Devoir de vacances 3/3 (28/01/2011)
Bloc-Notes, 28 janvier / Les Saules
Toute bibliothèque est un territoire sans interdits ni barrières ouvert à tous, parfois un champ de mines dans lequel les traces de pas imprudentes du propriétaire peuvent être lues, même à son insu. Le plus souvent, je pense à sa ressemblance avec un jardin de fleurs rares condamnées à mourir asphyxiées si elles ne sont pas partagées. Quand ses bourgeons font danser la lumière ou recomposent les nuances de l'ombre, alors c'est - au contraire - le reflet de la gratitude devant leur éclat passager qui lui confère ces imperceptibles mouvements pourvoyeurs de signes.
Il en va ainsi des livres comme de la flore: une reconnaissance muette envers ceux qui - amis, libraires, professeurs - ont su un jour ou l'autre, par leur recréation, m'inviter à découvrir un écrit qui a pris depuis lors place dans ma bibliothèque et qu'à mon tour je partage tel mon bien le plus intime et le plus précieux. Nombreux auteurs, au fil des ans, ont ainsi modulé cet espace du coeur en fragile équilibre entre le dehors et le dedans, surgis par magie ou par surprise: La divine comédie de Dante Alighieri, La chartreuse de Parme de H.B.Stendhal, Papiers collés de Georges Perros, Le partage de midi de Paul Claudel, Le festin nudeWilliam S. Burroughs ou Panique à la Scala de Dino Buzatti.
Certaines traces demeurent plus profondes que d'autres, telles la bibliothèque de ma mère. Si je ne goûte peu sa ferveur pour Gatsby le magnifique deFrancis Scott Fitzgerald, je lui dois ces eaux vives et fertiles que cristallisent Fédor Dostoievski dans Les frères Karamazov, Emily Brontë dans Les hauts de Hurlevent, Alexandre Dumas dans Le comte de Monte-Cristo, François Mauriac dans Thérèse Desqueyroux... Une bibliothèque dans laquelle j'ai puisé Emile Zola, Jules Vallès, A.J. Cronin, Daphné du Maurier et mêlés aux classiques Les clés de Saint Pierre de Roger Peyrefitte ou La mer à boire de Michel de Saint Pierre - aujourd'hui oubliés - attestant une pensée indépendante et contestataire qu'elle n'a pas épanoui dans sa vie sociale, au pays vaudois des y en a point comme nous!
Une ultime image. Un après-midi de janvier, à Berne. Avec mon père et ma mère, nous partons en bicyclette. Direction: la Bibliothèque pour tous, à une dizaine de kilomètres de notre domicile. Du haut de mes onze ans, j'observe le manège lié à notre abonnement autorisant l'emprunt de six livres par quinzaine, dont deux - obligatoires - ne sont pas des romans! Ce sont eux qui éveillent mon goût pour la lecture: Chopin ou le poète par Guy de Pourtalès et La vie passionnée d'Amedeo Modigliani par André Salmon.
La première graine de bonheur annonçait le printemps...
01:05 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |