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27/11/2011

Planète Payot

Bloc-Notes, 27 novembre / Les Saules

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Dans la cadre de notre journal d'entreprise, Planète Payot - qui, à chaque numéro, donne la parole à l'un ou l'autre de ses collaborateurs - mon cher collègue de librairie, Thierry du Sordet, m'a sollicité pour recueillir, à deux mois de ma retraite professionnelle, les impressions que je retiens de mes expériences de bloggeur sur La scie rêveuse et Facebook. Il en résulte l'interview ci-dessous, que je vous livre en toute décontraction et simplicité. Conscient de n'être ni écrivain, ni critique littéraire - à chacun son métier ! - je m'efforce de partager une passion viscérale pour la littérature et la musique surtout, avec des amis attachants, sensibles et attentifs dont vous êtes, lecteurs, les passeurs indispensables. Rien de plus ...

Pourquoi un blog? Et avez-vous rencontré des difficultés techniques pour le réaliser?

Le blog est un lieu d'échanges extrêmement gratifiant, un espace de liberté partagée, de découvertes, de passions : celle de transmettre surtout, pour ne pas oublier. Sur le site qui héberge mon blog – le même que Jean-Louis Kuffer – l’utilisation est très facile pour un novice comme moi. Il faut juste être clair dans sa tête et rigoureux dans les styles de présentation propres aux différentes rubriques choisies. Seule la fonction recherche n’est pas au top, mais je fais avec !

Quels sont les liens que vous entretenez avec l'informatique?

Une philosophie très Mac : je ne cherche pas à comprendre comment ça marche. Je suis simplement content que ça marche ! L’aspect technique ne m'intéresse pas du tout et aurait plutôt tendance à m'exaspérer.

Vous avez switché pour Mac, êtes-vous toujours content de votre choix?

Oh oui! C'est le retour à mes premières amours: un apprentissage avec un petit Mac muni de disquettes ... L’approche est plus ludique, simple et intuitive pour ce qui touche mes activités, mais c’est avant toute chose une question d’affinités, car les différences s'estompent entre les systèmes d'exploitation actuels.

Quels sont les critères de choix de sujets sur votre blog? 

Il n’y a rien de prémédité et la formule a évolué avec le temps, depuis les débuts en décembre 2009. De simple critique de livres que j'ai pris plaisir à découvrir, au départ, est apparu plus tard le bloc-notes - présentation longue d’un livre ou fantaisie littéraire - le poème de la semaine - auteurs francophones du XXe siècle -, la citation du jour ou la rubrique In memoriam où je parle d’auteurs souvent oubliés, même dans nos librairies ! La scie rêveuse compte 680 notices littéraires environ, enrichies d’interviews, de vidéos, de films. Avec La musique sur FB, il s’ouvre depuis le début de cette année à la musique – classique - avec 210 extraits à ce jour.

Existe-t-il un type d'articles que vous aimez particulièrement? 

Ceux qui mettent en évidence les ambiguïtés et les contradictions de la vie, les confrontations avec la modernité, les certitudes, l’enracinement humain ou spirituel. Je l’ai fait avec La chute de Camus par exemple, Albergo Italia de Guido Ceronetti ou la Lettre à un jeune libraire

Vous lisez et relisez beaucoup. Comment trouvez-vous le temps d'être si régulier dans l'écriture d'articles?

Je dors (trop) peu… Et j’aime lire et écrire: dans le silence, la solitude et la distance qui me sont précieuses aujourd'hui. Ecrire est un plaisir et un besoin. Une manière comme une autre de conjurer la mort, de faire reculer l’oubli. 

Voyez-vous le blog comme un complément dans votre travail de libraire?

Je vais peut-être vous décevoir, mais non : ce n’est pas complémentaire. La démarche est autre, sans aucun souci commercial, sans contrainte ni compromis. Il y a en revanche des répercussions dans mon travail, intéressantes mais faibles en terme d’impact sur les ventes. La poésie par exemple, les classiques – Paul Valéry, François Mauriac, Jules Supervielle, Saint-John Perse ou Georges Perros - intéressent un nombre restreint de lecteurs en librairie, alors que sur La scie rêveuse ou Facebook c’est tout le contraire : ce sont les nouveautés qui souvent rencontrent un faible écho … Un signe d’espérance donc, qui émerge de ces voies nouvelles de communication !

Quand vous serez à la retraite, aurez-vous l'impression grâce à votre blog, de garder un pied dans le monde du livre?

Certainement, et même sans blog, ce serait le cas ! Je créerai en revanche de nouvelles rubriques avec une variante d’abécédaire où je partagerai mon ressenti personnel aux bruits du monde; une anthologie de la poésie étrangère contemporaine – déjà amorcée sur Facebook - verra le jour aussi; une place plus grande sera accordée aux classiques, probablement …

Vous êtes un contributeur régulier du Passe-Muraille - revue romande consacrée à la littérature - dont le rédacteur en chef est Jean-Louis Kuffer. Etes-vous dans la même démarche qu'avec votre blog? Rédigez-vous de la même façon?

Oui, c’est un espace culturel qui ne fait aucune concession aux modes. C’est devenu bien rare ! Dans le cas contraire, je n’aurais pas rejoint ce groupe de passionnés de tous âges qui ressemble à une seconde famille. Un seul regret : la non-diffusion du Passe Muraille en librairie, chez Payot Libraire entre autres… 

Quels sont les liens qui s'établissent entre les visiteurs du blog et vous. Certains vous retrouvent sur Facebook? 

Les échanges sont sensibles, spontanés, respectueux, parfois d'une simplicité bouleversante. Une seule règle d’or : je réponds toujours – en privé – à un commentaire. Le relais via Facebook est très gratifiant. Les réactions y sont en live, et prêtent parfois à polémique : à propos de Céline par exemple, du mime Lindsay Kemp ou d'Elie Wiesel !  

Les hébergeurs de blogs fournissent des outils pour analyser selon différents critères la fréquentation des blogs. Comment les utilisez-vous? 

Au plus simple. Je ne cherche pas à atteindre des records, mais à rester authentique, fidèle à mes convictions, à ma ligne de conduite. Tant pis si la fréquentation doit en souffrir ... 

Savez-vous combien de visiteurs consultent votre blog, pour un mois ou une semaine, par exemple? Savez-vous de quelles régions viennent ces derniers?

Les visites sont environ de 5'200 à 6'200 par mois – 190 par jour en moyenne – pour 11'000 à 17'000 pages consultées par mois. Les liens sont culturellement très forts avec la France, la Suisse, l’Italie, la Grèce, le Canada et l’Afrique du Nord.  

A l'ère de la blogosphère, pensez-vous que la multiplication des blogs est un avantage pour l'individu qui peut ainsi partager sa passion pour un ou plusieurs sujets, ou bien au contraire cette multitude réduit-elle la portée de partage en augmentant les plateformes, sources d'informations ou de partage?

C’est une richesse partagée – les blogs sur Facebook surtout - mais elle peut devenir une prison. On ne peut suivre les activités de tout le monde. Je me fixe une limite de temps de fréquentation par jour : 30 minutes ! Certains bloggeurs sont devenus des amis de cœur, sincèrement. Le contraire du virtuel ou de la diabolisation dont nous abreuve régulièrement la presse …

Comment filtrez-vous les commentaires, que ce soit sur votre blog ou sur votre page Facebook?

Pas de filtre sur Facebook. En revanche, sur La scie rêveuse je n’accepte pas les commentaires hors de propos ou insultants – cela arrive rarement, mais tout de même – détestant les débats à la manière du blog de Pierre Assouline où après 15 avis ou commentaires, il n’y a plus aucun rapport au sujet.

Vous partez à la retraite au mois de février ...

A cette date, j’ouvrirai pour une semaine la porte de mon blog à quelques coups de cœur de mes collègues de Payot Nyon, une façon de les remercier pour leur amitié et leur défense de la littérature, même si, comme le dit Marco Lodoli – dans Les prétendants - nous ne sommes après tout que du vent sur une page !

Marco Lodoli, Les prétendants: La Nuit - Le Vent - Les Fleurs (P.O.L., 2011)

le blog de Thierry du Sordet: http://strictnecessaireouquestce.blogspot.com/

image: Thierry du Sordet, libraire - Payot Nyon

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27/10/2011

Alexandre Vialatte 1a

Bloc-Notes, 27 octobre / Les Saules

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Alexandre Vialatte nous revient - et c'est tant mieux! - car outre ses admirateurs les plus inconditionnels qui suivent ses écrits depuis des lustres et ne sont manifestement plus en âge d'affronter leur service militaire, la fleur au fusil, voici que les plus jeunes, sans doute un peu agacés par le conformisme ambiant, affirment haut et fort leur ferveur pour cet éternel jeune homme.

J'avais treize ans - nous confie dans sa préface Jean-Pierre Caillard, P.D.G. du Groupe La Montagne -, je croyais déjà à la littérature. L'illumination m'était venue à la lecture des chroniques, rituellement programmées par La Montagne, de cet homme, un écrivain, qui savait sublimer la quintessence imaginaire de la vie, aux yeux éblouis de l'adolescent que j'étais. (...) Jamais nous ne laisserons dire que treize ans est le plus bel âge de la vie. Pourtant, Vialatte, Nizan, Nimier, Blondin et quelques autres encore, auront préparé pour nous des confitures et des goûters littéraires somptueux, qui surpassaient sans peine ceux que nous accordaient les jeux trop attendus de nos âges.

Ainsi, dans le présent volume qui vient de paraître - Vialatte à La Montagne - 25 de ses chroniques sont présentées et choisies par des auteurs actuels, parmi lesquels Amélie Nothomb, Laurence Cossé, Pierre Jourde, Marie-Hélène Lafon, Philippe Meyer, Pascal Ory, Philippe Vandel et la rédaction de La Montagne.

Quel délice de mordre ces textes comme une pomme qui a ce goût d'enfance, cette curiosité de l'instant présent ou cette poésie de la mémoire qui fait notre enchantement et notre légèreté dans un huis-clos de la pensée où souvent les professeurs se prennent pour des innovateurs, les politiques pour des marabout et les écrivains pour des chantres du réel. Mazette, tout un programme! Ni célébration insolente de la vie, ni confrontation audacieuse avec la mort, avec cet entre-deux stations qui bourgeonne, tremble et séduit le lecteur. Mieux encore: l'homme...

Rien de tel chez Alexandre Vialatte, toujours passionnant, respectueux, instructif à la manière d'un instituteur qui distribue des billes de toutes les couleurs dans une cour de récréation à des gosses au sourire désarmant. Qu'il nous parle de grammaire, de ses admirations - Mauriac c'est la fièvre, Chardonne c'est la lumière, Pourrat c'est la chaleur - de nains de jardin, de vacances ou de chiens, il surprend, aiguise le regard et ranime en nous les braises chaque jour prêtes à s'éteindre. Lisez son portrait de l'homme d'aujourd'hui, étrangement contemporain: L'homme d'aujourd'hui entend se comporter comme un adulte responsable. Il se méfie des idées preconçues. Ou imposées. Il recherche les faits. Il dispute, il juge, il décide par lui-même. Il veut connaître le dossier des affaires sur lesquelles il doit s'engager. (...) Le prospectus général l'assure qu'il ne cesse de devenir plus libre, plus intelligent et plus fort. Que les siècles se superposent et qu'il y voit, par conséquent, de plus en plus loin. Mais il en va de ce socle hautain comme de celui de ce procureur auquel un avocat disait: Monsieur l'avocat général, votre position supérieure est une erreur de menuisier.

Parmi d'autres sujets, citons encore son approche piquante du roman: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu qu'à créer le roman sans lecteur. (...) A lire tant de romans de penseurs qui demandent à bénéficier de l'irresponsabilité de l'enfance, on se demande s'il y a encore des pères de famille dans les lettres, j'entends des hommes qui, arrivés à un certain âge, admettent qu'on ne peut rien faire sans une règle du jeu. La spécialité de notre époque est de la refuser en tout domaine. Notre civilisation en crève. Par peur de vivre. On ne peut avoir de raisons de vivre que si on a des raisons de mourir. Or on ne meurt pas pour le bloc-évier ou l'appareillage électrique. Et pour quoi donc? Demandez au caporal, demandez au romancier de service, c'est le moment ou jamais, notre civilisation vide ses dernières cartouches. Le caporal cherche dans ses poches. Il a égaré la consigne.

Et c'est ainsi - pour paraphraser l'auteur - que Vialatte est grand!   

Alexandre Vialatte, Vialatte à La Montagne (Julliard, 2011)

Alexandre Vialatte,  Chroniques de La Montagne, 1952-1971, 2 vols. (coll. Bouquins/Laffont, 2000)

02:16 Écrit par Claude Amstutz dans Alexandre Vialatte, Bloc-Notes, François Mauriac, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; chroniques; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

23/09/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 23 septembre / Les Saules

littérature: essais; conférences; livres

La jeunesse de ma grand-mère paternelle semble tout juste tirée d'un roman d'Emile Zola. Issue d'un milieu modeste, elle quitta l'école à l'âge de quatorze ans, pour apporter sa contribution financière à la famille. A son père, plutôt, un pilier de bistrots qui l'attendait en fin de semaine à la sortie de sa blanchisserie, pour lui piquer ses sous. Pas d'études donc, ni d'instruction particulière sinon pratique, comme pour bon nombre de femmes de son époque. Je l'ai toujours connue penchée sur France Dimanche, Ici Paris, Le Détective ou La Feuille d'Avis de Lausanne - devenu par la suite 24 Heures - qui occupaient ses après-midis quand elle nous rejoignait cinq ou six fois par an, pour une quinzaine de jours. Ou plongée dans les romans à l'eau de rose, signés Delly ou Max Du Veuzit que je lui offrais à son anniversaire et à Noël. Une manière comme une autre de réhabiliter cette notion de bonheur qui lui avait été refusée. Un événement pourtant allait chambouler ses habitudes: Une émission TV - en noir et blanc, dans les années 60/70 - intitulée Préfaces, magazine culturel d'une quarantaine de minutes produit par la Télévision Suisse Romande, en collaboration avec l'ORTF, présentée par Albert Zbinden et Guy Dumur, réalisée par Maurice Huelin.

Préfaces consacra en première partie de l'émission des dossiers passionnants à Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau, Michel Simon, Joseph Kessel, Henry de Montherlant, Françoise Sagan ou Ivo Andric - pour n'en citer que quelques-uns - avant de cèder la place, dans un salon où l'on n'entendait pas même bourdonner une mouche, à Henri Guillemin et ses rendez-vous littéraires. Ce catholique engagé, professeur au Caire puis à Bordeaux avant la guerre de 39-45, fuyant la France en 1942 pour s'établir en Suisse - à Neuchâtel - devint pour la petite histoire attaché culturel à l'ambassade de France jusqu'à sa retraite, en 1962. Boudé par les intellectuels français pour sa vision anticonformiste et passionnée, il n'accèda jamais à ce vieux rêve: devenir professeur à La Sorbonne.

Ma grand-mère donc - pour laquelle j'ai toujours éprouvé une immense tendresse - malgré ses études embryonnaires, était vive, intelligente, curieuse. Elle n'a raté aucune des émissons de Henri Guillemin et était capable de résumer chacune de ses interventions - une quinzaine de minutes - avec un lumineux sourire. Je me souviens particulièrement de son évocation de Pascal - pourtant pas facile à décrypter - qui l'avait captivée. Il avait réussi là où tous - notre entourage et les autres - avaient échoué: susciter la soif d'apprendre, aiguiser la curiosité, traquer la vérité...

Une même ferveur chez ma mère, par contre impregnée de littérature et qui m'a transmis entre autres sa passion pour les auteurs russes du XIXe siècle. Préfaces fut pour elle un moment exceptionnel de télévision: elle applaudissait quand Henri Guillemin parlait d'Emile Zola, d'Alphonse de Lamartine, de François Mauriac ou de Charles Péguy avec son drapeau tricolore à la main... Elle lui a écrit plusieurs fois, fière de brandir les réponses du maître à ses interprétations ou critiques. Quant à moi, je me rappelle qu'il avait ressuscité Jules Vallès, tombé à cette époque en désuétude: au lendemain de sa présentation - j'étais alors apprenti libraire - tout le monde voulait découvrir cet illustre inconnu de la Commune, comme s'il s'agissait du dernier lauréat d'un prix littéraire! Plus tard, il m'avait entraîné sur les traces d'un auteur étonnant aujourd'hui - hélas! - oublié: Jean Sulivan, prêtre-écrivain de l'après-guerre, auteur de Car je t'aime ô Eternité et Devance tout adieu.

Avec Henri Guillemin, cela nous amusait de compter les coups. Un peu injustement - parfois, souvent - contre André Gide, par exemple ou pire encore, contre Jean-Jacques Rousseau. Cela dit, son plus grand mérite fut de populariser la littérature - au sens noble du terme - sur les ondes ou à la télévision, de l'avoir rendue accessible hors de la sphère privilégiée des universitaires, avec une élocution et une force de conviction qui n'ont jamais été égalées depuis, pas même par Alain Decaux ou plus tard Bernard Pivot.

Bien sûr qu'il peut lui être reproché d'avoir pris des libertés avec l'histoire, d'avoir été fasciné ou au contraire indigné par certains écrivains et hommes politiques, mais en revanche, sceptique devant les modèles préfabriqués, il aimait chercher ce qui se cache derrière les choses et cela incitait son auditoire à dépasser avec lui les apparences, les lieux-dits, fut-ce dans une autre direction que la sienne, au coeur de l'homme, loin des abstractions.

Parmi une riche bibliographie, il vaut la peine de lire A vrai dire (1956), L'énigme Esterhazy (1962), L'homme des Mémoires d'Outre-tombe (1965), Sulivan ou la parole libératrice (1977) et Charles Péguy (1981).  

Henri Guillemin nous a quittés en 1992, à l'âge de 89 ans et je suis ému qu'en 2011, un auteur lui consacre un vibrant hommage. Il s'agit de Michel Crépu. Dans son dernier ouvrage, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand, il note: Henri Guillemin, un inquisiteur en quelque sorte amoureux de son prévenu, sa manière à lui de l'aimer, multipliant les pièces à charge dans l'espoir d'un rachat de dernière minute, fourni par l'accusé lui-même, si possible malgré lui, bien entendu. Au fond, Guillemin, si acharné en procureur des grandes gloires, ne voulait pas un casier sans tache, ce qu'il voulait c'était pouvoir pardonner. Si la littérature est la littérature, alors qu'elle le prouve. (...) Chez Guillemin, la beauté se gagne au terme d'une entreprise de démolition implacable: à la fin, on veut bien baisser la garde, à condition que la beauté, une fois n'est pas coutume, joue cartes sur table.

Merci pour lui, Michel Crépu: il le vaut bien...

Henri Guillemin, L'énigme Esterhazy (Gallimard, 1962)

Jean Sulivan, Car je t'aime ô Eternité (Gallimard, 1966)

Michel Crépu, Le souvenir du monde - Essai sur Chateaubriand (Grasset, 2011)

 Archives de la TSR: http://archives.tsr.ch/dossier-18esiecle

25/08/2011

La citation du jour 1b

François Mauriac

citations; livres

Ce pourrait être un soir d'été comme ici je les ai tant aimés autrefois. Je ne croyais pas, dans ma jeunesse, qu'il y eût ailleurs que sur cette terrasse un ciel si sombre et si vivant, cette respiration de la nuit. Mais cette nuit d'août est une pluvieuse pluie d'automne, et le vent gémit au ras des vignes comme si c'était déjà les vendanges. Je m'étonne que le cuvier proche ne retentisse pas de voix et de rires; je ne sens pas l'odeur du pressoir: ce n'est qu'une nuit d'été où je suis seul. J'ai déserté le gros de l'armée du monde. Je ne m'en vante pas: où est mon mérite? Je n'ai même pas eu à me rendre: l'ennemi était en moi depuis longtemps déjà. Je luttais encore, je me raccrochais à des fantômes de sentiments, j'appelais, je feignais de croire que répondaient d'autres voix. Pauvre illusion entretenue, nourrie par le coeur insatiable. Depuis longtemps, les jeux étaient faits, la bille avait roulé, j'avais perdu. J'avais perdu... J'étais sauvé. 

François Mauriac, Souffrances et bonheur du chrétien (Grasset, 1931)

La citation du jour 1a

François Mauriac

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Tu t'éveilles, et d'abord tu cherches la place de ta douleur pour t'assurer que tu existes. Elle est là, fidèle comme la vie; elle va règner sur toi jusqu'à la nuit, pareille au soleil sur cette journée déjà torride. Tout sera anéanti dans ce terrible rayonnement; les êtres et les choses s'y confondront; tu accompliras tes besognes, isolé de tous, au centre d'une atmosphère de feu. Tu t'éloignes, tu t'assieds à l'écart, tu ouvres un livre. Mais les lettres dansent dans cette lumière aveuglante. Tu recommences de lire la page, tu poursuis en vain une pensée insaisissable. La pensée des autres ne peut plus se frayer de route jusqu'à la tienne. Aucune issue. Etouffant amour, après-midi étouffante. Pas d'orage à l'horizon. Aucun bruit ne monte de la plaine que, tout près de toi, cette poule dans les feuilles sèches. Aucune espérance de pluie. Mais s'il ne t'appartient pas de susciter les nuées dans l'azur de feu, du moins te reste-t-il quelque pouvoir pour troubler cette canicule de ta passion. Regarde au fond de toi ce regard, ce sourire mystérieux; alors comme le temps se troublerait, comme s'écraseraient de grosses gouttes chaudes sur les feuilles, voici enfin l'attendrissement, les larmes.  

François Mauriac, Souffrances et bonheur du chrétien (Grasset, 1931)

01/02/2011

La citation du jour

François Mauriac

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Ce n'est pas de mériter qui importe mais d'aimer. 

François Mauriac, La pharisienne (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 1985)

28/01/2011

Devoir de vacances 3/3

Bloc-Notes, 28 janvier / Les Saules

auteurs; littérature; livres

Toute bibliothèque est un territoire sans interdits ni barrières ouvert à tous, parfois un champ de mines dans lequel les traces de pas imprudentes du propriétaire peuvent être lues, même à son insu. Le plus souvent, je pense à sa ressemblance avec un jardin de fleurs rares condamnées à mourir asphyxiées si elles ne sont pas partagées. Quand ses bourgeons font danser la lumière ou recomposent les nuances de l'ombre, alors c'est - au contraire - le reflet de la gratitude devant leur éclat passager qui lui confère ces imperceptibles mouvements pourvoyeurs de signes.

Il en va ainsi des livres comme de la flore: une reconnaissance muette envers ceux qui - amis, libraires, professeurs - ont su un jour ou l'autre, par leur recréation, m'inviter à découvrir un écrit qui a pris depuis lors place dans ma bibliothèque et qu'à mon tour je partage tel mon bien le plus intime et le plus précieux. Nombreux auteurs, au fil des ans, ont ainsi modulé cet espace du coeur en fragile équilibre entre le dehors et le dedans, surgis par magie ou par surprise: La divine comédie de Dante Alighieri, La chartreuse de Parme de H.B.StendhalPapiers collés de Georges Perros, Le partage de midi de Paul Claudel, Le festin nudeWilliam S. Burroughs ou Panique à la Scala de Dino Buzatti.

Certaines traces demeurent plus profondes que d'autres, telles la bibliothèque de ma mère. Si je ne goûte peu sa ferveur pour Gatsby le magnifique deFrancis Scott Fitzgerald, je lui dois ces eaux vives et fertiles que cristallisent Fédor Dostoievski dans Les frères Karamazov, Emily Brontë dans Les hauts de Hurlevent, Alexandre Dumas dans Le comte de Monte-Cristo, François Mauriac dans Thérèse Desqueyroux... Une bibliothèque dans laquelle j'ai puisé Emile Zola, Jules Vallès, A.J. Cronin, Daphné du Maurier et mêlés aux classiques  Les clés de Saint Pierre de Roger Peyrefitte ou La mer à boire de Michel de Saint Pierre - aujourd'hui oubliés - attestant une pensée indépendante et contestataire qu'elle n'a pas épanoui dans sa vie sociale, au pays vaudois des y en a point comme nous!

Une ultime image. Un après-midi de janvier, à Berne. Avec mon père et ma mère, nous partons en bicyclette. Direction: la Bibliothèque pour tous, à une dizaine de kilomètres de notre domicile.  Du haut de mes onze ans, j'observe le manège lié à notre abonnement autorisant l'emprunt de six livres par quinzaine, dont deux - obligatoires - ne sont pas des romans! Ce sont eux qui éveillent mon goût pour la lecture: Chopin ou le poète par Guy de Pourtalès et La vie passionnée d'Amedeo Modigliani par André Salmon

La première graine de bonheur annonçait le printemps...

01:05 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, François Mauriac, Georges Perros, H.B. dit Stendhal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/11/2010

L'Académie française

3145-3245-large.jpgPhilippe de Flers et Thierry Bodin, L'Académie française au fil des lettres - de 1635 à nos jours (Gallimard, 2010)

Ce livre est bien davantage que l'histoire de la célèbre Académie française. En effet, il réunit des documents, lettres et notes rassemblés par sept générations de marquis de Flers - inaccessibles au grand public jusqu'à ce jour - célébrant les immortels qui y furent admis depuis sa fondation, en 1635. On se prend à rêver, découvrant l'écriture manuscrite de Jean Racine, Gustave Flaubert, Henri-Dominique Lacordaire ou plus près de nous Marguerite Yourcenar...

Nombreux sont les écrivains qui, outre la famille de Flers, ont rédigé une notice consacrée à l'un ou l'autre de ces élus: Michel Déon sur Jean La Bruyère et Paul Valéry, Alain Decaux sur Victor Hugo, Jean d'Ormesson sur Charles Baudelaire. Humeurs de leur temps, rivalités, critiques, jalousies, convoitises, expressions du pouvoir ou de la morale, déclarations fracassantes et scandales ayant accompagné leurs candidatures: tout cela nous est restitué dans ce parcours à travers les siècles de ces hommes ou femmes d'exception, pas toujours à la hauteur de leurs oeuvres!

La dernière partie de cet ouvrage nous livre le célèbre Questionnaire de Proust auquel ont répondu, avec un bonheur inégal, les académiciens modernes: Paul Claudel, François Mauriac, Marcel Pagnol, Jean Paulhan, Alain Robbe-Grillet et Jean Rostand.

Un académicien, c'est un homme qui, à sa mort, se change en fauteuil, dit l'un de ses plus illustres membres du XXe siècle, Jean Cocteau...  

18/11/2010

Alexandre Vialatte

Bloc-Notes, 18 novembre / Lausanne - Rolle 

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En ces temps bien ingrats où je vois ployer mon fauteuil sous le poids de trop nombreux livres de l'année pas encore lus auxquels se mêlent les premières épreuves de l'an 2011, je prends un malin plaisir à me dérober à cet exercice de haute voltige, pour me plonger avec délectation dans un de ces ouvrages sur lesquels les intempéries du temps qui passe n'offrent aucune prise. Ainsi, après Albert Camus, Paul Valéry et Alain, c'est à un autre de ces auteurs inoxydables que je reviens aujourd'hui: Alexandre Vialatte, et son dernier livre, Critique littéraire, présentant un choix de chroniques parues entre 1950 et 1970 dans le quotidien La Montagne, le mensuel Le spectacle du monde ou l'hebdomadaire Paris-Match.

Au lieu d'être écrivain, il aurait pu être peintre: celui qui en quelques coups de crayons est capable d'éclairer un style, de suggérer une atmosphère, de mettre en évidence des traits de caractère parfois piquants sans céder à la désinvolture, parfois insolents ou tendres sans déraper vers la méchanceté, mais avec une plume qui traduit la concision d'un dessinateur.

Parmi les auteurs évoqués dans cette anthologie, quelques portraits sont jubilatoires. Sur Antoine Blondin par exemple, il note, à propos de Monsieur Jadis: L'école du soir, c'est l'école de Nerval, pleine de fantasmes et de fantômes, et qui finit au petit matin, sur un pendu ou sur les bancs du commissariat, après un grand feu d'artifice tiré par l'imagination, dans l'exaltation des alcools. (...) C'est le programme de la terre brûlée, en face de l'invasion de la vie avec ses monstres exigeants et monotones. Tout est dit!

Sur Kafka - dont il a signé plusieurs traductions - il écrit: Ses yeux sont comme des soleils noirs; il a l'air de Cocteau; ou du mauvais élève avec sa cravate de travers. Bref, il semble sentir la tombe, ou le soufre, ou la dynamite. C'est l'ombre du corbeau sur la neige du cimetière. J'aimerais chanter le joyeux garçon qui était en lui

Deux autres exemples sont révélateurs de son regard, de son originalité, de son talent. A propos de François Mauriac: Ses romans sentent la résine et le péché mortel. La digitaline, le poison. L'officine de Circé, la chambre de malade. La forêt de pins. La vieille salle à manger. Les vieux papiers de notaire. La table de nuit mal aérée. Puis, de temps en temps, il ouvre une fenêtre et on voit le ciel. Enfin, il dit de Louise de Vilmorin: Elle réalise ce prodige de rester une femme élégante en travaillant comme un homme de métier. C'est une grande dame qui se fabrique ses bijoux avec plus d'art que son joaillier.

Avouez que peu d'écrivains usent d'images aussi vives, minutieuses, pleines d'esprit, de liberté et d'audace pour mettre en perspective leurs contemporains!

L'écriture, le style, la qualité de l'exception littéraire tiennent aussi une place prédominante dans ses critiques, quand il aborde Louis-Ferdinand Céline, Valéry Larbaud ou Roger Nimier. Il amuse ou instruit à tour de bras, n'accordant aucun répit à ses lecteurs qui lui emboîtant le pas avec l'insouciance d'un ami de longue date. Ses mots se bousculent sur le papier, mais combien ses intuitions s'avèrent justes: Le talent est toujours d'actualité. Le génie, encore plus, bien sûr. (...) Gide ne disait-il pas qu'on reconnaît un chef d'oeuvre à ce que, placé en face de lui, on ne songe jamais à comparer? C'est ce qui arriverait avec Buzzati, si Franz Kafka n'avait pas existé. Car il rappelle toujours Kafka. Et pourtant, paraît-il, il ne l'a jamais lu.

La citation d'André Gide pourrait être attribuée à Alexandre Vialatte. Lisez vite Critique littéraire. Je vous promets qu'après l'avoir apprivoisé, vous vous précipiterez dans une bibliothèque ou une librairie pour lire les auteurs dont il nous parle avec tant de passion, de légèreté, de respect. Commencez par les oubliés: Antoine Blondin, Roger Nimier, Jean Dutourd dont la saveur demeure incomparable! Et comme cela arrive - hélas - assez souvent, après ces découvertes, il vous sera peut-être difficile d'enchaîner avec la lecture du dernier chef d'oeuvre qui vient de paraître...  

C'est tout le problème avec les grands crus!

Alexandre Vialatte, Critique littéraire (Arléa, 2010)

Antoine Blondin, Monsieur Jadis  ou l'école du soir (coll. Folio/Gallimard, 2002)

Roger Nimier, Histoire d'un amour (coll. Folio/Gallimard, 1992)

Jean Dutourd, Le déjeuner du lundi (coll. Folio/Gallimard, 1986)

13/08/2010

Relire Paul Valéry - 2/3

Bloc-Notes, 13 août / Les Saules

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Quand nous parlons de littérature, entre amis, ne nous arrive-t-il pas de nous exclamer, à propos d'un roman lu: J'ai beaucoup aimé le sujet... Mauvais signe, dirait Paul Valéry, car les bons auteurs captent notre attention, quel que soit le sujet qu'ils abordent. Regardez François Mauriac, Albert Camus ou plus près de nous J.M.G. Le Clézio.

Autre lieu commun que nous distillons volontiers auprès de notre entourage: Ce roman est d'une lecture facile... Là encore, le grand homme nous interpellerait pour nous dire qu'une lecture qui ne demande pas le moindre effort - qu'il s'agisse d'érudition, de fantaisie ou de distraction - est sans intérêt, ennuyeuse pour le lecteur - qui en dix pages comprend déjà les deux cent suivantes -, vouée à une mort rapide, programmée...

A propos des livres - reconnaissons-le - nous aimons  asséner des vérités premières telles que: Cette oeuvre me séduit par son réalisme... Par rapport à qui? Par rapport à quoi? Selon quelles valeurs? A quel moment précis de notre histoire? Et si cette réalité n'est que la photographie de ce que nos yeux voient, ce n'est plus de la littérature, mais du reportage. N'est pas Louis-Ferdinand Céline, Vassili Grossmann ou Boris Pasternak qui veut... De plus, là encore, Paul Valéry nous rappellerait qu'il n'est pas rare que les oeuvres qui survivent au temps soient souvent... fantastiques!

A une semaine de la rentrée littéraire d'automne - 701 nouveautés dont 497 francophones, soit 6.32% de plus qu'en 2009! - la parole revient assurément aux auteurs, s'ils veulent échapper à ces commentaires superflus ou mondains dont fleurissent les salons de thé. Dans Tel Quel, Paul Valéry hasarde à leur intention, qu'il faut écrire et travailler pour ceux-là seuls sur qui l'injure ou la louange n'ont pas de prise; qui ne se laissent émouvoir ni imposer par le ton, l'autorité, la violence et tous les débordements. (...) Ecrire pour le lecteur qui va: ou vivre votre idée, ou la détruire, ou la rejeter - pour celui à qui vous donnez le pouvoir suprême sur elle; et qui possède le droit de sauter, de passer, de ne pas poursuivre; et celui de penser le contraire, et celui de ne pas croire, de ne pas épouser votre intention.

Rassurez-vous, car si les oeuvres romanesques insignifiantes ou fades sont en constante augmentation - parce que les éditeurs souvent manquent autant de métier, de rigueur ou de clarté que certains de leurs auteurs - bon nombre d'écrivains de cette rentrée littéraire sont proches des idées de Paul Valéry, capables de nous étonner, de nous surprendre et d'exprimer ce qui nous est impossible avec un style et une transcendance aptes à nous émerveiller, nous séduire et nous offrir quelques moments de bonheur.

Parmi ces rescapés de l'urgence - de publier, d'envahir, de monopoliser - plusieurs titres vous seront présentés dans ces colonnes, dès la semaine prochaine, signés Yves Bonnefoy (L'inachevable - Entretiens sur la poésie/Albin Michel), Andrée Chedid (Les quatre morts de Jean de Dieu/Flammarion), Douna Loup (L'embrasure/Mercure de France), Andrew O'Hagan (La vie et les opinions de Maf le chien et de son amie Marilyn Monroe/Bourgois) et Hernan Roncino (Dernier train pour Buenos Aires/Liana Levi), entre autres publications hors du commun.

Songez à ce qu'il faut pour plaire à trois millions de lecteurs, note encore Paul Valéry... Paradoxe: il en faut moins que pour ne plaire qu'à cent personnes exclusivement.

Mais de cela, nous nous en serions douté... Pas vrai?

Paul Valéry, Tel Quel - Oeuvres vol. 2 (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1960)