30/01/2011
La citation du jour
Maurice Blanchot
Je l'ai aimée et n'ai aimé qu'elle, et tout ce qui st arrivé, je l'ai voulu, et n'ayant eu de regard que pour elle, où qu'elle ait été et où que j'aie pu être,dans l'absence, dans le malheur, dans la fatalité des choses mortes, dans la nécessité des choses vivantes, dans la fatigue du travail, dans ces visages nés de ma curiosité, dans mes paroles fausses, dans mes serments menteurs, dans le silence et dans la nuit, je lui ai donné toute ma force et elle m'a donné toute la sienne, de sorte que cette force trop grande, incapable d'être ruinée par rien, noue voue peut-être à un malheur sans mesure, mais, si cela est, ce malheur je le prends sur moi et je m'en réjouis sans mesure, et, à elle, je dis éternellement: Viens - et éternellement, elle est là.
Maurice Blanchot, L'arrêt de mort (coll. Imaginaire/Gallimard, 1977)
18:54 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
28/01/2011
Devoir de vacances 3/3
Bloc-Notes, 28 janvier / Les Saules
Toute bibliothèque est un territoire sans interdits ni barrières ouvert à tous, parfois un champ de mines dans lequel les traces de pas imprudentes du propriétaire peuvent être lues, même à son insu. Le plus souvent, je pense à sa ressemblance avec un jardin de fleurs rares condamnées à mourir asphyxiées si elles ne sont pas partagées. Quand ses bourgeons font danser la lumière ou recomposent les nuances de l'ombre, alors c'est - au contraire - le reflet de la gratitude devant leur éclat passager qui lui confère ces imperceptibles mouvements pourvoyeurs de signes.
Il en va ainsi des livres comme de la flore: une reconnaissance muette envers ceux qui - amis, libraires, professeurs - ont su un jour ou l'autre, par leur recréation, m'inviter à découvrir un écrit qui a pris depuis lors place dans ma bibliothèque et qu'à mon tour je partage tel mon bien le plus intime et le plus précieux. Nombreux auteurs, au fil des ans, ont ainsi modulé cet espace du coeur en fragile équilibre entre le dehors et le dedans, surgis par magie ou par surprise: La divine comédie de Dante Alighieri, La chartreuse de Parme de H.B.Stendhal, Papiers collés de Georges Perros, Le partage de midi de Paul Claudel, Le festin nudeWilliam S. Burroughs ou Panique à la Scala de Dino Buzatti.
Certaines traces demeurent plus profondes que d'autres, telles la bibliothèque de ma mère. Si je ne goûte peu sa ferveur pour Gatsby le magnifique deFrancis Scott Fitzgerald, je lui dois ces eaux vives et fertiles que cristallisent Fédor Dostoievski dans Les frères Karamazov, Emily Brontë dans Les hauts de Hurlevent, Alexandre Dumas dans Le comte de Monte-Cristo, François Mauriac dans Thérèse Desqueyroux... Une bibliothèque dans laquelle j'ai puisé Emile Zola, Jules Vallès, A.J. Cronin, Daphné du Maurier et mêlés aux classiques Les clés de Saint Pierre de Roger Peyrefitte ou La mer à boire de Michel de Saint Pierre - aujourd'hui oubliés - attestant une pensée indépendante et contestataire qu'elle n'a pas épanoui dans sa vie sociale, au pays vaudois des y en a point comme nous!
Une ultime image. Un après-midi de janvier, à Berne. Avec mon père et ma mère, nous partons en bicyclette. Direction: la Bibliothèque pour tous, à une dizaine de kilomètres de notre domicile. Du haut de mes onze ans, j'observe le manège lié à notre abonnement autorisant l'emprunt de six livres par quinzaine, dont deux - obligatoires - ne sont pas des romans! Ce sont eux qui éveillent mon goût pour la lecture: Chopin ou le poète par Guy de Pourtalès et La vie passionnée d'Amedeo Modigliani par André Salmon.
La première graine de bonheur annonçait le printemps...
01:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, François Mauriac, Georges Perros, H.B. dit Stendhal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
27/01/2011
Devoir de vacances 2/3
Bloc-Notes, 27 janvier / Les Saules
Ma bibliothèque n'est pas immuable. Une succession de lignes, de traits d'union, de fulgurances, dont le dénominateur commun n'est pas le passé, mais au contraire une superposition de regards sur le monde dont je tire une force souterraine qui me projette dans l'avenir et fait de moi ce que je suis aujourd'hui: un tissu de passions, de métamorphoses, de contradictions.
Pêle-mêle, dans cette caverne d'Ali-Baba aux trésors souvent relégués aux oubliettes, des curiosités telle La Gana de Jean Douassot et Ravages de Violette Leduc voisinent Le monde désert de Pierre-Jean Jouve ou Le vertige d'Alexandre Kalda, témoins d'amours malheureuses. Un peu plus loin, Le journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos me rappelle qu'il a failli m'expédier très jeune au séminaire!
Sur mon fauteuil, je réserve un espace pour les livres auxquels je veux - depuis près d'un an - consacrer une notice qui me refuse encore le premier mot: Réelles présences de George Steiner, Comme personne de Hugo Hamilton, Les dents du topographe de Fouad Laroui, Le cortège de la mort d'Elizabeth George. Je note aussi dans ce recensement laborieux, certaines absences, telles les classiques Vaubourdolle ou les classiques Larousse de la première heure - avec lesquels j'ai découvert le théâtre de Jean Racine ou les poèmes d'Alfred de Musset, d'Alphonse de Lamartine, de Victor Hugo - et qui ont disparu lors d'un déménagement. D'autres plus récents manquent à l'appel, parce que les aimant beaucoup, je les ai souvent offerts, jusqu'à mon dernier exemplaire, sans y prendre garde. C'est le cas, par exemple, du roman de Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade ou le recueil d'Yves Bonnefoy, Dans le leurre du seuil.
Dans ma bibliothèque, le fil rouge de tous ces écrits épars demeure, depuis mes premières découvertes - Les fleurs du mal de Charles Baudelaire et Les nourritures terrestres d'André Gide - celui de la poésie qui transcende toutes choses dans la proximité et la distance, appréhende le réel et lui donne un sens dont semble bannie toute cécité. Je revisite, dans ce monde à part qui se dévoile avec parcimonie à l'oreille inattentive, ces discrets messagers que sont Paul Verlaine, Louis Aragon, Philippe Jaccottet, Paul Eluard, Rainer-Maria Rilke, Anna Akhmatova, Ossip Mandelstam et bien d'autres.
Restent enfin, dans ce chaos en mouvement, les auteurs auxquels je voue une tendresse particulière et qu'à coup sûr, j'emporterais dans mes bagages sur une île déserte, tant leur richesse m'est inépuisable: William Shakespeare, Albert Camus, René Char - bien sûr! - et... La Bible. Qui l'eût cru?
Ite missa est...
(à suivre)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Anna Akhmatova, Bloc-Notes, Charles Baudelaire, Louis Aragon, Paul Eluard, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke, René Char, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
26/01/2011
Le poème de la semaine
Philippe Jaccottet
Jour de janvier,
ouvre un peu plus grands les yeux,
fais durer ton regard encore un peu
et que la rose colore tes joues
ainsi qu'à l'amoureuse.
Ouvre ta porte
un peu plus grande, jour,
afin que nous puissions au moins
rêver que nous passons.
Jour, prends pitié.
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
03:09 Écrit par Claude Amstutz dans Philippe Jaccottet, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
25/01/2011
Devoir de vacances 1/3
Bloc-Notes, 25 janvier / Les Saules
Il est des tâches qu'invariablement, je retarde au fil des ans. Celle par exemple, de ranger ma bibliothèque, non pas en raison de la poussière qui s'y accumule comme sur une bonne réserve de Bordeaux, mais parce que tout l'espace de ma chambre est occupé par des livres en attente: sur ma table de nuit, au pied de mon lit, même sur l'unique fauteuil où une cinquantaine d'ouvrages manquent d'être lus ou relus, classés ou offerts, voire d'être intégrés avec un commentaire sur le blog de La scie rêveuse... Je repousse jusqu'au dernier instant cette ingrate besogne avec tout l'aplomb d'une paresse congénitale, car je sais qu'avant de m'y atteler, il me faut déménager une centaine de livres de ma bibliothèque actuelle et les déplacer à l'autre bout de l'étage de notre maison, dans le bureau de mon père, que je squatte, faute de place.
Le premier pas franchi, le plus difficile - mettre la main à la pâte, comme on dit chez nous -, je retrouve, comme un délicieux sortilège, ce contact physique au livre qui me confond au moment de sa lecture dans le temps, ce mélange d'odeurs, de papiers et d'encres qui porte la trace de voyages dans mes poches ou d'annotations, de passages significatifs tracés au stabilo. Tout un monde!
Et voici que je prends les livres de ma bibliothèque, l'un après l'autre - avec la menace d'une éviction - pour mesurer s'ils me sont encore d'une quelconque importance, porteurs d'apprentissage ou de vécu, et comme à chaque fois, j'accorde des grâces à profusion: A Maurice Blanchot dont la plupart des récits, tels Le dernier homme ou Au moment voulu ne parviennent plus à m'émouvoir mais ressemblent à un vitrail de jeunesse qui me bouleversait alors; à E.M. Cioran dont les écrits, à l'exception de La chute dans le temps, me confortaient dans un mal de vivre récurrent et qui aujourd'hui m'ennuient, me font rire ou me soulagent, m'aidant toutefois par leur présence singulière à mesurer le chemin parcouru; au peu sympathique Henry de Montherlant, dont Port-Royal et Mais aimons-nous ceux que nous aimons ont suscité à une certaine époque, de vrais bonheurs de lecture; à Julien Green qui, outre son Journal, m'a bouleversé avec Chaque homme dans sa nuit, un roman qui, je le crains, a dû terriblement vieillir.
Beaucoup de tendresse en revanche, à retrouver la trace personnelle d'écrivains dans ma vie. Ceux qui m'ont dédicacé un livre qui ne m'a jamais quitté: Hector Bianchiotti pour Sans la miséricorde du Christ, Virginie Lou pour Eloge de la lumière au temps des dinosaures, Yves Navarre pour Le coeur qui cogne, et plus près de nous, Jean-Louis Kuffer pour Les passions partagées, Olivier Adam pour A l'abri de rien, Katherine Pancol pour Vu de l'extérieur.
Sans oublier, entre deux ouvrages, involontairement dissimulées, les lettres ou cartes postales, dont un message sensible et reconnaissant de Jacques Chessex, à la parution de son recueil de poèmes Le désir de la neige...
Je me rappelle - ici, maintenant - devant l'étendue de tous ces livres, une phrase de Cicéron qui me chamboule tout soudain comme une évidence: Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu'il vous faut.
Il va à l'essentiel, le bougre...
(à suivre)
00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jacques Chessex, Jean-Louis Kuffer, Katherine Pancol, Yves Navarre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
21/01/2011
Alexandre Jardin 1b
Bloc-Notes, 21 janvier / Les Saules
Un devoir de mémoire, signé Jean Ferrat...
12:48 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Chansons inoubliables, Documents et témoignages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique; variété | | Imprimer | Facebook |
Alexandre Jardin 1a
Bloc-Notes, 21 janvier / Lyon
Je connais mal Alexandre Jardin. A peine le souvenir d'un roman que j'avais autrefois aimé pour sa fraîcheur de ton et l'originalité de son propos, L'île des gauchers: l'histoire de Lord Jeremy Cigogne, un aristocrate anglais qui, à trente-huit ans, cherche à convertir la passion pour sa femme Emily en un amour véritable sur une île aux coutumes singulières. Quelques images aussi: celle d'un jeune homme au visage un peu poupon débordant d'un parisianisme agaçant, invité régulièrement sur les plateaux de télévision; celle plus mûrie du co-fondateur de l'Association Lire et faire lire, destinée à favoriser la rencontre et le dialogue entre des enfants et des retraités à travers la lecture; celle enfin d'un homme grave à l'émotion contenue, découvert voici une semaine dans le cadre du journal télévisé en Suisse Romande, répondant aux questions du présentateur Darius Rochepin au sujet de son dernier livre, Des gens très bien...
Dans la préface au récit de son père Pascal, Le nain jaune, Alexandre Jardin écrit: Je viens de lire Le nain jaune de bout en bout pour la première fois : depuis la mort de mon père, je n'y parvenais pas. Ce livre, ce miraculeux Nain jaune, je me le gardais comme une bonne bouteille que l'on met à vieillir au frais pour la boire en une grande occasion, histoire de fêter des retrouvailles. Je ressors groggy. Je tremble, comme si sa soif de père me torturait à mon tour. Pourquoi faut-il que nous ne réussissions à nous parler d'amour que par-delà les tombes ? Il y a sans doute de la pudeur dans tout cela ; j'y vois surtout une immense infirmité. Mais les grands livres ne sont-ils pas toujours des jambes de bois ?
Une préfiguration à la douleur de l'enfantement de son dernier opus - sommes-nous tous condamnés à ne percevoir que ce qui résonne avec nos douleurs? - consacré à son grand-père, Jean Jardin, directeur du cabinet de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 novembre 1943, couvrant le terrible événement de la rafle du Vél d'Hiv, le 16 juillet 1942, avec la question centrale qui taraude son petit-fils: Pourquoi n'a-t-il pas démissionné ce jour-là?
L'idée de ce livre a pris racine en 1999. Dix ans de recherches, de réflexions, de plongée au fond de soi-même, non pour réécrire l'Histoire, mais pour tenter de comprendre celle de la famille Jardin: Publier ces pages encolérées reste pour moi une réparation minimale. Elles me permettent de renoncer aux bénéfices sympathiques de notre légende et assurent une certaine sape de notre crédit; ce qui est bien le moindre. Le parfum joyeux qui nimbait la saga de notre clan n'y résistera pas. Je signe ces pages comme on refuse un héritage devant notaire. Pour sectionner une filiation après l'avoir reconnue.
Ces fiançailles du chagrin et de la pitié comme il le dit si bien, ne plairont pas à tout le monde, pas plus aux Jardin qu'à d'autres qui ont soigneusement effacé de leur mémoire cette période de l'Occupation qui a tout de même - pour certains - exercé une force d'attraction envers une idéologie audacieuse, créative, fascinante dont il est de bon ton de ne pas raviver les cendres.
Au sein de tout ce petit monde qui gravite autour du cercle familial de Vevey, Alexandre Jardin ne ménage personne: ni Raymond Abellio, ni Coco Chanel, ni Couve de Murville, ni Robert Aron ou encore Paul Morand, avec en contrepoint un émouvant passage reflétant sa rencontre avec Frédéric Mitterand dans l'oeil duquel il a vu la douleur muette d'un homme qui, lui aussi, avait dû être esquinté par une famille de gens très bien où l'on pratiquait une cécité intensive. Sévère avec lui-même, il l'est aussi, devançant les critiques de ceux qui pourraient lui reprocher de cracher sur des morts qui ne peuvent se défendre: A l'époque du Roman des Jardin, mes nerfs n'étaient pas à l'épreuve de la vie.
A présent que je quitte ma condition de faux-monnayeur polygraphe, d'illusionniste espiègle pour oser m'aventurer dans le réel, qui vais-je devenir? Un type un peu dégoûté par le projet de s'autocréer. Sans doute serai-je moins ce que je raconte. Et plus domicilié dans ma propre peau.
Qu'il devait donc l'aimer, ce nain jaune qui ne se lassait pas de croquer des chocolats Lindt ultra-fins au bord du lac Léman et qu'il imagine à la fin du livre, quand il lui demande d'arrêter la rafle et s'entend répondre, comme un écho lointain: Mon chéri, les choses ne sont pas si simples...
Le récit de cet homme en colère qui dresse un réquisitoire impitoyable contre les siens n'est sans doute pas à opposer au Roman des Jardin, version enjouée et affectueuse de son évocation familiale à laquelle répondent aujourd'hui les mots de la tragédie et du refus: Peut-être que mûrir, justement, c'est accepter de vivre dans l'étau de nos contradictions.
Le regard d'Alexandre Jardin n'est pas celui d'un historien, qu'on se le dise; il y a des redites, parfois, ou des faiblesses, tel le chapitre un peu simpliste intitulé Le nain vert qui évoque le personnage controversé de Tariq Ramadan; mais c'est le prix d'un écrivain qui choisit délibérément de privilégier, avec un courage discret et poignant, une éthique personnelle plutôt qu'une réussite de style, soucieux d'être au plus vrai possible de sa propre histoire.
Depuis l'âge de quinze ans, je ne suis retourné qu'une seule fois sur la tombe du Nain Jaune et celle de mon père, voisines dans le cimetière bucolique de Vevey; à l'exception des enterrements où je ne pouvais pas me défiler. Mes propres enfants n'en connaissent pas l'emplacement. Ils ne se sont jamais inclinés devant nos ascendants communs. Nulle négligence dans cette dérobade au long cours. Je n'ai jamais pu déposer de fleurs sur leurs mensonges. (...) Même une petite fleur m'aurait semblé un outrage aux enfants du Vél d'Hiv, une des pages les plus nauséabondes de l'histoire de France contemporaine...
Alexandre Jardin, Des gens très bien (Grasset, 2011)
Pascal Jardin, Le nain jaune (coll. Folio/Gallimard, 1999)
Alexandre Jardin, Le roman des Jardin (coll. Livre de poche/LGF, 2007)
Alexandre Jardin, L'île des gauchers (coll. Folio/Gallimard, 1995)
12:47 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité; récit; document; livres | | Imprimer | Facebook |
19/01/2011
Le poème de la semaine
Guillaume Apollinaire
Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
O mon unique amour et ma grande folie
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:26 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
18/01/2011
Fabio Geda 1b
Bloc-Notes, 18 janvier / Les Saules
Présenté par les éditions Liana Levi, voici un autre regard sur Dans la mer il y a des crocodiles de Fabio Geda..., ci-dessous:
Si vous maîtrisez la langue italienne, vous pouvez également retrouver cette interview de Fabio Geda et de Enaiatollah Akbari accordée à Caffeina Web TV:
00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vidéo; actualité; document | | Imprimer | Facebook |
Fabio Geda 1a
Bloc-Notes, 18 janvier / Les Saules
Enaiatollah Akbari, âgé de dix ans à peine, est né dans la province de Ghazni, au sud-est de l'Afghanistan. Il est hazara, une ethnie méprisée et souvent réduite à l'esclavage tant par les talibans que les patchounes. Son père est mort. Les patchounes l'avaient contraint - pas seulement lui, mais aussi beaucoup d'autres hazaras de notre région - à faire des allers-retours en Iran avec un camion pour y chercher les marchandises qu'ils vendaient dans leurs magasins. (...) Pour forcer mon père à travailler, ils lui ont dit: Si tu ne vas pas en Iran chercher ces marchandises pour nous, on tue ta famille. Si tu t'enfuis avec la marchandise, on tue ta famille. S'il manque de la marchandise ou qu'elle est abîmée, on tue ta famille. (...) J'avais six ans - peut-être - quand mon père est mort. Il semble que dans les montagnes, un groupe de bandits ait attaqué son camion et l'ait tué. Quand les patchounes ont appris que le chargement de mon père avait été volé, ils sont venu voir ma famille pour dire qu'il leur avait causé du tort, que leur marchandise était perdue et que nous devions le rembourser.
Sa famille - comme bien d'autres - connaît l'oppression, la sueur et les larmes, mais surtout la peur face à la violence et aux menaces qui les entourent. Un jour - la plus terrible des preuves d'amour - sa mère, fuyant leur maison de Nava, l'abandonne à Quetta, un village pakistanais non loin de la frontière afghane, avec trois commandements pour tout bagage: Ne pas prendre de drogues, ne pas utiliser d'armes, ne pas voler.
Commence alors pour Enaiatollah Akbari un périple de cinq ans, le conduisant du Pakistan à l'Italie, en passant par l'Iran, la Turquie, la Grèce. Un voyage long, dangereux, à haut risque. Il apprend à se débrouiller pour survivre et même s'il côtoie l'horreur ou la misère, son regard toujours tourné vers l'avenir reste sensible à la beauté des sentiments - qui lui sera marquée à certaines heures en raison de sa bonne éducation, de sa politesse, de son habileté - traduite par un sourire de gratitude qui ne le quitte jamais.
Ce livre est le récit de son incroyable aventure, transcrite par Fabio Geda avec un souci de coller au plus près de sa vérité, non sans nous partager une oeuvre littéraire à part entière. Si son odyssée racontée avec naturel et simplicité nous touche tant, c'est qu'elle transpire de l'empathie de son auteur, lui-même éducateur depuis une dizaine d'années auprès de mineurs immigrés à Turin et qui ne nourrit d'autre souci que de décliner une histoire dont il ne se veut que le témoin.
Mais au-delà de ces fragments de vie que nous expose Enaiatollah Akbari, ce livre nous sensibilise aux réalités de l'immigration - le trafic des êtres humains, les coups qui pèsent sur les clandestins, la fuite par nécessité - dont Dans la mer il y a des crocodiles montre avec une douce ironie qu'elle n'est ni noire, ni blanche.
Comme Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel - sur une toute autre thématique - ce livre devrait faire l'objet d'une lecture partagée en classes, afin de faire reculer, peut-être, auprès des générations futures, un peu de cette cécité ou de cette indifférence qui gangrène jusqu'à notre vision stéréotypée - pleine de préjugés - d'un monde silencieux qui tremble et s'agite, tout près de nous.
Aujourd'hui, notre jeune rescapé a 22 ans, un permis de séjour depuis 2007, étudie, profite enfin d'une vie bien à lui, a des amis et parle l'italien comme un turinois! Dans le dernier chapitre du livre - l'un des plus émouvants que je vous laisse découvrir - vous verrez qu'il renoue avec les siens. Il rêve de repartir en Afghanistan pour s'y rendre utile ou devenir - en Italie - le porte-parole de sa communauté, nous dit Fabio Geda. Une belle leçon de vie qui n'occulte malheureusement pas l'aventure d'autres enfants semblables à lui qui ont fait le voyage avec la même détermination, mais qui n'ont survécu à l'enfer. Ce livre est aussi la trace de leur histoire, transparente, invisible, engloutie dans le ventre des baleines ou des crocodiles...
Fabio Geda, Dans la mer il y a des crocodiles - l'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari (Liana Levi, 2011)
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Documents et témoignages, Le monde comme il va, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; document; actualité | | Imprimer | Facebook |