15/05/2014
Morceaux choisis - Anna Akhmatova
Anna Akhmatova
Que nous importe, en vérité,Que tout se transforme en poussière,Sur combien d’abîmes j’ai chanté,Dans combien de miroirs j’ai vécu?Ce n’est pas un rêve, soit, ni un réconfort,C’est tout sauf un bienfait du ciel,Il se peut que tu sois obligéDe te rappeler plus qu’il n’est nécessaire.Le grondement des poèmes qui se taisent,L’oeil qui se cache dans les profondeurs,Cette couronne de barbelés rouillésAu milieu d’un silence inquiet.
Anna Akhmatova, dans: Collectif, Quelqu'un plus tard se souviendra de nous (coll. Poésie/Gallimard, 2010)
image: http://www.metronews.fr
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11/05/2014
Lire les classiques - Rainer-Maria Rilke
Rainer-Maria Rilke
merci à Vasil Q
Éteins mes yeux: je te verrai encoreBouche-moi les oreilles: je t’entendrai encoreSans pieds, je marcherai vers toiSans bouche, je t’invoquerai encoreCoupe-moi les bras: je te saisiraiAvec mon cœur comme avec une mainArrache-moi le cœur et mon cerveau battraEt si tu mets aussi le feu à mon cerveauJe te porterai dans mon sang.Rainer-Maria Rilke, Le Livre des images, dans: Oeuvres poétiques et théâtrales (Bibliothèque de la Pléiade, 1997)
image: http://arbrealettres.files.wordpress.com
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09/05/2014
Morceaux choisis - John Donne
John Donne
Je ne sais trop, ma foi, ce que nous pouvions faireAvant de nous aimer: n'étions-nous donc sevrés?Nous paissions-nous, enfants, de plaisirs terre à terre?Ou chez les Sept Dormants étions-nous à ronfler?Certes: ce plaisir seul ne fut imaginé,Et si jamais je vis et désirai beautéEt la pris, c'est alors que de toi je rêvai. Et maintenant, bonjour, nos âmes qui s'éveillent,Et qui de crainte encor ne s'osent regarder:Car Amour tient l'amour de toute autre merveilleEt fait d'une chambrette un univers entier.Qu'aillent navigateurs vers des mondes nouveaux,Que cartes fassent voir des mondes tant et trop:Soyons monde chacun, nul autre ne nous faut. Nos visages l'un et l'autre en nos yeux se reflètent,Sur nos visages sont nos coeurs simples et francs;Où mieux qu'ici trouver mappemonde parfaiteSans l'âpreté du Nord, le déclin du Couchant?Ce qui meurt est le fruit d'un mélange mal fait:N'ayant qu'un seul amour, ou si bien partagéQue nul ne peut faiblir, nous ne mourrons jamais.John Donne, Le bonjour, dans: Poèmes - édition bilingue (coll. Poésie/Gallimard, 1991)
traduit de l'anglais par Jean Fuzier et Yves Denis
image: Elisabeth Vigée Le Brun, Autoportrait (passionlectures.wordpress.com)
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02/05/2014
Morceaux choisis - Jean-François Bernard
Jean-François Bernard
Le peintre qui cherche son sujetEt ne le trouve pasEt l'enfant qui joue dans la rueEt qui trouve sa joieUn matin de maiOnt fini de se ressembler Le peintre est en face de la réalitéEn face de sa feuille de papierLes doigts dans les couleursDe sa paletteLes doigts dans le nezA chercher la vérité du vertLa vérité de la paletteLa vérité qu'il veut défigurerPour en faire une tête abstraite L'enfant est dans la rueAssis par terreIl joue avec les pierresLa vieLa simple vie vivanteEt il joue avec leur vieEt il trouve sa joie Le peintre se défaitComme un tricot mal faitBlanc comme le blancDe son portrait abstraitQui ne veut pas venirEt qu'il poursuitAu grand galopA cheval sur son chevaletMais le sujet s'enfuitEt il joue avec luiComme le chat avec la souris L'enfant est ravi Le peintre est hors de luiIl jette ses pinceauxMet sa palette en morceauxSa belle couleur à l'huile à l'eauEt d'un grand coup de balaiIl envoie tout par la fenêtreOuverte au beau matin de mai Et la feuille de papier blancComme une feuille morteTournoie et tombe doucementSur le trottoir où l'enfantJoue avec sa joieDans la joie du printemps L'enfant prend la feuille au ventLa plie entre ses doigtsLa plie en deux en troisEn quatre et puisEn huitEt il en fait un petit bateauPour aller sur l'eauDu ruisseau Et le petit bateau s'en va sur l'eauEt l'enfant rit dans le ruisseauEt le soleil du mois de maiSe promène dans le sillageDu bateauQui part qui part qui partPour un très loin voyage.
Jean-François Bernard, Le peintre et l'enfant, dans: Le Temps de la Poésie no 5 (GLM, 1950)
image: René Magritte (nicolettacinotti.net)
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20/04/2014
Morceaux choisis - Maurice Carême
Maurice Carême
Joie de je ne sais quoi,Joie du vent, joie de la feuille,Joie flamme d’écureuil,Joie de myrtille au bois. Joie d’être un peu de givreSur la branche au printemps,Joie de ne jamais suivreQue les chemins montants. Joie d’être tout à coup,Sans même le vouloir,Cet appel de coucou,Ce reflet de miroir. Ne pouvoir que crier,Crier, crier encorDes mots comme un pont d’orSur une eau débordée. Embrasser un bouleauPour tenir contre moiQuelque chose de beau,Quelque chose de droit. Sans pouvoir apaiserNi la nuit ni le jour,Cette envie de parlerAu ciel de mon amour. Ce plaisir de bercerLe monde dans mes bras,D’entrer dans une rondeAvec n’importe quoi Et d’être devenuJoie de vent, joie de feuille,D’être myrtille au boisEt flamme d’écureuil Et sans jamais savoirNi pourquoi ni commentJe traverse en miroirTous les palais du temps.Maurice Carême, Joie, dans: Colette Nys-Masure et Christian Libens, Piqués des vers - 300 coups de coeur poétiques (Espace Nord, 2014)
image: http://4.bp.blogspot.com
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15/04/2014
Lire les classiques - Victor Hugo
Victor Hugo
Aimons toujours! Aimons encore!Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.L'amour, c'est le cri de l'aurore,L'amour c'est l'hymne de la nuit. Ce que le flot dit aux rivages,Ce que le vent dit aux vieux monts,Ce que l'astre dit aux nuages,C'est le mot ineffable: Aimons! L'amour fait songer, vivre et croire.Il a pour réchauffer le coeur,Un rayon de plus que la gloire,Et ce rayon c'est le bonheur! Aime! qu'on les loue ou les blâme,Toujours les grand coeurs aimeront:Joins cette jeunesse de l'âmeA la jeunesse de ton front! Aime, afin de charmer tes heures!Afin qu'on voie en tes beaux yeuxDes voluptés intérieuresLe sourire mystérieux! Aimons-nous toujours davantage!Unissons-nous mieux chaque jour.Les arbres croissent en feuillage;Que notre âme croisse en amour! Soyons le miroir et l'image!Soyons la fleur et le parfum!Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,Se sentent deux et ne sont qu'un! Les poètes cherchent les belles.La femme, ange aux chastes faveurs,Aime à rafraîchir sous ses ailesCes grand fronts brûlants et réveurs. Venez à nous, beautés touchantes!Viens à moi, toi, mon bien, ma loi!Ange ! viens à moi quand tu chantes,Et, quand tu pleures, viens à moi! Nous seuls comprenons vos extases.Car notre esprit n'est point moqueur;Car les poètes sont les vasesOù les femmes versent leur coeurs. Moi qui ne cherche dans ce mondeQue la seule réalité,Moi qui laisse fuir comme l'ondeTout ce qui n'est que vanité, Je préfère aux biens dont s'enivreL'orgueil du soldat ou du roi,L'ombre que tu fais sur mon livreQuand ton front se penche sur moi. Toute ambition alluméeDans notre esprit, brasier subtil,Tombe en cendre ou vole en fumée,Et l'on se dit: "Qu'en reste-t-il?" Tout plaisir, fleur à peine écloseDans notre avril sombre et terni,S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,Et l'on se dit: "C'est donc fini!" L'amour seul reste. O noble femmeSi tu veux dans ce vil séjour,Garder ta foi, garder ton âme,Garder ton Dieu, garde l'amour! Conserve en ton coeur, sans rien craindre,Dusses-tu pleurer et souffrir,La flamme qui ne peut s'éteindreEt la fleur qui ne peut mourir!
Victor Hugo, Aimons toujours! Aimons encore!, dans: Les contemplations (coll. Folio/Gallimard, 2010)
image: centruldepsihologie.com
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27/03/2014
Morceaux choisis - Sandro Penna
Sandro Penna
I. Le monde qui vous semble de chaînesest tout tissé d’harmonies profondes. II. Petite pluie sans ennui,petite pluie qui inspire.Qui ne croit pas à cecidit mal ce qu’il a à dire. III. Flammes du cimetière, ne me dites pasque le soir d’été n’est pas beau.Et beaux sont les buveursau loin dans les auberges. Ils vont comme des frisesantiques sous le cielrenouvelés d’étoiles. Flammes du cimetière, calmes doigts quicomptent les lents soirs. Ne me dites pasque la nuit d’été n’est pas belle. IV. Songe de l’employé romantiqueSonne le vent et la nuit sur la gloiredu Ministère oublié sur la montagne. Vient l’heure d’amour. Et c’est l’histoire,Julien, de ta main à l’horizon. V. Vivre je voudrais endormidans la douce rumeur de la vie.
Sandro Penna, Cinq poèmes, dans: Poésies (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 1999)
traduit de l'italien par Dominique Fernandez
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15/03/2014
Morceaux choisis - Gesualdo Bufalino
Gesualdo Bufalino
Toi l'unique, toi vivante, toi l'eauet l'air de mon existenceet toi complice véhémente de mort;toi mon poing et mon étendardcontre les procédures obscures du destin;toi mon grain, mon sein, mon sommeil,feu d'hiver qui évente le nuage de nuit obliqueoù habite l'Ourse;toi l'unique et vivante,toi le chant de l'orgue graveet toi le cri de la chair lenteet toi la fleur et la nourriture,toi ma pierre de touche et ma tiède tanière,ma femme, ma femme,toi l'unique, toi vivante...
Gesualdo Bufalino, Le miel amer / édition bilingue (L'Amourier, 2006)
traduit de l'italien par Renato Corona
image: Nicolas de Staël, Paysage de Sicile / 1952 (laregledujeu.org)
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09/03/2014
Lire les classiques - Emile Verhaeren
Emile Verhaeren
J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie Comme un soleil fané avant qu'il ne fût nuit, Le jour qu'avec ses bras de plomb, la maladie M'a lourdement traîné vers son fauteuil d'ennui. Les fleurs et le jardin m'étaient crainte ou fallace;Mes yeux souffraient à voir flamber les midis blancs,Et mes deux mains, mes mains, semblaient déjà trop lasses Pour retenir captif notre bonheur tremblant. Mes désirs n'étaient plus que des plantes mauvaises, Ils se mordaient entre eux comme au vent les chardons, Je me sentais le coeur à la fois glace et braise Et tout à coup aride et rebelle aux pardons. Mais tu me dis le mot qui bellement console Sans le chercher ailleurs que dans l'immense amour; Et je vivais avec le feu de ta parole Et m'y chauffais, la nuit, jusqu'au lever du jour. L'homme diminué que je me sentais être,Pour moi-même et pour tous, n'existait pas pour toi;Tu me cueillais des fleurs au bord de la fenêtre,Et je croyais en la santé, avec ta foi. Et tu me rapportais, dans les plis de ta robe, L'air vivace, le vent des champs et des forêts, Et les parfums du soir ou les odeurs de l'aube, Et le soleil, en tes baisers profonds et frais.Emile Verhaeren, Les heures d'après-midi (Deman, 1905)
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04/03/2014
Morceaux choisis - Jean-Guy Pilon
Jean-Guy Pilon
Des mots sont accourus, les moins profonds, les plus frémissants. La présence nouvelle a dénoué les cheveux difficiles et lancé dans le paysage tragique de la lune le plus clair oiseau de nos silences. Que ne s'arrête qu'au bout de l'eau et de la terre ensemble, ce chant de métamorphose accordé au plus discret espoir, des souffrances de désert aux violences du froid. Qu'il ne cesse plus de grandir chaque nuit, invulnérable feu de la grotte sur la montagne oubliée. Les glaces sournoises du mal descendront des sommets pour devenir sources sereines de vie, pendant qu'à bout d'espace, nous jetterons au soleil notre victoire et notre défi.
Jean-Guy Pilon, L'Homme et le Jour, dans: Pierre Seghers, Le livre d'or de la poésie française contemporaine vol. 2 (Marabout, 1969)
photo: Diriye Amey, Crépuscule sur le lac Majeur / Tessin, Suisse (travel.fanpage.it)
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