19/09/2010
La citation du jour
Christian Bobin
Un homme arrive au paradis. Il demande à un ange de lui montrer le chemin qu'ont dessiné ses pas su terre. Par curiosité. Par enfantin désir de voir et de savoir. Rien de plus simple, dit l'ange, allez vers cette fenêtre et regardez. L'homme approche son visage de la vitre et contemple la trace de ses pas sur la terre, depuis son enfance jusqu'à son dernier souffle. Quelque chose l'étonne: parfois il n'y a plus de traces. Parfois le chemin s'interrompt et ne reprend que bien plus loin. Ces absences, dit l'ange, correspondent à ces jours où votre vie était trop lourde pour que vous puissiez la porter. Je vous prenais donc dans mes bras, jusqu'au jour suivant, où la joie vous revenait et vos forces avec elle. Si je dispose cette fable au seuil de ce livre, c'est que je n'ai jamais écrit qu'ainsi: porté par plus léger que moi, dans les bras - non pas de l'ange - mais de la vie passante, de l'étincelante rumeur de vivre.
Christian Bobin, La vie passante (Fata Morgana, 1990)
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11/09/2010
La citation du jour
Charles Baudelaire
On dirait encore une de ces robes étranges de danseuses, où une gaze transparente et sombre laisse entrevoir les splendeurs amorties d'une jupe éclatante, comme sous le noir présent transperce le délicieux passé; et les étoiles vacillantes d'or et d'argent, dont elle est semée, représentent ces feux de la fantaisie qui ne s'allument bien que sous le deuil profond de la nuit.
Charles Baudelaire, Le crépuscule du soir / Le spleen de Paris (coll. Poésie/Gallimard, 2006)
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24/08/2010
La citation du jour
Jean d'Ormesson
Je ne crois pas à grand-chose. Je me dis souvent, avec une ombre de regret, avec un peu d'inquiétude, que je ne crois presque à rien. Je ne crois ni aux honneurs, ni aux grandeurs d'établissement, ni aux distinctions sociales, ni au sérieux de l'existence, ni aux institutions, ni à l'Etat, ni à l'économie politique, ni à la vertu, ni à la vérité, ni à la justice des hommes, ni à nos fameuses valeurs. Je m'en arrange. Mais je n'y crois pas. Les mots ont remplacé pour moi la patrie et la religion. C'est vrai: J'ai beaucoup aimé les mots. Ils sont la forme, la couleur et la musique du monde. Ils m'ont tenu lieu de patrie, ils m'ont tenu lieu de religion.
Jean d'Ormesson, C'est une chose étrange à la fin que le monde (Laffont, 2010)
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02/07/2010
La citation du jour
William Shakespeare
Sois sans crainte! L'île est pleine de bruits, de sons et d'airs mélodieux, qui enchantent et ne font pas de mal. C'est quelques fois comme mille instruments qui retentissent ou simplement bourdonnent à mes oreilles, et d'autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors à m'éveiller après un long sommeil, m'endorment à nouveau; - et dans mon rêve, je crois que le ciel s'ouvre; que ses richesses vont se répandre sur moi... A mon réveil, j'ai bien souvent pleuré, voulant rêver encore.
La tempête, traduit par Yves Bonnefoy (édition bilingue: coll. Folio/Gallimard, 1997)
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19/06/2010
Rentrée littéraire
Bloc-Notes, 18 juin / Les Saules
Avant même de boucler nos valises - départs en vacances oblige - fleurissent déjà, dans les colonnes des journaux et dans les catalogues des éditeurs, les noms des auteurs représentatifs de la rentrée littéraire, située entre le 15 août et le 15 septembre environ, comme chaque année.
Parmi ces nouveautés, je m'attarderai, de préférence, sur quelques curiosités dont les médias ne se feront pas nécessairement l'écho: Black Rock d'Amanda Smyth (Phébus), l'histoire d'une adolescente violée par un père alcoolique qui se réfugie chez une tante à la Trinité pour y réapprendre la tendresse; Le troisième jour de Chouchana Boukhhobza (Denoël) situé à Jérusalem et qui nous raconte l'histoire d'une musicienne et de son élève, à la recherche d'un bourreau nazi dont a été victime l'une des deux protagonistes; Toute une histoire de Hanan el-Cheikh (Actes Sud) dont le portait de la mère dans les années 30 au sud du Liban, laisse apparaître une femme pleine de courage et de dignité; Le sourire du marin inconnu de Vincenzo Consolo (Grasset) qui nous parle du soulèvement des paysans et de la trahison garibaldienne dans la Sicile de 1860; Ma vie de Sophie Tolstoï (Les Syrtes) une autobiographie capitale pour mieux comprendre son père écrivain; Le village d'Ivan Alexeevitch Bounine (Bartillat) premier roman et prix Nobel en 1933; Atteinte à la liberté de Juli Zeh et Ilija Trojanow (Actes Sud) un essai consacré à l'obsession sécuritaire; Débutants de Raymond Carver (L'Olivier) un recueil de nouvelles inédites exhumées par la veuve de l'auteur.
J'y ajoute avec joie Une femme célèbre de Colombe Schneck (Stock) qui sous une forme romanesque dessine le portrait de Denise Glaser, incomparable femme de télévision, célèbre puis oubliée; ainsi que Celles qui attendent de Fatou Diome (Flammarion) où l'émigration est décrite du point de vue des femmes qui restent au pays et attendent leurs époux; enfin Bifteck de Martin Provost (Phébus) qui nous narre les exploits d'André, un boucher de la première guerre mondiale assumant le devoir conjugal des hommes partis au front et ne prévoyant pas qu'à l'armistice, il se retrouverait père de sept enfants...
Bien sûr, il est aussi question, dans cette rentrée littéraire, d'oeuvres attendues: Une forme de vie d'Amélie Nothomb (Albin Michel), Le coeur régulier d'Olivier Adam (L'Olivier), C'est une chose étrange à la fin que le monde de Jean d'Ormesson (Laffont), Un Véronèse d'Etienne Barilier (Zoé), Soufi mon amour d'Elif Shafak (Phébus), Un océan de pavots d'Amitav Ghosh (Laffont), Point Omega de Don DeLillo (Actes Sud), Les jeux de la nuit de Jim Harrison (Flammarion), Suites impériales de Bret Easton Ellis (Laffont), sans oublier le nouveau Michel Houellebecq (Flammarion) dont on ne sait rien, pas même le titre, selon les recettes d'un ridicule markéting à la française!
Je garde pour la fin L'amour est une île de Claudie Gallay (Actes Sud) qui a connu, enfin, une consécration méritée avec Les déferlantes. Son récit parle d'une actrice célèbre qui retrouve sa ville natale - Avignon - après dix ans d'absence. Elle y a vécu jadis un amour passionnel avec le directeur d'un théâtre du festival, qu'elle a quitté pour faire carrière...
Plusieurs de ces textes brièvement évoqués ici, feront ultérieurement l'objet de commentaires, chroniques ou notices dans ces colonnes.
photographie: Claudie Gallay (PIerre Abensure)
00:41 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
12/06/2010
La citation du jour
Erri de Luca
On meurt quand on ne demande plus. Le verbe de la vie, c'est demander, avoir une question, lancer le point d'interrogation vers le haut, assombri ou dégagé. Demander pour forcer la solitude, envoyer loin à voix basse la requête, parce que le souffle et non pas le cri va loin. Demander, parce que ne pas demander, c'est capituler.
Erri de Luca, Sur la trace de Nives (coll. Folio/Gallimard, 2008)
00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Erri de Luca, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
17/05/2010
Jules Renard
Bloc-Notes, 17 mai / Les Saules
Jules Renard est méconnu. Hormis Poil de Carotte et Histoires naturelles, qui donc a lu son théâtre - Le plaisir de rompre, Le pain de ménage - ou son Journal? D'une trentaine d'oeuvres littéraires sont tirées ces pensées, trompeuses comme son auteur réputé méchant, misogyne, mais capable derrière son humour ravageur de tendresse, de sensibilité poétique ou de lucidité, tout simplement. Préfacée par Jean-Louis Trintignant, cette anthologie est publiée aux éditions du Cherche Midi, en 2010.
Jules Renard
La sottise pousse sans qu'on l'arrose.
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La vie n'est ni longue ni courte; elle a des longueurs.
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La vieillesse, c'est quand on commence à dire: "Jamais je ne me suis senti si jeune."
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Femme pareille à une cheminée. Il est temps de lever ta robe: le feu doit être pris.
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Les bourgeois, ce sont les autres.
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Un rire triste comme un clown en habit noir.
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Le style, c'est l'oubli de tous les styles.
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Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l'essuyer.
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Quand je pense que si j'étais veuf, je serais obligé d'aller dîner en ville!
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La peur de l'ennui est la seule excuse du travail.
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La nature m'émeut, parce que je n'ai pas peur d'avoir l'air bête quand je la regarde.
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J'aime à sortir par ces temps froids où il n'y a de monde dans les rues, que le strict nécessaire.
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Mon pays, c'est où passent les plus beaux nuages.
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Pour vivre tous les jours avec les mêmes personnes, il faut garder avec elles l'attitude qu'on aurait si on ne les voyait que tous les trois mois.
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L'homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner sans donner de prétexte.
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Pourquoi m'appelle-t-on mauvais coucheur? Je couche avec si peu de gens!
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Le rêve, c'est le luxe de la pensée.
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Il y a de la place au soleil pour tout le monde, surtout quand tout le monde veut rester à l'ombre.
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Quand je regarde une poitrine de femme, je vois double.
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L'espérance, c'est sortir par un beau soleil et rentrer sous la pluie.
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Un jeune, c'est celui qui n'a pas encore menti.
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Tout homme a dans le coeur un orgue de Barbarie qui ne veut pas se taire.
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Au fond de tout patriotisme il y a la guerre: voilà pourquoi je ne suis point patriote.
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C'est la plus fidèle de toutes les femmes: elle n'a trompé aucun de ses amants.
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Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.
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L'artiste, c'est un homme de talent qui croit toujours qu'il débute.
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Si tu crains la solitude, n'essaie pas d'être juste.
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Il y a des moments où tout réussit. Il ne faut pas s'effrayer: ça passe.
Jules Renard, Pensées (Cherche Midi, 2010)
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15/05/2010
La citation du jour
Georges Perros
L'écriture a cette vertu de nous faire exister quand nous n'existons plus.
Georges Perros, Papiers collés vol. 1 (Coll. Imaginaire/Gallimard, 1999)
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09/04/2010
La citation du jour
François Mauriac
Ce n'est pas la ville des pierres que je chéris, ni les conférences, ni les musées, c'est la forêt vivante qui s'y agite, et que creusent des passions plus forcenées qu'aucune tempête.
Thérèse Desqueyroux (Coll. Livre de poche, 2000)
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02/04/2010
La citation du jour
Albert Camus
Le malheur est qu'il nous a laissés seuls, pour continuer, quoiqu'il arrive, même lorsque nous nichons dans le malconfort, sachant à notre tour ce qu'il savait, mais incapables de faire ce qu'il a fait et de mourir comme lui. On a bien essayé, naturellement, de s'aider un peu de sa mort. Après tout, c'était un coup de génie de nous dire: Vous n'êtes pas reluisants, bon, c'est un fait. Eh bien, on ne va pas faire le détail! On va liquider ça d'un coup, sur la croix!...
Mais trop de gens grimpent maintenant sur la croix seulement pour qu'on les voie de plus loin, même s'il faut pour cela piétiner un peu celui qui s'y trouve depuis si longtemps. Trop de gens ont décidé de se passer de la générosité pour pratiquer la charité. O l'injustice, l'injustice qu'on lui a faite et qui me serre le coeur!...
Ils l'ont juché sur un tribunal, au secret de leur coeur, et ils cognent, ils jugent surtout, ils jugent en son nom. Il parlait doucement à la pécheresse: Moi non plus, je ne te condamne pas... Ca n'empêche rien, ils condamnent, ils n'absolvent personne. Au nom du Seigneur, voilà ton compte. Seigneur? Il n'en demandait pas tant, mon ami. Il voulait qu'on l'aime, rien de plus.
La chute (Coll. Folio/Gallimard, 2007)
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |