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02/12/2013

Noëlle Revaz

9782070763993.gifNoëlle Revaz, Rapport aux bêtes (Gallimard, 2002)

C'est Paul qui parle, un paysan fruste et violent qui ne chérit que ses bêtes. À ses côtés sa femme, détestée et muette, souffre d'un mal qu'il refuse d'admettre. Lorsque l'ouvrier Georges, le temps d'une saison, s'installe chez eux à la ferme, le regard de Paul insensiblement se transforme. 

Si vous ne l’avez déjà fait, lisez vite ce roman, par son écriture et son atmosphère proche de Louis-Ferdinand Céline: bien au-delà de nos frontières, il est un indiscutable chef-d’œuvre de la littérature suisse.

Disponible également en coll. Folio (Gallimard, 2009)

01/05/2012

Le Passe Muraille

Le Passe Muraille, no 88, avril 2012

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Dans son éditorial, Jean-Louis Kuffer rappelle que le Passe-Muraille fête aujourd'hui ses 20 ans d'existence: Au fil des ans, il a consacré ses ouvertures à des textes inédits des plus grands écrivains contemporains, de Salman Rushdie à Toni Morrison, d'Antonio Lobo Antunes à Ivo Andric, Ismaël Kadaré, Le Clézio ou Pascal Quignard; et les auteurs romands majeurs n'ont cessé de nous accompagner, de Charles-Albert Cingria à Nicolas Bouvier, Jacques Chessex et Maurice Chappaz ou encore Alice Rivaz et Georges Haldas, entre tant d'autres.

Le Passe-Muraille poursuivra-t-il demain sa carrière de papier alors que tant de journaux glissent vers l'Internet? s'interroge-t-il encore. La réponse nous importe moins que le repérage de talents nouveaux, à découvrir dans notre livraison d'été.

Souhaitons à cette revue des livres, des idées et des expressions, de savoir perdurer au-delà des modes, des étoiles montantes ou filantes, des nouveaux moyens d'accèder à la culture et à la littérature en particulier; souhaitons-lui d'être lue, diffusée et soutenue, de demeurer cette fenêtre discrète ouverte au monde qui - pour se borner aux numéros récents - nous a permis de découvrir de nouveaux talents, tels Douna Loup et Quentin Mouron.

Le rayonnement du Passe-Muraille, sa vocation première, c'est tout cela: découvrir, aimer, partager...

Sommaire du Passe-Muraille no 88 

p.1

Le Passe-Muraille a 20 ans, par Jean-Louis Kuffer

En interné, par François Debluë - Inédit

p.3

Autres fausses notes, par François Debluë - Inédit

p.4

Après le désastre - Michaël Ferrier, par Jean-Louis Kuffer

L'amour déchiré - Caroline Boidé, par Claude Amstutz

p.5

Céline à fleur de nerfs - Henri Godard, par Antonin Moeri

Ovni ludique - Marc-Antoine Mathieu, par Matthieu Ruf

p.6

Le poète en scène - Alexandre Voisard, par Matthieu Ruf

Blues de l'aube - Asa Lanova, par Jean-Louis Kuffer

p.7

Une cantate éclatée - Marius Daniel Popescu, par Jean-Louis Kuffer 

Posthume - Anne-Lise Grobéty, par Bruno Pellegrino

Croquis citadins - Alain Bagnoud, par Jean-Louis Kuffer

p.8

La fin d'un homme - Paul Harding, par Claire Julier

L'hommage des amis - Vladimir Dimitrijevic, par Claude Amstutz

La folle aventure de l'Encyclopédie - Pierre Versins, par Jean-François Thomas

p.9

L'Afrique à côté de chez vous - Noël Ndjékéry, par Jean-Louis Kuffer

Une utopie écologique et grinçante - Arto Paasilinna, par Jean-François Thomas

L'amour des prochains - Pascal Rebetez, par Jean-Louis Kuffer

p.10

Derrière les yeux de la renarde, par Pierre-Yves Lador - Inédit

Paysage de Peter Stamm, par Jean Perrenoud

Coup double - Pierre-Yves Lador, par Jean-Louis Kuffer

p.11

La banquette des confidences - Eric Holder, par Antonin Moeri

Carnet nomade: Sept notes sur la liberté, par René Zahnd

p.12

Ces petites images admirables, par François Beuchat - Inédit

Recherche en miniatures, par Jean-Louis Kuffer

 

Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/

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10/04/2012

Morceaux choisis - Louis-Ferdinand Céline

Louis-Ferdinand Céline

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Je vous l'accorde, tout le monde peut reconnaître une fièvre, une toux, une colique, gros symptômes pour le vaste public... mais seuls les petits signes intéressent le clinicien... J'arrive à l'âge où sans être du tout naturaliste, le rappel des petites saloperies, mille et mille, analogues ou contradictoires, peut me faire encore réfléchir... à ce propos, il m'est assez souvent reproché de trop m'étendre sur mes malheurs, d'en faire état... Pouah! ne dirait-on pas le drôle qu'il est le seul à avoir eu certains ennuis, le fat!... corniguedouille! oui et non!... combien je reçois de lettres d'insultes tous les jours? sept à huit... et de lettres de folle admiration?... presque autant... ai-je demandé à rien recevoir? que non! jamais!... anarchiste suis, été, demeure, et me fous bien des opinions!... bien sûr que je ne suis pas le seul aux certains ennuis! mais les autres qu'en ont-ils fait de leurs certains ennuis? Ils s'en sont servis à me salir, au moins autant que ceux d'en face!... ennemis soi-disant... à la noce! 

Il se lamente!... tudieu, vous dis, c'est pas fini! le mur des lamentations est plus solide que jamais! deux mille années!... admirez!... la muraille de Chine bien plus vieille!... et que le jour où elle s'abattra vous serez tous dessous, poudre de briques...

Louis-Ferdinand Céline, Nord (coll. Folio/Gallimard, 1997)

16/03/2012

George Steiner

9782070126927.gifGeorge Steiner, Lectures - Chroniques du New Yorker (Coll. Arcades/Gallimard, 2010)

Pour George Steiner, le plus grand privilège que l’on puisse avoir est d’aider à porter le courrier d’un grand artiste. Telle est la démarche entreprise avec cette anthologie consacrée à quelques personnages incontournables de notre siècle, tant le bonheur de lire et de transmettre transpire à chaque ligne de ces chroniques. Vous y croiserez Alexandre Soljenitsyne, Simone Weil, Bertholt Brecht, Paul Celan, Georges Orwell, mais plus insolite, l'histoire de Bébert (le chat de Louis-Ferdinand Céline) ou d'Anthony Blunt (historien d'art anglais et espion) parmi tant d'autres. Sans céder aux modes ou courants de pensée en vogue - à propos de E.M. Cioran ou Michel Foucault par exemple - il imprègne notre regard sur le monde de son étonnante clarté !

publié dans Le Passe Muraille no 82 - juin 2010

 

15/12/2011

Quentin Mouron

Bloc-Notes, 15 novembre / Les Saules

littérature; récit; livres

C'est dans l'air, ces phrases anodines, pour insinuer que tout a été dit, que tout a été écrit et qu'à ce bon compte, autant relire les textes fondateurs, les vieux classiques, les immortels, bref, ceux qui font l'unanimité ou presque. Pas d'embrouilles avec les amis de plume, les appréciations de style ou l'ordre des choses. Seulement voilà, je me sens un peu comme Georges Perros: dans L'occupation et autres textes, il note: Vous me conseillez quelquefois, pour me calmer, la lecture des Anciens. Oui, bien sûr. Mais je suis avec les vivants. Bon gré, mal gré. Plus loin, il ajoute: Bien écrire, ça ne veut rien dire. Aujourd'hui on ne peut souhaiter que la rupture totale. Ce n'est pas facile. Il ne faut pas le faire exprès, mais le vivre. Ce que j'aime chez un écrivain, c'est ce qui lui échappe.

Ce lien entre un auteur devenu ancien et un moderne, me saute aux yeux après avoir achevé la lecture de Au point d'effusion des égouts, premier roman formidable d'un jeune écrivain canado-suisse de 22 ans, Quentin Mouron, qui doit son titre à une phrase d'Antonin Artaud. Il nous entraîne dans un road movie à travers les States qui, dans la tête de ce découvreur à couteaux tirés avec la réalité, absorbe le quotidien, l'imaginaire des autres, les paysages à grande vitesse - on pense à Nord, d'un certain Louis-Ferdinand Céline - et cela avec une virtuosité de vieux baroudeur: J'avais fait en partant le pari fou de m'envoler. Depuis tout en bas du soleil. Me chauffer au point le plus élevé de la solitude, plus haut que le brouillard des foules - qu'une vie entière ne suffise pas à redescendre.

De Los Angeles à Las Vegas, en passant par Trona, la Death Valley et Beatty, il nous brosse un portrait souvent pathétique, terrifiant et sans fard de ses lieux de passage, dont Los Angeles, où tout a commencé: C'est la Cité des anges, c'est entendu. Mais des anges poussiéreux, noirs à l'os - et qui tombent à grosse grêle sur le dur des trottoirs. (...) C'est une poupée russe qui termine sur le vide. Un précipice vertigineux qu'on est forcé d'affronter quand on a pris la ville à bras et qu'on a fait jaillir tous ses spectacles les uns des autres - et qu'il ne nous reste dans la paume que le souvenir de l'illusion.

Quentin Mouron n'est pas plus tendre avec Pasadena - un petit satellite universitaire qui suit en moutonnant les révolutions qui lui échappent - ou Las Vegas: Des centaines d'hystéries qui se tissaient sous chaque enseigne, des pâmoisons. Je les voyais. Le long des rues. Titubant. (...) Les casinos sont des chapelles énormes, des variations de culte en l'honneur d'un même Dieu dans les pince-fesses saturés d'encens et de vapeurs de con. Les croyants ont toujours à vêpres une foi d'enfer et un moral de plomb. Il n'y a que le matin qu'ils pleurent un peu, quand ils ont des confettis dans les cheveux, et des petits miracles séchés au coin des yeux.

Dans ces décors un peu felliniens - entre Il Bidone et I Vitelloni - l'un des points culminants du roman se situe à Trona, un bled au milieu de nulle part - où à seize ans vous êtes trop vieux pour qu'on s'occupe de vous - concentré d'horreur, de désespoir et de féroce humour: L'église de Trona, c'est un bunker. Un cube de tôle. Une croix dessus. Aucun vitrail, aucune fenêtre! Qu'une très grande porte rouillée qui hurle sur ses gonds. Aucun parvis. De la poussière. Le milieu du désert. Au bord d'un lac séché depuis deux siècles. Le sable qui grimpe en haut des murs... Et des grillages autour... L'intimité des fidèles... Avec des barbelés! C'est pas à rire... Je n'y ai vu personne. Aucune messe. Aucun psaume. Un container rouillé - sans fenêtres, sans fidèles - sans bon Dieu. J'ai essayé d'imaginer le prêtre... S'il y croyait encore? Ce qu'il pouvait leur dire? L'audience? Quelques vieillards qui viennent prendre un ticket... Au cas où. (...) J'ai entendu dire qu'il avait volé la banderole d'un supermarché pour la coller sur la façade de l'église: ouvert le dimanche! Les fidèles sont revenus voir... On a déposé plainte. Il avait depuis tenté toutes sortes de ruses... Bénir les billets de loterie, les pick-up, les boîtes de conserve, la benzine! Un voisin l'a vu imposer les mains sur le jerricane d'un motard stoppé là par hasard.

L'accent se fait plus tendre, candide et lucide à la fois quand il évoque ses rencontres de passage dont Laura, touchant fil conducteur de ce périple défricheur qui ressemble  à une éducations sentimentale et le fait trébucher d'amour: Elle avait l'air d'un prisonnier qui tend le cou pour de l'air frais, et que la mer, même par temps gris, fascine et attire.  

Parti peut-être aux Etats-Unis pour ne jamais en revenir, comme beaucoup d'autres, il reviendra de son rêve américain au pays, meurtri, égaré, grandi, décrivant judicieusement le contraste entre la folie au loin et la sagesse ici; le parfum de liberté, de tolérance à l'originalité là-bas et le conformisme ambiant de sa patrie, dont il ne veut plus: J'ai perdu. Je suis rentré. D'un voyage c'est le retour qui vous claque à la gueule. Quand après avoir léché les grands ciels du bout du monde, vous tombez de l'avion - boum - au giron des familles. Vous vous apercevez que les visages n'ont pas changé, les mêmes rides, les rictus, le papier-peint de la cuisine... Les mêmes mots, les mêmes meubles, la moquette, les mêmes blagues. Le chat. Les odeurs. La cage jaune du canari. Les maladies. Et le carrelage fendu, les fissures, les mêmes bruits... Vous n'êtes plus certain de quand vous êtes parti, ni d'être vraiment parti. (...) Eux ne remarquent pas que leur réel n'a aucun sens pour nous. Précisément parce que ce qu'ils appellent réalité, n'en est qu'un répugnant flambeau, et que leur vie se situe dans un contournement de la vie même. (...) J'atteste que je n'irai pas embellir leurs égouts.

Avec ses musiques du bout du monde qui le font frissonner, Quentin Mouron, écorché vif bourré de talent et de sensibilité, me ramène à Georges Perros qui s'interrogeait sur le sens de la lecture et de l'écriture: Aimer la littérature, c'est être persuadé qu'il y a toujours une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre, si souvent en défaut à écouter les hommes. Soi-même, entre autres.

Qu'il s'en souvienne, Quentin Mouron! Il faut vraiment lire Au point d'effusion des égouts: vous n'en sortirez pas indemne ou blanchi, mais gonflé comme la voile d'un trois-mâts qui nous aspire vers un ailleurs possible et assouplit nos artères saturées de cholestérol... 

Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)

Georges Perros, L'occupation et autres textes (Joseph K, 1996)

images: Quentin Mouron et Georges Perros

littérature; récit; livres

27/11/2011

Planète Payot

Bloc-Notes, 27 novembre / Les Saules

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Dans la cadre de notre journal d'entreprise, Planète Payot - qui, à chaque numéro, donne la parole à l'un ou l'autre de ses collaborateurs - mon cher collègue de librairie, Thierry du Sordet, m'a sollicité pour recueillir, à deux mois de ma retraite professionnelle, les impressions que je retiens de mes expériences de bloggeur sur La scie rêveuse et Facebook. Il en résulte l'interview ci-dessous, que je vous livre en toute décontraction et simplicité. Conscient de n'être ni écrivain, ni critique littéraire - à chacun son métier ! - je m'efforce de partager une passion viscérale pour la littérature et la musique surtout, avec des amis attachants, sensibles et attentifs dont vous êtes, lecteurs, les passeurs indispensables. Rien de plus ...

Pourquoi un blog? Et avez-vous rencontré des difficultés techniques pour le réaliser?

Le blog est un lieu d'échanges extrêmement gratifiant, un espace de liberté partagée, de découvertes, de passions : celle de transmettre surtout, pour ne pas oublier. Sur le site qui héberge mon blog – le même que Jean-Louis Kuffer – l’utilisation est très facile pour un novice comme moi. Il faut juste être clair dans sa tête et rigoureux dans les styles de présentation propres aux différentes rubriques choisies. Seule la fonction recherche n’est pas au top, mais je fais avec !

Quels sont les liens que vous entretenez avec l'informatique?

Une philosophie très Mac : je ne cherche pas à comprendre comment ça marche. Je suis simplement content que ça marche ! L’aspect technique ne m'intéresse pas du tout et aurait plutôt tendance à m'exaspérer.

Vous avez switché pour Mac, êtes-vous toujours content de votre choix?

Oh oui! C'est le retour à mes premières amours: un apprentissage avec un petit Mac muni de disquettes ... L’approche est plus ludique, simple et intuitive pour ce qui touche mes activités, mais c’est avant toute chose une question d’affinités, car les différences s'estompent entre les systèmes d'exploitation actuels.

Quels sont les critères de choix de sujets sur votre blog? 

Il n’y a rien de prémédité et la formule a évolué avec le temps, depuis les débuts en décembre 2009. De simple critique de livres que j'ai pris plaisir à découvrir, au départ, est apparu plus tard le bloc-notes - présentation longue d’un livre ou fantaisie littéraire - le poème de la semaine - auteurs francophones du XXe siècle -, la citation du jour ou la rubrique In memoriam où je parle d’auteurs souvent oubliés, même dans nos librairies ! La scie rêveuse compte 680 notices littéraires environ, enrichies d’interviews, de vidéos, de films. Avec La musique sur FB, il s’ouvre depuis le début de cette année à la musique – classique - avec 210 extraits à ce jour.

Existe-t-il un type d'articles que vous aimez particulièrement? 

Ceux qui mettent en évidence les ambiguïtés et les contradictions de la vie, les confrontations avec la modernité, les certitudes, l’enracinement humain ou spirituel. Je l’ai fait avec La chute de Camus par exemple, Albergo Italia de Guido Ceronetti ou la Lettre à un jeune libraire

Vous lisez et relisez beaucoup. Comment trouvez-vous le temps d'être si régulier dans l'écriture d'articles?

Je dors (trop) peu… Et j’aime lire et écrire: dans le silence, la solitude et la distance qui me sont précieuses aujourd'hui. Ecrire est un plaisir et un besoin. Une manière comme une autre de conjurer la mort, de faire reculer l’oubli. 

Voyez-vous le blog comme un complément dans votre travail de libraire?

Je vais peut-être vous décevoir, mais non : ce n’est pas complémentaire. La démarche est autre, sans aucun souci commercial, sans contrainte ni compromis. Il y a en revanche des répercussions dans mon travail, intéressantes mais faibles en terme d’impact sur les ventes. La poésie par exemple, les classiques – Paul Valéry, François Mauriac, Jules Supervielle, Saint-John Perse ou Georges Perros - intéressent un nombre restreint de lecteurs en librairie, alors que sur La scie rêveuse ou Facebook c’est tout le contraire : ce sont les nouveautés qui souvent rencontrent un faible écho … Un signe d’espérance donc, qui émerge de ces voies nouvelles de communication !

Quand vous serez à la retraite, aurez-vous l'impression grâce à votre blog, de garder un pied dans le monde du livre?

Certainement, et même sans blog, ce serait le cas ! Je créerai en revanche de nouvelles rubriques avec une variante d’abécédaire où je partagerai mon ressenti personnel aux bruits du monde; une anthologie de la poésie étrangère contemporaine – déjà amorcée sur Facebook - verra le jour aussi; une place plus grande sera accordée aux classiques, probablement …

Vous êtes un contributeur régulier du Passe-Muraille - revue romande consacrée à la littérature - dont le rédacteur en chef est Jean-Louis Kuffer. Etes-vous dans la même démarche qu'avec votre blog? Rédigez-vous de la même façon?

Oui, c’est un espace culturel qui ne fait aucune concession aux modes. C’est devenu bien rare ! Dans le cas contraire, je n’aurais pas rejoint ce groupe de passionnés de tous âges qui ressemble à une seconde famille. Un seul regret : la non-diffusion du Passe Muraille en librairie, chez Payot Libraire entre autres… 

Quels sont les liens qui s'établissent entre les visiteurs du blog et vous. Certains vous retrouvent sur Facebook? 

Les échanges sont sensibles, spontanés, respectueux, parfois d'une simplicité bouleversante. Une seule règle d’or : je réponds toujours – en privé – à un commentaire. Le relais via Facebook est très gratifiant. Les réactions y sont en live, et prêtent parfois à polémique : à propos de Céline par exemple, du mime Lindsay Kemp ou d'Elie Wiesel !  

Les hébergeurs de blogs fournissent des outils pour analyser selon différents critères la fréquentation des blogs. Comment les utilisez-vous? 

Au plus simple. Je ne cherche pas à atteindre des records, mais à rester authentique, fidèle à mes convictions, à ma ligne de conduite. Tant pis si la fréquentation doit en souffrir ... 

Savez-vous combien de visiteurs consultent votre blog, pour un mois ou une semaine, par exemple? Savez-vous de quelles régions viennent ces derniers?

Les visites sont environ de 5'200 à 6'200 par mois – 190 par jour en moyenne – pour 11'000 à 17'000 pages consultées par mois. Les liens sont culturellement très forts avec la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, le Canada et l’Afrique du Nord.  

A l'ère de la blogosphère, pensez-vous que la multiplication des blogs est un avantage pour l'individu qui peut ainsi partager sa passion pour un ou plusieurs sujets, ou bien au contraire cette multitude réduit-elle la portée de partage en augmentant les plateformes, sources d'informations ou de partage?

C’est une richesse partagée – les blogs sur Facebook surtout - mais elle peut devenir une prison. On ne peut suivre les activités de tout le monde. Je me fixe une limite de temps de fréquentation par jour : 30 minutes ! Certains bloggeurs sont devenus des amis de cœur, sincèrement. Le contraire du virtuel ou de la diabolisation dont nous abreuve régulièrement la presse …

Comment filtrez-vous les commentaires, que ce soit sur votre blog ou sur votre page Facebook?

Pas de filtre sur Facebook. En revanche, sur La scie rêveuse je n’accepte pas les commentaires hors de propos ou insultants – cela arrive rarement, mais tout de même – détestant les débats à la manière du blog de Pierre Assouline où après 15 avis ou commentaires, il n’y a plus aucun rapport au sujet.

Vous partez à la retraite au mois de février ...

A cette date, j’ouvrirai pour une semaine la porte de mon blog à quelques coups de cœur de mes collègues de Payot Nyon, une façon de les remercier pour leur amitié et leur défense de la littérature, même si, comme le dit Marco Lodoli – dans Les prétendants - nous ne sommes après tout que du vent sur une page !

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

le blog de Thierry du Sordet: http://strictnecessaireouquestce.blogspot.com/

image: Thierry du Sordet, libraire - Payot Nyon

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16/10/2011

Michel Crépu

Bloc-Notes, 16 octobre / Les Saules

littérature; essai; livres

Certains auteurs ont le privilège de vous emmener au septième ciel, même s'ils ne choisissent pas la voie de la facilité. Prenez Michel Crépu, par exemple: oser parler de Chateaubriand n'est déjà un sujet particulièrement engageant pour bon nombre de lecteurs potentiels soudain convoqués aux souvenirs de leurs années scolaires, à propos de l'homme des Mémoires d'outre-tombe, dont les 3'600 pages font frémir rien que d'y penser, autant que les 2'400 pages de A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Et le passé - ce XIXe siècle qui ressemble si peu à ce début de XXIe - est souvent jugé assez lointain pour qu'il ressemble à un livre refermé une fois pour toutes, avec sa fine pellicule de poussière qui le recouvre à la manière d'un 1er cru classé auquel manquent les grandes occasions de le déguster!

Alors, pourquoi ne parvient-on pas à lâcher Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, le dernier livre de Michel Crépu? Peut-être tout simplement, parce qu'il est un grand écrivain, qu'il joint à son impressionnante érudition sur l'auteur et son époque, un ton chaleureux, vif, percutant, parfois drôle ou léger qui fait mouche à chaque page.

Vous croyez connaître Chateaubriand? Alors, préparez-vous à quelques surprises, car l'intérêt de cet essai consiste à démontrer ce qui se cache derrière l'image tant de fois rabâchée - entre autres par Chateaubriand lui-même - d'un incorrigible séducteur romantique. Michel Crépu note: Chateaubriand s'est trouvé pris dans le piège de la légèreté inadmissible. Au fond, ce qu'on appellerait aujourd'hui un délit de sale gueule. La sale gueule, ici? Trop d'élégance, trop d'intelligence bien-fondée, trop de succès de librairie et avec les femmes, trop de qualités en somme pour qu'on les supporte à l'échelle d'une haute fonction. Au portrait de ce lyrique aux grandes orgues, il ajoute: Il est perçu comme l'était le jeune Proust, avant de s'enfermer: un dilettante, un faiseur de phrases ayant des idées sur tout, complètement irresponsable, développant des obscénités sur l'honneur et la liberté de l'esprit.

Figure emblématique d'un monde qui change - avec son langage, ses valeurs, son art de vivre - ce dernier catholique heureux, comme le mentionne Michel Crépu, n'est-il pas celui qui fustige son propre temps, avec sa lente et irrémédiable désagrégation de l'antique substance allégorique française qui reposait sur le sens de l'honneur, la charité et le don de soi? Le parallèle avec le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, pour audacieux qu'il soit, s'avère pertinent: Il n'y a pas si loin des dernières pages des Mémoires au Bardamu de Céline, c'est la même route, le même voyage qui continue, droit dans les ténèbres. Entre-temps, les choses n'ont pas fini de se déliter, de se défaire à mesure, le faux n'a pas cessé non plus de gagner en puissance persuasive. Qui pour voir cela, après le vicomte? Céline relit les Mémoires d'outre-tombe pendant sa détention au Danemark, après la guerre, en pleine écriture de Féerie pour une autre fois, testament d'outre-tombe pour un autre siècle. Chateaubriand voulait conduire les Français par la voie des songes, comme de Gaulle lui empruntera plus tard la formule, en pleine nuit de juin 40, Céline en aura choisi une autre, non moins porteuse de vérité. Tout cela se tient, on a tort d'ignorer les uns comme les autres.

Le passionnant, dans Le souvenir du monde, est dans la puissance d'identification de l'auteur avec son sujet: l'impression qu'il est Chateaubriand, qu'il est Napoléon Bonaparte, qu'il est Juliette Récamier: à la manière d'un Henri Guillemin dans les années 70, d'un Jean d'Ormesson ou d'un Pietro Citati aujourd'hui. Débordant de visions savoureuses, il souligne l'admiration irrésistible et l'incompréhension dégoûtée pour Bonaparte, alors que de Madame Récamier il retient l'art de transformer le mois d'avril en une fournaise d'août et la maison qui console des errances... On ne saurait mieux le dire! 

Alors, moderne, finalement ou visionnaire, Chateaubriand? Un dernier signe de la main puisé dans Le génie du christianisme est cité par Michel Crépu: Détruisez le culte évangélique, et il vous faudra dans chaque village une police, des prisons, des bourreaux.

L'agaçant avec les génies, c'est qu'ils ont souvent raison...

Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)

Henri Guillemin, L'homme des mémoires d'outre-tombe (Gallimard, 1965)

Jean d'Ormesson, Mon dernier rêve sera pour vous (coll. Livre de poche/LGF, 2010)

18/09/2011

Guido Ceronetti 1/2

Bloc-Notes, 18 septembre / Les Saules

littérature: essai; livres

Guido Ceronetti est un écrivain tout à fait inclassable. A la fois poète, philosophe, singulier observateur du monde qui l'entoure, laissant surgir - quand il se peut - les flammes de la passion qui l'interrogent à travers les siècles, il signe, avec La patience du brûlé, une variation sur les thèmes abordés dans Albergo Italia et Le voyage en Italie, introduisant cependant des éléments nouveaux recueillis au fil de ses vagabondages: fragments de journal, carnets, graffitis, citations, tout un ensemble de perceptions qui élargissent davantage encore son ouverture au monde. Celui des idées, des arts, des hommes avec des instantanés que jamais ne traverse l'indifférence. Avec quelle hâte on fait les livres, à présent! Leur première idée est déjà mise en page, la première édition est déjà la seconde, avant même qu'ils ne soient reliés, les principaux journaux en reçoivent par fax les pages les plus caressantes. Je jette un cri dans ce naufrage car je tiens à me distinguer, en me noyant.  

Une lecture superficielle tendrait à réduire Guido Ceronetti à un pessimiste grognon. Un peu facile car, de même que dans la plupart de ses autres oeuvres traduites en français - outre celles déjà citées: Le silence du corps, Ce n'est pas l'homme qui boit le thé mais le thé qui boit l'homme, Une poignée d'apparences, Le lorgnon mélancolique - on devrait plutôt parler d'un inquiet cherchant des traces d'amour dans l'art comme dans la vie, là où généralement, renouant avec un passé pas nécessairement lpintain, il n'y en a guère encore.

Ses impressions sur les villes d'Italie - Florence, Rome, Milan ou Bari - sont toujours aussi sévères: Ce n'est pas le smog qui perd les villes, qui les ronge, mais la haine. Généreux en revanche, il l'est pour Trévise et Urbino par exemple, dont il nous partage une vision bienheureuse: Ce que l'on voit du bourg par cette fenêtre équilibrée, arbres, briques anciennes bien disposées, tuiles rouges. Rien de sinistre, d'agressif, de brutalement matériel. (...) Les collines sortent du brouillard, plus belles encore vues à travers la grille. Paysage de peintres du XVIe, pour un instant, en fermant les yeux.

Au fil de ses carnets de voyage, toute sa passion souterraine émerge quand il évoque Eugenio Montale, Martin Heidegger, Egon Schiele. Deux portraits restent gravés dans ma mémoire: celui de Bernadette Soubirous et celui de Louis-Ferdinand Céline. Sur la première, il note: Chez Bernadette, il y a la sainteté profonde, la candeur absolue, une très haute qualité contemplative; elle fut un moyen de transmission authentique du divin, de sa vision jusqu'aux dernières gouttes de sa souffrance. A propos du second, j'apprécie l'angle de vue inhabituel: Céline a été le plus grand écrivain de notre époque, bien que les ténèbres aient été sur le point, entre 1937 et 1944, de l'engloutir et de le salir misérablement. L'attaque fut virulente, mais je vois, je reconnais dans son visage les années de Meudon la fatigue terrifiante d'un homme qui a traversé toutes les ténèbres en traînant derrière lui, dans une implorante boîte en fer-blanc, un peu de lumière sauvée, quelques éclats de pure compassion humaine. Sa faute sera, au Jugement, beaucoup plus légère que ce tabernacle roulant dans la nuit qu'il a endurée, et pour peu qu'il soit possible, vaincue.

Son état de révolte demeure terriblement présent face à la catastrophe de Tchernobyl ou l'impitoyable dégradation des vestiges de la mémoire: Je crie salauds, je m'en contrefous de votre Italie grande puissance industrielle qui plante des arbres de morts à travers le monde, une puissance imaginaire et vile, inventée par les délires des esclavagistes de la nécroéconomie! Ce que je ne peux pas supporter, c'est qu'à la place de cette péninsule qui dans la Méditerranée élevait des sanctuaires grecs étrusques chrétiens et gnostiques en les couvrant de mousses réparatrices, au bout d'un demi-siècle de paix aux frontières ne soit couché qu'un bourbier infect, de déshonneur et de crime.

Mais au coeur du scepticisme de Guido Ceronetti face à la modernité, quelques perles rares fondues au centre de l'homme, éclairent la route de sa clairvoyante émotion: Une silhouette de femme à San Marino dont la clarté persiste une fois la lumière éteinte, un aveugle qui pose son regard sur la condition humaine comme sur une mer immense et infiniment triste, un souvenir d'Arletty, un écrin de lumière... La paix retrouvée enfin, dans les églises qui, même vides, protègent des laideurs extérieures.

Pour en finir avec La patience du brûlé, je citerai l'épigraphe consolatrice que son auteur choisit pour entreprendre ses voyages et qui guide désormais mes propres pas: Emu par l'amour du pays natal, je rassemblai les feuilles éparses... (Dante, La Divine Comédie - L'enfer)  

Inutile d'ajouter qu'immergé dans l'oeuvre toute entière de Guido Ceronetti qui me colle à la peau, il m'a fallu ajouter - avec joie - son nom à celui de mes écrivains préférés, dans Le questionnaire Marcel Proust. Y figure aussi, aujourd'hui, au rang des poètes, Giacomo Leopardi, que Guido Ceronetti m'a donné envie de relire avec davantage de ferveur et d'attention...    

Guido Ceronetti, La patience du brûlé / Carnets de voyage 1983-1987 (Albin Michel, 1995)

17/07/2011

Marcello Fois

Bloc-Notes, 17 juillet / Nyon

littérature; roman; livres

Ce n'était pas que ce récit fut vrai ou faux, l'important c'était de raconter. Cette phrase, quelque part au milieu du livre, pourrait résumer la démarche de Marcello Fois, déjà adoptée dans son précédent et formidable roman, La mémoire du vide, paru en traduction française chez le même éditeur. A la manière de l'une des figures emblématiques de la nouvelle littérature espagnole, Rosa Montero, il sait raconter des histoires et le confirme aujourd'hui avec La lignée du forgeron.

Entre 1899 et 1943, il nous fait revivre, à travers le destin de Michele Angelo - l'âme vaguement blonde, le fruit d'un germe de miel contre l'insistance du noir corbeau qui l'entoure - quelques pages terribles de son pays, la Sardaigne. Orphelin recueilli par un honnête homme, Giuseppe Mundula, qui l'introduit à la forge et lui apprend le métier, Michele épouse une autre paria, Mercede. De leur union naissent les jumeaux Pietro et Paolo, plus tard - après deux enfants morts-nés - Gavino, Luigi Ippolito et Marianna.

Cet amour a fait beaucoup de chemin. Ils sont allés comme deux pèlerins vers un sanctuaire très lointain dont on attend à chaque pas de voir au moins le sommet du clocher, et puis, rien. Aussi est-il nécessaire de s'aimer et de s'aimer encore en dépit de tout; de la poussière qui empâte les cheveux; de la tentation d'accepter de faire un bout de chemin sur une charrette ou de s'abandonner, trempés de pluie, au désespoir, les chaussures enfoncées dans la boue, les pas incertains, le palais asséché par la canicule, les doigts livides à cause du gel, le regard fixé sur une fin qui toujours, toujours, se transforme en un début.

En trois parties distinctes - le paradis, l'enfer, le purgatoire - le lecteur voit le village de Nuoro s'ouvrir à l'espoir, à l'argent, à la modernité, mais le bonheur ne dure pas. Vient le temps de la Grande Guerre, puis la montée du fascisme et la Seconde Guerre mondiale qui fracassent et divisent, avec en arrière-plan ces lumières cruelles qui éclairent un fils parti en volontaire et un autre qu'on serait prêt à mutiler pour le garder chez soi, bien vivant, à l'abri des horreurs du monde, loin de cette Italie qui ressemble à une terre étrangère. Certains passages rappellent dans leur intensité le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline: Lorsque la terre explose autour de moi je ne sens même pas de douleur, je vois ma jambe qui me précède et je pense: Malgré tout, nous sommes fragiles. Je sens comme un crochet qui m'arrache la moitié du visage et je pense encore: Nous sommes fragiles. Et pourtant je ne meurs pas. Je suis fort ! crié-je. Je suis vivant ! Les brancardiers courent vers moi. Je n'ai pas mal, je le jure. Après, oui, après, mais là, brisé en morceaux, avec le sang qui se colle à la terre, aucune douleur. Rien. A chaud, jeté au sol après l'explosion, j'ai le temps de penser à ma permission, puis plus rien.

Sur cette terre ingrate, rude et austère, aucune douleur ne sera épargnée à Michele Angelo dont la famille, victime de l'injustice, de la cruauté et de l'épuisement, subit les affres de ces temps maudits. Pourtant, un vent apaisé souffle un beau jour sur sa maison et prend l'apparence inattendue d'un jeune homme qui lui rend sa force initiale et scelle le destin de la forge qu'il avait abandonnée...

Dans la précarité de l'équilibre frontal il y a une histoire qui n'a pas été racontée. Oui. Dans la spécificité d'un sens accompli demeure l'irréalité. Une portion de vérité qui n'a pas de mots pour s'exprimer. A la manière d'une grande nature morte qui est temps fixé, collé à la toile, soustrait au devenir. Dans l'attente seulement, dans l'attente seulement on peut s'accorder avec cette fixité d'icône. Dans l'attente que le calice tombe, que ce cristal, enfin, se brise... Et la fin n'est pas une fin.

Marcello Fois, né en 1960 en Sardaigne, vit aujourd'hui à Bologne. Une quinzaine de ses livres sont traduits à ce jour, parmi lesquels Sheol (coll. Points/Seuil, 1999) - un roman policier qui évoque les persécutions juives en Italie -, Les hordes du vent (Seuil, 2005) et Mémoire du vide (Seuil, 2008). La ligne du forgeron (Seuil, 2011) est à ce jour peut-être, son roman le plus accompli.

Un des chefs-d'oeuvre de l'année !   

Marcello Fois, La lignée du forgeron (Seuil, 2011)

Rosa Montero, Belle et sombre (Métailié, 2011)

01:01 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Louis-Ferdinand Céline, Rosa Montero | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/05/2011

Dany Laferrière

Bloc-Notes, 22 mai / Les Saules 

littérature; récit; document; livres

En Haïti, il y eut un certain 12 janvier, comme ailleurs un 11 septembre. Avant, il y avait l'insouciance, puis soudain ce jour de séisme terrible. Dany Laferrière, écrivain haïtien résidant au Canada, se trouvait dans son pays au moment du drame. Un an après, il tente de faire revivre ce qu'il a vu, observé, partagé. Le pire comme le meilleur concentré dans cet instant crucial dont le monde entier a été le témoin, à travers un prisme déformé, il est vrai: Tout cela a duré moins d'une minute. On a eu huit à dix secondes pour prendre une décision. Quitter l'endroit ou rester. Très rares sont ceux qui ont fait un bon départ.

Comme souvent devant un choc d'une telle cette amplitude - les exemples sont nombreux dans l'histoire contemporaine - il témoigne de la difficulté de témoigner du moment de la catastrophe en elle-même, tant la blessure intime est grande et la surprise, totale. Son récit, Tout bouge autour de moi, est habité d'une retenue bienveillante, généreuse et lucide pour dire les émotions brutes qui ont affecté sa famille ou leurs proches: Certains voient s'envoler, en une minute, le travail d'une vie. Ce nuage dans le ciel tout à l'heure c'était la poussière de leurs rêves.

Ce qui rend ce livre particulièrement attachant tient à cette page douloureuse de l'histoire d'Haïti où se juxtaposent le temps de l'auteur avec celui de ces anonymes pour la plupart, armés d'un grand appétit de vivre, portant l'espérance jusqu'en enfer. Ce sont eux, les véritables héros de ces éclats de mémoire que nous livre Dany Laferrière: Certaines personnes parviennent à danser sur les braises. On les traite d'insouciants ou d'irresponsables sans savoir que ce sont pourtant des êtres d'une force d'âme exceptionnelle. S'ils ont traversé cette époque sanglante avec une humeur égale, c'est qu'ils estiment qu'on n'a pas besoin d'ajouter son drame personnel au malheur collectif.

Il trouve le ton juste pour évoquer la culpabilité des rescapés ou ironiser - sans méchanceté aucune - sur la couverture médiatique des événements et son cortège d'images fortes: Le pire n'est pas l'enfilade de malheurs, mais l'absence de nuances dans l'oeil froid de la caméra...

Quel est le secret de cet auteur pour qu'au-delà de cette fracture existentielle, se dégage de son livre une force si tranquille et déterminée? De sa mère, de sa tante Renée, de ses amis, ainsi que de la poésie qui résonne comme un violon dans ses ténèbres passagères et qui, seule, le console des horreurs du monde. 

On dit qu'un malheur chasse l'autre. Et les journalistes ont beau se précipiter ailleurs, Haïti continuera d'occuper longtemps encore le coeur du monde.

Eteignez vos téléviseurs à l'heure des actualités et plutôt que de suivre les péripéties de l'affaire DSK qui semble secouer la planète aujourd'hui - une agitation indécente qui donnerait pour un peu raison à Louis-Ferdinand Céline, quand il affirme, dans Voyage au bout de la nuit, que le monde n'est qu'une immense entreprise à se foutre du monde - lisez Tout bouge autour de moi: un chant pudique de larmes, de gratitude et d'espoir. Les gens sans importance ont parfois tant de choses à nous dire...

Dany Laferrière est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages parmi lesquels Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer (1999), Le goût des jeunes filles (2005) et L'énigme du retour (2009). Avec ce dernier, il reçoit le prix Médicis. Il participe aussi au magnifique collectif Serpent à plumes pour Haïti (2010).     

Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi (Grasset, 2011)

publié dans Le Passe Muraille no 86 - juin 2011