30/06/2010
Le poème de la semaine
Paul Fort
Le petit cheval dans le mauvais temps,
qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps,
ni derrière ni devant.
Mais toujours il était content,
menant les gars du village,
A travers la pluie noire des champs,
tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
eux derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
un jour qu'il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc,
tous derrière et lui devant.
Il est mort sans voir le beau temps,
qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
ni derrière ni devant.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:17 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
29/06/2010
Anna Cabana
Bloc-Notes, 25 juin / Grindelwald
Vous cherchez un roman intelligent, sensible, mouvementé, agréable à lire pendant vos vacances? Le voici tout trouvé: C'est Inapte à dormir seule, écrit par Anna Cabana. Le titre peut inspirer les pires craintes et le 4e de couverture - qui ne dit rien de l'histoire! - ne rassure pas vraiment. Pourtant, l'histoire d'Eva, la trentaine, sur le point de se marier, est touchante comme un bijou lumineux et fragile. Elle se remémore son passé: Une famille juive venue du Maroc; un père adoré mais divorcé, mal-aimant - et soumis à sa nouvelle épouse - qui la repousse pour son bien; sa dépendance affective jamais assouvie auprès de ses amoureux.
En désespoir de cause, elle s'invente de nouveaux parents: Marguerite Duras - la mère sécheresse comme elle l'appelle - que dans son imagination, elle rêve de marier à Albert Cohen, le père prodigue de Solal, son père de coeur. Un miroir qui la juge, la méprise ou l'apaise, et sous lequel elle tente maladroitement de grandir, désespérément seule, avec sa peur du noir, son besoin d'être veillée et qu'aucun de ses amants ne parvient à comprendre ni combler. Jusqu'à Laurent, un garçon seul comme elle - un goy - qui a su la désarmer et adoucir ses blessures d'enfance dont elle retient que la marelle est une imposture et la réalité d'aujourd'hui, une alchimie dont il est difficile de ne garder au coeur que l'essentiel, en habillant de légèreté tout ce qui gravite autour. Pour lui, elle est prête à s'assagir, mais non à renoncer à sa liberté. Le passage du livre où Eva fait la conquête du rabbin pour qu'il célèbre son mariage est très drôle, révélateur aussi de sa détermination à ne pas tricher avec ses sentiments ou ses convictions.
L'ironie est omniprésente, elle aussi, parfois mordante, dans ce récit. Par exemple, sur son désir fiévreux d'être belle, intelligente comme les autres - et non une métèque - elle jette un regard lucide: La France, c'est la normalité. Les français, ce sont les autres. Ceux qui appellent leurs enfants Edouard ou Eglantine. (...) Elle a beau faire, jamais elle ne sera tout à fait des leurs, une vraie française, acceptée et considérée comme telle. Sur ces déracinés qui lui ressemblent, elle note encore: Quoiqu'ils fassent, ils sentiront toujours le miel d'eucalyptus, l'huile d'argan, les bougainvilliers et les hibiscus. Connaître Rimbaud et Yourcenar sur le bout des doigts et du coeur n'y peut rien changer.
Chronique de la reconstruction d'une femme de caractère, dont les émotions à fleur de peau, volontiers excessives, cachent une tendresse qui peine à assourdir la rage, la provocation et la révolte, ce premier roman réconcilie avec la littérature actuelle, avec autant de bonheur qu'Eva le sera - réconciliée - au terme de l'histoire, avec son propre destin.
Anna Cabana, Inapte à dormir seule (Grasset, 2010)
00:10 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bloc-notes; littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
23/06/2010
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:29 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
19/06/2010
Rentrée littéraire
Bloc-Notes, 18 juin / Les Saules
Avant même de boucler nos valises - départs en vacances oblige - fleurissent déjà, dans les colonnes des journaux et dans les catalogues des éditeurs, les noms des auteurs représentatifs de la rentrée littéraire, située entre le 15 août et le 15 septembre environ, comme chaque année.
Parmi ces nouveautés, je m'attarderai, de préférence, sur quelques curiosités dont les médias ne se feront pas nécessairement l'écho: Black Rock d'Amanda Smyth (Phébus), l'histoire d'une adolescente violée par un père alcoolique qui se réfugie chez une tante à la Trinité pour y réapprendre la tendresse; Le troisième jour de Chouchana Boukhhobza (Denoël) situé à Jérusalem et qui nous raconte l'histoire d'une musicienne et de son élève, à la recherche d'un bourreau nazi dont a été victime l'une des deux protagonistes; Toute une histoire de Hanan el-Cheikh (Actes Sud) dont le portait de la mère dans les années 30 au sud du Liban, laisse apparaître une femme pleine de courage et de dignité; Le sourire du marin inconnu de Vincenzo Consolo (Grasset) qui nous parle du soulèvement des paysans et de la trahison garibaldienne dans la Sicile de 1860; Ma vie de Sophie Tolstoï (Les Syrtes) une autobiographie capitale pour mieux comprendre son père écrivain; Le village d'Ivan Alexeevitch Bounine (Bartillat) premier roman et prix Nobel en 1933; Atteinte à la liberté de Juli Zeh et Ilija Trojanow (Actes Sud) un essai consacré à l'obsession sécuritaire; Débutants de Raymond Carver (L'Olivier) un recueil de nouvelles inédites exhumées par la veuve de l'auteur.
J'y ajoute avec joie Une femme célèbre de Colombe Schneck (Stock) qui sous une forme romanesque dessine le portrait de Denise Glaser, incomparable femme de télévision, célèbre puis oubliée; ainsi que Celles qui attendent de Fatou Diome (Flammarion) où l'émigration est décrite du point de vue des femmes qui restent au pays et attendent leurs époux; enfin Bifteck de Martin Provost (Phébus) qui nous narre les exploits d'André, un boucher de la première guerre mondiale assumant le devoir conjugal des hommes partis au front et ne prévoyant pas qu'à l'armistice, il se retrouverait père de sept enfants...
Bien sûr, il est aussi question, dans cette rentrée littéraire, d'oeuvres attendues: Une forme de vie d'Amélie Nothomb (Albin Michel), Le coeur régulier d'Olivier Adam (L'Olivier), C'est une chose étrange à la fin que le monde de Jean d'Ormesson (Laffont), Un Véronèse d'Etienne Barilier (Zoé), Soufi mon amour d'Elif Shafak (Phébus), Un océan de pavots d'Amitav Ghosh (Laffont), Point Omega de Don DeLillo (Actes Sud), Les jeux de la nuit de Jim Harrison (Flammarion), Suites impériales de Bret Easton Ellis (Laffont), sans oublier le nouveau Michel Houellebecq (Flammarion) dont on ne sait rien, pas même le titre, selon les recettes d'un ridicule markéting à la française!
Je garde pour la fin L'amour est une île de Claudie Gallay (Actes Sud) qui a connu, enfin, une consécration méritée avec Les déferlantes. Son récit parle d'une actrice célèbre qui retrouve sa ville natale - Avignon - après dix ans d'absence. Elle y a vécu jadis un amour passionnel avec le directeur d'un théâtre du festival, qu'elle a quitté pour faire carrière...
Plusieurs de ces textes brièvement évoqués ici, feront ultérieurement l'objet de commentaires, chroniques ou notices dans ces colonnes.
photographie: Claudie Gallay (PIerre Abensure)
00:41 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
12/06/2010
La citation du jour
Erri de Luca
On meurt quand on ne demande plus. Le verbe de la vie, c'est demander, avoir une question, lancer le point d'interrogation vers le haut, assombri ou dégagé. Demander pour forcer la solitude, envoyer loin à voix basse la requête, parce que le souffle et non pas le cri va loin. Demander, parce que ne pas demander, c'est capituler.
Erri de Luca, Sur la trace de Nives (coll. Folio/Gallimard, 2008)
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Erri de Luca, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
09/06/2010
Le poème de la semaine
Henri de Régnier
Un petit roseau m'a suffi
pour faire frémir l'herbe haute
et tout le pré
et les deux saules
et le ruisseau qui chante aussi ;
un petit roseau m'a suffi
à faire chanter la forêt.
Ceux qui passent l'ont entendu
au fond du soir, en leurs pensées
dans le silence et dans le vent,
clair ou perdu,
proche ou lointain...
Ceux qui passent en leurs pensées
en écoutant, au fond d'eux-mêmes
l'entendront encore et l'entendent
toujours qui chante.
Il m'a suffi
de ce petit roseau cueilli
à la fontaine où vint l'Amour
mirer, un jour,
sa face grave
et qui pleurait,
pour faire pleurer ceux qui passent
et trembler l'herbe et frémir l'eau;
et j'ai du souffle d'un roseau
fait chanter toute la forêt.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:07 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
06/06/2010
Sylviane Chatelain
Sylviane Chatelain, Dans un instant (Campiche, 2010)
Il y a dans l'écriture et l'observation du réel, quelque chose de très suisse chez Sylviane Chatelain: Des décors nets dans lesquels se fondent des personnages apparemment sans histoire, soucieux de ne pas déranger ni d'attirer l'attention. Mais tout le talent de l'auteur, rehaussé par des phrases courtes, tient dans l'art d'introduire dans ses récits un grain de sable, anodin au premier abord, mais qui peu à peu déséquilibre des vies trop prévisibles ou sans surprises. Il en est ainsi dans Les géraniums roses, où la disparition d'un pot de géraniums dans le jardin tourne à la crainte et à l'obsession. Dans Le livre aussi, le regard insolite sur un livre balayé par le vent derrière un grillage, ramène à la surface les blessures d'un homme et de son fils. Dans La mariée, une robe jonchant le sol ravive l'échec amoureux du narrateur au fil d'une vie qui s'étire, s'effiloche, respire l'ennui. Dans cet exercice délicat de la nouvelle - Exils ou Dans un instant qui donne le titre à ce recueil - l'auteur nous imprègne de ses thèmes favoris, la filiation, la vieillesse, la fragilité intérieure, d'une plume légère jamais caricaturale ou pesante.
Sylviane Chatelain est née à Saint Imier en 1950. Chez le même éditeur, elle a publié - entre autres - La part d'ombre (1988), De l'autre côté t MS'; font-size: small;">(Prix Schiller 1991), L'étrangère (1999) et Une main sur votre épaule (2006).
18:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; livres | | Imprimer | Facebook |
03/06/2010
La citation du jour
Katherine Pancol
Si on n’a pas de rêves, on n’est rien que de pauvres humains avec des bras sans force, des jambes qui courent sans but, une bouche qui avale de l’air, des yeux vides. Le rêve, c’est ce qui nous rapproche de Dieu, des étoiles, ce qui nous rend plus grand, plus beau, unique au monde… C’est si petit, un homme sans rêves. Si petit, si inutile… Un homme qui n’a que le quotidien, que la réalité du quotidien, cela fait peine à voir. C’est comme un arbre sans feuilles. Il faut mettre des feuilles sur les arbres. Leur coller plein de feuilles pour que ça fasse un grand et bel arbre. Et tant pis s’il y a des feuilles qui tombent, on en remet d’autres. Encore et encore, sans se décourager… C’est dans le rêve que respirent les âmes. Dans le rêve que se glisse la grandeur de l’homme. Aujourd’hui on ne respire plus, on suffoque. Le rêve, on l’a supprimé, comme on a supprimé l’âme et le Ciel…
Katherine Pancol, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi (Albin Michel, 2010)
Image: sur http://www.voyagesphotosmanu.com/ecureuil_roux.html
03:09 Écrit par Claude Amstutz dans Katherine Pancol, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; citations; livres | | Imprimer | Facebook |
02/06/2010
Le poème de la semaine
Paul Claudel
Il est une conception dans la joie, je le veux,
il est une vision dans le rire.
Mais ce mélange de béatitude et d'amertume
que comporte l'acte de création,
pour que tu le comprennes, ami,
à cette heure où s'ouvre une sombre saison,
je t'expliquerai la tristesse de l'eau.
Du ciel choit ou de la paupière déborde
une larme identique.
Ne pense point de ta mélancolie accuser la nuée,
ni ce voile de l'averse obscure.
Ferme les yeux, écoute!
La pluie tombe.
Ni la monotonie de bruit assidu
ne suffit à l'explication.
C'est l'ennui d'un deuil
qui porte en lui-même sa cause,
c'est l'embesognement de l'amour,
c'est la peine dans le travail.
Les cieux pleurent sur la terre qu'ils fécodent.
Et ce n'est point surtout l'automne
et la chute future du fruit
dont elles nourrissent la graine
qui tire ces larmes de la nue hivernale.
La douleur est l'été
et dans la fleur de la vie
l'épanouissement de la mort.
Au moment que s'achève cette heure
qui précède Midi,
comme je descends dans ce vallon
qu'emplit la rumeur de fontaines diverses,
je m'arrête ravi par le chagrin.
Que ces eaux sont copieuses!
et si les larmes comme le sang ont en nous
une source perpétuelle,
l'oreille à ce choeur liquide
de voix abondantes ou grêles,
qu'il est rafraîchissant d'y assortir
toutes les nuances de sa peine!
Il n'est passion qui ne puisse
vous emprunter ses larmes, fontaines!
et bien qu'à la mienne
suffise l'éclat de cette goutte unique
qui de très haut dans la vasque
s'abat sur l'image de la lune,
je n'aurai pas en vain pour maints après-midi
appris à connaître ta retraite,
val chagrin.
Me voici dans la plaine.
Au seuil de cette cabane où,
dans l'obscurité intérieure,
luit le cierge allumé
pour quelque fête rustique,
un homme assis tient dans sa main
une cymbale poussiéreuse.
Il pleut immensément,
et j'entends seul,
au milieu de la solitude mouillée,
un cri d'oie.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:30 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |