La citation du jour (02/01/2012)
Alexandre Vialatte
Les paroles s'envolent, les écrits restent. Où passent-ils? C'est le secret du mois de janvier... Dès le départ des hirondelles, tant de livres affluent de toutes parts chez les critiques, par le train, le bateau ou l'avion. Ils s'y constituent en piles simples, puis en piles doubles, ensuite en murs, ensuite en cubes, enfin en troncs de pyramides. Ils s'y chevauchent, s'y enjambent et s'y soudent. Souvent aussi, ils se détachent: un bruit mat réveille le critique, c'est le livre qui vient de tomber. Ces chutes finissent par combler les passages entre les cubes et les tours. Il faut déblayer à la pelle comme dans un village où la neige bouche les rues, creuser des tranchées pour le trafic. Le critique y circule, grippé, cherchant le talent comme une aiguille dans le foin, une tisane à la main, une bougie dans l'autre (ou alors une torche électrique), pour relever des titres au passage en se retenant d'éternuer. Ici, le futur Goncourt gémit sous une colonne de deux mêtres de haut; là, le futur Femina sort la tête d'un grand cube où il va périr emmuré: l'Interallié appelle du haut d'une pyramide; le Renaudot étouffe entre deux romans-fleuves; un coup de talon involontaire écrase un prochain lauréat. C'est affreux. Moins que l'éternuement. L'éternuement déclenche des avalanches. Tout ce qui était en haut tombe au sol... Il y aurait un remède, si le livre était plus lourd. On en ferait des colonnes plus stables, des pilastres plus pompéiens, des cathédrales plus byzantines. On en tirerait de petits cloîtres gothiques, propices à la méditation, où le critique se promènerait à l'aise, en rond, et soutenu par les Muses.
Alexandre Vialatte, Almanach des quatre saisons (Julliard, 1981)
image: http://www.canstockphoto.fr
07:52 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
l'image c'est l'Arbre à livres ... l'arbre à lettres ...
Écrit par : gilda nataf | 02/01/2012
Les paroles s'envolent, les écrits restent.
Oui comme ils peuvent ! Je découvre avec plaisir et j'imagine la scène ...
Chercher le talent comme on cherche une aiguille dans une boite de foin.
Critiques, libraires et lecteurs sont pris d'assaut pour découvrir "difficilement" les talents dans la surprduction phénoménale !
Mais que vivent les livres papier !
Belle journée Claude.
Écrit par : Abbassia | 08/01/2012