Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/01/2013

Les pièces de Shakespeare 8a

Roméo et Juliette

littérature; théâtre; livres

Dans l'oeuvre de William Shakespeare, la pièce de théâtre Roméo et Juliette - écrite au début de sa carrière - demeure certainement la plus populaire entre toutes.

L'action se passe à Vérone et met en scène deux grandes familles ennemies, les Montagu et les Capulet. A un bal masqué donné par les Capulet, Roméo - un Montagu - tombe follement amoureux de Juliette, une Capulet promise en mariage au comte Paris, un jeune noble. Il la retrouve à la nuit tombée, sous son balcon, pour lui déclarer son amour. Eperdument amoureux, ils demandent le lendemain au frère Laurent de les marier. Mais leur bonheur sera bref. Tybalt, cousin de Juliette, provoque Roméo en duel, qui refuse. Mercutio, le confident et ami de Roméo, courageux, intelligent, et doué pour la poésie, accepte de le remplacer. Il se bat donc contre Tybalt et meurt. Roméo veut venger la mort de son ami. Il provoque à son tour Tybalt en duel et le tue. Roméo est alors banni de la ville. Le père de Juliette oblige sa fille à épouser le comte Paris. Le mariage doit avoir lieu le lendemain. Juliette s'y refuse et court chez le frère Laurent qui lui remet une potion pouvant lui donner l'apparence de la mort pendant quarante heures. Le frère promet d'avertir Roméo de l'astuce. Mais Roméo ne reçoit pas le message à temps et, croyant Juliette morte, décide d'aller la rejoindre pour l'éternité. Il se rend sur la tombe de Juliette et y rencontre Paris. Un duel a lieu entre les deux jeunes hommes et Paris, mourant, demande à Roméo de l'amener près de Juliette. Celui-ci accepte. Roméo embrasse Juliette avant de boire du poison et de mourir à son tour. À son réveil, Juliette découvre Roméo mort près d'elle. Ne pouvant imaginer la vie sans lui, elle se poignarde et meurt à ses côtés.

Pourquoi ce drame de la passion connaît-il aujourd'hui encore un si vif succès? Aimons-nous tout particulièrement, dans nos humeurs mélancoliques, les histoires d'amour qui finissent mal? Oubien derrière cette querelle de familles rivales entre Capulet et Montagu, y lisons-nous les conséquences inévitables du pouvoir aveugle, exercé sans mesure, et qui en d'autres temps, dans un autre contexte, aurait emprunté les masques obscurs de la religion ou de la politique avec autant de véracité pour fracasser ce qu'il se peut trouver de noble et de précieux sur terre?

Sans doute un peu de tout cela mais, une fois n'est pas coutume, Shakespeare n'a semble-t-il pas cherché autre chose que de projeter sur la scène l'image d'un amour pur, sincère et absolu, qui n'est pas le fruit d'intrigues de cour et qui, jusqu'à sa fin tragique, ne se laisse ni corrompre, ni décourager:

Beauté trop précieuse pour la possession,
trop exquise pour la terre!
Telle la colombe de neige dans une troupe de corneilles,
telle apparaît cette jeune dame au milieu de ses compagnes.
Cette danse finie, j'épierai la place où elle se tient,
et je donnerai à ma main grossière le bonheur de toucher la sienne.
Mon coeur a-t-il aimé jusqu'ici?
Non ; jurez-le, mes yeux!
Car jusqu'à ce soir, je n'avais pas vu la vraie beauté. 

Même la mort n'altère la beauté de leurs sentiments. Ce n'est pas du coeur - propre aux malentendus, aux enchantements imaginaires ou à l'ignorance - que naît le drame de Roméo et Juliette, mais de la seule malveillance - voire la haine - des hommes: un thème cher à son auteur et qu'on retrouve par la suite dans nombreuses de ses pièces, avec davantage d'ironie, de noirceur ou d'amertume.

Si Roméo et Juliette a inspiré maints écrivains, on peut être surpris d'apprendre que la musique n'en est pas le parent pauvre. Ainsi, Charles Gounod et Vincenzo Bellini pour l'opéra; Hector Berlioz, Piotr Ilitch Tchaïkovski et Serge Prokofiev dans leurs oeuvres orchestrales; sans oublier, plus récemment, Leonard Bernstein et son célèbre West Side Story...

traduit par Olivier Py (coll. Papiers/Actes Sud, 2011)

16:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

11/12/2012

William Shakespeare

Bloc-Notes, 11 décembre / Les Saules 

littérature; théâtre; films; livres

Il m'arrive d'être émerveillé de ce que la télévision, parfois, peut ajouter une dimension supplémentaire à une oeuvre en elle-même d'une richesse au-delà de toute mesure. Pour les plus anciens parmi vous, peut-être vous souvenez-vous qu'entre 1978 et 1985, la chaîne française FR3 - à l'époque une coproduction de La Sept - a diffusé l'intégralité des pièces de William Shakespeare, soit 37 oeuvres, tous les samedis après-midi. Un rendez-vous inmanquable dont je conserve aujourd'hui encore les cassettes VHS, comme l'un des plus beaux fleurons de ce que la télévision est capable de créer.

Produite par la BBC, cette réalisation respecte scrupuleusement le texte des pièces de théâtre, mais y ajoute les décors naturels, précieux dans les oeuvres telles Le conte d'hiver, Comme il vous plaira, La tempête ou Cymbeline. Les acteurs sont ceux de la célèbre Royal Shakespeare Company, et parmi les interprétations exceptionnelles, il me plaît de citer Derek Jacobi dans Hamlet, Michel Hordern dans Le roi Lear et La tempête, Jeremy Kemp dans Le conte d'hiver, Kenneth Colley dans Mesure pour mesure, enfin Helen Mirren dans Comme il vous plaira et Le songe d'une nuit d'été.

De nombreux autres acteurs - parfois inconnus du public francophone - méritent d'être cités ici: John Gielgud, John Shrapnel, Trevor Peacock, Anna Calder-Marshall, John Cleese, Jane Lapotaire, Patrick Ryecart, Rebecca Saire, Celia Johnson, Bob Hoskins, Charles Gray, Mike Gwilym, Anthony Hopkins, Amanda Redman, Claire Bloom, Cherie Lunghi, Leonard Rossiter, Peter Benson et tant d'autres!

Aujourd'hui, dans un magnifique coffret, ces 37 pièces de théâtre - disponibles en VO sans sous-titres - sont enfin éditées avec un sous-titrage en français ou anglais moderne, à choix - tirage limité, semble-t-il - présentées pour chacun des titres par Jean-Pierre Richard, contributeur aux oeuvres de William Shakespare pour la Bibliothèque de la Pléiade consacrée à cet auteur.

Un mot encore sur le prix: entre 87 et 92 euros pour ce coffret, voilà qui n'est pas excessif et vaut largement une restriction sur un autre achat! Cela dit, sur le site de la Royal Shakespeare Company, les pièces de théâtre de cette édition peuvent être achetées séparément. En France, c'est seulement le cas pour les Comédies et les Tragédies, à ce jour.

Enfin, ci-dessous, voici un extrait de la production de Hamlet, avec Derek Jacobi et Lalla Ward. D'autres extraits sont disponibles sur YouTube ou ont déjà été intégrés à propos des pièces de Shakespeare sur La scie rêveuse...


littérature; théâtre; films; livres

pour une commande en VO sans sous-titres: http://www.rsc.org.uk/shop/category/d2a2c7b8-e77c-4687-a9d1-8064e86271ab

pour une commande en VO avec sous-titres: http://www.touslesprix.com/comparer/fiche346953.html

09/12/2012

Lire les classiques - William Shakespeare

William Shakespeare

MIRANDA[1]. sir_frank_dicksee,.jpg

Contemple en moi ce moment de l'année
Où ont jauni puis sont tombées les feuilles,
Et peu en restent, chapelle en ruine, nue,
Où les chantres, ce furent tard des chants d'oiseaux.
 
Contemple en moi la journée qui s'achève,
La trace de soleil que les ténèbres,
Cette autre mort, vont effacer, qui cousent
Pour le repos les paupières de tout.
 
Contemple en moi le rougeoiement d'un feu
Qui gît parmi les cendres de sa jeunesse,
Ce lit de mort où il faut qu'il succombe,
Usé par cela même qui l'a nourri.
 
Contemple, et contempler fasse ton amour
Plus fort, d'aimer ainsi, beaucoup, ce qu'il faut perdre

William Shakespeare, Sonnet LXXIII, dans: Les Sonnets / précédé de: Vénus et Adonis - Le Viol de Lucrèce (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

traduit par Yves Bonnefoy

image: Frank Bernard Dicksee, Miranda (pre-raphaelite.diandian.com)

10/03/2012

Les pièces de Shakespeare - 7b

Peines d'amour perdues

Voici un extrait de cette pièce de Shakespeare - Acte V, Scène II - qui conclut pour ainsi dire cette comédie. Il est lu par Francis Jeater, dans sa langue originale. Ci-dessous, vous en trouvez la traduction.


Le printemps, chante les deux couplets suivants:
 
Quand la marguerite étoilée et la violette azurée,
Quand la primevère argentée
Et les marguerites d'or
Émaillent les prés de riantes couleurs,
Le coucou alors, de feuillage en feuillage,
Se moque des maris en chantant
Coucou,
Coucou, coucou. ô mot redoutable!
Fatal à l'oreille d'un époux.
 
Quand les bergers enflent leur chalumeau d'avoine;
Quand l'alouette joyeuse sonne le réveil du laboureur;
Quand les tourterelles se caressent, et roucoulent et murmurent,
Et que la jeune bergère blanchit son linge,
Le coucou alors, de feuillage en feuillage,
Se moque des maris en chantant
Coucou,
Coucou, coucou. ô mot redoutable!
Fatal à l'oreille d'un époux.
 
L'hiver, chante à son tour:
 
Quand les glaçons brillent aux toits;
Quand le berger Guillot souffle dans ses doigts;
Quand Pierrot entasse des souches dans le foyer ;
Quand le lait gèle et durcit dans le vase,
Que le sang se glace et que les chemins se salissent,
Alors la chouette effrayante chante dans la nuit
Toou oüe,
Tou oüe, to oüe, note faite pour plaire!
 
Quand la grosse Jeanne écume son pot ;
Quand tous les vents sifflent déchaînés ;
Que la toux emporte le prône du pasteur,
Que les oiseaux sont blottis dans la neige ;
Quand le froid rougit le nez de Marianne ;
Quand les pommes rôties sifflent sur le feu,
Alors la chouette effrayante chante dans la nuit
Toou oüe,
Tou oüe, to oüe, note faite pour plaire!

traduit par Pierre Messiaen (Comédies - Desclée de Brouwer, 1961)

02:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare - 7a

Peines d'amour perdues

William Shakespeare.jpg

Cette pièce de théâtre, écrite probablement vers 1596 - l'époque de Songe d'une nuit d'été et de Roméo et Juliette - s'inscrit dans le cycle des comédies de Shakespeare, ou des romances dans la classification anglaise.

De quoi s'agit-il ici? De Ferdinand, roi de Navarre, ainsi que de ses trois compagnons: Biron, Longueville et Dumaine. Ensemble, ils font serment de se consacrer à l'étude et de renoncer à la frivolité, aux excès, aux plaisirs, et de redonner ainsi à la cour son sérieux, son intelligence, sa noblesse. Cette promesse - bien entendu - inclut le renoncement à toute conquête féminine... Ainsi, ils seront mis à très rude épreuve lorsqu'arrivent parmi eux la reine de France accompagnée de ses dames de compagnie: Rosalinde, Marie, et Catherine. Leurs coeurs vont s'enflammer comme fétus de paille, et les voici éperdument amoureux. Oubliés leurs engagements? Le destin - une fois encore - vient mettre un peu d'ordre dans cette comédie libertine: la princesse, apprenant la mort de son père, rejoint ses terres de France avec ses suivantes, non sans que toutes ensemble promettent à leurs galants, un an plus tard - le temps du deuil familial - un rendez-vous qu'on suppose prometteur pour ces jeunes gens, à la seule condition que, pendant leur absence, ils se consacrent à des oeuvres charitables afin d'effacer le parjure et leur prouver par ce sacrifice, la sincérité de leurs sentiments.

Injustement considérée comme une pièce mineure de Shakespeare, c'est pourtant l'une des seules qui soit tout à fait originale, c'est-à-dire non inspirée de textes antérieurs. D'autre part, pour qui ne maîtrise pas la langue anglaise classique, c'est l'une des oeuvres les plus ardues à lire, avec ses jeux de mots, son mélange d'érudition et de moquerie, de tendresse et d'insouciance, de prétention et d'ingénuité. Probablement un cauchemar pour les traducteurs!

Une romance vraiment, Peine d'amour perdues? Sans aucun doute, mais comme toujours avec cet auteur, sous les rires, les caricatures et la pétulence de la jeunesse, on peut y lire la précarité des voeux, la trahison des promesses, les vélléités de l'ascétisme et le passage difficile de la séduction à la preuve de l'amour. Pourtant, Peine d'amour perdues demeure une comédie pleine de charme qu'il vaut la peine de découvrir.

On y retrouve aussi l'un des plus beaux poèmes de Shakespeare: Si l'amour m'a rendu parjure, comment pourrai-je faire serment d'aimer? Ah! il n'est de serments constants que ceux qui sont faits à la beauté; quoique parjure à moi-même, je n'en serai pas moins fidèle à toi. Ces pensées, qui étaient pour moi comme des chênes, s'inclinent devant toi comme des roseaux. L'étude abandonne ses livres pour ne lire que dans tes yeux où brillent tous les plaisirs que l'art peut comprendre. Si la science est le but de l'étude, te connaître suffit pour l'atteindre. Savante est la langue qui peut bien te louer. Ignorante est l'âme qui te voit sans surprise... (Acte IV, Scène II)

On voudrait avoir écrit ces vers...

traduit par Pierre Messiaen (Comédies - Desclée de Brouwer, 1961)

02:42 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/02/2012

Vous avez dit 2 euros ?

Bloc-Notes, 5 février / Les Saules

littérature; nouvelles; poésie; correspondance; essais; philosop

Si je ne fais erreur, c'est en 2006 que les éditions Gallimard lancent la collection Folio 2 euros, qui, comme vous le constatez, aborde à prix tout à fait raisonnable les grands noms de la littérature ou de la philosophie de tous les temps, de tous les horizons: de Lucrèce à Renée Vivien, de Miguel de Unanumo à Ian McEwan, de Lao-Tseu à Mario Soldati. 330 titres parus à ce jour, pour la plupart des nouvelles ou extraits d'oeuvres plus importantes, parfois difficiles d'accès dans une autre version.

Les anthologies, au nombre d'une quinzaine environ, jouissent d'une succès mérité. Parmi elles Que je vous aime, que je t'aime! consacré aux plus belles déclarations d'amour. Vous pouvez y retrouver, entre autres, celles d'Ovide, de Madeleine de Scudéry, de William Shakespeare, ou d'Emily Brontë. Dans 1, 2, 3... bonheur! c'est le bonheur en littérature qui est célébré, sous la plume de J.M.G. Le Clézio, André Gide, Oscar Wilde ou Guy de Maupassant. Enfin, Leurs yeux se rencontrèrent nous immerge dans les plus belles premières rencontres en littérature: Guillaume de Lorris, Ernest Hemingway, Louis Aragon ou Alessandro Baricco sont invités dans ce recueil par ailleurs consacré à bien d'autres auteurs.

Parmi les publications récentes, citons L'art du baiser dans la littérature, recueil où figurent Louise Labé, Violette Leduc, Arundhati Roy, David Foenkinos ou encore Pablo Neruda, avec ces vers immortels: Ce qu'il t'en aura coûté de t'habituer à moi, à mon âme esseulée et sauvage, à mon nom que tous chassent. Tant de fois nous avons vu s'embraser l'étoile du Berger en nous baisant les yeux et sur nos têtes se détordre les crépuscules en éventails tournants. Mes paroles ont plu sur toi en te caressant.

Sur un tout autre registre, Ne nous fâchons pas! nous entraîne à l'art de se disputer au théâtre, en compagnie de Molière, Beaumarchais, Alfred de Musset, Edmond Rostand, Georges Feydeau et Eugène Ionesco. Un régal! Pour terminer, Au pied du sapin nous plonge dans les contes de Noël. Cette anthologie est probablement l'une des plus originales, car outre les textes les plus célèbres, on prend plaisir à lire, sur ce thème, Jean Giono, Théophile Gautier, Luigi Pirandello, Fédor Dostoievski ou Alphonse Allais.

Ces Folio à 2 euros, dont la variété des titres est impressionnante, seront la compagnie idéale des voyageurs en transport public, en train et - quand le printemps puis l'été seront des nôtres - à bouquiner sur un banc, au bord d'un lac ou d'une rivière, comme la jeune fille de la photographie...  

Collection Folio 2 euros (Gallimard)

image: Les humeurs de Bernard, Comment faire une pause?

(http://les-humeursdebernard.over-blog.com/article-comment-faire-une-pause-72371682.html)

11/11/2011

Actualité de la poésie 1/2

Bloc-Notes, 11 novembre / Les Saules

littérature; poésie; livres

Rares sont les magazines qui consacrent leurs colonnes à la promotion de la poésie, et c'est bien dommage car les efforts de qualité chez certains éditeurs - Gallimard, Mercure de France, Corti, Actes Sud, Cheyne, La Dogana, Héros-Limite, Conférence ou Empreintes pour n'en citer que quelques-uns - méritent un coup de pouce au regard de leur engagement financièrement plus délicat que la publication d'un roman, par exemple. Pourtant, comme dans une diététique du corps où rivalisent les sucres rapides - la majorité des oeuvres dites de (auto)fiction au succès souvent volatile - et les sucres lents - la poésie, les essais littéraires lus sans lien d'importance avec l'actualité - lesquels laisseront en nous l'empreinte la plus durable, la plus bénéfique, détachée des modes ou des convenances? A chacun d'y répondre: vraissemblablement un mélange des deux, sauf que, pour reprendre notre image, les sucres rapides sont accessibles en abondance dans les grandes chaînes de librairies, alors que pour les autres - à l'exception de la coll. Poésie/Gallimard - il faut se tourner vers les librairies indépendantes ou... les sites Internet - sans oublier Facebook - qui favorisent, exaltent ou éditent les ouvrages de ces domaines confidentiels désertant les rayonnages de nos professionnels du livre. Tout un débat dont les réponses sont multiples, contradictoires et mouvantes comme... les habitudes alimentaires!

Parmi les nouveautés en poésie, sachez que vient de paraître l'un des plus émouvants recueils de Yves Bonnefoy, intitulé L'heure présente qui, malgré son exigence poétique et son dépouillement, gagne en simplicité au fil des ans, avec ses battements de coeur déclinés au rythme de la nature et des hommes: On dit qu'on fait des feux sur des barques, dans ces pays de montagne. Que ces barques dérivent à travers le lac, tard la nuit. Allons voir, regardons loin devant nous puisque notre maison n'existe pas. D'admirables pages évoquent la haute mer, l'authenticité des choses vues, la sacralisation du livre, le mythe de Vénus et d'Adonis. On trouve également, dans ce volume, deux textes consacrés à la mise en scène de Hamlet - dont Yves Bonnefoy a, par le passé, assuré une traduction devenue célèbre - aux côtés de Raturer outreL'heure présente - qui donne son titre au présent livre -, Frissons d'automne, et Aller, aller encore: à lire et relire avec reconnaissance envers ces pierres rares qui gonflent les poches de notre pardessus et ne vieillissent pas.

La même exigence hante Les marges du jour de Jean-Pierre Lemaire, poète peu connu né à Sallanches - en Haute Savoie - voici 63 ans. Cet éloge de la vraie vie ancrée dans un quotidien en constant mouvement, se rapproche de l'univers d'un Yves Bonnefoy ou d'un Philippe Jaccottet, qui tous deux ont salué la première édition de ce recueil paru en 1977 - très tôt épuisé - et que La Dogana ajoute aujourd'hui à son catalogue. La nuit laisse partout des indices / ces prunes bleues, secrètes sous les feuilles / et tu regardes monter le soleil / sur le balcon en marge du temps... Ces textes essentiels, dignes des plus grands poètes contemporains, sont, dans une préface inédite, présentés par Philippe Jaccottet.

Et le voyage en poésie se poursuit... demain!  

Yves Bonnefoy, L'heure présente (Mercure de France, 2011)

Jean-Pierre Lemaire, Les marges du jour (La Dogana, 2011)

image: Antonio Canova, Vénus et Adonis (http://elbamboso.blogspot.com/2011/02/seduccion.html)

12/06/2011

Les pièces de Shakespeare - 6b

Le conte d'hiver



23:36 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Les pièces de Shakespeare - 6a

Le conte d'hiver

littérature; théâtre; livres 

Léonte, roi de Sicile et Prolixène, roi de bohème ont été élevés ensemble, comme deux frères, mais, alors que Prolixène se rend en Sicile, Léonte est pris d'une folie passionnelle et souterraine qui prend les allures d'une jalousie aussi ténébreuse que dévastatrice. Elle envahit tout au point qu'en son pouvoir de roi, débordé par ses sentiments personnels, il en oublie ses devoirs et se mue en tyran. Il soupçonne ainsi son épouse Hermione de nourrir une relation adultère avec son ami d'enfance et de porter dans son ventre l'enfant de cette trahison. Il fait donc mettre Hermione sous les verrous après l'avoir publiquement humiliée, tente d'empoisonner Prolixène sans y parvenir. Ce dernier, grâce à Camillo, loyal serviteur de Léonte - qui n'admet pas l'injustice dont fait preuve son maître - parvient à s'enfuir. En prison, Hermione accouche d'une fille, Perdita. Abandonnée sur un lointain rivage afin d'y mourir, elle entraîne la perte du goût de vivre de sa mère Hermione qui, même lavée de toute infamie, redevenue aux yeux du roi la reine de Sicile, se laisse mourir. Quant au premier enfant de l'union royale, Mamillius, ulcéré par l'injustice du roi envers sa mère, il meurt, lui aussi. La première partie de cette oeuvre, s'achève dans le drame, offrant aux spectateurs le visage d'un Léonte accablé et brisé par sa propre folie, désormais privé d'amis - Prolixène et Camillo - entouré de ses propres morts.

Aucune autre pièce de Shakespeare - pas même Le roi Lear ou Macbeth - n'atteint aussi rapidement que dans Le conte d'hiver un tel paroxysme de délire obsessionnel, de violence irraisonnée, de destruction implacable. Le thème de l'orgueil, de l'innocence bafouée, du mal et de ses conséquences, se trouve une fois encore au coeur de cette intrigue qui - nous le verrons plus loin - réserve bien des surprises. Au début de l'acte IV, le Temps fait son apparition et lève le voile sur ce qui va suivre et qui, seize ans plus tard, nous fait passer de la plus sombre tragédie à une délicieuse romance, ainsi qu'il en est de Comme il vous plaira et La tempête:

Moi qui plais à certains, qui éprouve tout le monde,
à la fois joie et terreur des bons et des méchants,
moi qui fais et défais l'erreur,
il est temps maintenant, au nom du Temps,
d'user de mes ailes.
Laissez-moi passer, tel que je suis,
le même, plus ancien que l'ordre ancien
ou que celui d'aujourd'hui:
je suis le témoin des temps qui les firent naître,
et je serai le témoin de ceux qui règnent maintenant.
De même que je ternirai l'éclat du présent,
de même mon histoire semble terne maintenant.
Si votre patience le permet, je retourne mon sablier
et je vais faire un grand saut à ma pièce,
comme si vous aviez dormi entre-temps.

Contrairement aux pressentiments de l'acte précédent, Perdita n'est pas morte. Devenue une séduisante jeune fille recueillie par des bergers, elle est sur le point de se marier avec Florizel, qui n'est autre que le fils du roi Polixène, le roi de Bohème et l'ami trahi par Léonte. Après les soubresauts d'un hasard qui ne fait pas nécessairement mal les choses, tout le monde se rend en Sicile où le roi inconsolé retrouve son fidèle ami de toujours. Les noces de Perdita et de Florizel sont célébrées, et tandis que Léonte se recueille devant la statue commémorative de son épouse défunte qui lui ressemble trait pour trait, celle-ci s'anime et ressuscite Hermione qui lui pardonne tout le mal subi seize ans auparavant. La mort elle-même semble vaincue, comme si les forces de l'invisible avaient, par un ballet mystique et déroutant, régénéré l'innocence première.  

Le contraste est plutôt violent entre le début et la fin de l'histoire, mais tout le génie de Shakespeare - ici au sommet de son art - transparaît dans une thématique qui ne se trahit jamais mais offre de subtiles nuances au fil du récit. Face à la jalousie et à la trahison, s'érige la loyauté et la beauté des sentiments: si le temps engloutit les regrets, les torts et les amertumes, il est aussi capable d'éveiller le pardon, le rachat et la guérison; si les parents portent le sceau du mal, leurs descendants par la pureté de leurs intentions, peuvent le réduire ou l'effacer. 

Enfin, Le conte d'hiver, davantage que Roméo et Juliette, nous offre par la voix de Perdita, s'adressant à Florizel, l'un des plus beaux poèmes d'amour nés sous la plume de Shakespeare: 

Non, jamais je ne planterai
une seule de ces boutures dans mon jardin.
De même que je ne voudrais pas que ce garçon me dise,
si j'étais maquillée:
c'est bien, et que ça lui donne envie de me faire l'amour.
Prenez ces fleurs, c'est de la chaude lavande,
de la sarriette, de la marjolaine,
et puis le souci, qui se couche en même temps que le soleil
et se lève en larmes en même temps que lui.
Oui, toutes ces fleurs me manquent
pour vous en faire des couronnes,
et vous, mon doux ami,
pour vous en couvrir tout entier. 
 

Un pur chef d'oeuvre! 

 William Shakespeare, Un conte d'hiver (Minuit, 1988)

traduit par Bernard-Marie Koltès

23:35 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Théâtre, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/05/2011

Lettre à un jeune libraire 3/3

Bloc-Notes, 16 mai / Les Saules

littérature; librairie 

Les saisons se sont succédées avec un bonheur semblable aux années de la vigne, tantôt exceptionnel dans sa limpidité, tantôt mesuré, quoique jamais ordinaire pour autant. Tu as vu avec tristesse et reconnaissance quelques passeurs de livres s'éteindre à tout jamais, mais quel étonnement bienfaisant à la vue de ces jeunes libraires qui habillent de couleurs nouvelles ce jardin mouvant et enchanteur! Ils t'interpellent, te provoquent, t'émerveillent, insufflant dans tes veines un souffle nouveau, un remède à la mélancolie et au sceau définitif sur les choses, cette mort lente à laquelle tu tournes le dos avec obstination.

Armé de cette ligne claire, tu grandiras ainsi au carrefour des mondes et des générations, et à cette période charnière de ton existence, la tentation te viendra peut-être - encouragée par tes pairs - de gravir les marches vers les sommets - une direction de librairie, par exemple - avec un plan de carrière auquel tu voudras faire honneur, le mieux possible. Dans un élan conquérant, tu connaîtras l'euphorie d'une nouvelle liberté, mais prends garde: personne, durablement, ne te signera un chèque en blanc. Une autre solitude se manifestera alors dans ta vie: celle des solidarités sélectives qui ne valent la plupart du temps qu'entre gens de même statut, modifiant le rapport naturel aux êtres que tu entretenais jusqu'alors. Tu seras  apprécié sans doute, de la base au sommet de la pyramide de ton entreprise, mais les valeurs que tu déploieras - accomplir ce qu'on attend de toi - susciteront pour les uns, qui sait, de l'admiration à ton égard, alors que pour d'autres, ces mêmes valeurs pourront te valoir du mépris: tout le fragile équilibre du pouvoir limité dans son rayonnement... 

Un chemin difficile aux récompenses incertaines que celui-ci, si tu le choisis. Difficile, mais pas nécessairement impossible à apprivoiser. Certains libraires y seront plus habiles que d'autres, et aucun choix n'est en soi détestable. Tu pourras, à certains jours, briller de mille feux - ceux de ta réussite, de ton enthousiasme et de ton humanité - mais à quel prix?

Si tu doutes de tes capacités - tes subordonnés ont besoin de certitudes, même si, comme en politique elles sont souvent illusoires - tu perdras ton autorité; si tu découvres à tous ta vulnérabilité, ta crainte de l'avenir et des autres - voire ta culpabilité envers eux - tu perdras ta crédibilité; si tu recherches avant tout d'être reconnu et aimé de tous - un vieux rêve de tyran vaniteux qui sévit aux deux extrêmes de l'échiquier - tu seras manipulé... par tous! Si enfin ton coeur s'endurcit - à force de recevoir des coups et de les donner même pour de justes causes - tu perdras jusqu'au souvenir de tes commencements, de tes passions initiales, asphyxiées qu'elles seront par ces cellules grises de la normalité et des prudences collectives, aux dépens de l'imagination, de l'audace et de la créativité individuelles sans lesquelles il ne fait pas bon vivre. 

Quoiqu'il advienne de ta carrière - ou de son absence - l'humour dont tu ne manques pas te permettra, avec une juste distance et une autodérision salutaire, d'absorber les multiples contradictions de ce métier - le plus beau du monde! - dont les bourgeons en fleur, dans ta main ouverte, ne cesseront de voir le jour.  

N'est-ce pas ce que les poètes appellent un sentiment de bonheur au bord des larmes?

Les hommes, à de certains moments, sont maîtres de leurs destinées. Si nous ne sommes que des subalternes, la faute en est à nous et non à nos étoiles. (1)

 

(1) William Shakespeare, Jules César (coll. Folio Théâtre/Gallimard, 2007)

image: buste de Jules César

01:32 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, William Shakespeare | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; librairie | |  Imprimer |  Facebook | | |