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22/07/2013

Vendanges tardives - Des quatuors

Un abécédaire: Q comme Quatuors

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Quand je revois le visage pâle, infiniment triste et néanmoins enjoué de Florence, peu après l'accident mortel de son fils en scooter, la semaine dernière, je ne peux m'empêcher de penser au dernier mouvement du quatuor à cordes No 15, KV 421 de Wolfgang Amadeus Mozart, qui mieux qu'aucune autre oeuvre au monde restititue l'infini de l'isolement, de la douleur et d'une inéluctable désintégration intérieure, sous une apparence joviale. A juste titre, Jean-Victor Hocquard parle d'une lourde et vague anxiété, plus pénible que ne serait un pathos déclaré. On y trouve un aspect des plus impressionnants - des plus authentiques aussi - du Maître: la solitude, l'impossibilité, voire l'inutilité de toute communication, la déréliction... 

On devine, dans ce Allegretto ma non troppo, ce qu'on retrouve dans d'autres quatuors ultérieurs: cette mélodie des profondeurs où la lumière peine à traverser les abîmes, d'une douceur irréelle ou mieux, détachée, retirée du monde, malgré ses élans embarrassés, comme à bout de souffle. Mais si j'ai pensé à cette oeuvre en face de notre amie Florence - plutôt qu'aux pages poignantes d'un Gustav Mahler ou d'un Piotr Ilitch Tchaïkovski - c'est qu'elle condense en moins de dix minutes la précarité de l'existence, sa beauté, sa douleur, son mystère. L'espérance aussi, au final. Brigitte et Jean Massin notent: Ce quatuor finit sur un refus de quitter une partie jouée d'avance; il laisse le dernier mot, sans réconfort et sans calcul, au courage.

Et Fred, si on est bien loin d'une voie royale ouverte au triomphe de la vie sur la mort, tout n'est pourtant pas perdu, et le temps sait faire le reste, parfois, ne guérissant pas ou peu les blessures, mais leur conférant une tonalité particulière que le regard, débarrassé de ses masques, inonde d'une clarté si particulière et bouleversante, tout alentour...  


Brigitte et Jean Massin, Wolfgang Amadeus Mozart (coll. Les Indispensables Musique/Fayard, 2006)

Jean-Victor Hocquard, Mozart (coll. Solfèges/Seuil, 1994)

image: http://www.tounsia4ever.com

Wolfgang Amadeus Mozart, String Quartet No 15 in D minor, KV 421 - IV. Allegretto ma non troppo (Quatuor Mosaïques)


Musica présente - 71 Arturo Benedetti Michelangeli

Arturo Benedetti Michelangeli

pianiste italien, 1920 - 1995

*

Frédéric Chopin

Piano Sonata No 2 in B flat minor, Op 35 - "Marche funèbre" 

Ballade No 1 in G minor, Op 23

Andante spianato and Grande Polonaise, Op 22

Fantasia in F minor, Op 49

Waltz No 9 in A flat major, Op 69 - "Les adieux"

Waltz No 2 in A flat major Op 34 - "Grande Valse Brillante" 

Waltz No 17 in E flat major, Op Post KKIVa:14, B 46

Scherzo No 2 in B flat minor, Op 31

Mazurka No 47 in A minor, Op 68

Mazurka No 25 in B minor, Op 33

Mazurka No 20 in D flat major, Op 30

Berceuse in D flat major, Op 57

merci à Nicole R


07:28 Écrit par Claude Amstutz dans Frédéric Chopin, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique classique | |  Imprimer |  Facebook | | |

20/07/2013

Françoise Baqué

littérature: roman; livresFrançoise Baqué, Celle qui détricotait sa vie (Jacqueline Chambon, 2009)

 

La mort brutale de Nicole, son amie d'enfance, frappe Florence de plein fouet. Tandis que la télévision montre la chute du mur de Berlin, un mur cède à l'intérieur d'elle-même, livrant passage aux monstres jusque-là tenus en respect par la vitalité de Nicole. Elle se décide alors à consulter Ida, une thérapeute un peu suspecte qui habite Mer, petite ville terne et envoûtante...


Florence a toujours vécu à travers le regard des autres. A travers ce deuil, les repères s’évanouissent, sans crier gare. Temps de la souffrance et de malheur, ce moment du milieu de la vie est aussi celui de toutes les interrogations. Il met le cœur à nu afin de mieux le délivrer des fantômes qui l’habitent, au risque d’égratigner les certitudes du passé et les souvenirs. Une ambiance particulière pour ce récit austère, un brin mystique, résolument original.

03:54 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/07/2013

Morceaux choisis - André Velter

André Velter

littérature; poésie; anthologie; livres

La nuit ne cache rien
Elle ouvre son baiser sombre
Son brasier d'étoiles filantes
Qui tombent du côté des cendres
Et la Grande Migration a déjà commencé
 
De très haut le regard se surprend
A plus haut que lui
Une idée fixe et mouvante
Pour débusquer la voie délivrée des ombres
Sorte de secret révélé
Qui met des bleus aux épaules et aux cuisses
 
On monte à coups de reins
Dans un écho venu de loin
Qui depuis longtemps ne s'entend plus
Que les yeux à la renverse
 
Notre histoire en appelle au sens ascendant
Celui du réel inouï
Celui des légendes vraies
 
Le vertige se cantonne au dedans
Nuage en chute libre
De la bouche jusqu'au ventre
Avec son charroi de ressouvenirs
 
En rappel sur la paroi c'est autre chose
Une éclaircie des muscles des os
Un sursaut hors de tout
A une corde près qui vibre contre les pierres
 
Etre là dans ce gouffre aboli
Si fier de répondre à son propre défi
Ressuscité d'entre les cicatrices
Et délesté enfin
 
Et invincible encore
 

André Velter, Hors de tout, dans: Avec un peu plus de ciel (Gallimard, 2012)

18:45 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Jacques Chessex

9782246704010.gifJacques Chessex, Le vampire de Ropraz (Grasset, 2007)

 

En 1903 à Ropraz, dans le Haut-Jorat vaudois, la fille du juge de paix meurt à vingt ans d'une méningite. Un matin, on trouve le couvercle du cercueil soulevé, le corps de la virginale Rosa profané, les membres en partie dévorés. Horreur. Stupéfaction des villages alentour, retour des superstitions, hantise du vampirisme, chacun épiant l'autre au cœur de l'hiver. Puis, à Carrouge et à Ferlens, deux autres profanations sont commises. Il faut désormais un coupable. Ce sera le nommé Favez, un garçon de ferme aux yeux rougis, qu'on a surpris à l'étable. Condamné, emprisonné, soumis à la psychiatrie, on perd sa trace en 1915.


A la fois historien soucieux de vérité et conteur incomparable, Jacques Chessex nous offre l’un de ses textes les plus personnels. Les descriptions du Haut Jorat sont magnifiques et sa saisissante évocation nous aspire littéralement dans cette terrible histoire jaillie du silence, des secrets de famille et du sang, porteuse d’une intolérable soif de jugement. Que cache la vérité ? Une interrogation constante dans les œuvres de l’auteur.


également disponible en format de poche (coll. Livre de poche/LGF, 2008)

05:47 Écrit par Claude Amstutz dans Jacques Chessex, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

18/07/2013

Morceaux choisis - Nazim Hikmet

Nazim Hikmet

Nazim Hikmet.jpg

merci à Monique D

Si j'étais platane si je me reposais à son ombre 
si j'étais livre 
que je lirais sans ennui dans mes nuits d'insomnie 
crayon, je ne voudrais pas l'être 
même pas entre mes propres doigts 
si j'étais porte 
je m'ouvrirais aux bons je me fermerais aux méchants 
si j'étais fenêtre 
une fenêtre sans rideaux grande ouverte 
si j'étais verbe 
si je vous appelais au beau au juste au vrai 
si j'étais parole 
je dirais mon amour doucement, tout doucement

Nazim Hikmet, cité par John Berger (bleublancturc.com)

09:48 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Vendanges tardives - De la panne

Un abécédaire: P comme Panne

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Comme chaque année, notre brave Madame Angela Martinez a investi pour tout l'été la loge de concierge de l'immeuble. Je la connais de longue date, pour lui confier souvent - au noir - quelques corvées de nettoyage ou tâches ponctuelles, telles les changements de literie ou les courses encombrantes du supermarché! Or, toi qui recours aussi de temps à autres à ses services, tu as peut-être remarqué que cette année ne ressemble pas aux précédentes, notre fée du logis arborant la mine d'une résistante en état de guerre totale. Et pourquoi donc?

Tout a commencé par un doute qui m'a saisi lors de ses derniers achats chez notre épicier local, dont je voyais les tickets de caisse prendre soudain l'ascenseur. Elle m'a alors expliqué qu'elle avait biffé de sa liste tous les produits au label Made in France, les remplaçant par les produits du Terroir suisse. Et le melon, alors: il est suisse? Non, me répondit-elle, il est italien, et aussi savoureux que son homologue bleu-blanc-rouge... Ah, donc un léger différend avec nos voisins et néanmoins amis?

J'aurais sans doute mieux fait de ne pas la provoquer, car Angela ouvrit toutes grandes les vannes de ses griefs: donneurs de leçons détestés même dans son pays d'origine; jaloux de la réussite des pays étrangers à leurs dépens; avides de faire les poches des autres plutôt que resserrer les cordons de leur propre bourse; incorrigibles bavards aux propos dispersés par le vent; encourageant la délation (financière) - et on voit où cela a pu les mener, les français - sans oublier cette insupportable vanité qui les fait croire (à eux-mêmes) qu'ils sont les sauveurs d'une Europe inéquitable! Rien que ça...

Je passe sous silence ses propos lapidaires sur le football ou la politique intérieure, mais mon cher Fred, ce qu'Angela ne m'a pas dit, c'est que son ami Xavier, maçon venu voici trois hivers de Villeurbanne, l'a larguée le mois dernier et a choisi de rejoindre sa régulière dans la région lyonnaise, sans autre forme de procès... Petite amertume passagère? Depuis hier à 17h15, elle jubile, car sa télévision est tombée en panne - elle ne compte pas la réparer de si tôt - lui évitant le lavage de cerveau des informations people en continu et le bla-bla des initiés ou gourons en tous genres, semblables à ceux de la veille, de l'avant-veille etc. A toute chose donc, malheur est bon, car ce soir, au moment où je te parle, elle regarde un DVD de Stanley Donen que je lui ai prêté: Singin' in the Rain (Chantons sous la pluie) avec Gene Kelly, Donald O'Connor, Debbie Reynolds et Cyd Charisse!

Quant à moi, je regarde avec le sourire mes fruits et légumes, délicatement disposés sur ma table de cuisine. Une pomme suisse: ça te tente? Ou allons-nous pencher vers un Rosé de Provence?

D'accord, j'éteins la télévision! A ta bonne santé, l'ami...

image: http://farm8.staticflickr.com

03:29 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Vendanges tardives - Un abécédaire 2013 | Lien permanent | Commentaires (1) | |  Imprimer |  Facebook | | |

17/07/2013

Le poème de la semaine

Jean Tardieu

D'où (lentement) vient ce qui vient? 
D'où émerge ce qui s'élève? 
D'où sort vivement ce qui veut,
ce qui veut être et veut être visible?
 
J'assiste je ne sais pas
qui voit qui est vu qui gronde qui se tait
qui demeure qui se disperse
brille par ici s'éteint là-bas
 
Ce qui veut être
est-ce moi qui ne suis plus?
Ce qui est tenu n'est pas entendu
Ce qui devait venir n'est pas venu
Ce peu de chose n'est rien.
 
Mais l'ombre et la lumière (que je connais bien)
tournent autour l'un de l'autre
formant au regard maints objets pleins
par exemple le silence d'une plante
par exemple le poids d'une pierre
ou un simple mouvement
qui va qui s'éloigne qui revient
pendant que je me tiens debout
 
Quelquefois je marche et ne dis rien.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08:02 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

16/07/2013

Morceaux choisis - Carlo Carretto

Carlo Carretto

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O Eglise, combien tu m'apparais contestable, et cependant combien je t'aime! Combien tu m'as fait souffrir et cependant combien je te dois! Je voudrais te voir détruite, et cependant j'ai besoin de ta présence. Par toi, me sont venus tant de scandales, et cependant tu m'as fait comprendre la sainteté. Je n'ai rien vu au monde de plus obscurantiste, de plus compromis, de plus faux, et je n'ai rien touché de plus pur, de plus généreux, de plus beau. Que de fois j'ai eu le désir de te fermer au nez la porte de mon âme, et que de fois j'ai prié pour mourir entre tes bras qui offrent toute sécurité.

Carlo Carretto, le Dieu qui vient (Apostolat des Editions, 1972)

15/07/2013

Françoise Baqué

Bloc-Notes, 15 juillet / Curio - Les Saules

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Arthur Vergobret, gardien prédestiné du château de Varendes, est convié par la mairie du lieu à assurer la visite culturelle de ce domaine à un groupe de non-voyants composé d'hommes, de femmes et d'enfants, tous munis d'appareils photo, certains arborant des lunettes noires, d'autres n'offrant au regard que leurs yeux semblables à des oeufs écalés. Ils ne peuvent voir, mais sont-ils capables d'entendre? Ainsi commence le nouveau roman de Françoise Baqué, Ce fanal obscur.

La tentation est grande de classer d'emblée ce texte parmi les écrits fantastiques ou gothiques, à l'image de ce rescapé du temps des cendres, espérant le retour du paradis perdu, conscient d'être sans doute le dernier homme sur terre encore capable de penser et d'évoquer le désastre qui a balayé les hommes. Mais on aurait tort de réduire Ce fanal obscur à cette unique dimension plutôt tendance, car le livre de Françoise Baqué ouvre sur bien d'autres perspectives. Ainsi la mémoire des objets et des vieux livres en particulier: Dans les livres, nous étions chez nous, dit Arthur Vergobret, soucieux de préserver ces trésors à l'âge du numérique: Regardez-les. Ils enferment côte à côte les rêves d'un individu, les regrets d'un autre, la description qu'un tel fit de tel fragment du monde visible ou invisible, les idées que tel autre conçut d'un fragment à peine plus grand et qu'il prenait pour le tout. Ils sont serrés les uns contre les autres, leurs odeurs se mêlent, mais bien qu'ils soient remplis de mots ils n'en échangent pas un seul.  

Les livres sont au coeur de ce monologue surgi de la nuit des temps, témoins d'un monde où, dirait-on, Arthur Vergobret n'a su trouver sa place: Les livres dessinaient dans mon esprit les contours d'un autre monde qui sans doute, plein de fureurs, de sang, de joies fugitives et de malheurs inimaginables de notre temps, n'était pas plus enviable mais me paraissait au moins plus intéressant. Nostalgique de tout ce qui est voué à la disparition, scrutant les brumes du passé et retiré de cet univers dans lequel il se sent étranger, le voici qui observe: Oui, le vide a un poids, il est très lourd, écrasant même. A quoi rime la mesure d'un temps qui ne va nulle part, verdoiement posthume d'une tige coupée?

Maintenant le monde se tait. Il ne m'envoie plus de signaux d'aucune sorte. Ce n'est pas le silence, oh non, les animaux font beaucoup de bruit, le vent et la pluie aussi, et vous ne sauriez croire combien les végétaux eux-mêmes sont sonores, la nuit je les entends pousser, craquer, se donner l'assaut dans leurs luttes impitoyables; et la terre, et les pierres, l'eau et le sable du fleuve ne cessent de bruire. Mais de tous ces sons, aucun ne m'est destiné, dit encore Arthur Vergobret.

Si les passages consacrés à l'histoire du château de Varendes souffrent de longueurs ou de répétitions, il n'en demeure pas moins que le roman de Françoise Baqué nous interpelle: Nous avons peu à peu échangé tous nos pouvoirs spirituels contre une puissance matérielle. L'humain volant grâce aux engins qu'il a fabriqués ne sera jamais l'égal de l'oiseau, en revanche il a abdiqué ce qui le rendait supérieur à l'oiseau: le vol sans limites de l'esprit.

Sans épouser la mélancolie du gardien de ce château, prisonnier du passé et désillusionné devant l'avenir, prenons Ce fanal bleu - un dernier inventaire avant liquidation - qui baigne dans une atmosphère à la Henry James, comme un phare dans la nuit qui voudrait murmurer aux uns: prends garde! et aux autres: la commedia è finita! 

Ce fanal m'attire, je marche vers lui, mais à mon approche sa lumière se voile étrangement. Non qu'elle faiblisse, mais la source en devient noire, et au lieu d'éclairer les alentours il y jette, comme un rire, de grands éclats de ténèbres...

Agrégée de lettres et traductrice, Françoise Baqué a publié L'intérieur du désert (Seuil, 1968), Exister le moins possible (Jacqueline Chambon, 2007) et Celle qui détricotait sa vie (chez le même éditeur, 2009). Ce dernier titre a déjà été présenté dans ces colonnes.

Françoise Baqué, Ce fanal obscur (Jacqueline Chambon, 2013)

09:47 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |