27/03/2011
Anne-Marie Jaccottet 1a
Bloc-Notes, 27 mars / Les Saules
On connaît mal - ou mieux, pas du tout - les aquarelles et dessins de Anne-Marie Jaccottet, épouse du poète Philippe Jaccottet. Pourtant, son oeuvre délicate, dans le sillage d'un Pierre Bonnard par exemple, a été remarquée par de grands noms de la littérature, tels Yves Bonnefoy et Pierre-Albert Jourdan.
Florian Rodari a bien cerné l'oeuvre de l'artiste, quand il nous dit: Il y a dans les paysages d'Anne-Marie Jaccottet, mais dans ses natures mortes aussi, une sorte de porosité qui permet d'y circuler sans entrave, d'aller sans cesse du dehors à l'intérieur, par des passages qui n'arrêtent pas - peaux, treillis, portières, lisières, corbeilles - contenant sans enfermer. Le peintre ne recouvre jamais toute la surface de son papier, laissant en blanc certaines parties sur lesquelles reviennent des traits de crayon. L'intention est de permettre au regard de passer vite d'un plan à l'autre, de suivre le mouvement de la lumière qui court à l'arête, bondit d'objet à objet, franchit la distance sans s'arrêter à la nature de l'obstacle. Beau souci du peintre: ne pas s'attarder, garder le sentiment de la minute heureuse.
Philippe Jaccottet, au plus près de la perception de l'artiste, ajoute: Couleurs du monde, elle ne les a pas inventées, elle ne les a pas vues en rêve ou puisées dans les livres, elle n'est même pas allé les chercher loin; elles sont là, dans les fleurs et les fruits les plus communs, données au premier venu; à dire le vrai, de plus grand prix que tous les ors du temple, les gemmes, les joaux, les diadèmes des reines et des stars: couleurs des choses qui s'ouvrent, s'épanouissent puis se fanent, des choses qui gonflent, parfument, sont respirées et quelques fois mangées, puis se flétrissent; couleurs si mystérieuses d'être si communes, jubilatoires on ne sait trop comment ni pourquoi; de la plus claire à la plus sombre, de la plus sonore à la plus sourde, saisissable entre deux nuits - et notre vie elle-même, toute vulnérable qu'elle soit, fleurissant ainsi entre deux nuits, mais celles-là plus longues et plus profondes -, produisant en fin de compte, à force de patience et de soumission, un si beau chant...
105 aquarelles, pastels, dessins de Anne-Marie Jaccottet illustrent le présent ouvrage que vient compléter un entretien de Alain Paire avec l'artiste, ainsi qu'un texte de Alain Madeleine-Perdrillat consacré à l'approche de son oeuvre.
En écho à La promenade sous les arbres, écrit par son époux, ce voyage en pointillé dans l'espace habité, lève le voile de leurs clartés mises en commun.
Anne-Marie et Philippe Jaccottet, Alain Madeleine-Perdrillat, Florian Rodari, Alain Paire: Arbres, chemins, fleurs et fruits - Aquarelles et dessins d'Anne-Marie Jaccottet (La Dogana, 2008)
photographie: Philippe et Anne-Marie Jaccottet, à Grignan, 12 octobre 2008
http://www.galerie-alain-paire.com/
04:13 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (3) | | Imprimer | Facebook |
27/01/2011
Devoir de vacances 2/3
Bloc-Notes, 27 janvier / Les Saules
Ma bibliothèque n'est pas immuable. Une succession de lignes, de traits d'union, de fulgurances, dont le dénominateur commun n'est pas le passé, mais au contraire une superposition de regards sur le monde dont je tire une force souterraine qui me projette dans l'avenir et fait de moi ce que je suis aujourd'hui: un tissu de passions, de métamorphoses, de contradictions.
Pêle-mêle, dans cette caverne d'Ali-Baba aux trésors souvent relégués aux oubliettes, des curiosités telle La Gana de Jean Douassot et Ravages de Violette Leduc voisinent Le monde désert de Pierre-Jean Jouve ou Le vertige d'Alexandre Kalda, témoins d'amours malheureuses. Un peu plus loin, Le journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos me rappelle qu'il a failli m'expédier très jeune au séminaire!
Sur mon fauteuil, je réserve un espace pour les livres auxquels je veux - depuis près d'un an - consacrer une notice qui me refuse encore le premier mot: Réelles présences de George Steiner, Comme personne de Hugo Hamilton, Les dents du topographe de Fouad Laroui, Le cortège de la mort d'Elizabeth George. Je note aussi dans ce recensement laborieux, certaines absences, telles les classiques Vaubourdolle ou les classiques Larousse de la première heure - avec lesquels j'ai découvert le théâtre de Jean Racine ou les poèmes d'Alfred de Musset, d'Alphonse de Lamartine, de Victor Hugo - et qui ont disparu lors d'un déménagement. D'autres plus récents manquent à l'appel, parce que les aimant beaucoup, je les ai souvent offerts, jusqu'à mon dernier exemplaire, sans y prendre garde. C'est le cas, par exemple, du roman de Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade ou le recueil d'Yves Bonnefoy, Dans le leurre du seuil.
Dans ma bibliothèque, le fil rouge de tous ces écrits épars demeure, depuis mes premières découvertes - Les fleurs du mal de Charles Baudelaire et Les nourritures terrestres d'André Gide - celui de la poésie qui transcende toutes choses dans la proximité et la distance, appréhende le réel et lui donne un sens dont semble bannie toute cécité. Je revisite, dans ce monde à part qui se dévoile avec parcimonie à l'oreille inattentive, ces discrets messagers que sont Paul Verlaine, Louis Aragon, Philippe Jaccottet, Paul Eluard, Rainer-Maria Rilke, Anna Akhmatova, Ossip Mandelstam et bien d'autres.
Restent enfin, dans ce chaos en mouvement, les auteurs auxquels je voue une tendresse particulière et qu'à coup sûr, j'emporterais dans mes bagages sur une île déserte, tant leur richesse m'est inépuisable: William Shakespeare, Albert Camus, René Char - bien sûr! - et... La Bible. Qui l'eût cru?
Ite missa est...
(à suivre)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Anna Akhmatova, Bloc-Notes, Charles Baudelaire, Louis Aragon, Paul Eluard, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke, René Char, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
29/11/2010
Actualité de la poésie
Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules
La poésie demeure le poumon de l'humanité et poursuit sa marche exigeante, discrète, individuelle à l'encontre d'une pensée unique, si présente dans les conversations ou les médias, voire dans la production littéraire de bon nombre d'éditeurs. Cela se vérifie tous les jours, et si vous naviguez parfois sur Facebook, vous serez étonnés par l'omniprésence de la poésie: sous toutes ses formes, obéissant à des desseins différents, surgie d'horizons multiples souvent inattendus, célébrant l'écrit sans frontières autour duquel les lecteurs attentifs se régénèrent, invités à prolonger l'émotion, la confronter à leur vécu, l'intégrer à leur culture. Un bel exemple pour louer au passage les moyens d'expression de ces nouvelles voies de la communication qui prennent le relais des supports traditionnels - plus restrictifs, figés ou absents - afin de favoriser la lecture et l'écriture partagées, signes palpables d'une ouverture au monde, reflets d'un besoin salutaire dans de nombreux domaines, dont la poésie - ou la musique, malheureusement - qui voit son espace réduit de jour en jour, dans les grandes chaînes commerciales...
J'espère toutefois que les trois nouveautés choisies ci-dessous, échapperont à la règle des 44 jours de présence moyenne en librairie et que vous ne serez pas contraints de vous les procurer par Internet! Pour le premier titre proposé, le mérite en revient aux éditions Gallimard qui, sous la conduite de Eglal Errera, nous proposent une anthologie poétique, Les Poètes de la Méditerranée. Un travail extraordinaire, qui, sur 960 pages au format poche - mais avec une présentation et une typographie très soignées - nous présente les auteurs actuels de 24 pays, en édition bilingue. Si certains poètes sont disponibles dans d'autres éditions courantes - Adonis, Vénus Khoury-Ghata, Abdelattif Laâbi, Nuno Judice, Bernard Noël, Ismail Kadaré - la plupart nous sont inconnus, originaires de Grèce ou de Syrie, d'Egypte ou de Tunisie, du Montenegro ou de Slovénie. Dans la préface de ce livre, Yves Bonnefoy note: La Méditerranée est confiée à la poésie. On peut espérer que la poésie la gardera avec elle; en elle, à combattre, à espérer. Cette anthologie est à chaque page un enchantement, une découverte, une confirmation du rôle essentiel que représente la poésie, véritable contre-pouvoir à la culture de masse, par l'acuité de son regard et l'indépendance de son esprit.
Une autre nouveauté mérite d'être signalée: Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe, né de la plume de Deborah Heissler, seconde publication de cet auteur paru aux éditions Cheyne, vouées à la poésie contre vents et marées depuis trente ans! Un bel objet en parfaite adéquation avec son contenu. Une écriture fine et légère, plus chaleureuse que dans son précédent ouvrage - Près d'eux, la nuit sous la neige - pour dire la force du silence, les sensations mêlées à l'observation de la nature ou de la lumière qui déconstruisent notre vide intérieur et lui redonnent un centre de gravité, pour autant que nous prenions du temps de le lire sans hâte et d'en respirer les senteurs invisibles: J'entre dans la lumière advenant comme un miracle au sein de la durée irréelle de l'hiver. Atonalité des formes, de leurs contours tremblés, qui favorise un autre ordonnancement des lieux, la redécouverte de l'horizon avec au loin l'accord du solide et de l'ajouré. Un des plus beaux recueils poétiques de l'année, dont un autre extrait figurera sous peu dans Le poème de la semaine.
Enfin, j'achève ce tour d'horizon avec Poésies - 1997/2004, écrit par Claire Genoud, qui a publié auprès du même éditeur - Bernard Campiche - deux recueils de nouvelles, Poitrine d'écorce et plus récemment Ses pieds nus, déjà présenté dans ces colonnes. Une écriture viscérale, au plus près du corps, sur le fil continu d'une déchirure: celle du poème en miroir qui tourbillonne au-dessus du vide, tremble au bord du gouffre comme le signale Alexandre Voisard. Le lac peut bien lècher mes sandales comme un chat trop fidèle. Je n'ai qu'une envie, celle de plâtrer ses rives et de sangler sa peau battante au brouillard hivernal, car je ne veux plus des saisons qu'il s'obstine à dresser sur nos toits. D'un coup de plume, je ferai souffler la bise pour assécher son eau. Magnifique!
A cette grande méditerranéenne, Andrée Chedid, le mot de la fin: Il est vital pour le poète de lever des échos, et de le savoir. Nul mieux que lui ne s'accorde aux solitudes ; mais aussi, nul n'a plus besoin que sa terre soit visitée.
Eglal Errera, Les poètes de la Méditerranée - Anthologie (coll. Poésie/Gallimard, 2010)
Deborah Heissler, Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe (Cheyne, 2010)
Claire Genoux, Poésies / 1997-2004 (coll. Campoche/Campiche, 2010)
Image: Georges Braque, Deux oiseaux sur fond bleu (1963)
03:48 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Andrée Chedid, Bloc-Notes, Littérature francophone, Littérature suisse, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | | Imprimer | Facebook |
13/08/2010
Relire Paul Valéry - 2/3
Bloc-Notes, 13 août / Les Saules
Quand nous parlons de littérature, entre amis, ne nous arrive-t-il pas de nous exclamer, à propos d'un roman lu: J'ai beaucoup aimé le sujet... Mauvais signe, dirait Paul Valéry, car les bons auteurs captent notre attention, quel que soit le sujet qu'ils abordent. Regardez François Mauriac, Albert Camus ou plus près de nous J.M.G. Le Clézio.
Autre lieu commun que nous distillons volontiers auprès de notre entourage: Ce roman est d'une lecture facile... Là encore, le grand homme nous interpellerait pour nous dire qu'une lecture qui ne demande pas le moindre effort - qu'il s'agisse d'érudition, de fantaisie ou de distraction - est sans intérêt, ennuyeuse pour le lecteur - qui en dix pages comprend déjà les deux cent suivantes -, vouée à une mort rapide, programmée...
A propos des livres - reconnaissons-le - nous aimons asséner des vérités premières telles que: Cette oeuvre me séduit par son réalisme... Par rapport à qui? Par rapport à quoi? Selon quelles valeurs? A quel moment précis de notre histoire? Et si cette réalité n'est que la photographie de ce que nos yeux voient, ce n'est plus de la littérature, mais du reportage. N'est pas Louis-Ferdinand Céline, Vassili Grossmann ou Boris Pasternak qui veut... De plus, là encore, Paul Valéry nous rappellerait qu'il n'est pas rare que les oeuvres qui survivent au temps soient souvent... fantastiques!
A une semaine de la rentrée littéraire d'automne - 701 nouveautés dont 497 francophones, soit 6.32% de plus qu'en 2009! - la parole revient assurément aux auteurs, s'ils veulent échapper à ces commentaires superflus ou mondains dont fleurissent les salons de thé. Dans Tel Quel, Paul Valéry hasarde à leur intention, qu'il faut écrire et travailler pour ceux-là seuls sur qui l'injure ou la louange n'ont pas de prise; qui ne se laissent émouvoir ni imposer par le ton, l'autorité, la violence et tous les débordements. (...) Ecrire pour le lecteur qui va: ou vivre votre idée, ou la détruire, ou la rejeter - pour celui à qui vous donnez le pouvoir suprême sur elle; et qui possède le droit de sauter, de passer, de ne pas poursuivre; et celui de penser le contraire, et celui de ne pas croire, de ne pas épouser votre intention.
Rassurez-vous, car si les oeuvres romanesques insignifiantes ou fades sont en constante augmentation - parce que les éditeurs souvent manquent autant de métier, de rigueur ou de clarté que certains de leurs auteurs - bon nombre d'écrivains de cette rentrée littéraire sont proches des idées de Paul Valéry, capables de nous étonner, de nous surprendre et d'exprimer ce qui nous est impossible avec un style et une transcendance aptes à nous émerveiller, nous séduire et nous offrir quelques moments de bonheur.
Parmi ces rescapés de l'urgence - de publier, d'envahir, de monopoliser - plusieurs titres vous seront présentés dans ces colonnes, dès la semaine prochaine, signés Yves Bonnefoy (L'inachevable - Entretiens sur la poésie/Albin Michel), Andrée Chedid (Les quatre morts de Jean de Dieu/Flammarion), Douna Loup (L'embrasure/Mercure de France), Andrew O'Hagan (La vie et les opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe/Bourgois) et Hernan Roncino (Dernier train pour Buenos Aires/Liana Levi), entre autres publications hors du commun.
Songez à ce qu'il faut pour plaire à trois millions de lecteurs, note encore Paul Valéry... Paradoxe: il en faut moins que pour ne plaire qu'à cent personnes exclusivement.
Mais de cela, nous nous en serions douté... Pas vrai?
Paul Valéry, Tel Quel - Oeuvres vol. 2 (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1960)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Andrée Chedid, Bloc-Notes, Douna Loup, François Mauriac, Littérature francophone, Louis-Ferdinand Céline, Paul Valéry, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature: essais; livres | | Imprimer | Facebook |
01/08/2010
Alejandra Pizarnik 1a
Bloc-Notes, 1er août / Les Saules
Oeuvre singulière - semblable à un écrin noir et lumineux à la fois - que celle de la poétesse argentine Alejandra Pizarnik, dont les textes nous sont parvenus grâce à l'intuition et au courage d'éditeurs tels Granit, Actes Sud et José Corti.
Née à Buenos Aires le 29 avril 1936 au sein d'une famille d'immigrants juifs d'Europe Centrale, très tôt, elle perd son père alors que sa mère sombre dans une profonde dépression. Admise en 1954 à la faculté de philosophie, elle abandonne bien vite ce cursus pour se tourner vers la littérature, sa voie véritable. Elle publie ses premiers poèmes à vingt ans à peine, traduit Hölderlin, Michaux, Bonnefoy et Aimé Césaire. Entre 1960 et 1964, elle séjourne à Paris, participe à l'activité culturelle parisienne, rencontre de nombreux écrivains et se lie d'amitié avec - entre autres - André Pieyre de Mandiargues, Julio Cortazar et Octavio Paz. Elle rentre ensuite en Argentine et publie, dans les années suivantes, ses ouvrages les plus importants. Elle obtient la bourse Guggenheim, effectue un séjour bref à New York et - une nouvelle fois - à Paris. Après deux tentatives de suicide en 1970 et 1972, elle se donne la mort le 25 septembre 1972, à l'âge de 36 ans, après avoir passé les cinq derniers mois de sa vie dans un hôpital psychiatrique de Buenos Aires. Dans son Journal, dix ans plus tôt, elle avait noté: Ne pas oublier de me suicider, répondant à cette phrase d'Antonin Artaud accrochée au-dessus de son bureau: Il fallait d'abord avoir envie de vivre...
C'est à Sylvie Baron Supervielle, traductrice de la plupart de ses poèmes, que revient le plus grand mérite d'avoir révélé Alejandra Pizarnik au grand public, en France. Son Oeuvre poétique disponible aux éditions Actes Sud, reprend La dernière innocence, Les aventures perdues, L'arbre de Diane, Les travaux et les nuits, L'enfer musical, Les textes de l'ombre et autres fragments inédits.
Il faut y ajouter aujourd'hui les Journaux 1959-1971, dans la collection Ibériques, chez José Corti, où sa voix cherche dans l'écriture un sens à sa souffrance, à sa solitude intérieure, au sentiment d'abandon qui l'habite et l'entraîne dans un élan de désespoir, de morbidité ou de destruction. Mystique à sa manière, elle ne parviendra pas à réconcilier ces extrêmes convergeant vers une douleur tangible et pourtant si étrangère à elle-même: Fatigue, fatigue, comme une longue caravane...
Hâtez-vous de lire Alejandra Pizarnik. Dans son sillage, vous y croiserez peut-être vos propres fantômes, nus et à découvert...
Alejandra Pizarnik, Oeuvre poétique / traduit par Sylvie Baron Supervielle et Claude Gouffon (Actes Sud, 2005)
Alejandra Pizarnik, Journaux 1959-1971 / traduit par Anne Picard (José Corti, 2010)
23:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature sud-américaine, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
21/07/2010
Le poème de la semaine
Yves Bonnefoy
Heurte.
Heurte à jamais.
Dans le leurre du seuil.
A la porte, scellée,
A la phrase, vide.
Dans le fer, n'éveillant
Que ces mots, le fer.
Dans le langage, noir.
Dans celui qui est là
Immobile, à veiller
A sa table, chargée
De signes, de lueurs. Et qui est appelé
Trois fois, mais ne se lève.
Dans le rassemblement, où a manqué
Le célébrable.
Dans le blé déformé
Et le vin qui sèche.
Dans la main qui retient
Une main absente.
Dans l'inutilité
De se souvenir.
Dans l'écriture, en hâte
Engrangée de nuit
Et dans les mots éteints
Avant même l'aube.
....................................................
Dans la bouche qui veut
D'une autre bouche
Le miel que nul été
Ne peut mûrir.
Dans la note qui, brusque,
S'intensifie
Jusqu'à être, glaciaire,
Presque la passe
Puis l'insistance de
La note tue
Qui désunit sa houle
Nue, sous l'étoile.
Dans un reflet d'étoile
Sur du fer.
Dans l'angoisse des corps
Qui ne se trouvent.
Heurte, tard.
Les lèvres désirant
Même quand le sang coule,
La main heurtant majeure
Encore quand
Le bras n'est plus que cendre
Dispersée...
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
02/07/2010
La citation du jour
William Shakespeare
Sois sans crainte! L'île est pleine de bruits, de sons et d'airs mélodieux, qui enchantent et ne font pas de mal. C'est quelques fois comme mille instruments qui retentissent ou simplement bourdonnent à mes oreilles, et d'autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors à m'éveiller après un long sommeil, m'endorment à nouveau; - et dans mon rêve, je crois que le ciel s'ouvre; que ses richesses vont se répandre sur moi... A mon réveil, j'ai bien souvent pleuré, voulant rêver encore.
La tempête, traduit par Yves Bonnefoy (édition bilingue: coll. Folio/Gallimard, 1997)
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
12/03/2010
Les pièces de Shakespeare - 2a
La tragédie du roi Lear
On dit que La tragédie du roi Lear est la plus sombre de toutes les pièces de théâtre écrites par Shakespeare, mais jugez plutôt: Elle nous raconte l’histoire de Lear, roi d’Angleterre vieillissant qui, au sommet de sa gloire veut abdiquer et partager son royaume entre ses trois filles, à la mesure de l’amour qu’elles lui témoigneront lors d’une cérémonie de piété filiale. A ce jeu, Goneril et Regane se montrent habiles dans la flatterie, l’hypocrisie et la louange, alors que Cordelia – sa préférée – qui voue un amour sincère depuis toujours envers son père, se contente de lui dire qu’elle l’aime comme elle l’a toujours aimé, avec ou sans héritage. Le roi en est blessé et dans un élan de colère, la déshérite au profit de ses deux sœurs. Il bannit aussi le comte de Kent, son plus loyal serviteur, pour avoir pris la défense de Cordelia.
Lear, qui ne conserve pour tout pouvoir qu’une centaine d’hommes, compte séjourner alternativement chez ses deux gendres - les ducs d’Albany et de Cornouailles, respectivement époux de Goneril et Regan - mais ces dernières vont le chasser, le dépouiller, le priver de tout ce qu’il lui reste. Rejeté, exclu par les siens, le voici errant dans la forêt comme un miséreux. Pour un temps, il sombre dans la démence avec pour seuls amis un fou, un mendiant - Edgar, le fils du comte de Gloucester qui l’a rejoint pour éviter d’être assassiné - ainsi que le fidèle Kent, déguisé en valet pour sauver son roi.
Tandis que le royaume est secoué par des intrigues sanglantes, d’autres personnages importants occupent le devant de la scène et gravitent autour d’Edmond, le fils bâtard du comte de Gloucester, qui trahit son père - capturé par Regan et son époux qui lui crèveront les yeux – et commanditera le meurtre de Cordelia et de son père, réfugiés auprès du roi de France. Encore lui qui, séduit par les deux duchesses du royaume dont il use avec plaisir, provoquera la mort de Regan, empoisonnée par sa soeur, Goneril, avant que cette dernière mette fin à ses jours et que lui, Edmond, soit vaincu en duel par Edgar.
Quant à lui, Lear va progressivement réaliser ses erreurs, redevenir lui-même, plus humble et plus humain qu’au début de la pièce. Il se réconciliera avec Cordelia mais ne pourra éviter la pendaison de sa fille et à son tour, mourra, fou de douleur. A la fin de la pièce, Albany renoncera au royaume au profit d’Edgar et de Kent, les deux fidèles serviteurs du roi Lear, avec cet hommage célèbre entre tous rendu au défunt : Au poids de ce triste temps il nous faut obéir; dire ce que nous éprouvons et non ce qu’il nous faudrait dire. Les plus vieux ont tant souffert : nous qui sommes jeunes, nous n’en verrons jamais autant, ni ne vivrons assez longtemps.
Pour la beauté de la langue, voici le texte en langue anglaise :
The weight of this sad time we must obey ;Speak what we feel, not what we ought to say.The oldest hath born most : we that are YoungShall never see so much nor live so long.(Acte V, Scène III)Terrible, n’est-il pas vrai ? Au premier degré, ce drame né de la quête du pouvoir où tout est permis pour l’atteindre – la flatterie, le mensonge, le cynisme, la trahison - tendrait à condamner les uns et vénérer les autres. Pas si simple, car à y regarder de plus près, Lear lui-même, tyrannique et vaniteux, n’entraîne-t-il pas dans sa chute, les conséquences de son aveuglement et de sa vanité ? Enfin, la lumière demeure omniprésente dans cette pièce avec la place réservée aux justes – Cordelia, Edgar, Kent – dont la fidélité et la droiture passent par le dévouement, la sincérité, l’abnégation. Ils ne reçoivent pourtant pas tous leur juste récompense.
Pessimiste, Shakespeare, ou tout simplement réaliste? A vous de choisir...
traduit par Yves Bonnefoy (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 2008)
07:00 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | | Imprimer | Facebook |