszt - rhapsodie et improvisation (Flammarion, 1998), enfin les deux volumes de Alan Walker, Franz Liszt (Fayard, 1998), 1'850 pages tout de même...

Sur ce blog - sous catégorie/La musique sur Facebook - les extraits musicaux 3, 16, 30, 52, 55, 88, 95 et 101 sont voués à Franz Liszt. 

Jean-Yves Clément, Franz Liszt ou la dispersion magnifique (coll. Classica, Actes Sud, 2011)

image: portrait de Franz Liszt, par Henri Lehmann

24/06/2011

Lionel Shriver

 

9782714441188.gifLionel Shriver, Il faut qu'on parle de Kevin (Belfond, 2006)

Inspiré par la tuerie de Columbine – un adolescent de seize ans tue sept de ses camarades de collège, un employé de la cafétéria et un professeur – ce roman intense et sans concessions, bien plus que par son ancrage dans l’actualité de l’Amérique, vaut par son angle de vision sur l’histoire de Kevin, à travers les lettres que sa mère adresse à son ex-mari. Comment peut-on devenir un monstre ou pire, l’être ? Quelle influence exerce notre propre histoire sur nos enfants ? Quelle est notre part de responsabilité dans les relations affectives ou éducatives que nous leur inspirons ? Radiographie en quelque sorte de la société, avec son cortège de compétition et de course effrénée à un épanouissement hors du commun, ce récit est aussi – et surtout – une interrogation sur la maternité, les non-dits et la crise des générations. Une œuvre magistrale, lucide, d’une beauté ténébreuse.

Egalement disponible en coll. J'ai Lu (J'ai Lu, 2008)

 

06:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/06/2011

Markus Orths

9782867465086.gifMarkus Orths, Femme de chambre (Liana Levi, 2009)

L’histoire de cette femme de chambre à l’Hôtel Eden, ressemble en un sens aux obsessions des temps modernes. Drame de la solitude, des tâches répétitives afin de donner un sens au quotidien, parcours de l’ombre à travers l’empreinte des autres, espoir qu’un jour ce trop plein d’émotions contenues cède comme un barrage dans le tourbillon d’une tempête estivale. Si Lynn est psychiquement fragile, distante, perturbée – même sa brève relation avec une prostituée, Chiara, aboutit à un échec – sa démarche oscillant entre perfectionnisme et voyeurisme, nous partage une atmosphère si singulière, dérangeante ou lisse, avec un sens du détail si juste, qu’il est bien difficile d’échapper à sa fascination. Au-delà de ces fragments de vie, n’est-ce pas de nous qu’il s’agit, surveillés ou épiés à notre insu, en contrepoint à notre confort ? La magie du portable et les dérives d’internet ne sont pas loin …

également disponible en livre de poche (coll. Piccolo/Liana Levi, 2010)

00:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/06/2011

Relire Boris Vian

Bloc-Notes, 20 juin / Les Saules

littérature; roman; livres 

Et si l'enfer était un monde sans rêves? Telle est peut-être bien la question centrale que soulève L'arrache-coeur, plus de trente ans après une première lecture. Tout commence avec le héros de cette histoire, Jacquemort, intrigué par les cris provenant d'une maison à l'écart d'un village littoral indéterminé. Il se trouve ainsi confronté à Clémentine, sur le point d'accoucher, et même s'il est psychiatre de formation, il connaît suffisamment les rudiments de la médecine pour lui venir en aide. Les nouveaux-nés sont au nombre de trois: Noël et Joël - vrais jumeaux - ainsi que Citroën, plus grand que les deux autres.

Jacquemort décide de s'installer au coeur de cette curieuse famille dont le père, Angel, après cet événement, est rejeté à tout jamais par son épouse. En effet, Clémentine ne vit plus désormais que pour ses enfants: un bonheur forgé à l'abri des autres, des dangers naturels et des mauvais désirs propres à l'univers des adultes. Il faut leur construire un monde parfait, un monde propre, agréable, inoffensif, comme l'intérieur d'un oeuf blanc posé sur un coussin de plumes. Cette soif d'amour pour sa progéniture, obsédante, exclusive, absolue, met Jacquemort mal à l'aise. 

Il n'est pas au bout de ses surprises, car au village, le voici qui assiste à la foire aux vieux - une dégradante vente aux enchères - et à la crucifixion d'un étalon - puni pour avoir fauté - sans que la moindre parcelle d'émotion des habitants ne soit ébranlée. Enfin, il ne parvient pas à oublier l'apprenti du menuisier, mort à force de trimer et d'être maltraité, qu'Angel charge dans une caisse et qu'il abandonne au cours lent du fleuve, sans autre cérémonie... 

L'un des points forts du roman est sa rencontre avec La Gloire, ce passeur du fleuve des morts comme le définit si bien Raymond Queneau. Lorsqu'il fut au niveau de la barque, il vit l'homme s'accrocher au bord et s'efforcer d'y remonter. L'eau du ruisseau rouge passait sur ses vêtements, en perles vives, sans les mouiller. (...) C'était un homme assez âgé. Il avait un visage creusé, des yeux bleus lointains. Il était entièrement rasé et ses cheveux blancs et longs lui donnaient une expression à la fois digne et débonnaire, mais sa bouche, au repos, se marquait d'amertume. Il se lie avec lui, au-delà de ce qu'il aurait pu espérer, et devant son affirmation de vouloir rester au village, son interlocuteur le met en garde: Alors, vous serez comme les autres. vous aussi vous vivrez la conscience libre, et vous vous déchargerez sur moi du poids de votre honte. (...) Vous serez comme eux. Vous ne me parlerez plus. Vous me paierez. Et vous me jetterez vos charognes. Et votre honte.

Un éclairage sombre de cet envers de nous-mêmes - refoulé ou exalté à certaines heures - dont le jugement inflexible et cruel, peut engendrer les horreurs les plus ordinaires. Une étrange préfiguration de société familière - la nôtre - où la lâcheté, la peur et l'absence de valeurs morales dévoile parfois un visage aussi inhumain que celui de L'arrache-coeur.

Contre les pouvoirs du rêve refusant d'intégrer le monde absurde des adultes, les murs ou les grilles ne suffisent pas et Clémentine - sainte pour les uns, monstre pour les autres - saura trouver, au nom de l'amour, la parade qui empêchera ses jeunes enfants de voler en pourchassant les oiseaux: Il aperçut les trois cages. Elles s'élevaient au fond de la pièce vidée de ses meubles. Elles étaient juste assez hautes pour un homme pas très grand. Leurs épais barreaux carrés dissimulaient en partie l'intérieur, mais on y remuait. Dans chacune, on avait mis un petit lit douillet, un fauteuil et une table basse. Une lampe électrique les éclairait de l'extérieur. (...) Ca devait être merveilleux de rester tous ensemble comme ça, avec quelqu'un pour vous dorloter, dans une petite cage bien chaude et pleine d'amour.

Plutôt mal accueilli lors de sa parution, en 1953, L'arrache-coeur est pourtant un chef-d'oeuvre mêlant le langage poétique à des impressions crues ou fortes, dont la modernité est stupéfiante. Encore aujourd'hui... 

Boris Vian, L'arrache-coeur (coll. Livre de poche/LGF, 2001)

23:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Paul Valéry

VoilierCollMFellous-Loviton.jpgPaul Valéry, Corona et Coronilla (De Fallois, 2008)

Il est parfois difficile de se débarrasser des clichés hérités des années de collège. Tenez, Paul Valéry, par exemple : avecLe cimetière marin– entre autres textes – on se souvient d’un auteur original, mais forçant le respect et le sérieux. Or, avec ces poèmes inédits dédiés à Jean Voilier - Jeanne Loviton - nous est dévoilé un visage inattendu, celle d’un homme amoureux, fasciné, déboussolé, blessé parfois, et cela à … 67 ans ! Si dans ce recueil le meilleur côtoie le plus ordinaire, n’est-ce pas qu’ici la tension émotionnelle transgresse l’exigence artistique et nous rend ainsi cet auteur incontournable plus proche et plus humain ?

07:30 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Paul Valéry | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |