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03/08/2012

Au bar à Jules - De la qualité

Un abécédaire: Q comme Qualité

Joseph DeCamp (1858-1923) The Window Blind 1921.jpg

On peut se poser la question de savoir pourquoi certains livres incontournables - objectivement des oeuvres de qualité - ne parviennent pas à nous intéresser. C'est le cas aujourd'hui encore, en ce qui me concerne, pour Guerre et paix de Leon Tolstoï - contrairement à Anne Karénine -, Le côté de Guermantes de Marcel Proust ou L'homme sans qualités de Robert Musil, dont je ne parviens pas à dépasser le premier tiers; parmi les publications plus récentes, Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez est marqué de ce même sceau, même si je considère par ailleurs du même auteur L'automne du patriarche  comme un chef d'oeuvre de la littérature sud-américaine. Enfin, tout près de nous, j'ajoute Les Bienveillantes de Jonathan Littell, malgré les éloges de la critique et celles de nombreux de mes amis lecteurs.

Même si l'originalité du propos, la beauté de la langue ou la structure du récit peut susciter l'admiration, cela ne suffit pas à entretenir la curiosité ou stimuler le plaisir et la magie que peut nous procurer un livre. De plus, ne sont pas nombreux ceux qui se sentent à l'aise avec toutes les littératures et toutes les cultures: freins d'une traduction, d'une éducation rigide, de notre trajectoire personnelle, de désirs de voyages tôt abandonnés. Et que sais-je encore!

Dans son dernier ouvrage Alphabets, Claudio Magris soulève - à propos d'une parabole de Jorge Luis Borgès - une réflexion qui peut s'appliquer aux motivations de nos lectures, s'apparentant à la construction de notre propre visage à travers elles: Notre identité, c'est notre façon de voir et de rencontrer le monde: notre capacité ou notre incapacité de le comprendre, de l'aimer, de l'affronter et de le changer. Nous traversons le monde; ses figures, sur lesquelles se fixe notre regard, nous renvoient comme un miroir notre image, nos images, qui au fur et à mesure que nous avançons vers la destination finale du voyage restent en arrière, elles appartiennent peu à peu à un temps qui n'est plus le nôtre, épaves qui s'accumulent dans le passé.

Dans ce visage à la fois contruit et déconstruit au fil du temps, certaines lectures n'ont pas leur place; d'autres sont délaissées ou prêtes à dessiner une nouvelle empreinte, mais rares sont les ouvrages - à bien y réfléchir - à briller d'un même éclat, inaltérables dans notre souvenir, et tout autant catalyseurs de nos émotions fugitives, là, maintenant, aux premières lueurs du jour...

Claudio Magris, Alphabets (L'Arpenteur, 2012)

Gabriel Garcia Marquez, L'automne du patriarche (coll. Livre de poche/LGF, 1982)

image: Joseph De Camp, The Window Blind (1921)

01/08/2012

Au bar à Jules - De la patrie

Un abécédaire: P comme Patrie

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Lors de mon examen final d'apprentissage en librairie, j'avais à choisir entre deux sujets de rédaction jugés aussi débiles l'un que l'autre - Le 1er août ou Les transports en Suisse - si bien que choisissant Le 1er août, j'avais joué un mauvais tour à mes examinateurs en imaginant deux jeunes compères en chemin pour la montagne du Grütli - à pied - afin d'y célébrer la fête nationale, à leur manière. Le premier n'avait jamais connu son père et cherchait à retrouver dans cet événement une chaleur familiale qui lui était étrangère; son compagnon, quant à lui, venait d'être largué par une jolie danseuse et s'élançait vers les hauteurs avec l'énergie d'un désespoir tout neuf. Au cours de ce pélerinage insolite, nos gais lurons vont faire halte à chaque station au bistrot du village pour se donner du courage, si bien que parvenus au sommet, ils seront ivres au point d'oublier le motif de leur ballade et sombreront dans un sommeil peuplé d'ombres douloureuses et de rêves fracassés, alors que pour les autres, c'est la fête...

Il va sans dire que mon travail fut sanctionné - jugé sans doute irrévérencieux - mais depuis ce temps, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et l'enseignement auprès des jeunes générations a connu une évolution plutôt heureuse! 

Aujourd'hui en guerre contre une certaine autoflagellation qui habite le coeur de bon nombre de mes amis suisses et les clichés les plus éculés qui circulent auprès de nos détracteurs hors des frontières - dans la plupart des pays il en va de même - je revendique une fierté patriotique qui m'est venue dans l'éloignement de la terre, au fil de mes séjours à l'étranger: en Italie et en Angleterre, pour l'essentiel. Ce qu'on pourrait nommer autrement la nostalgie du bonheur suisse, qui ne se borne pas aux plaques de Frigor, à la fondue ou au cor des Alpes.

De mon pays, j'apprécie tout particulièrement la cohésion sociale qui, malgré de vives tensions parfois, laisse toujours le dernier mot à la légitimité et à l'expression démocratique; j'aime ce sens discret des responsabilités où toute démarche n'est pas politique et qui sait bien souvent trancher entre des revendications pertinentes et l'intérêt de la nation; enfin, je mesure la chance d'une gouvernance fédérale au sein de laquelle je peux exprimer en toute liberté mes opinions quant au destin que je souhaite pour la Suisse.

On pourra me dire que cette admiration béate peine à cacher les fissures de l'histoire ou les lézardes de notre système. Pêle-mêle: l'or des nazis, le droit d'asile, le blanchiment d'argent, le röstigraben (fossé linguistique), les fonds en deshérence, l'insécurité. Je ne le nie pas et ne prétends nullement que ma patrie ressemble à une cité divine, mais plutôt que de perdre mon temps et le vôtre à poursuivre dans cette voie, je préfère m'attacher à un exemple très symbolique de la réussite en Helvétie.

J'aurais pu vous parler de Nicolas Hayek - entrepreneur suisse d'origine libanaise, né à Beyrouth, fondateur de Swatch Group, contradicteur de cette image qui veut qu'on soit privé d'imagination en Suisse - mais choisis Roger Federer. Pourquoi? Tout simplement parce que j'y retrouve de nombreuses vertus qui caractérisent ce visage de la Suisse que j'aime: l'homme est discret, il croit en lui-même, il se bat pour réussir. Conquérant sans arrogance, il est ouvert et chaleureux, considéré par ses pairs et ses fans comme un gentleman, de par son respect des autres, sa disponibilité - exprimée en trois langues - et sa fidélité en amitié. Son épouse Mirka Vavrinec, d'origine slovaque, concrétise cette séduction d'un ailleurs qui jalonne nos manuels scolaires. Le succès de Roger Federer et son sens des affaires ne l'empêchent pas de s'engager à travers la Fondation Federer pour des projets en Afrique du Sud, au Mali, en Éthiopie ou en faveur des jeunes athlètes suisses. Et il n'en parle que lorsqu'on lui pose la question à ce sujet.

C'est ce visage de la Suisse que je veux retenir pour la décennie à venir, capable de rayonner malgré sa modeste place dans le monde, qui inspire confiance davantage que ses coffre-forts, qui tient le choc contre vents et marées au sein de l'Europe, davantage par son réalisme, sa faculté d'adaptation et sa compétitivité que par les cadeaux empoisonnés des autres...

Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence, ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. Nicolas Bouvier

Nicolas Bouvier, Oeuvres (coll. Quarto/Gallimard, 2004)

image: Roger Federer / Wimbledon 2012 (tennisnewsviews.com)

29/07/2012

Au bar à Jules - De Ondine

Un abécédaire: O comme Ondine

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On ne lit plus guère Jean Giraudoux, et on a bien tort. Ondine par exemple: une pièce de théâtre inspirée par le conte du romantique allemand Frédéric de La Motte-Fouqué. Il y raconte l'histoire d'une nymphe qui veut s'incarner, non pour trouver dans le monde un univers plus vaste que le sien, mais celui de l'amour apparu sous les traits de Hans, un chevalier errant. En son nom, elle veut prêter vie au sentiment le plus noble, le plus parfait, le plus bouleversant: Le seul homme digne d'être aimé est celui qui ressemble à tous les hommes, qui a la parole, les traits de tous les hommes, qu'on ne distingue des autres que par des défauts ou des maladresses en plus. (...) prélude à un feu intérieur qui, jusqu'alors, lui était inconnu: Depuis que je t'aime, ma solitude commence à deux pas de toi.

Mais dans sa transgression, Ondine à la fois légère et déterminée, sera confrontée à ce qui lui était étranger dans son milieu naturel: le mensonge, l'infidélité, la trahison et la douleur d'un rêve inaccessible qui ne peut fleurir que dans l'imperfection qu'imposent la fragilité et la complexité des sentiments humains : C'est tout petit dans l'univers, le milieu où l'on s'oublie, où l'on change d'avis, où l'on pardonne, l'humanité comme vous dites... Chez nous, c'est comme chez le fauve, comme chez les feuilles du frêne, comme chez les chenilles, il n'y a ni renoncement, ni pardon. A ses dépens, Ondine apprendra que les passions les plus exceptionnelles sont aussi les plus vulnérables.

Elle l'exprimera avec mélancolie et force dans un pathétique aveu, lot de bien des amours de tous les âges: Nous sommes chez les humains. Que je sois malheureuse ne prouve pas que je ne suis pas heureuse. Et plus loin: Les bras des hommes leur servent surtout à se dégager.

Ces mots qui ne subissent en rien la flétrissure du temps sont là pour nous dire à voix basse que la recherche de l'absolu - là où il n'a pas cours - ne peut conduire qu'à la désillusion et qu'il importe peut-être de vivre le moment présent - éphémère autant qu'inexplicable - comme un bonheur inespéré quand il se trouve, là et maintenant, sans l'enfermer dans nos vertiges imaginaires qui savent avec tant de conviction l'évincer du réel...    

Jean Giraudoux, Ondine (coll. Livre de poche/LGF, 2000)

image:  Fanny  Cerrito, Pas de l'ombre / Anonyme - Ondine (Illustrated London News, 1843)

16:21 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; théâtre; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/07/2012

Au bar à Jules - De la normalité

Un abécédaire - N comme Normalité

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S'il est un mot, un seul que j'abhorre - et pas uniquement en politique! - c'est bien celui de normalité. Dans le dictionnaire Littré on peut lire qu'est normal, ce qui est conforme à la norme, courant, ordinaire. Il n'en faut pas davantage pour y reconnaître le profil du gendre idéal, de l'employé modèle ou de l'apprenti philosophe toujours d'accord avec le grand nombre: vertueux souvent cité en exemple, admiré pour sa faculté d'adaptation au conformisme ambiant, sage de paccotille qui ne sait que répéter ce que disent les autres.

Je leur ai toujours préféré les insoumis, les imaginatifs, les passionnés ou les atypiques en tous genres, alliant la candeur, la sincérité, l'audace et les contradictions, dans la vie réelle comme parmi mes artistes préférés. L'un d'entre eux - Stendhal - illustre bien cette humeur qui, en d'autres circonstances effleure ma pensée: Je ne suis plus si content de cette bonne compagnie par excellence, que j'ai tant aimée. Il me semble que sous des mots adroits elle proscrit toute énergie, toute originalité. Si l'on n'est copie, elle vous accuse de mauvaises manières. Et puis la bonne compagnie usurpe. Elle avait autrefois le privilège de juger de ce qui est bien; mais depuis qu'elle se croit attaquée, elle condamne, non plus ce qui est grossier et désagréable sans compensation, mais ce qu'elle croit nuisible à ses intérêts.

Lit de rivières sans profondeur où ne se déverse jamais que l'écume d'eaux usées, la normalité - parente d'un immobilisme bien pensant - est peut-être, en fin de compte, le vrai visage de la bourgeoisie. Dans le très beau film Providence de Alain Resnais, Dirk Bogarde partage à son père John Gielgud cette méditation à laquelle j'ai toujours souscrit: Un bourgeois, c'est celui pour qui les idéologies nouvelles signifient la mort de ses valeurs.

Et ces nouveaux bourgeois baba cool qui ne s'avouent pas l'être, sont légion aujourd'hui autant qu'ils l'étaient autrefois. Seul leur uniforme et les pancartes brandies ont changé. Pas vrai?  

Alain Resnais, Providence (Avant Scène  No 195, 1977)

image: ilovegenerator.com

23/07/2012

Au bar à Jules - Du mime

Un abécédaire - M comme mime 

littérature; roman; musique; danse; livres

C'est en 1973 que Lindsay Kemp réalise son spectacle le plus subversif, cruel, d'une beauté vénéneuse, intitulé Flowers, un hommage à Jean Genêt et à Notre-Dame-des-fleurs, l'une des oeuvres majeures de son auteur. Mais faisons un petit retour en arrière: Lindsay Kemp est né en 1938 à South Shields. Son père était marin, disparu en mer en 1940. Avec sa mère, ils déménagent à Bradford où il étudie la danse avec Hilde Holger et le mime avec Marcel Marceau. Dès son plus jeune âge, il eut la danse dans le sang: Je dansais sur la table de cuisine pour distraire les voisins. Je veux dire, c'était une surprise pour eux de voir un petit garçon tout maquillé, dansant sur les pointes. Finalement, cela en était devenu un peu trop pour ma mère, et elle décida de m'envoyer en pension à l'âge de huit ans, espérant que cela me donnerait un peu de bon sens.

Acteur, mime et chorégraphe, Lindsay Kemp devient connu du grand public en 1968 au Festival d'Edimbourg et dans sa classe, voit s'épanouir Kate Bush et surtout David Bowie qui conservera du passage dans sa troupe, un goût inné pour la mise en scène provocatrice et un registre de créations ambiguës auquel son physique se prête avec ingénuosité. Lindsay Kemp apparaît dans plusieurs films, dont Sebastiane et Jubilee de Derek Jarman, ainsi que dans The Wicker Man de Robert Hardy. Plus important, parmi ses spectacles en qualité de mime et de danseur, mentionnons A Midsummer Night's Dream, Nijinsky, Big Parade et Cerentola.

Avec la Lindsay Kemp Company, la pantomime Flowers est interprétée pour la première fois à Londres, en 1968 et connaît un succès considérable - prélude à une tournée internationale - dépassant, et de loin, la communauté gay. Une mise en scène hallucinante, avec en toile de fond, les musiques de Wolfgang Amadeus MozartJohann Strauss et Pink Floyd. Une descente aux enfers sauvage, burlesque, magique, destructrice et pourtant follement drôle, laissant au coeur du spectateur - et j'étais du nombre - un souvenir inoubliable: tout le parfum sulfureux d'un Jérôme Bosch revisité par un Francis Bacon pour la violence des traits, l'expression de la sexualité et le sens du défi permanent.

En 2002, Lindsay Kemp quitte l'Angleterre pour s'installer en Italie. Il y réalise parmi d'autres créations Salieri, Elizabeth's Last Dance, L'oiseau de feu et L'histoire du Soldat.

Avec le lien ci-dessous - vimeo.com - vous pouvez si le coeur vous en dit, visionner en films et images plusieurs spectacles de Lindsay Kemp...   

Lindsay Kemp 2.jpg


 

Lindsay Kemp 3.jpg

images: Lindsay Kemp

sources: Wikipedia (http://en.wikipedia.org/wiki/Lindsay_Kemp)

extrait de Flowers: Maya Cusell / Madrid 1986 (http://vimeo.com/9805444)

Jean Genêt, Notre-Dame-des-fleurs (coll. Folio/Gallimard, 2012)

10/07/2012

Au bar à Jules - De Liszt 1a

Un abécédaire: L comme Liszt

littérature; musique; livres

Ce n'est pas un hasard, si aujourd'hui sur La scie rêveuse - entre La musique sur FB, Musique classique, Musica présente et autres illustrations musicales - vous pouvez trouver 47 extraits ou oeuvres complètes de Franz Liszt, car ce dernier, aux côtés de Wolfgang Amadeus Mozart et de Jean Sébastien Bach, remporterait parmi mes compositeurs préférés la palme d'or, d'une très courte tête. 

Pourquoi donc? Je pourrais citer de mémoire - en miroir de ses phases de vie parfois tumultueuses - le répertoire extrêmement riche et varié de ses compositions, des Concertos pour piano à Via Crucis, de la Sonate pour piano aux Rhapsodies hongroises, des Années de pélerinage au Rosario pour orgue, sans oublier les célèbres Harmonies poétiques et religieuses, les Rêves d'amour, les variations sur le Salve Regina, ainsi que ses Lieder et les multiples transcriptions de Schubert, Beethoven, Wagner, Donizetti, Verdi, Bellini, Gounod ou Berlioz. Mais tout cela ne suffit à le hisser au sommet de mon panthéon. Il y a autre chose...

Dans chacune de ses notes, j'y lis l'immobilité et le mouvement, l'humilité et l'excès, la décomposition et le renaissance; ça sent le soufre - souvent - comme sur une terre volcanique, où tout est voué à l'anéantissement et renaît pourtant de ses cendres; tout respire la création, la fécondité, les orages intimes, le feu intérieur, la séduction, le mystère, la dissonance et, au bout du compte, un sentiment de paix rejoignant les origines. Aucun compositeur - hormis Hector Berlioz - n'aura autant révolutionné la musique en son temps. Dans les oeuvres de la plupart des compositeurs de génie alternent la tristesse et la joie, l'angoisse et l'apaisement, les forces de la vie et celles de la mort. Chez lui au contraire, ces expressions du coeur humain sont simultanées: une phrase musicale peut contenir à elle seule toutes ces pulsions de l'être. Et c'est là, dans ce souffle obscur et salvateur, que se dessine une parenté bouleversante qui fait la différence.

Le Totentanz - Danse macabre - en est sans doute la plus belle des illustrations. A ce jour, elle est mon oeuvre préférée de Franz Liszt. En annexe, vous pouvez écouter cette oeuvre et comprendre ce que je cherche à exprimer avec un vocabulaire limité, bien au-dessous de son inégalable talent. 

Et si nous valions mieux que le bonheur? dit Franz Liszt, lui dont la vie fut tout entière vouée à l'Amour...

Liste des oeuvres de Franz Liszt: 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_œuvres_de_Franz_Liszt_(S1_à_S350)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_œuvres_de_Franz_Liszt_(S351_à_S999)

Au bar à Jules - De Liszt 1b

Un abécédaire: L comme Liszt

Voici la version pour piano seul - plus saisissante que celle pour piano et orchestre - du célèbre Totentanz / Danse funèbre S 126 de Franz Liszt, interprété par Valentina Lisitsa. 


07/07/2012

Au bar à Jules - De Kafka

Un abécédaire - K comme Kafka

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Il fut un temps - pas si lointain - où l'on brûlait Albert Camus et Franz Kafka, comme de mauvais littérateurs ou écrivains à la pensée trop ancrée dans leur temps, donc jugée dépassée. Pour le premier, le public n'a pas suivi ce caprices des modes et son oeuvre - inclus ses essais et chroniques - est l'une des plus lues parmi les jeunes, et pas seulement par le biais des lectures scolaires obligatoires.

Pour le second en revanche, c'est autre chose. Les clichés les plus grossiers circulent aujourd'hui encore - parmi ceux qui ne l'ont jamais lu, ou peu ou mal - soulignant de façon restrictive la noirceur carcérale de ses écrits, sa personnalité maladive et désespérée. Sa folie, aussi. Quelle folie? Dans son remarquable et court essai que consacre Alexandre Vialatte à ce prince des ténèbres - à qui l'on doit les premières traductions en langue française dès 1924 - il s'attache à des aspects invisibles au lecteur inattentif. Quand on lit Kafka dit-il, il y a sept couleurs dans le prismeCe qui déforme et agrandit, ridiculise, inquiète, angoisse et désespère, ce qui crée l'énigme et le mythe, ce qui transporte l'homme dans un univers scandaleux parce qu'il n'a avec lui aucune commune mesure, ce qui se fait d'une façon qui fait peur, ils l'ont trouvé dans des murs nus, dans le gris qui s'ajoute au gris, dans le vide et dans la platitude. Ils ont perçu le fantôme dans une dalle en ciment et le malaise dans un lavis à teintes plates. Un radiateur fraîchement peint devant un mur ripoliné dégage pour eux le comble de l'angoisse.

Manifestement, le contraire d'un auteur... drôle! Et pourtant, dans Mon KafkaAlexandre Vialatte accroche le lecteur dans un article inhabituel et singulier, intitulé Le joyeux Kafka: Il y a tant d'humour chez Kafka qu'il lui arrive d'oublier Jean qui pleure. Il y a en lui le joyeux Kafka. Si grande que soit la misère de l'homme, sa frivolité bien connue lui permet de vivre ou tout au moins de souffler; ou son humour, ou son plaisir d'artiste; ou sa parfaite adaptation. Il y a des heures où Kafka lui-même se chauffe au soleil sans nul remords. Où son rire est un éclat de rire. Soit qu'il prenne plus son sujet au sérieux, le perde de vue pour une pause, soit qu'il prolonge sur sa lancée quelque arabesque humoristique, pour le seul plaisir de la chose. Au lieu d'un crescendo de l'angoisse, on a alors un crescendo de l'humour qui finit en apothéose. Il est saisi, comme Molière ou Dickens, par la bouffonerie contagieuse de ses situations ou de ses polichinelles, les pousse jusqu'au bout de leur logique, les fignole jusqu'au paraphe dans un vertige de minutie, et se vautre alors dans son plaisir comme le chat dans la valériane.

Que l'on rie en jaune ou en noir - avec cette gaieté qui a mauvaise conscience - il faut relire Kafka de toute urgence! Une seule clef ne suffit à apprivoiser ce théâtre de marionnettes sur lequel notre ombre s'étend, malicieusement...         

Alexandre Vialatte, Mon Kafka (Belles Lettres, 2010)

image: Franz Kafka (wordpress.com)

01/07/2012

Au bar à Jules - De la joie 1b

Un abécédaire - J comme Joie

Une illustration musicale signée Barbara: Chapeau bas. Un document de l'ORTF pour l'émission Cabaret du soir, réalisé le 3 janvier 1959...


17:49 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Barbara, Chansons inoubliables | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique; variété | |  Imprimer |  Facebook | | |

Au bar à Jules - De la joie 1a

Un abécédaire - De la Joie

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Marcel Proust, dans Du côté de chez Swann, parle de la Sonate de Vinteuil - entendue pour la première fois chez les Verdurin - comme d'un plaisir à la fois sensuel, affectif et spirituel capable de laisser ressurgir des fragments de la vie de son narrateur, moments de la mémoire retrouvée, à la fois uniques par leur empreinte indélébile et hors d'atteinte par leur fixation dans le temps, désormais: ici, le reflet de son amour pour Odette de Crécy.

Les instants - souvent brefs ou sans objet particulier - témoignant d'heures heureuses dans ma vie sont de même, autant qu'il m'en souvienne, liés à une phrase musicale. Ainsi en est-il d'un jour pluvieux à Paris non loin des Champs-Elysées où, très tôt le matin, dans un magasin de disques déserté par les clients, j'ai été saisi par le timbre pur, aérien, presque irréel de Teresa Stich-Randall, interprétant le Exultate Jubilate de Mozart. Une minute d'éternité et de joie intérieure mémorables. Bien des années, plus tard, à Londres dans Oxford Street, chez HMV, la même impression, plus ancrée dans le réel, me laisse un arrière-goût tonique et rageur - en pleine phase de reconstruction personnelle - en entendant Cindy Lauper chanter Time after Time, ou David Bowie et son We are the Dead.  

En live, trois images de plénitude et de joie mêlées, ne m'ont jamais quitté: Au Grand Théâtre de Genève, où dans un silence impressionnant au milieu de fans désarmés et au bord des larmes, j'ai vécu le plus beau des concerts de Barbara, en véritable osmose avec son public quand elle joua les premières notes de Chapeau bas: quelque chose de charnel et presque mystique jamais plus éprouvé depuis lors; dans une toute autre ambiance, ce fut The last Night of the Prom's à l'Albert Hall - à Londres encore - sous la conduite de John Pritchard avec le Jerusalem de Parry repris en choeur par tous les spectateurs, dans un climat de fierté, de liesse généreuse et de ferveur comme seuls les britanniques en pareilles circonstances savent l'exprimer; enfin lors d'une retraite à l'Abbaye cistercienne de Hauterive, dans le canton de Fribourg - un 1er août - après l'Office des Complies, l'organiste dans un silence monastique extrêmement émouvant avait interprété à l'orgue l'Hymne National Suisse, seule dérogation au rythme habituel des heures, avant l'extinction des feux: un temps fort de proximité et de distance avec le monde...

De même - dans la joie partagée mais aussi dans la douleur - les visages de mes plus belles rencontres évoquent souvent une couleur musicale: Schubert, Mahler, Beethoven, Mozart, Berlioz, Chopin ou Liszt, mais de même les airs tsiganes, le tango, Jacques Brel ou Bob Dylan. Un habillage qui ne change rien aux souvenirs ou au temps présent, mais qu'ainsi nul autre ne dessine dans sa relation à l'autre, d'une manière identique, comme un invisible ADN...

Les joies du monde sont notre seule nourriture. La dernière petite goutte nous fait encore vivre. (Jean Giono) 

Marcel Proust, Du côté de chez Swann (coll. Folio/Gallimard, 2001)

Jan Giono, Que ma joie demeure (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 2011)

image: Barbara (theinkbrain.wordpress.com)