Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/05/2012

Patrick Modiano

9782070321025.gifPatrick Modiano, Un pedigree (Coll. Folio/Gallimard, 2006)

J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne. Les événements que j'évoquerai jusqu'à ma vingt et unième année, je les ai vécus en transparence - ce procédé qui consiste à faire défiler en arrière-plan des paysages, alors que les acteurs restent immobiles sur un plateau de studio. Je voudrais traduire cette impression que beaucoup d'autres ont ressentie avant moi : tout défilait en transparence et je ne pouvais pas encore vivre ma vie.

Patrick Modiano parle de son père et lève avec pudeur et humour parfois le voile sur lui-même, sans fard. Sensible et sobre, à l’image de son auteur.

08:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

25/05/2012

Morceaux choisis - Jacques Prévert

Jacques Prévert

Mina Estevez .jpg

La fermeture éclair a glissé sur tes reins
Et tout l'orage heureux de ton corps amoureux
Au beau milieu de l'ombre
A éclaté soudain
Et sa robe en tombant sur le parquet ciré
N'a pas fait plus de bruit
Qu'une écorce d'orange tombant sur un tapis
Mais sous nos pieds
Ses petits boutons de nacre craquaient comme des pépins
Sanguine
Joli fruit
La pointe de ton sein
A tracé une nouvelle ligne de chance
Dans le creux de ma main
Sanguine
Joli fruit
Soleil de nuit
 

Jacques Prévert, dans: Eros émerveillé - Anthologie de la poésie érotique française (coll. Poésie/Gallimard, 2012) 

image: Metart Fine Photography (2009)

Au bar à Jules - Du détergent

Un abécédaire: D comme détergent

lot-de-3-ecowashball-nettoyage-sans-detergent.jpg

Faudra-t-il que demain - pour paraphraser le film de Michel Audiard mentionné ci-dessous - je réalise à quel point je suis au bord de l'abîme, que le choléra est de retour, que la peste revient sur le monde et qu'il me faudra peut-être sauter dans le premier train venu comme en 40... Car ça grouille de partout, les nettoyeurs en tous genres: chalands de la bonne conscience qui s'efforcent de me retirer l'air que je respire pour cause de salubrité publique, guérisseurs de l'impossible, secouristes de la planète, nouveaux prophètes du bien-être commun. Et ça frotte, ça frotte...

Très en vogue ces temps-ci, ce ballet insipide et lugubre me fait mal à l'âme et ressemble dans mon imaginaire à ces pelouses dont pas un brin d'herbe n'est destiné à dépasser l'autre. Ah! c'est beau, pour sûr! Mais quelle monotonie, quelle vacuité et quel ennui aussi, au bout du compte. Un signe? Tenez, la cigarette - ce cancer possible qui tue moins que la méchanceté collective ou la rumeur - en est un exemple magnifique. Au restaurant, dans les transports publics ou au cinéma, adieu volutes de fumée, et croyez-moi si vous voulez: c'est une bonne chose, même si l'effort et le geste reposent mieux que sous l'habillage d'une loi imbécile, sur une courtoisie naturelle envers son voisin, sa compagne ou ses amis. La mobilisation générale, vous dis-je! Bientôt, le même interdit envahira les terrasses de café, et pourquoi pas mon propre salon? Je n'invente rien... De même, dans un avenir pas vraiment lointain, il sera sans doute devenu inutile d'allumer la télévision. A quoi bon, si aux heures de grande écoute, il me faudra supporter un Humphrey Bogart sirotant un jus d'orange Hohes C ou une Marlène Dietrich mâchant un chewing-gum Hollywood? Imaginez la scène...  

Oui, ça frotte et ça grouille de partout - surtout en ce moment - ces moralisateurs de ma vie publique ou privée qui tentent d'appliquer au monde ce qu'il est déjà difficile d'envisager pour un seul homme: L'alcool qui encourage la lubricité, la nourriture qui entraîne la luxure, le sexe qui précipite l'infarctus. Il y a dans ce credo du corps et de l'esprit à purifier - saisissant même les politiques, en boucle - un détestable retour à Babel: n'est pas Dieu qui veut, dans Sa connaissance et Sa perfection. Condamné à ne pas accepter que ses ailes d'ange fatiguent, ce nouveau messie dont le discours divague davantage que sa pensée, me ramène à l'un de ces bons vieux classiques, Blaise Pascal, qui remet, si l'on peut dire, l'église au milieu du village: La vraie morale se moque de la morale. Je persiste et signe...

A la poubelle donc, les cuves de détergent que j'abandonne avec joie aux candidats potentiels à l'immortalité de la dernière heure! Les taches ne me font pas peur et la normalité - pas plus que la soumission - n'est inscrite dans mes gènes. Les jeux sont faits! Après tout, Dieu en personne reconnaîtra bien les siens. Sinon, au diable...

Michel Audiard, Faut pas Prendre les Enfants du Bon Dieu pour des Canards Sauvages (1968)

image: bien-et-bio.com

06:17 Écrit par Claude Amstutz dans Au bar à Jules - Un abécédaire 2012, Le monde comme il va | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; cinéma | |  Imprimer |  Facebook | | |

24/05/2012

Morceaux choisis - Ana Clavel

Anna Clavel

Violettes_Clavel.jpg 

Je suis enfin dans le bois. Ca sent l'humidité mais aussi un parfum doux et sauvage. Je m'y enfonce comme si je savais que je dois atteindre un lieu précis. Je franchis des ravins et des ruisseaux, des zones épineuses, des broussailles. Au moment où je me crois perdu, j'aperçois un arbre au tronc droit et vigoureux. Je m'approche et découvre une cavité de la taille de mon visage. Mais cette cavité n'est pas vide, à l'intérieur il y a un rayon, je ne sais si d'abeilles ou de guêpes, mais une chose est sûre: il en sort miel et cire, et cet arôme doux et sauvage que je perçois dès le début. Je plonge un doigt dans la coulée qui enduit déjà l'écorce de l'arbre et je sens un frémissement dans la cire qui commence à s'épaissir et forme rapidement le corps d'une fille ressemblant à Susana Garmendia. Elle fait corps avec l'arbre comme si on l'y avait attachée à cet effet. Elle est complètement à ma merci. Je la pénètre avec violence. Elle veut crier mais aucun son ne sort de sa bouche. Je pense alors qu'elle doit être muette. Subitement, je suis terrifié: elle peut tomber enceinte. Mais je réfléchis: elle ne pourra pas m'accuser, il n'y aura pas de conséquences. Je continue à la forcer et je découvre alors que son cri muet, ce cri qui s'étrangle dans sa gorge, est un gémissement de plaisir. 

"Seuls les rêves sont silencieux" me dit une voix sans voix, "Surtout ne te réveille pas." Et bien sûr, je me suis réveillé. J'ai enfin ouvert les yeux et vu que ce n'était pas un rêve: montée sur son plaisir, la chevauchant, mon amazone resplendissait de douceur. 

Ana Clavel, Les Violettes sont les fleurs du désir (Métailié, 2009)

illustration: Ana Clavel

Musica présente 13 - Renata Tebaldi

Renata Tebaldi

cantatrice italienne, 1922-2004

*

Georg Friedrich Haendel

Giulio Cesare in Egitto

" Piangerò la sorte mia"

Giorgio Favaretto


08:19 Écrit par Claude Amstutz dans Georg Friedrich Haendel, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

La citation du jour

Marc Aurèle 

armenia.jpg

Sois la falaise sur laquelle les vagues viennent continuellement se briser, mais qui reste debout et qui calme la furie des eaux environnantes.

Pensées pour moi-même / suivi du: Manuel d'Epictète (coll. GF, Flammarion, 2002)

image: Denier de Marc Aurèle (fredericweber.com)

23/05/2012

Morceaux choisis - René Guy Cadou

René-Guy Cadou

littérature; poésie; livres

Tu es dans un jardin et tu es sur mes lèvres 
Je ne sais quel ‘oiseau t'imitera jamais 
Ce soir je te confie mes mains pour que tu dises 
À Dieu de s'en servir pour des besognes bleues
 
Car tu es écoutée de l'ange tes paroles 
Ruissellent dans le vent comme un bouquet de blé 
Et les enfants du ciel revenus de l'école 
T'appréhendent avec des mines extasiées
 
Penche-toi à l'oreille un peu basse du trèfle 
Avertis les chevaux que la terre est sauvée 
Dis-leur que tout est bon des ciguës et des ronces 
Qu'il a suffi de ton amour pour tout changer
 
Je te vois mon Hélène au milieu des campagnes 
Innocentant les crimes roses des vergers 
Ouvrant les hauts battants du monde afin que l'homme 
Atteignent les comptoirs lumineux du soleil
 
Quand tu es loin de moi tu es toujours présente 
Tu demeures dans l'air comme une odeur de pain 
Je t'attendrai cent ans mais déjà tu es mienne 
Par toutes ces prairies que tu portes en toi

René Guy Cadou, Poésie - La vie entière (Seghers, 2001)

image: Leonor Fini, Le visage endormi, 1974 (weinstein.com)

08:29 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Le poème de la semaine

Edmond Jabès

Que les bois aient des arbres,
Quoi de plus naturel ?
Que les arbres aient des feuilles,
Quoi de plus évident ?
Mais que les feuilles aient des ailes,
Voilà qui, pour le moins, est surprenant.
Volez, volez, beaux arbres verts.
Le ciel vous est ouvert.
Mais prenez garde à l’automne, fatale
Saison, quand vos milliers et milliers
D’ailes
redevenues feuilles,
tomberont.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:16 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

22/05/2012

Robert Bober

littérature; roman; livresRobert Bober, Laissées-pour-compte (P.O.L., 2005)

Les vêtements ont-ils un nom, une âme, une mémoire ? On serait tenté de répondre par l'affirmative après la lecture de ce roman très original qui se déroule entre 1949 et 1964. Ainsi, trois vestes racontent leur histoire : Y a pas de printemps (l’étudiante), Un monsieur attendait (le monde du théâtre) et Sans vous dont l’histoire n’est révélée qu’à la fin du livre. Un prétexte original pour dire l’éphémère du temps qui passe dans un Paris d’autrefois – ponctué par des extraits de chansons de l’époque - avec beaucoup de chaleur, de tendresse et de poésie. En refermant ce livre, vous éprouverez peut-être des remords à jeter vos vêtements usagés…

Egalement disponible en format de poche (coll. Folio/Gallimard, 2007) 

11:22 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Morceaux choisis - Primo Levi 1b

Primo Levi

littérature; poésie; livres

Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non. 

Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas:
Gravez ces mots dans votre coeur.

Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
 

Primo Levi, Si c'est un homme (Pocket, 1998)

image: La mémoire est une faille dans le temps présent (lemotdelasemaine.com)