30/05/2015
La citation du jour
Georges Perros
On arrange et on compose les mots de tant de façons, mais comment arriverait-on à égaler une rose?
Georges Perros - Lexique (Calligrammes, 1981)
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |
Imprimer |
Facebook |
03/12/2014
Le poème de la semaine
Georges Perros
Les guerres n'est-ce pasÇa éclate ça mobiliseÇa fait quitter son foyerLes hommes trouvent normal D'aller à la guerreComme on va aux champignonsLes hommes ne sortiront jamaisDe cette ornièreLa guerre est un bail à renouvelerLa guerre est devenueLa condition de la paixLa révolte de la sérénité. Tant que les hommes sagesDiront ouiA la guerreOù on les envoieSans qu'ils sachent très bien pourquoiTant que les hommes ne diront pasNonA ce goût qu'ils ont de l'aventureQuand elle les rend plus amisQu'ils n'auraient jamais osé l'êtreDans la quotidiennetéTant qu'on tuera des hommesComme on tue des puces, des moustiques,En disant que c'est terrible, ces petites bêtesDe les tuer,Tant que la passion d'êtreAura partie liée avec le meurtreTant qu'il y aura des comédiensQui joueront avec talentCe qui fut vécuCe qui le seraMais ce qui ne l'est jamaisCe qui ne peut l'êtrePendant leur propre, leur pauvre existenceTant que nous aurons besoinDe nous dédoubler, de nous divertirD'apprendre avec émotionNostalgieCulpabilitéQue des hommes meurentPour des raisonsQui nous paraissent vraiesIncomparablesEt que nous en parleronsAvec émotionFrissons dans le dosUn whisky-soda s'il vous plaîtCe sera non. La guerre entre les hommesEst peut-être inévitableUn mauvais rêve du bon DieuTout le troupeau en uniformeOn y court tous comme des lapinsA la guerre. Nous avons fini par comprendreQue nous sommes tous colonisésQue l'homme est une colonieApte à la liberté d'êtreQui commencePar le partage du pain et du vinEt si personne ne fait ce painN'écrase ce raisinEh bien nous apprendrons à faireÀ écraser, à sulfater, à pétrirNous deviendrons des paysansCe que nous sommes tousMalgré la citadinetéQui nous enveloppecomme des saucissons, des momies. La terre n'en tournera pas moinsComme une folleAutour du fou par excellenceDe ce sanglant dégoulinantQui sait si bienNous foutre mal au crâneEt nous noircir la peauDe cet ivrogne dans l'azurQui fait mûrirQui fait pourrirQui dit le sec et le mouilléSur nos fronts partitions striésSans la moindre musique à l'intérieurRengaine où sanglote la sourceBarques sur le dosO nos révoltes grains de sablePoussière dans le vent fanéQui nous redira folle courseLa joie faroucheDes chevaux du langageQuand tout était encore tremblantD'avoir liberté de mourirQuand tout faisait encore semblantDe l'oublier dans un sourireLes temps sont venus de la mortDe qui portes-tu le deuil, Terre,Grosse de tant de cadavresQue leur innocence a trompésMais dont l'âme flotteEn nos rêvesNous ne pourrons jamais plus vivreA marcher sur vos jeunes osA piétiner votre colèreNous ne pourrons jamais plus rireComme il faudrait de bas en hautLa glotte folle,Avec cet ogre en nos poitrinesQui nous ronge nous fend la peauAllezCar nous serons bientôt ensembleDans la bohème du caniveauNous fuirons en faisant la plancheVers d'autres rêves d'autres feuxAutour desquels perdre nos rimesQui ne sont plus d'amourNi d'aiseIl est fondu, notre métalNous nous retrouverons bientôt. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |
Imprimer |
Facebook |
08/01/2014
Le poème de la semaine
Georges Perros
merci à Maveric G
Ces envies de vivre qui me prennent Et cette panique, cette supplicationCette peur de mourirAlors que je n’ai pas encore vécuEt que dans ces momentsJ’ai ma vie sur ma langueIl me semble que ça va être possible, enfinQue je vais y aller d’une grande respirationQue je vais avaler le soleil et la luneEt la terre et le ciel et la merEt tous les hommes mes amisEt toutes les femmes mes rêvesD’un seul grand coupDe poitrine éclatéeQuitte à en mourir, oui,Mais pour de bonPas de cette mort ridiculeDéshonorante, inutile,Qui accuse la parodieQui accuse le défautDe ce qu’on appelle la vieSans trop savoir de quoi nous parlons. On se renseigne auprès des autresOn leur pose des tas de questionsAvec cette hypocrisie de bonne sociétéOn marque des points en silenceIls souffrent autant que nous, tant mieuxOn se dit mêmeQu’on est un peu plus vivants qu’euxO l’horreurEt la fragilitéDe nos amours. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:40 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésiee | |
Imprimer |
Facebook |
13/01/2013
Morceaux choisis - Georges Perros
Georges Perros
Georges Perros, Pour ainsi dire, dans: Collectif, Avec Georges Perros (coll. Encres/Recherches Exit, 1980)
Image : Maison de Georges Perros (fr.wikipedia.org)
17:45 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |
Imprimer |
Facebook |
27/03/2012
La citation du jour
Georges Perros
Je ne suis ni de droite ni de gauche. Je suis dans la merde. Ca ne porte pas toujours bonheur.
Georges Perros, Papiers collés III (Gallimard, 1978)
10:39 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | |
Imprimer |
Facebook |
15/12/2011
Quentin Mouron
Bloc-Notes, 15 novembre / Les Saules
C'est dans l'air, ces phrases anodines, pour insinuer que tout a été dit, que tout a été écrit et qu'à ce bon compte, autant relire les textes fondateurs, les vieux classiques, les immortels, bref, ceux qui font l'unanimité ou presque. Pas d'embrouilles avec les amis de plume, les appréciations de style ou l'ordre des choses. Seulement voilà, je me sens un peu comme Georges Perros: dans L'occupation et autres textes, il note: Vous me conseillez quelquefois, pour me calmer, la lecture des Anciens. Oui, bien sûr. Mais je suis avec les vivants. Bon gré, mal gré. Plus loin, il ajoute: Bien écrire, ça ne veut rien dire. Aujourd'hui on ne peut souhaiter que la rupture totale. Ce n'est pas facile. Il ne faut pas le faire exprès, mais le vivre. Ce que j'aime chez un écrivain, c'est ce qui lui échappe.
Ce lien entre un auteur devenu ancien et un moderne, me saute aux yeux après avoir achevé la lecture de Au point d'effusion des égouts, premier roman formidable d'un jeune écrivain canado-suisse de 22 ans, Quentin Mouron, qui doit son titre à une phrase d'Antonin Artaud. Il nous entraîne dans un road movie à travers les States qui, dans la tête de ce découvreur à couteaux tirés avec la réalité, absorbe le quotidien, l'imaginaire des autres, les paysages à grande vitesse - on pense à Nord, d'un certain Louis-Ferdinand Céline - et cela avec une virtuosité de vieux baroudeur: J'avais fait en partant le pari fou de m'envoler. Depuis tout en bas du soleil. Me chauffer au point le plus élevé de la solitude, plus haut que le brouillard des foules - qu'une vie entière ne suffise pas à redescendre.
De Los Angeles à Las Vegas, en passant par Trona, la Death Valley et Beatty, il nous brosse un portrait souvent pathétique, terrifiant et sans fard de ses lieux de passage, dont Los Angeles, où tout a commencé: C'est la Cité des anges, c'est entendu. Mais des anges poussiéreux, noirs à l'os - et qui tombent à grosse grêle sur le dur des trottoirs. (...) C'est une poupée russe qui termine sur le vide. Un précipice vertigineux qu'on est forcé d'affronter quand on a pris la ville à bras et qu'on a fait jaillir tous ses spectacles les uns des autres - et qu'il ne nous reste dans la paume que le souvenir de l'illusion.
Quentin Mouron n'est pas plus tendre avec Pasadena - un petit satellite universitaire qui suit en moutonnant les révolutions qui lui échappent - ou Las Vegas: Des centaines d'hystéries qui se tissaient sous chaque enseigne, des pâmoisons. Je les voyais. Le long des rues. Titubant. (...) Les casinos sont des chapelles énormes, des variations de culte en l'honneur d'un même Dieu dans les pince-fesses saturés d'encens et de vapeurs de con. Les croyants ont toujours à vêpres une foi d'enfer et un moral de plomb. Il n'y a que le matin qu'ils pleurent un peu, quand ils ont des confettis dans les cheveux, et des petits miracles séchés au coin des yeux.
Dans ces décors un peu felliniens - entre Il Bidone et I Vitelloni - l'un des points culminants du roman se situe à Trona, un bled au milieu de nulle part - où à seize ans vous êtes trop vieux pour qu'on s'occupe de vous - concentré d'horreur, de désespoir et de féroce humour: L'église de Trona, c'est un bunker. Un cube de tôle. Une croix dessus. Aucun vitrail, aucune fenêtre! Qu'une très grande porte rouillée qui hurle sur ses gonds. Aucun parvis. De la poussière. Le milieu du désert. Au bord d'un lac séché depuis deux siècles. Le sable qui grimpe en haut des murs... Et des grillages autour... L'intimité des fidèles... Avec des barbelés! C'est pas à rire... Je n'y ai vu personne. Aucune messe. Aucun psaume. Un container rouillé - sans fenêtres, sans fidèles - sans bon Dieu. J'ai essayé d'imaginer le prêtre... S'il y croyait encore? Ce qu'il pouvait leur dire? L'audience? Quelques vieillards qui viennent prendre un ticket... Au cas où. (...) J'ai entendu dire qu'il avait volé la banderole d'un supermarché pour la coller sur la façade de l'église: ouvert le dimanche! Les fidèles sont revenus voir... On a déposé plainte. Il avait depuis tenté toutes sortes de ruses... Bénir les billets de loterie, les pick-up, les boîtes de conserve, la benzine! Un voisin l'a vu imposer les mains sur le jerricane d'un motard stoppé là par hasard.
L'accent se fait plus tendre, candide et lucide à la fois quand il évoque ses rencontres de passage dont Laura, touchant fil conducteur de ce périple défricheur qui ressemble à une éducations sentimentale et le fait trébucher d'amour: Elle avait l'air d'un prisonnier qui tend le cou pour de l'air frais, et que la mer, même par temps gris, fascine et attire.
Parti peut-être aux Etats-Unis pour ne jamais en revenir, comme beaucoup d'autres, il reviendra de son rêve américain au pays, meurtri, égaré, grandi, décrivant judicieusement le contraste entre la folie au loin et la sagesse ici; le parfum de liberté, de tolérance à l'originalité là-bas et le conformisme ambiant de sa patrie, dont il ne veut plus: J'ai perdu. Je suis rentré. D'un voyage c'est le retour qui vous claque à la gueule. Quand après avoir léché les grands ciels du bout du monde, vous tombez de l'avion - boum - au giron des familles. Vous vous apercevez que les visages n'ont pas changé, les mêmes rides, les rictus, le papier-peint de la cuisine... Les mêmes mots, les mêmes meubles, la moquette, les mêmes blagues. Le chat. Les odeurs. La cage jaune du canari. Les maladies. Et le carrelage fendu, les fissures, les mêmes bruits... Vous n'êtes plus certain de quand vous êtes parti, ni d'être vraiment parti. (...) Eux ne remarquent pas que leur réel n'a aucun sens pour nous. Précisément parce que ce qu'ils appellent réalité, n'en est qu'un répugnant flambeau, et que leur vie se situe dans un contournement de la vie même. (...) J'atteste que je n'irai pas embellir leurs égouts.
Avec ses musiques du bout du monde qui le font frissonner, Quentin Mouron, écorché vif bourré de talent et de sensibilité, me ramène à Georges Perros qui s'interrogeait sur le sens de la lecture et de l'écriture: Aimer la littérature, c'est être persuadé qu'il y a toujours une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre, si souvent en défaut à écouter les hommes. Soi-même, entre autres.
Qu'il s'en souvienne, Quentin Mouron! Il faut vraiment lire Au point d'effusion des égouts: vous n'en sortirez pas indemne ou blanchi, mais gonflé comme la voile d'un trois-mâts qui nous aspire vers un ailleurs possible et assouplit nos artères saturées de cholestérol...
Quentin Mouron, Au point d'effusion des égouts (Olivier Morattel, 2011)
Georges Perros, L'occupation et autres textes (Joseph K, 1996)
images: Quentin Mouron et Georges Perros
09:35 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature francophone, Littérature suisse, Louis-Ferdinand Céline | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; récit; livres | |
Imprimer |
Facebook |
12/11/2011
Actualité de la poésie 2/2
Bloc-Notes, 12 novembre / Les Saules
Après avoir évoqué Yves Bonnefoy et Jean-Pierre Lemaire, c'est le poète grec Georges Séféris qui fait l'actualité avec Journal de bord, dont le texte original a paru dans sa version définitive en 1965, à Athènes. Chacun des trois recueils qui le composent est le reflet d'une épreuve subie, nous dit son traducteur, Vincent Barras: les prémices de la guerre (I), la guerre (II) et la crise chypriote (III). On pourrait citer tous les textes de cet ouvrage, tant la beauté de la langue nous entraîne dans le vertige de ses profondeurs: Rossignol timide, dans la respiration des feuilles, / toi qui offres la fraîcheur musicale du bois / aux corps séparés et aux âmes / de ceux qui savent qu'ils ne reviendront pas. / Voix aveugle, qui tâtonnes dans la mémoire surprise par la nuit / pas et gestes; je n'oserais dire baisers; / et l'amère tourmente de la captive effarouchée. Une pure merveille!
Deux anthologies de la poésie méritent aussi d'être citées dans ces colonnes. La première, intitulée Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française - préfacée par Antoine Gallimard - célébre les 100 ans de la prestigieuse maison d'édition. Si le choix des auteurs s'avère assez classique, celui des textes est plus original. On y retrouve aussi certains écrivains injustement oubliés tels Edmond Jabès, Georges Schehadé, Jean-Philippe Salabreuil ou Georges Perros dont ce court extrait vaut à lui seul ce plaisir de lecture: Ferme les yeux pour mieux la voir / Celle qui blesse ton regard / Celle que tu nommes ta vie / Et qui ne te rendra ses billes / Qu'au bout du grand aveuglement / Qu'au bout de ce monde en dérive / Là-bas, dans le soleil levant.
La seconde anthologie est très différente dans sa conception et son contenu. Avec des textes choisis par Albine Novarino-Pothier et que les photographies de Michel Maïofiss illustrent avec beaucoup de fraîcheur, Une année de poésie - 365 jours de bonheur permet de retrouver chaque jour de l'année un poème choisi au fil des siècles, en harmonie avec les saisons. Délibérément, me semble-t-il, certains auteurs ont été écartés - René Char par exemple ou Paul Eluard et Louis Aragon réduits à une discrète présence - alors que d'autres sont exhumés par de nombreux poèmes, tels Leconte de L'Isle, Théophile Gautier, Albert Samain, Emile Verhaeren, Maurice Fombeure, Francis Carco, Paul-Jean Toulet ou encore parmi tant d'autres, Anne de Noailles: Instant salubre et clair, ô fraîche renaissance, / Gai divertissement des guêpes sur le thym, / Tu écartes la mort, les ombres, le silence, / L'orage, la fatigue et la peur, cher matin... Une très belle anthologie - 52 euros, tout de même - et un objet séduisant à la hauteur de ces écrivains de tous les temps. Un livre de chevet à offrir - Noël est proche! - à tous les amoureux de poésie.
Enfin, pour en finir avec ce rapide survol de l'actualité poétique, voici un très court texte de Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke. Cet auteur, qui naît à Bâle en 1891 et s'éteint à Genève en 1974, nous dévoile un fragment de la vie quotidienne du poète qu'il a rencontré à Paris en 1924, ainsi que des réflexions judicieuses de Rainer Maria Rilke sur la littérature, l'art poétique, la création: La limite est dans le fini, l'achevé, et tout ce qui vit vraiment a quelque chose d'exclusif. La nature a un terrible sens de la hiérarchie et l'hirondelle ne se commet pas avec le moineau. Seul l'homme abolit les frontières et estompe l'unicité des formes.
Comme vous pouvez le constater: la poésie est loin d'être moribonde. Et voilà bien la plus réjouissante - et peut-être la seule - des certitudes en cette fin d'année ordinaire...
Georges Séféris, Journal de bord (Héros-Limite, 2011)
Collectif, Mon beau navire ô ma mémoire - Un siècle de poésie française (coll. Poésie/Gallimard, 2011)
Albine Novarino-Pothier et Michel Maïofiss, Une année de poésie - 365 jours de bonheur (Omnibus, 2011)
Carl Jacob Burckhardt, Une matinée chez le libraire - Souvenirs de Rainer Maria Rilke (L'Anabase, 2011)
image: Rossignol philomèle (http://www.jbnature.com/oiseaux/rossignolphilomele)
00:06 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature étrangère, Littérature francophone, Louis Aragon, Paul Eluard, Rainer-Maria Rilke, René Char, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |
Imprimer |
Facebook |
28/01/2011
Devoir de vacances 3/3
Bloc-Notes, 28 janvier / Les Saules
Toute bibliothèque est un territoire sans interdits ni barrières ouvert à tous, parfois un champ de mines dans lequel les traces de pas imprudentes du propriétaire peuvent être lues, même à son insu. Le plus souvent, je pense à sa ressemblance avec un jardin de fleurs rares condamnées à mourir asphyxiées si elles ne sont pas partagées. Quand ses bourgeons font danser la lumière ou recomposent les nuances de l'ombre, alors c'est - au contraire - le reflet de la gratitude devant leur éclat passager qui lui confère ces imperceptibles mouvements pourvoyeurs de signes.
Il en va ainsi des livres comme de la flore: une reconnaissance muette envers ceux qui - amis, libraires, professeurs - ont su un jour ou l'autre, par leur recréation, m'inviter à découvrir un écrit qui a pris depuis lors place dans ma bibliothèque et qu'à mon tour je partage tel mon bien le plus intime et le plus précieux. Nombreux auteurs, au fil des ans, ont ainsi modulé cet espace du coeur en fragile équilibre entre le dehors et le dedans, surgis par magie ou par surprise: La divine comédie de Dante Alighieri, La chartreuse de Parme de H.B.Stendhal, Papiers collés de Georges Perros, Le partage de midi de Paul Claudel, Le festin nudeWilliam S. Burroughs ou Panique à la Scala de Dino Buzatti.
Certaines traces demeurent plus profondes que d'autres, telles la bibliothèque de ma mère. Si je ne goûte peu sa ferveur pour Gatsby le magnifique deFrancis Scott Fitzgerald, je lui dois ces eaux vives et fertiles que cristallisent Fédor Dostoievski dans Les frères Karamazov, Emily Brontë dans Les hauts de Hurlevent, Alexandre Dumas dans Le comte de Monte-Cristo, François Mauriac dans Thérèse Desqueyroux... Une bibliothèque dans laquelle j'ai puisé Emile Zola, Jules Vallès, A.J. Cronin, Daphné du Maurier et mêlés aux classiques Les clés de Saint Pierre de Roger Peyrefitte ou La mer à boire de Michel de Saint Pierre - aujourd'hui oubliés - attestant une pensée indépendante et contestataire qu'elle n'a pas épanoui dans sa vie sociale, au pays vaudois des y en a point comme nous!
Une ultime image. Un après-midi de janvier, à Berne. Avec mon père et ma mère, nous partons en bicyclette. Direction: la Bibliothèque pour tous, à une dizaine de kilomètres de notre domicile. Du haut de mes onze ans, j'observe le manège lié à notre abonnement autorisant l'emprunt de six livres par quinzaine, dont deux - obligatoires - ne sont pas des romans! Ce sont eux qui éveillent mon goût pour la lecture: Chopin ou le poète par Guy de Pourtalès et La vie passionnée d'Amedeo Modigliani par André Salmon.
La première graine de bonheur annonçait le printemps...
01:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, François Mauriac, Georges Perros, H.B. dit Stendhal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | |
Imprimer |
Facebook |
17/07/2010
Georges Perros 1b
Georges Perros

Recopiez le lien ci-dessous pour découvrir un extrait du très beau documentaire réalisé par Jérôme Garcin dans le cadre de l'émission Boîte aux Lettres.
http://www.dailymotion.com/video/xbj6ic_georges-perros_creation
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | |
Imprimer |
Facebook |
Georges Perros 1a
Bloc-Notes, 17 juillet / Les Saules

Georges Perros est un immense écrivain, malgré lui, pourrait-on dire, car cet homme atypique qui se tourne plutôt vers le piano et l'art dramatique dans sa jeunesse, doit aujourd'hui sa célébrité aux trois volumes de Papiers collés, recueil de notes, réflexions ou commentaires rédigés sur des bouts de papier, des tickets de métro, des boîtes d'allumettes ou les pages d'un livre, comme une petite blessure qui n'attend pas d'être cicatrisée.
Loué pour son style épuré, sa sensibilité peu commune et son regard lucide, parfois grinçant sur le monde qui l'entoure ou le parcourt, la rigueur, la liberté de ton et l'honnêteté de sa démarche poétique sont reconnaissables entre mille dans les cinq entretiens radiophoniques réalisés avec la complicité de Jean Daive, Jean-Marie Gibbal et Michèle Cohen en 1975 parus sous le titre Graver sur le mur du vent, où son oeuvre poétique est aussi évoquée, La vie ordinaire par exemple ou les Poèmes bleus:
Peut-être que le poème est le fragment de langage le plus utile à l'homme qui veut changer le monde. Peut-être. Aujourd'hui, c'est peut-être ça. Je ne sais pas.
J'écris à ras de ligne, dit Georges Perros, ou encore: Ecrire c'est rayer la vitre. Sur son prolongement - la lecture - il ajoute enfin: La lecture, c'est l'écriture remise en mouvement, en fait. (...) C'est un des fragments de l'écriture de l'auteur. (...) C'est pour ça que c'est passionnel. On ne peut pas lire sans passion.
Dans ce même livre, vous pouvez découvrir deux dessins, un poème et trois lettres - inédits - de Georges Perros, un texte de Michel Butor et un cahier de photographies signées par Jacqueline Salmon, le tout formant un objet précieux, propre aux éditeurs de poésie, inspirant un sentiment de gaieté, si chère à cet auteur qui, dans ma bibliothèque, est le voisin de René Char...
Georges Perros, Graver sur le mur du vent (Marcel Le Poney, distr. Actes Sud, 2010)
Georges Perros, Papiers collés I, II, III (coll. Imaginaire/Gallimard, 1989-1999)
00:14 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Georges Perros, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; entretiens; livres | |
Imprimer |
Facebook |