25/05/2011
Le poème de la semaine
Rien n'est précaire comme vivreRien comme être n'est passagerC'est un peu fondre comme le givreEt pour le vent être légerJ'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontièreD'où viens-tu mais où vas-tu doncDemain qu'importe et qu'importe hierLe coeur change avec le chardonTout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe Touche l'enfance de tes yeuxMieux vaut laisser basses les lampesLa nuit plus longtemps nous va mieuxC'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automneMais l'enfant qu'est-il devenuJe me regarde et je m'étonneDe ce voyageur inconnuDe son visage et ses pieds nus
Peu à peu tu te fais silenceMais pas assez vite pourtantPour ne sentir ta dissemblanceEt sur le toi-même d'antanTomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compteLe sable en fuit entre nos doigtsC'est comme une eau froide qui monteC'est comme une honte qui croîtUn cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une choseC'est long de renoncer à toutEt sens-tu les métamorphosesQui se font au-dedans de nousLentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profondeQuelle est l'heure de tes maréesCombien faut-il d'années-secondesA l'homme pour l'homme abjurerPourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivreRien comme être n'est passagerC'est un peu fondre comme le givreEt pour le vent être légerJ'arrive où je suis étranger
Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
06:10 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | | Imprimer | Facebook |
27/01/2011
Devoir de vacances 2/3
Bloc-Notes, 27 janvier / Les Saules
Ma bibliothèque n'est pas immuable. Une succession de lignes, de traits d'union, de fulgurances, dont le dénominateur commun n'est pas le passé, mais au contraire une superposition de regards sur le monde dont je tire une force souterraine qui me projette dans l'avenir et fait de moi ce que je suis aujourd'hui: un tissu de passions, de métamorphoses, de contradictions.
Pêle-mêle, dans cette caverne d'Ali-Baba aux trésors souvent relégués aux oubliettes, des curiosités telle La Gana de Jean Douassot et Ravages de Violette Leduc voisinent Le monde désert de Pierre-Jean Jouve ou Le vertige d'Alexandre Kalda, témoins d'amours malheureuses. Un peu plus loin, Le journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos me rappelle qu'il a failli m'expédier très jeune au séminaire!
Sur mon fauteuil, je réserve un espace pour les livres auxquels je veux - depuis près d'un an - consacrer une notice qui me refuse encore le premier mot: Réelles présences de George Steiner, Comme personne de Hugo Hamilton, Les dents du topographe de Fouad Laroui, Le cortège de la mort d'Elizabeth George. Je note aussi dans ce recensement laborieux, certaines absences, telles les classiques Vaubourdolle ou les classiques Larousse de la première heure - avec lesquels j'ai découvert le théâtre de Jean Racine ou les poèmes d'Alfred de Musset, d'Alphonse de Lamartine, de Victor Hugo - et qui ont disparu lors d'un déménagement. D'autres plus récents manquent à l'appel, parce que les aimant beaucoup, je les ai souvent offerts, jusqu'à mon dernier exemplaire, sans y prendre garde. C'est le cas, par exemple, du roman de Frédérique Deghelt, La grand-mère de Jade ou le recueil d'Yves Bonnefoy, Dans le leurre du seuil.
Dans ma bibliothèque, le fil rouge de tous ces écrits épars demeure, depuis mes premières découvertes - Les fleurs du mal de Charles Baudelaire et Les nourritures terrestres d'André Gide - celui de la poésie qui transcende toutes choses dans la proximité et la distance, appréhende le réel et lui donne un sens dont semble bannie toute cécité. Je revisite, dans ce monde à part qui se dévoile avec parcimonie à l'oreille inattentive, ces discrets messagers que sont Paul Verlaine, Louis Aragon, Philippe Jaccottet, Paul Eluard, Rainer-Maria Rilke, Anna Akhmatova, Ossip Mandelstam et bien d'autres.
Restent enfin, dans ce chaos en mouvement, les auteurs auxquels je voue une tendresse particulière et qu'à coup sûr, j'emporterais dans mes bagages sur une île déserte, tant leur richesse m'est inépuisable: William Shakespeare, Albert Camus, René Char - bien sûr! - et... La Bible. Qui l'eût cru?
Ite missa est...
(à suivre)
00:02 Écrit par Claude Amstutz dans Albert Camus, Anna Akhmatova, Bloc-Notes, Charles Baudelaire, Louis Aragon, Paul Eluard, Philippe Jaccottet, Rainer-Maria Rilke, René Char, William Shakespeare, Yves Bonnefoy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; littérature; livres | | Imprimer | Facebook |
25/08/2010
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Ne t’en va pas mon cœur ma vie
Sans toi le ciel perd ses couleurs
Désert des champs jardins sans fleurs
Ne t’en va pas
Ne t‘en va pas où va le vent
Sans toi tous les oiseaux s’envolent
Et toutes les nuits sont des folles
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas où se perd l’eau
Méprisant le bonheur des verres
Et l’univers des arbres verts
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas comme le sang
Qui saute à la main qui me blesse
Ma chère force et ma faiblesse
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas où fuit le feu
Quand la paille à peine défaille
Qu’elle est cendre pour qu’il s’en aille
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas dans les nuées
Mon bel aigle ami des orages
Je peux mourir de ton courage
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas chez l’ennemi
Qui t’a pris la terre et tes armes
Crois en la mémoire des larmes
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas c’est félonie
Ces discours ces chansons ces fêtes
Hommes sachez ce que vous faites
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas où l’on te dit
Avec de grands mots pour enseignes
Quand c’est la blessure qui saigne
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas chez le tyran
Forger sa puissance toi-même
Et des fers pour ceux que tu aimes
Ne t’en va pas
Ne t’en va pas prends ton fusil
Siffle ton chien chasse les ombres
Chasseur chasseur tu es le nombre
Ne t’en va pas
Prends ton fusil
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
07:01 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
11/05/2010
Le poème de la semaine
Louis Aragon
Il avait tout à coup cédé
Le long hiver interminable
Et la douleur
Et la douleur dans tout ce printemps adorable
Humide et lourd
Et la douleur qui porte sous ses yeux
Les précoces lilas de mars
La douleur qui marchait sourdement dans la rue
Aurait-t-elle après tout remarqué le printemps
N’était que tant de fleurs escortaient la douleur
Le long l’interminable hiver de la douleur
Qui marchait
Qui marchait sur le bitume bleu
Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette
On croyait cependant que dans le fond du verre
Tout le breuvage bu pour amer qu’il parût
N’était pas plus amer que l’épreuve ancienne
Et le sang tant de fois versé des jeunes gens
On croyait cependant après la guerre noire
A tout jamais fait le tour des larmes
Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette
Tout en haut du Père-La-Chaise
Où quand ils n’eurent plus derrière eux que ce mur
Chantèrent-ils La Marseillaise
Comme ceux que nos yeux connurent
Où noirs de poudre et de colère
Ils s’arrêtèrent pour mourir les fédérés
Tout en haut du Père-La-Chaise
Il y avait tant de roses rouges
Qu’on perdait mémoire du sang
Et c’est alors que j’ai vu pleurer Jeannette
La tribune de drap grenat
Dans l’absence des feuilles d’arbres
La tribune voyait passer les derniers traînards
Des enfants de vieilles femmes fatiguées
La tribune dans le soleil de cette fin d’après-midi
La tribune dans ce beau jour encore étonné de lui-même
Et la fosse ouverte semblait une aventure contredite
Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette
Oh nous avons tant de fois piétiné cette allée
Tant de fois en passant salué cette tombe
Et naturellement levé nos yeux distraits
Vers les maisons voisines
Vers cet immeuble neuf où la vie continue
Au-delà du mur vert de lierre
Qui ressemble à l’oubli plus qu’à la mémoire
Oh tant de fois
Tant de fois nous avons salué
Ceux qui ne sont plus que les mots
D’une chanson mécanique
Et c’est ici pourtant que j’ai vu pleurer Jeannette
Il devait y avoir un deuil plus grand
Un deuil sans aucune mesure
Ni dans ces lieux
Accoutumés aux sombres pensées des passants
Soudain s’est déchiré le cœur
S’est déchirée l’accoutumance
Et le courage et la résolution prise
De regarder quoiqu’il advienne
L’avenir avec ces grands yeux bleus
De l’optimisme et du bonheur
Soudain s’est déchiré quelque chose
Que je sens avec surprise en moi
Comme une lointaine marée
Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette
Toute la famille noire était là qui barrait le chemin
Descendant dans un extraordinaire silence
Qui barrait le chemin du monde machinal
Une famille noire et calme et raisonnable
Et qui savait si bien épargner les sanglots
Et rendait sagement la poignée de main
Sans gémir
La poignée de main que l’on donne
A défaut de dire les mots nuls
A la famille noire
Et c’est alors que j’ai vu
Et c’est alors que j’ai vu
amily: 'Trebuchet MS'; font-size: small;">Dans le printemps funèbre et tendre
Et la lumière pâle et fraîchement ouverte
Cette terre et les fleurs
Et les fleurs qui couvraient tout autour
Tant de tombeaux abandonnés
Avec la seule gloire et le nom des héros
D’or gravé dans la pierre
Et les fleurs dépassant le territoire assigné
A la mémoire d’un seul mort
C’est alors que j’ai vu
Que j’ai vu
Et c’est alors que je vis pleurer Jeannette
Quelques traces de craie dans le ciel,
Anthologie poétique francophone du XXe siècle
23:59 Écrit par Claude Amstutz dans Louis Aragon, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |