15/03/2015
Morceaux choisis - Roberts-Louis Stevenson
Robert Louis Stevenson
La nuit est un temps de mortelle monotonie sous un toit; en plein air, par contre, elle s'écoule, légère parmi les astres et la rosée et les parfums. Les heures y sont marquées par les changements sur le visage de la nature. Ce qui ressemble à une mort momentanée aux gens qu'étouffent murs et rideaux n'est qu'un sommeil sans pesanteur et vivant pour qui dort en plein champ. La nuit entière il peut entendre la nature respirer à souffles profonds et libres. Même, lorsqu'elle se repose, elle remue et sourit et il y a une heure émouvante ignorée par ceux qui habitent les maisons: lorsqu'une impression de réveil passe au large sur l'hémisphère endormi et qu'au-dehors tout le reste du monde se lève. C'est alors que le coq chante pour la première fois. Il n'annonce point l'aurore en ce moment, mais comme guetteur vigilant, il accélère le cours de la nuit.
Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes (coll. GF/Flammarion, 2013)
image: Les Cévennes, France (dieudeschats.wordpress.com)
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14/03/2015
La citation du jour
Giacomo Leopardi
Comme Anacréon, qui désirait se changer en miroir pour être sans cesse contemplé par celle qu'il aimait, ou en tunique pour la vêtir, en baume pour oindre son corps, en eau pour la baigner, en bandelette pour être serré sur son sein, en perle pour être suspendu à son cou, ou en soulier pour qu'au moins elle le pressât de son pied, de même, moi, je voudrais un moment me transformer en oiseau pour connaître le contentement et la joie qu'ils éprouvent à vivre.
Giacomo Leopardi, Petites oeuvres morales (Allia, 2007)
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13/03/2015
Morceaux choisis - Pierre Clavilier
Pierre Clavilier
J'habite un pays de glaise où les maisons en toutes saisons longent la falaise. Les étoiles se lèvent au son des chants des cormoransvenus des océans jusqu'aux terres essoufflées. Quelques mouettes échouées sur des rochers hurlent au-dessus les transparences blessées de cette houle souvent hostile d'une mer qui s'agite nuit et jour dans un mouvement répété depuis les débuts de l'éternité. Il y a là,sous ces cieux,où le soleil glisse,plus de sauvage que de civiliséet les hommes qui y viventportent inscrites sur eux leurs faces burinéesles failles dessinées par les escarpementsdélimitant leurs rivages où l'eau qui éclate contre la pierreforme une brume continuelle. J'ai donc grandi aux côtés des blocs de granitvagues monolithes oubliés par des géantsdébarquant làil y a longtemps.Ici, si l'on en croit la légende anonyme. Chacun la porte en son sein.Chacun la charrie dans es veinesjusqu'à colorier son sangd'un pigment différent des autres gens... Le cri de la mer a bercé mon oreille.Elle couvrit les pleurs du nourrisson.D'attendre les mugissements marinsj'ai fini par oublierles mugissements marinset les matins d'hiver étaient en cela semblables aux matins d'été. L'herbe ondulante y verdoie les prairies bousculées!A chaque échoun écueiloù l'écume blancherecouvre les profondeurs des bleus étendus.Une chapelle à demi écrouléese dresse à la pointe occidentale.Derrière un pharesillonnent les cieux orphelins.Une écoleoù résonnent encore quelques éclats de rire,les maisons,plus loinun cimetière enclos d'une muraille rocailleuseet plus rien.Pierre Clavilier, Pays d'écueil, dans: Valère Staraselski, L'heure injuste - Anthologie poétique (La Passe du Vent, 2005)
image: Gregory Lepoutre (ornithopix.over-blog.com)
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12/03/2015
La musique sur FB - 2228 F.Liszt
Franz Liszt
Ave Maris Stella, S 64
Bertalan Hock
Strigonium Male Choir
István Baróti
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11/03/2015
Le poème de la semaine
Charles Cros
Au printemps, c’est dans les bois nusQu’un jour nous nous sommes connus. Les bourgeons poussaient vapeur verte.L’amour fut une découverte. Grâce aux lilas, grâce aux muguets,De rêveurs nous devînmes gais. Sous la glycine et le cytise,Tous deux seuls, que faut-il qu’on dise? Nous n’aurions rien dit, réséda,Sans ton parfum qui nous aida. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
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10/03/2015
Morceaux choisis - Charles-François Landry
Charles-François Landry
Un temps vient où le ciel est gris comme la gorge de la tourterelle. Il n'y a plus de saison. Rien n'avance ni ne recule. Le vent qui s'élève est si court qu'il retombe au milieu d'un labourage. Rien qui ressemble à une journée comme une journée. Les routes sont vides. Cette neige qui avait déguisé le pays, elle a même renoncé à rester; sans que personne puisse dire comment cela s'est fait, elle a disparu, et cependant on est bien loin encore des lourdes pluies noires de mars qui sentiraient le désespoir et l'espoir. Non, c'est le temps parfait de l'hiver, trop subtilement froid pour qu'on pense au froid, trop dépouillé pour qu'on pense au dépouillement, trop immobile et sans soleil possible, pour qu'on pense que jamais cela changerait ou s'éclaircirait. Dépassés, les gels qui rendaient les chemins sonores et les herbasses crissantes! Dépassé ce temps de buée qui pouvait se suspendre en si fine glace que par milliers, des plantes mortes jamais visibles sur de hautes tiges, se trouvaient brusquement belles et bien vues, et décorées de givre, et si délicates, qu'on se souvenait de tout ce qui est doux, à leur propos: toiles d'araignées dans la fraîcheur des juins d'aube, roseaux à plumets, ailes de libellule, frémissement du peuplier et du saule.
Maintenant, une eau même, et qui court encore sur des cailloux, au fond d'un fossé, n'éveille rien. On sait, l'esprit sait qu'il existe des lois de physique et de mécanique, et que l'eau, corps liquide, suit la pente, si faible soit la pente. Rien de plus froid qu'une loi.
Aussi bien, l'homme qui ne saurait longuement vivre dans les déserts du coeur, l'homme retourne à l'homme, en lui, et hors de lui. Il est bon de marcher dans un méchant climat. Ce poivre dans la gorge, cette douleur aux yeux, cette lèvre supérieure coupée, c'est vivre, tout cela. Il est juste d'avoir des mains de bois dans des poches de manteau qu'on dirait gercées. Il est loyal d'avoir des genoux de scaphandre, et le poids du monde entre les épaules. Aller d'un village à un autre village, c'est une entreprise. De grands aventuriers ont traversé des mers inconnues sur de petits navires; encore avaient-ils un équipage. Quitter une maison chaude et traverser un temps morne pour gagner une autre maison chaude, n'est-ce donc pas une aventure, aussi?
Jamais plus, se dit-on. Jamais plus. Non, jamais ne reviendront ces jours peut-être absurdes où rien n'avait d'importance sinon la joie. Jours immoraux qui allaient de la fraîcheur d'aube à la tiède soirée tardive, en passant par le midi ardent et l'après-midi lourde; jours où la seule caresse du vent sur la peau rendait triste, d'une voluptueuse tristesse; jours où chaque fille venue d'un peu loin, qui oeuvre aux fenaisons par gestes lents et larges, était un peu de Vénus; jours où chaque auberge vous suggérait une soif et vous posait un problème: boire dans la salle fraîche ou sous la fraîcheur des arbres? Qui de nous n'a été le sybarite qui se plaint d'un pétale de rose mal plié; qui de nous, regardant les chiens couchés dans la poussière, plus défaits que des morts, plus vautrés que des ivrognes, et qui ne se soit senti complice de ette fainéantise? C'était le temps où le chat lui-même dormait à bottes ouvertes comme le chat botté et comme un mousquetaire ripailleur, et il en faut avant que le chat n'abandonne sa belle tenue et se couche, à la courtisane, sans même l'excuse d'être une nourrice chatte qui se laisse fourgonner les mamelles par des chatons dormeurs.
Tout cela, dans quel rêve ébloui l'a-t-on imaginé? Les maisons n'avaient pas de portes, les chambres pas de fenêtres. Aujourd'hui, en venant du dehors, on connaît de subtiles différences entre le froid qui circule sur les champs, le froid retenu entre les maisons d'un hameau, le froid qui se tient devant la porte, le froid pris entre la porte première et la seconde porte.
Tant de science pour souffrir!
Le chat dort proche le poële, et non content, parfois replie ses pattes en mitaines, comme un vieux curé. On dit alors que bise va se lever, ou température descendre encore. C'est qu'il est si frileux, ce geste de mettre pattes sous pattes, comme si quelque manche fourrée pouvait encore s'en venir retomber sur la griffe.
C.F. Landry, Pour quatre coins de terre - illustré par Charles Clément (Eynard, 1948)
image: vers-le-vent.blogspot.com
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09/03/2015
La musique sur FB - 2227 C.Franck
César Franck
Symphonic Variations
Alicia de Larrocha
London Philharmonic Orchestra
Rafael Frühbeck de Burgos
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08/03/2015
La citation du jour
Marcel Proust
C'est quelquefois au moment où tout nous semble perdu que l'avertissement arrive qui peut nous sauver; on a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu'on aurait recherchée en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s'ouvre.
Marcel Proust, Le temps retrouvé (coll. Livre de poche/LGF, 1999)
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07/03/2015
La citation du jour
Georges Courteline
Le Tribunal, après en avoir délibéré:
Attendu qu’il résulte du constat de Legruyère, huissier, et de plaintes au nombre imposant de treize mille six cent quatre-vingt-sept, que La Brige, au mépris des lois sur la décence, a découvert, mis à jour et publiquement révélé une partie de son individu destinée à demeurer secrète;
Attendu que le prévenu, tout en reconnaissant l’exactitude des faits qui font l’objet de la poursuite, objecte du droit absolu, dévolu à tout locataire, d’user à sa convenance d’un logis qui est le sien, et, notamment, de s’y dépouiller dé tout voile si le caprice lui en vient, à condition, bien entendu, de n’être une cause de scandale ni pour les voisins ni pour les passants, ce qui est précisément son cas;
Attendu que La Brige, contraint et forcé, par les exigences de l’été, de tenir ses fenêtres ouvertes, donc de livrer sa vie privée au contrôle d’une foule indiscrète et goguenarde, prétend que son domicile est devenu l’objet d’une violation de tous les instants: argument d’autant plus sérieux que si le premier venu est en droit de plonger chez les particuliers et de regarder ce qui s’y passe du haut d’un trottoir surélevé, il peut procéder logiquement à l’accomplissement de la même opération au moyen d’une échelle, d’une perche, d’une corde à nœuds ou de tout autre appareil gymnastique, et que, dès lors, l’intimité du chez-soi devient un mot vide de sens;
Attendu qu’il n’est rien au monde de plus complètement sacré, de plus parfaitement inviolable, que la maison du prochain; que Cicéron promulgue cette vérité première et qu’il y a lieu de tenir compte du sentiment de ce jurisconsulte...
Mais d’autre part :
Considérant que la Loi, en dépit de ses lâchetés, traîtrises, perfidies, infamies et autres imperfections, n’est cependant pas faite pour que le justiciable en démontre l’absurdité, attendu que s’il en est, lui, personnellement dégoûté, ce n’est pas une raison suffisante pour qu’il en dégoûte les autres;
Considérant qu’a priori un gredin qui tourne la Loi est moins à craindre en son action qu’un homme de bien qui la discute avec sagesse et clairvoyance;
Considérant qu’en France, comme, d’ailleurs, dans tous les pays où sévit le bienfait de la civilisation, il y a, en effet, deux espèces de droit: le bon droit et le droit légal, et que ce modus vivendi oblige les magistrats à avoir deux consciences, l’une au service de leur devoir, l’autre au service de leur fonction;
Considérant, enfin, que si les juges se mettent à donner gain de cause à tous les gens qui ont raison, on ne sait plus où l’on va, si ce n’est à la dislocation d’une société qui tient debout parce qu’elle en a pris l’habitude;
Pour ces motifs :
Déclare La Brige bien fondé en son système de défense, l’en déboute cependant, et, lui faisant application de l’article 330 du Code pénal et du principe tout cela durera bien autant que nous, le condamne à treize mois d’emprisonnement, à 25 francs d’amende et aux frais.
Georges Courteline, L'article 330 - Théâtre (coll. Garnier Flammarion, 1965)
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06/03/2015
Morceaux choisis - Louise de Vilmorin
Louise de Vilmorin
Ma peur bleue, ma groseille,L’amour est une abeilleQui me mange le cœurEt bourdonne à ma boucheQue tu nourris et touchesDes baisers du malheur. Mon ange sans oreilles,Ma peur bleue, ma groseille,Ne viendras-tu jamaisÀ l’envers de ma porte?Es-tu de cette sorteAnge sourd et muet? Tes mains sans teint, poliesAu jeu de tes folies,Se mouillent à mes yeuxEt tu ris de ces fleuvesOù naviguent mes vœuxParmi tes robes neuves. Ne me donneras-tuQue ton chapeau pointuÀ porter ma sorcière,Et nul autre baiserQue ces nids de dangerEt ces ruches entières? Ne me permets-tu pasDe t’enlever tes basÀ l’envers de ma porte?Je veux voir tes pieds nusEt les abeilles mortesDu bonheur revenu. Mon ange sans oreilles,Ma peur bleue, ma groseillePosée sur mes désirs,Ma chambre est grande ouverteQue coupe l’allée vertePar où tu dois venir. Ma peur bleue, ma groseille,Viens à fleur de mes veillesEt que tombe le jourÀ l’envers de ma porte.Et que le vent emporteLe chemin du retour.
Louise de Vilmorin, A l'envers de ma porte, dans: Poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1970)
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