21/03/2012
Le poème de la semaine
Edmond Jabès
Je ne cesserai pasde chanter les cloches des rencontres muettes,les bras des divans parfumés,les grandes chutes d'oiseaux ressemblants,les éternels miroirs vibrants. Je ne cesserai pasde chanter la morsure rouge des lèvres,l'épaule insoumise, les aisselles surprises,les seins toujours à l'heureaux rendez-vous nocturnes. Je ne cesserai pasde chanter ton visage poudré de cendre,le dernier naufrageà l'aube soufflée des lampes,ta nuque échappée à l'étreinte,tes pas que rien ne trahit. Je ne cesserai pasde chanter tes hanches profondes,tes chevilles noyées dans les nuages,tant de pensées vagabondes,tant de fumée divine. Je ne cesserai pasde chanter ta chevelure couranteaux pieds des arbres solitairesblessés de feuilles et d'oeillères. Je ne cesserai pasde chanter la rue, le parc, la mer, car je te connais,car je t'aime et te connais. Je ne cesserai pasd'apprendre à rire,à peindre et riredans le fond des palais;car je te crains,car je t'aime et te crains. Je ne cesserai pasde forger des serrures,des cadenas et des ceinturestout au long du ciel,car je te garde,car je t'aime et te garde. Je ne cesserai pasde couper tes mains, tes bras et tes poingspour que jamais l'adieune remonte sur l'eau. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:11 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
19/03/2012
Morceaux choisis - Jean Douassot
Jean Douassot (pseudonyme de Fred Deux)
Je les recollerai, je les recollerai.
C'était ma litanie, un chant, un murmure et une promesse. Ils ne pouvaient pas rester ainsi, elle sous un arbre, moi à côté, et lui derrière les vitres. Nous ne pouvions pas continuer à nous buter. Je n'avais pas de sentiments pour l'un plus que pour l'autre, mais il était impensable pour moi que ces deux être ne puissent arriver à s'entendre. D'autant que ramenant tout au plus simple, je trouvais que le fait de m'avoir, de me retrouver en meilleure santé après cette longue absence, tout cela devait amener une détente, une entente, et aussi de la joie. Je me mis immédiatement à espérer une vie tranquille. La vie serait si belle et douce, si douce, oui, si douce.
Rien ne me paraissait impossible, et une force nouvelle me poussa en pensée vers le bistrot; mon père était juste, il avait raison de jouer aux cartes, de boire, de rentrer tard. L'homme doit rentrer tard, un homme qui n'a pas d'amis n'est pas un homme, et la mère doit l'attendre, ne rien dire, et se réjouir qu'après une journée de travail son homme aille se détendre. Donc le père est dans son droit. Je l'excusais en tout, et plus encore parce qu'il ignorait que nous l'attendions, que nous le pistions comme un lapin, que sa femme le traitait de fumier devant moi, son fils. La mère aussi était juste. Elle n'était qu'une femme, un peu coléreuse, mais bien vite, je ramènerais l'équilibre dans le camp. Ce qu'il fallait, c'était me laisser faire.
Sur ce point, aucun doute, j'aurai cartes blanches.
Relevant les yeux vers la vieille, je la retrouvai toujours tendue, de grosses larmes dégoulinant sur ses joues. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, son maquillage, qu'il m'était difficile de voir dans le noir, avait dû subir de grandes modifications, car deux traits noirs, distincts, partaient de ses yeux et descendaient vers la bouche. Ses lèvres me parurent pâles, ayant perdu leur teinture rouge, et une blancheur, qui ressemblait à l'écorce de l'arbre lui donnait une allure tragique.
Mère, dis-je en lui tirant la manche, mère.
Je m'arrêtai, ne sachant quoi dire de plus. Devais-je lui dire que j'allais tout arranger? Que je me chargerais d'eux? De les rendre heureux. Que j'allais dire: venez et regardez-moi, je suis votre fils, c'est bien d'avoir un fils, j'étais malade, ma mère était malade, nous étions tous malades, et nous voilà tous guéris. C'est bien d'être guéris. C'est bien d'être ensemble, j'étais malheureux là-bas, vous ne pouvez pas savoir comme j'étais malheureux...
Jean Douassot, La Gana (Eric Losfeld, 1970)
image: Asylum - http://legrandclub.rds.ca
20:27 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
La citation du jour
Alain
Nous vivons sur une mince couche d'humanité au-dessus d'un abîme de barbarie ; il s'agit de nous maintenir dans cette pénible position.
Alain, Propos sur les pouvoirs - Elements d'éthique politique (coll. Folio Essais/Gallimard, 1985)
07:39 Écrit par Claude Amstutz dans Le monde comme il va, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; philosophie; livres | | Imprimer | Facebook |
18/03/2012
Morceaux choisis - Jean-Pierre Siméon
Jean-Pierre Siméon
La joie n'appartient à personneles chemins la respirentet les nuits et leurs aubes si procheset nos épaules tout habillées de ventest-ce elleallonsqui se retire quand l'heure soudainest un jardin qui se figen'est-ce pas nousplutôt rugueux et impénétrablesqui nous absentonsnous qui prononçâmes dans un rire imprudentle mot de tropnonnotre joie n'est pas nôtrepourquoi sinon durerait-elle en les autresquand nous-mêmes à nous-mêmesnous mouronsnous l'avons bien embrassée et tant de foisla chose heureusenous l'avons crue à nous bien sûrcomme on croit sien un printempsquand on sent monter en soiune eau rebelle et bienfaisante
mais c'est croire celaque la source n'existeque pour nos lèvres ortout existe hors de nousla joie aussi donc et son corps de rivièreallez si vous voulez enfantscueillir la truite dans l'eau claireet puis regardez-la mourirdans vos mains nueslangage perdulangage à jamais perduqui nous donnait le monde
allons c'est dit amismarchons droit dans les chemins chantantset respirons le chantet respirons l'arbre et l'oiseau et la terredonnons-nous vertigineuxaux strophes de la lumière buepar les branchesayons le coeur bien tendrele pas ivre et la pensée errantepromeneurs naïfsdans la vie innombrablemarchons silencieux
et la joie doit venirelle viendra bonne fille implacablementoh laissons-la venircompagne jaillissant d'un buisson inconnuet donnons-lui nos mains sans mot diresans rien croirespérant seulement que notre visageen elle se reposeet qu'un instantpar quel amour sans nomnous ne vivions que d'être
nous aurons ce jour-làles yeux lavés de tout désirde tout regretnous irons dans la beauté d'un matinle long d'une rivièreentre douleur et douleurle coeur battule coeur recommençantet nous la saurons alors la joie libreet sans attentecomme un dernier souffle fraispeut-êtreau revers de la nuit.
Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)
image: Marc Chagall, La maison des splendeurs
22:40 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
Actualité de la poésie
Bloc-Notes, 18 mars / Les Saules
Comme je l'ai mentionné à plusieurs reprises, la poésie est intensément présente sur le réseau social de Facebook qui m'a ainsi permis de faire plus ample connaissance avec des grands noms de la littérature classique ou contemporaine - tels, pêle-mêle: Alphonse de Lamartine, Anne de Noailles, Abdellatif Laâbi ou Emily Dickinson - et davantage encore avec des auteurs que je n'aurais jamais lus sans la magie de cette toile lumineuse à ses heures et qui recèle de nombreux trésors de plume, pour peu qu'on éprouve le plaisir de les savoir partagés et multipliés à travers ces incomparables amitiés nouées autour de la poésie.
C'est ainsi que je me suis glissé entre les pages de ces jeunes talents - ou moins jeunes mais absents des grandes chaînes de librarie - avec les deux anthologies Le chant des larmes et Les cygnes de l'aube, sous la direction de Abbassia Naïmi, déjà présentés dans ces colonnes. Aujourd'hui, voici quelques récentes acquisitions susceptibles de vous intéresser, même si elles ne sont pas parues au cours de ces derniers mois!
Marie Hurtrel est artiste peintre dans l'Indre - voir ses oeuvres dans les liens de La scie rêveuse - mais se consacre également à l'écriture. On ne vit pas de son art, mais l'art est notre vie, chiche d'un côté et riche en l'autre, écrit-elle sur son site Internet: des mots qui éclairent sa démarche et son ouverture à tous les horizons. Lézards de poussière ressemble un peu au vol du cormoran qui survole les terres amères - celles qui attisent la violence, la révolte, l'injustice - mais aussi les territoires de l'intime, germe d'espoir, de douceur, de paix: Comment te dire ce que tu dis, comment te dire quel ciel je vois, comment écrire cette larme qui ne pleure pas, cette perle des yeux qui te chante?
Avec Patrick Berta Forgas, né à Montreuil, vous ne rencontrez pas un nouveau venu en littérature. Auteur d'une dizaine de recueils poétiques, il signe avec La chambre des hommes des textes aux contours sombres: le vertige de l'enfer, la brûlure du silence, la mémoire des cassures, les hommes fragiles, les simulacres et les cris, l'ombre des guerres. C'est aussi le chant de la terre perdue, aimée, attendue: Je sais l'effort du vent pour soulager la mer. Je sais la douleur du souvenir rangée au chant amer. Ou encore: L'ombre est l'artère noire de la lumière et le corps du monde, un silence qui pleure ses cris.
Jean-Philippe Miginiac, pour sa part, est à la fois photographe, historien, archéologue, grand admirateur de Paul Eluard, passionné de musique classique et poète lui-même. Dans les liens de La scie rêveuse, vous pouvez aussi découvrir l'ensemble de ses oeuvres. Musiques imaginaires célèbre les amours, la terre, mais aussi la colère devant cette armée des ombres qui incarne pour lui ces fragments d'injustices: le visage des exilés, des étrangers, des mendiants, des rebelles au rythme de leurs infortunes. Si demain, ami, quelqu'un s'inquiète de mon absence, dis-lui que je suis parti dans la nuit chercher d'autres mots, sans attendre que sèche l'encre de mes poèmes, et sans que les dieux en soient informés, dis-lui que je suis parti me perdre où je voulais.
Kadour Naïmi - frère de Abbasssia Naïmi - est l'auteur d’essais et de colloques autour du théâtre, réalisateur pour le cinéma et la télévision, poète, prosateur et dramaturge. Il écrit en langue italienne, dont Les mots d'amour, poèmes pleins d'ardeur et de tendresse, pénétrant tels les rayons matinaux du soleil, cet au-delà des sentiments épousant sa variété de couleurs: Si tu veux être mon soleil, je serai ta planète. Si tu veux être mon vent, je serai ta bannière. Si tu veux être mon oasis, je serai ton eau. D'autres pages évoquent l'exil, avec amertume, mais sans haine: Pour ne pas périr, j'ai besoin d'aimer.
Pour les deux derniers auteurs, leur lueur discrète est déjà connue de ceux que la passion de la poésie habite. Véritable passeur en littérature, producteur d'émissions radiophoniques, Thierry Renard a publié à ce jour une trentaine d'ouvrages, parmi lesquels Il neige sur ta face. Toute la vie y remue dans cette poésie du quotidien, où se confondent les rêves, les réminiscences du football, les doutes de l'écrivain, les misères du monde, et la neige - en filigrane tout au long de ce recueil - et l'amour aux formes d'un coeur de lierre. Le mal est fait, le moindre mal. Ecrire est un verbe qui m'est avec le temps devenu familier. Ecrire est un verbe dont j'interroge encore le sens et qui donne du sens à ma vie. La roue tourne, la chance aussi. Avant j'étais zéro, aujourd'hui je ne vole pas bien haut. Demain j'irai sans ma vie lasse, petite cendre dans le vent.
Quant à Jean-Pierre Siméon, on lui doit une quarantaine de livres: recueils de poèmes, essais littéraires, pièces de théâtre et ouvrages destinés aux jeunes. Traité des sentiments contraires explore l'ombre et la lumière, la douleur et l'apaisement, la blessure et la joie: Silence maintenant, immobile et obstiné silence, c'est l'instant timide en vous, l'instant effarouché, où vient tout le ciel immense trouver son appui. On appellerait bien cela un bonheur sans usure, une phrase dans l'air parfaite comme la neige.
Dans la catégorie Morceaux choisis de ce jour, vous trouverez un extrait de ce livre.
Un poème, c'est quoi au juste? C'est presque rien, un silence, une idée, un amour, un élan, une fuite, quelques gouttes d'encre sur la page blanche. (Thierry Renard)
Thierry Renard, Il neige sur ta face (Le bruit des autres, 2001)
Marie Hurtrel, Lézards de poussière (Lire et Méditer, 2011)
Patrick Berta Forgas, La chambre des hommes (L'Harmattan, 2009)
Jean-Philippe Miginiac, Musiques imaginaires (TheBookEdition/J.P.Miginiac, 2010)
Kadour Naïmi, Mots d'amour (Lire et Méditer, 2011)
Jean-Pierre Siméon, Traité des sentiments contraires (Cheyne, 2011)
image: Thierry Renard (Maxime Roccisano, 2009)
22:39 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie; livres | | Imprimer | Facebook |
17/03/2012
Victor Lanoux
Victor Lanoux, Laisser flotter les rubans (Le Cherche Midi, 2009)
Qui ne connaît la série TV de Louis la Brocante, l’une des plus attachantes du petit écran ? En revanche, ils sont nombreux à ignorer le terrible accident dont Victor Lanoux fut victime en 2007. Ce livre en est le témoin, pour tous ceux qui ont traversé semblable épreuve, mais aussi pour ses proches et amis, fidèles dans ces moments difficiles. Sa perception est subtile, sa lucidité émouvante. Un accent de sincérité rayonne entre les lignes de ce récit jamais voisin de la soumission ou de la rancoeur. Sous nos yeux étonnés, voici une belle leçon de vie, de courage et d’amitié ! Merci Monsieur Lanoux ou merci Louis Roman ?
11:43 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : témoignage; livres | | Imprimer | Facebook |
La citation du jour
André Suarès
Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l'homme libre. Si l'homme tourne décidément à l'automate, s'il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d'un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l'esprit par un système de visions parlantes ; la couleur, le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l'effort et l'attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l'imagination particulières; tout y sera, moins l'esprit. Cette loi est celle du troupeau.
André Suarès, Autour du livre - Valeurs et autres écrits historiques vol. 2 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)
image: Vasil Qesari
07:41 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | | Imprimer | Facebook |
16/03/2012
George Steiner
George Steiner, Lectures - Chroniques du New Yorker (Coll. Arcades/Gallimard, 2010)
Pour George Steiner, le plus grand privilège que l’on puisse avoir est d’aider à porter le courrier d’un grand artiste. Telle est la démarche entreprise avec cette anthologie consacrée à quelques personnages incontournables de notre siècle, tant le bonheur de lire et de transmettre transpire à chaque ligne de ces chroniques. Vous y croiserez Alexandre Soljenitsyne, Simone Weil, Bertholt Brecht, Paul Celan, Georges Orwell, mais plus insolite, l'histoire de Bébert (le chat de Louis-Ferdinand Céline) ou d'Anthony Blunt (historien d'art anglais et espion) parmi tant d'autres. Sans céder aux modes ou courants de pensée en vogue - à propos de E.M. Cioran ou Michel Foucault par exemple - il imprègne notre regard sur le monde de son étonnante clarté !
publié dans Le Passe Muraille no 82 - juin 2010
06:34 Écrit par Claude Amstutz dans George Steiner, Le Passe Muraille, Littérature étrangère, Louis-Ferdinand Céline, Simone Weil | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | | Imprimer | Facebook |
14/03/2012
Le poème de la semaine
Abdellatif Laâbi
Les dés sont jetés Malgré toutes tes contorsionstu n'as pas de prise sur la mortAlors écris la vie!ton calame d'encre et de sangton royaume sans sujets ni maîtreta patrie sans terreta seule croyance hors religiontes yeux et ta langueta richesse et ton dénuementta face éclairée et ton ombreta génitrice et ta progénitureta perdition et ton salutta croix d'infamie et ton diadèmeton lupanar et ton templeton désert et ton oasista science et ton ignoranceta boussole et ton dédaleton jeu de marelle et ta cité idéaleta règle et ton exceptionta peau de chagrin et ton éternitéta blessure et ta drogue Ecris la vie ainsi nomméequalifiéeet reconnueQuelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:20 Écrit par Claude Amstutz dans Abdellatif Laâbi, Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
12/03/2012
Musica présente 5 - Beniamino Gigli
Beniamino Gigli
chanteur italien, 1890 - 1957
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Chansons napolitaines
"O Sole mio"
"Mamma"
"Santa Lucia"
"Torna Surriento"
19:02 Écrit par Claude Amstutz dans Beniamino Gigli, Chansons inoubliables, Musica présente, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique; variété | | Imprimer | Facebook |