Morceaux choisis - Jean-François Bernard (02/05/2014)

Jean-François Bernard

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Le peintre qui cherche son sujet
Et ne le trouve pas
Et l'enfant qui joue dans la rue
Et qui trouve sa joie
Un matin de mai
Ont fini de se ressembler
 
Le peintre est en face de la réalité
En face de sa feuille de papier
Les doigts dans les couleurs
De sa palette
Les doigts dans le nez
A chercher la vérité du vert
La vérité de la palette
La vérité qu'il veut défigurer
Pour en faire une tête abstraite
 
L'enfant est dans la rue
Assis par terre
Il joue avec les pierres
La vie
La simple vie vivante
Et il joue avec leur vie
Et il trouve sa joie
 
Le peintre se défait
Comme un tricot mal fait
Blanc comme le blanc
De son portrait abstrait
Qui ne veut pas venir
Et qu'il poursuit
Au grand galop
A cheval sur son chevalet
Mais le sujet s'enfuit
Et il joue avec lui
Comme le chat avec la souris
 
L'enfant est ravi
 
Le peintre est hors de lui
Il jette ses pinceaux
Met sa palette en morceaux
Sa belle couleur à l'huile à l'eau
Et d'un grand coup de balai
Il envoie tout par la fenêtre
Ouverte au beau matin de mai
 
Et la feuille de papier blanc
Comme une feuille morte
Tournoie et tombe doucement
Sur le trottoir où l'enfant
Joue avec sa joie
Dans la joie du printemps
 
L'enfant prend la feuille au vent
La plie entre ses doigts
La plie en deux en trois
En quatre et puis
En huit
Et il en fait un petit bateau
Pour aller sur l'eau
Du ruisseau
 
Et le petit bateau s'en va sur l'eau
Et l'enfant rit dans le ruisseau
Et le soleil du mois de mai
Se promène dans le sillage
Du bateau
Qui part qui part qui part
Pour un très loin voyage.
 

Jean-François Bernard, Le peintre et l'enfant, dans: Le Temps de la Poésie no 5 (GLM, 1950)

image: René Magritte (nicolettacinotti.net)

00:05 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |