Au bar à Jules - Du chant (19/05/2012)
Un abécédaire: C comme Chant
en souvenir de ma mère
Le chant a toujours fait partie de ma vie. A l'âge de six ans, dans notre immeuble locatif de la banlieue bernoise, j'avais pour voisine la mère du baryton Heinz Rehfuss, d'origine suisse, naturalisé américain par la suite. Tous les soirs, elle donnait des cours particuliers à des chanteurs aspirant à faire carrière dans l'opéra. Cela se terminait généralement vers deux heures du matin, autour d'un verre, avec des éclats de rire qui ne manquaient pas de perturber le légendaire sérieux de notre entourage.
Ma mère s'était liée d'amitié avec ces artistes noctambules, dont l'un - un napolitain nommé Michele Luise - devint un proche de ma famille, malgré son retour au pays à la suite d'un chagrin d'amour dans la plus pure tradition des films d'Amedeo Nazzari... De cette époque datent mes premiers émois pour le chant. Un 45 tours du Largo de Georg Friedrich Haendel avec Margot Guillaume, et deux autres 33 tours consacrés aux opéras de Giuseppe Verdi: La Traviata avec Antonietta Stella et Giuseppe di Stefano; Rigoletto avec Renata Tebaldi et Mario del Monaco.
Autre souvenir bienheureux, même époque, à Forio d'Iscia - six ans de suite, et bien avant les fossoyeurs du tourisme de masse - où auprès des modestes propriétaires terriens du lieu, nous écoutions tous les samedis soir, éclairés par des lampes à pétrole dans un silence religieux, assis à califourchon sur un mur, la retransmission des opéras en direct, dont le son grésillant émanait d'un minuscule appareil à transistors.
Jusqu'à sa cinquantième année - une opération ratée des cordes vocales - ma mère a toujours chanté et pas seulement des airs d'opéra, mais aussi ses poètes préférés de la chanson: Edith Piaf, Charles Aznavour, Léo Ferré, Charles Trenet ou Jacques Brel, sans oublier les chansons napolitaines qui adoucissaient ses heures de mélancolie, de solitude ou de maladie, prématurément.
Il subsiste aujourd'hui, dans ces mêmes murs, une présence invisible chargée d'émotion quand j'écoute, entre sourire et larmes, Nessun Dorma de Giacomo Puccini avec Beniamino Gigli et Vesti la Giubba de Ruggero Leoncavallo avec Mario Lanza.
L'affinité avec l'Italie - une seconde patrie - est vraiment chez nous une histoire de famille...
image: portrait de ma mère (1946)
10:54 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (2) | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Très émouvant billet qui m'a beaucoup touché.
J'ai été baigné dès ma plus tendre enfance par le son du piano dont jouait mon père, le violon de mon grand-père, la clarinette de mon oncle... Bref une famille de musiciens, tous disparus aujourd'hui.
Et il est vrai qu'en entendant de nouveau les morceaux qui nous bercèrent enfant, leur présence redevient si vivante dans notre cœur, alliant ainsi la beauté de la musique aux souvenirs de nos parents disparus.
Merci pour ce moment d'émotion vraie.
Écrit par : Francis Royo | 19/05/2012
Merci Claude, et tu écris ceci alors qu'on apprend la disparition de Dietrich Fischer -Dieskau et de Warda ...
Tiens à propos de chant, de personnages féminins, la Susanna des Noces, évoquée par Akira Mizubayashi, un japonais épris de la langue fançaise qu'il appelle "sa langue paternelle" : Une langue venue d'ailleurs (Gallimard, L'un et l'Autre, 2012).
Je t'embrasse
G
Écrit par : gilda nataf | 19/05/2012