Au bar à Jules - De la normalité (28/07/2012)

Un abécédaire - N comme Normalité

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S'il est un mot, un seul que j'abhorre - et pas uniquement en politique! - c'est bien celui de normalité. Dans le dictionnaire Littré on peut lire qu'est normal, ce qui est conforme à la norme, courant, ordinaire. Il n'en faut pas davantage pour y reconnaître le profil du gendre idéal, de l'employé modèle ou de l'apprenti philosophe toujours d'accord avec le grand nombre: vertueux souvent cité en exemple, admiré pour sa faculté d'adaptation au conformisme ambiant, sage de paccotille qui ne sait que répéter ce que disent les autres.

Je leur ai toujours préféré les insoumis, les imaginatifs, les passionnés ou les atypiques en tous genres, alliant la candeur, la sincérité, l'audace et les contradictions, dans la vie réelle comme parmi mes artistes préférés. L'un d'entre eux - Stendhal - illustre bien cette humeur qui, en d'autres circonstances effleure ma pensée: Je ne suis plus si content de cette bonne compagnie par excellence, que j'ai tant aimée. Il me semble que sous des mots adroits elle proscrit toute énergie, toute originalité. Si l'on n'est copie, elle vous accuse de mauvaises manières. Et puis la bonne compagnie usurpe. Elle avait autrefois le privilège de juger de ce qui est bien; mais depuis qu'elle se croit attaquée, elle condamne, non plus ce qui est grossier et désagréable sans compensation, mais ce qu'elle croit nuisible à ses intérêts.

Lit de rivières sans profondeur où ne se déverse jamais que l'écume d'eaux usées, la normalité - parente d'un immobilisme bien pensant - est peut-être, en fin de compte, le vrai visage de la bourgeoisie. Dans le très beau film Providence de Alain Resnais, Dirk Bogarde partage à son père John Gielgud cette méditation à laquelle j'ai toujours souscrit: Un bourgeois, c'est celui pour qui les idéologies nouvelles signifient la mort de ses valeurs.

Et ces nouveaux bourgeois baba cool qui ne s'avouent pas l'être, sont légion aujourd'hui autant qu'ils l'étaient autrefois. Seul leur uniforme et les pancartes brandies ont changé. Pas vrai?  

Alain Resnais, Providence (Avant Scène  No 195, 1977)

image: ilovegenerator.com

00:15 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; cinéma; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |