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04/07/2012

Le poème de la semaine

Malek Haddad

Je suis le point final d'un roman qui commence
Non pas oublions tout non pas niveau zéro
Je garde dans mes yeux intacte ma romance
Et puis sans rien nier je repars à nouveau
Je suis le point final d'un roman qui commence
A quoi bon distinguer le ciel et l'horizon
On ne peut séparer la musique et la danse
Et mon burnous partout continue ma maison
Je suis le pont final d'un roman qui commence
De mes deux Sahara je ferai des chansons
Je garde dans mes yeux intacte ma romance
Je suis en vérité l'élève et la leçon

Souvent je me suouviens j'avois été berger...
J'ai alors dans mes yeux cette longue patience
Du fellah qui regarde à ses mains incassables
L'histoire du pays où naîtra l'oranger
Souvent je me souviens d'avoir été berger...
J'ai rompu la galette
J'ai partagé les figues
Mes filles j'ai bien marié
Il n'est point de pareil
Au fusil à l'ouvrage que mon fils aîné
Ma femme était la plus belle de la vallée
Chez nous le mot Patrie a un goût de colère
Ma main a caressé le coeur des oliviers
Le manche de la hache est début d'épopée
Et j'ai vu mon grand-père au nom de Mokrani
Poser son chapelet pour voir passer des aigles
Chez nous le mot Patrie a un goût de légende

Père!
Pourquoi m'as-tu privé
Des musiques charnelles
Vois: ton fils, il apprend à dire en d'autre langue
Ces mots que je savais
Lorsque j'étais berger

Oh mon Dieu cette nuit tant de nuit dans mes yeux
Maman se dit Ya-Ma et moi je dis ma mère
J'ai perdu mon burnous mon fusil mon stylo
Et je porte un prénom plus faux que mes façons
O mon Dieu cette nuit mais à quoi bon siffler
Peur tu as peur peur tu as peur peur tu as peur
Car un homme te suit comme un miroir atroce
Tes copains à l'école et les rues les rigoles
Mais puisque je vous dis que je suis un Français
Voyez donc mes habits mon accent ma maison

Moi qui fais d'une race une profession
Et qui dis Tunisien pour parler d'un marchand
Moi qui sais que le juif est un mauvais soldat
Indigène? Allons donc ma soeur n'a pas de voile
Au Lycée n'ai-je pas tous les prix de français
De français de français de français... en français

O mon Dieu cette nuit tant de nuit dans mes yeux

Un jour c'était Huit Mai!...
Alors tourne la terre
Et grondez les tonnerres
Mes erreurs j'ai laissé
Au fond de mes tombeaux
Un jour c'était Huit Mai
Mais quel prix pour comprendre
Et que de professeurs pour pareille leçon
Et que de musiciens pour aimer la musique!
Un jour c'était Huit Mai!...

Comme à la femme il manque une gloire totale
Sans les yeux de l'enfant où nos yeux se poursuivent
Comme il manque aux forêts les amants qui les peuplent
Pour dire au vent du soir combien il les protège
Comme il manque une voile au cargo qui s'en va
Et le petit mouchoir qu'on n'oubliera jamais
Et comme il peut manquer un homme au genre humain
J'avais besoin encore
D'un jardin pour mes fleurs
D'un parfum pour mes fleurs
Et puis d'un jardinier
Mes amis ont des yeux que j'ai vus en colère
Mes amis ont des yeux que j'ai vus se mouiller
Mes amis tisserands du drapeau national
Grand vent levé debout et large et historique
Qui nous fait des vingt ans venger nos cheveux blancs

Ah! il nous faudrait avoir la vertu des abeilles
Pour mériter le miel
Et chanter nos amis

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

09:57 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/06/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

(Lettre à l'étoile)
 
Tu es de celles qui savent
Lire par dessus l'épaule
Je n'ai même pas besoin
Pour toi, de chercher mes mots,
Depuis longtemps ils attendent,
A l'ombre de mon silence
Derrière les lèvres closes
Et les distances moroses
A force d'être si grandes.
Mais, vois, rien ne les dénonce,
Nous ne sommes séparés
Par fleuves ni par montagnes,
Ni par un bout de campagne,
Ni par un seul grain de blé.
 
Rien n'arrète mon regard
Qui te trouve dans ton gîte
Plus vite que la lumière
Ne descend du haut du ciel
Et tu peux me reconnaitre
A la luisante pensée
Qui parmi tant d'autres hommes
Elève à toi toute droite
Sa perpicace fumée.
 
Mais c'est le jour que je t'aime
Quand tu doutes de ta vie
Et que tu te réfugies
Aux profondeurs de moi-même
Comme dans une autre nuit
Moins froide, moins inhumaine.
 
Ah sans doute me trompé-je
Et vois-je mal ce qui est.
Tu n'auras jamais douté,
Toi si fixe et résistante
Et brillante de durée,
Sans nul besoin de refuge
Lorsque le voile du jour
A mon regard t'a célée,
Toi, si hautaine et distraite,
Dès que le jour est tombé
Et moi qui viens et qui vais
D'une allure passagère
Sur des jambes inquiètes,
Tous les deux faits d'une étoffe
Cruelllement différente
Qui me fait baisser la tête
Et m'enferme dans ma chambre.
 
Mais tu as tort de sourire
Car je n'en ai nulle envie,
Tu devrais pourtant comprendre
Puisque tu es mon amie.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

20/06/2012

Le poème de la semaine

René-Guy Cadou

Je ne crois pas en les miracles de Lourdes
Je crois dans une belle journée
Avec des ramasseuses de colchiques
Et des jeunes gens égayés
Car Dieu sur la montagne est bien près de me plaire
Qui dans la double écuelle de ses mains

Assaisonne la soupe noire de la terre

D'un peu de sel puisé dans les yeux du matin

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

08:03 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

13/06/2012

Le poème de la semaine

Jules Supervielle

C’est tout ce que nous aurions voulu faire
et n’avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole
et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,
Tout ce qui nous a quittés
sans rien nous dire de son secret,
Ce que nous pouvons toucher et même creuser
par le fer sans jamais l’atteindre,
Ce qui est devenu vagues et encore vagues
parce qu’il se cherche sans se trouver,
Ce qui est devenu écume
pour ne pas mourir tout à fait,
Ce qui est devenu sillage de quelques secondes
par goût fondamental de l’éternel,
Ce qui avance dans les profondeurs
et ne montera jamais à la surface,
Ce qui avance à la surface
et redoute les profondeurs,
Tout cela et bien plus encore,
La mer.
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
 

06/06/2012

Le poème de la semaine

René-Guy Cadou

Pour atteindre le ciel 
A travers ce feuillage
Il faut que tous les yeux
Se soient réunis là
 
Je dis les yeux d’enfants 
Pareils à des parvenches
Ou à ces billes bleus 
Qui roulent sur la mer
 
On va dans les allées
Comme au milieu d’un rêve 
Tant la grand-mère a mis 
De grâce dans les fleurs
 
Et le chat noir et blanc 
Qui veille sur les roses
Songe au petit oiseau 
Qui viendrait jusqu’à lui
 
C’est un jardin de fées
Ouvert sur la mémoire
Avec des papillons 
Epinglés sur son coeur
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:13 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

30/05/2012

Le poème de la semaine

Louise de Vilmorin

Plus jamais de chambre pour nous, 
Ni de baisers à perdre haleine 
Et plus jamais de rendez-vous 
Ni de saison, d'une heure à peine, 
Où reposer à tes genoux. 
 
Pourquoi le temps des souvenirs 
Doit-il me causer tant de peine 
Et pourquoi le temps du plaisir 
M'apporte-t-il si lourdes chaînes 
Que je ne puis les soutenir? 
 
Rivage, oh! rivage où j'aimais 
Aborder le bleu de ton ombre, 
Rives de novembre ou de mai 
Où l'amour faisait sa pénombre 
Je ne vous verrai plus jamais. 
 
Plus jamais. C’est dit. C'est fini. 
Plus de pas unis, plus de nombre, 
Plus de toit secret, plus de nid, 
Plus de lèvres où fleurit et sombre 
L'instant que l'amour a béni. 
 
Quelle est cette nuit dans le jour? 
Quel est dans le bruit ce silence? 
Mon jour est parti pour toujours, 
Ma voix ne charme que l'absence, 
Tu ne me diras pas bonjour. 
 
Tu ne diras pas, me voyant, 
Que j'illustre les différences, 
Tu ne diras pas, le croyant, 
Que je suis ta bonne croyance 
Et que mon cœur est clairvoyant. 
 
Mon temps ne fut qu'une saison. 
Adieu saison vite passée. 
Ma langueur et ma déraison 
Entre mes mains sont bien placées 
Comme l'amour en sa maison. 
 
Adieu plaisirs de ces matins
Où l'heure aux heures enlacée 
Veillait un feu jamais éteint. 
Adieu. Je ne suis pas lassée 
De ce que je n'ai pas atteint. 
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle

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23/05/2012

Le poème de la semaine

Edmond Jabès

Que les bois aient des arbres,
Quoi de plus naturel ?
Que les arbres aient des feuilles,
Quoi de plus évident ?
Mais que les feuilles aient des ailes,
Voilà qui, pour le moins, est surprenant.
Volez, volez, beaux arbres verts.
Le ciel vous est ouvert.
Mais prenez garde à l’automne, fatale
Saison, quand vos milliers et milliers
D’ailes
redevenues feuilles,
tomberont.
 
 
Quelques traces de craie dans le ciel,
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09/05/2012

Le poème de la semaine

Ernest Pépin

Passagers des vents
Et de toute géographie souterraine
Nous glanons d’immenses voyances
Et honorons la vertu des sables aériens
Il n’est griffures qui vaillent ni gommiers ni mémoires
Seules les boues ont gardé nos empreintes
Nous parlons le magma et la turbulence folle
De ces courants d’hommes
Au grand charroi des îles
N’était-ce l’amandier et son parasol de rêves
Ou l’oiseau foudroyé de vivre son voyage
Notre voix va au vent tremblant
Des fougères sacrées
Tant de boucans nous guettent aux haltes
Tant de langues se perdent aux feuillages
Mais sur la jetée des vents d’ailleurs
Et d’ici
Nous hâlons le coutelas des tempêtes
Le lieu est mémoire
Comme gouffre de lumière
Où nous naviguons à hisser nos élans
Chavire grand ciel
Les étoiles nous sont rumeurs de prophètes
Par tous vents nos jardins s’émerveillent
Là-haut l’île suspend sa crinière
Voyageur des vents souffle les mots
Acquitte-toi des frontières
O vents des mots
Lavez l’écorce et le champignon des songes
Là-bas m’attend une auberge marine
Salaison de mots
Et conteurs en veille
Et paroles d’embruns
Et compère Soleil
Ceux qui s’en viennent sont de connivence
Plumes que laissent les voyageurs des vents
Aux pirates et aux dieux.

 
Quelques traces de craie dans le ciel,
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02/05/2012

Le poème de la semaine

Saint-John Perse

Oiseaux, lances levées à toutes frontières de l'homme !…
 
L'aile puissante et calme,
et l'œil lavé de sécrétions très pures,
ils vont et nous devancent aux franchises d'outre-mer,
comme aux Échelles et Comptoirs
d'un éternel Levant.
Ils sont pèlerins de longue pérégrination,
Croisés d'un éternel An Mille.
Et aussi bien furent-ils Croisés sur la croix de leurs ailes...
Nulle mer portant bateaux a-t-elle jamais connu
pareil concert de voiles et d'ailes sur l'étendue heureuse ?
 
Avec toutes choses errantes par le monde
et qui sont choses au fil de l'heure,
ils vont où vont tous les oiseaux du monde,
à leur destin d'êtres créés...
Où va le mouvement même des choses, sur sa houle,
où va le cours même du ciel, sur sa roue
- à cette immensité de vivre et de créer
dont s'est émue la plus grande nuit de mai -
ils vont, et doublant plus de caps que n'en lèvent nos songes,
ils passent, nous laissant à l'Océan
des choses libres et non libres...
 
Ignorants de leur ombre,
et ne sachant de mort que ce qui s'en consume d'immortel
au bruit lointain des grandes eaux,
ils passent, nous laissant, et nous ne sommes plus les mêmes.
Ils sont l'espace traversé d'une seule pensée.
 
Laconisme de l'aile!
ô mutisme des forts...
Muets sont-ils, et de haut vol,
dans la grande nuit de l'homme.
Mais à l'aube, étrangers, ils descendent vers nous:
vêtus de ces couleurs de l'aube
- entre bitume et givre -
qui sont les couleurs mêmes du fond de l'homme...
Et de cette aube de fraîcheur,
comme d'un ondoiement très pur,
ils gardent parmi nous quelque chose du songe de la création.


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25/04/2012

Le poème de la semaine

Abdellatif Laâbi

J'aurai gravé sur l'éther
des voix
des cantilènes
des cris
des bribes d'histoire
des dates sans commentaire
des mots d'adieu
repris à des stèles funéraires
des chemins d'exil
des bateaux de retour
des nervures d'arbres
des silhouettes d'oiseaux
des corps de femmes
des traces de pas
des cours de fleuves
des dessins d'enfants
une main coupée
un coeur nu
un lever de soleil
que j'ai imaginé le premier
sur terre
une étoile
que j'ai souvent visitée dans mes rêves éveillés
un homme debout
les pieds fermes
la tête haute
et dans ses yeux où perle une larme
subitement agrandis à la dimension du ciel
j'aurai gravé en pointillé
la flèche de l'infini
 
J'aurai marqué
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et refermé
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