05/06/2011
La citation du jour
Rosa Montero
L'amour n'est rien d'autre que la nécessité pressante de se sentir avec un autre, de se penser avec un autre, de cesser de subir l'insupportable solitude de celui qui se sait vivant et condamné. Et donc, nous cherchons dans l'autre non pas qui est l'autre, mais une simple excuse pour imaginer que nous avons rencontré une âme soeur, un coeur capable de palpiter dans le silence assourdissant qui se trouve entre les battements du nôtre, pendant que nous courons à travers la vie ou que la vie court à travers nous jusqu'à nous achever.
Rosa Montero, Belle et sombre (Métailié, 2011)
08:35 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature espagnole, Rosa Montero | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
07/05/2011
La citation du jour
Cesare Pavese
Une vigne qui grimpe sur le dos d'une colline, jusqu'à se graver dans le ciel, c'est un spectacle familier, et pourtant les rideaux des rangs simples et profonds apparaissent comme une porte magique. Sous les pieds de vigne, c'est de la terre rouge défrichée, les feuilles cachent des trésors, et derrière les feuilles, il y a le ciel. C'est un ciel toujours tendre et mûr, où sont également - trésor et vignes eux aussi - les nuages fermes de septembre. Tout cela est familier et lointain - enfantin, en un mot - mais cela secoue à chaque fois, comme si c'était tout un monde. La vision s'accompagne du soupçon que ce ne soient là que les coulisses d'un décor fabuleux dans l'attente d'un événement que ni le souvenir ni l'imagination ne connaissent. (...) Il suffit de penser aux heures de la nuit, ou du crépuscule, où la vigne n'est plus sous notre regard et où l'on sait qu'elle s'étend sous le ciel, toujours semblable et recueillie. On dirait que personne n'y a jamais marché, et pourtant il y en a qui la travaillent sarment par sarment et, aux vendanges, elle est toute gaie de voix et de pas. Mais ensuite ils s'en vont, et c'est comme une pièce dans laquelle depuis longtemps personne n'entre et dont la fenêtre est ouverte sur le ciel. Le jour et la nuit y règnent; parfois il y fait frais et sombre - c'est la pluie -, rien ne change dans la pièce, et le temps ne passe pas. Sur la vigne non plus le temps ne passe pas; la saison, c'est septembre et elle revient toujours, elle semble éternelle.
Cesare Pavese, Nuit de fête (Gallimard, 1972)
05:33 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
10/04/2011
La citation du jour 1a
Charles Journet
Les sept paroles de Jésus en croix font entrer dans le drame d'un Dieu crucifié pour le monde. Chacune d'elles découvre un aspect de ce voyage unique, passant toute parole, capable d'illuminer toutes les agonies des hommes et des peuples. Entrer dans ce mystère par un peu de contemplation silencieuse, c'est le seul moyen de l'honorer, et de donner, à son âme à soi, la dimension de la profondeur. Tout ce qu'on peut en écrire pour le faire aimer, hors ces sept divines paroles, on voudrait, après coup, le brûler.
Charles Journet, Les sept paroles du Christ en croix (Seuil, 1952)
07:10 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Littérature suisse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; citation; livres | | Imprimer | Facebook |
15/03/2011
La citation du jour
Miguel Syjuco
Girly, la fille de Boy Bastos, demande à son père: Papa, c'est quoi la politique? (...) Eh bien, fillette, dit-il, je vais te l'expliquer de cette façon: d'abord, je suis le chef de famille, alors tu peux m'appeler le président. Ta mère détermine les règles, alors tu peux l'appeler le gouvernement. Nous sommes ici pour satisfaire tes besoins, et nous pouvons t'appeler le peuple. Ta yaya Inday travaille pour nous, et nous la payons pour ce travail, aussi nous l'appellerons la classe ouvrière. Et ton petit frère Junior, appelons-le l'avenir. Maintenant, réfléchis à tout cela, et vois si tu comprends ce que ça signifie.
Girly va se coucher, méditant ce qu'elle vient d'entendre. Au milieu de la nuit, elle se réveille. Elle entend son petit frère Junior, va le voir, et découvre que sa couche est pleine de caca. Girly va dans la chambre de ses parents, et trouve sa mère profondément endormie. Ne pouvant la réveiller à cause des somnifères qu'elle prend tous les soirs, la fillette va chercher sa yaya. Mais la porte est fermée à clé. Girly jette un coup d'oeil dans le trou de la serrure et voit son père au lit avec Inday. Elle retourne se coucher.
Le lendemain matin, à la table du petit déjeuner, elle déclare à son père: Papa, je crois que je comprends la politique maintenant.
Boy est fier. Ouah! s'exclame-t-il. Tu es vraiment futée! Explique-nous avec tes mots comment fonctionne la politique.
Eh bien, commence Girly, le président baise vraiment la classe ouvrière. Et le gouvernement ne fait que dormir et dormir et dormir. Personne ne fait jamais attention au peuple. Et l'avenir, eh bien, l'avenir nage dans la merde.
Boy Bastos l'embrasse fièrement sur la tête.
Miguel Syjuco, Ilustrado (Bourgois, 2011)
16:48 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
01/02/2011
La citation du jour
François Mauriac
Ce n'est pas de mériter qui importe mais d'aimer.
François Mauriac, La pharisienne (coll. Cahiers Rouges/Grasset, 1985)
23:53 Écrit par Claude Amstutz dans François Mauriac, La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; spiritualité; anthologie; citation; livres | | Imprimer | Facebook |
30/01/2011
La citation du jour
Maurice Blanchot
Je l'ai aimée et n'ai aimé qu'elle, et tout ce qui st arrivé, je l'ai voulu, et n'ayant eu de regard que pour elle, où qu'elle ait été et où que j'aie pu être,dans l'absence, dans le malheur, dans la fatalité des choses mortes, dans la nécessité des choses vivantes, dans la fatigue du travail, dans ces visages nés de ma curiosité, dans mes paroles fausses, dans mes serments menteurs, dans le silence et dans la nuit, je lui ai donné toute ma force et elle m'a donné toute la sienne, de sorte que cette force trop grande, incapable d'être ruinée par rien, noue voue peut-être à un malheur sans mesure, mais, si cela est, ce malheur je le prends sur moi et je m'en réjouis sans mesure, et, à elle, je dis éternellement: Viens - et éternellement, elle est là.
Maurice Blanchot, L'arrêt de mort (coll. Imaginaire/Gallimard, 1977)
18:54 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
05/01/2011
La citation du jour
Rainer-Maria Rilke
Je n'ai pas honte, Chère, d'avoir pleuré un autre dimanche dans la gondole froide et trop matinale qui tournait et tournait toujours, passant par des quartiers vaguement ébauchés qui me semblaient appartenir à une autre Venise située dans les limbes. Et la voix du barcaiolo qui demandait le passage au coin d'un canal restait sans réponse comme en face de la mort. Et les cloches qui un moment avant, entendues de ma chambre (de ma chambre où j'avais vécu toute une vie, où j'étais né et où je me préparais à mourir), me semblaient si limpides; ces mêmes cloches traînaient des sons en lambeaux derrière elles, errant sur les eaux et se rencontrant sans se reconnaître. C'est toujours encore cette mort qui continue en moi, qui travaille en moi, qui transforme mon coeur, qui augmente le rouge de mon sang, qui comprime la vie qui fut la nôtre, afin qu'elle soit une goutte douce-amère qui circule dans mes veines, qui entre partout, qui soit la mienne infiniment. Et tout en étant dans ma tristesse, je suis heureux de sentir que vous êtes, Belle; je suis heureux de m'être donné sans peur à votre beauté comme un oiseau se donne à l'espace; heureux, Chère, d'avoir marché en vrai croyant sur les eaux de notre incertitude jusqu'à cette île qu'est votre coeur où fleurissent des douleurs. Enfin: heureux.
Rainer-Maria Rilke, Lettres à une amie vénitienne (coll. Arcades/Gallimard, 1985)
08:40 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature étrangère, Rainer-Maria Rilke | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; livres | | Imprimer | Facebook |
17/12/2010
La citation du jour
Jean-Michel Maulpoix
Je voudrais respirer les mots comme on respire le parfum des fleurs. Les cueillir sur le papier et les disposer en bouquets dans des vases si transparents qu'on en oublierait l'eau. Alors on se prendrait à croire que ces mots-fleurs coupés se tiennent debout tout seuls... Le livre dont je rêve, ce serait cela: un bouquet de fleurs parfumées plantées dans une eau invisible. Une sorte de miracle. Comme on en rencontre précisément dans les livres. Des fleurs sans histoire et sans ombre. Et pourquoi pas sans tiges, suspendues comme des étoiles au ciel. Ou comme des papillons.
Jean-Michel Maulpoix, Journal d'un enfant sage (Mercure de France, 2010)
02:03 Écrit par Claude Amstutz dans Jean-Michel Maulpoix, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : auteurs; citations; livres | | Imprimer | Facebook |
20/11/2010
La citation du jour
Graham Greene
Vous essayer de tout attirer dans les rets de votre foi, mon père, mais vous ne pouvez accaparer toutes les vertus. La douceur n'est pas chrétienne, l'abnégation n'est pas chrétienne, la charité ne l'est pas, le remords non plus. Je suppose que l'homme des cavernes pleurait en voyant couler les larmes de son voisin. N'avez-vous jamais vu pleurer un chien? Dans le dernier refroidissement de la terre, quand le vide de votre croyance sera enfin dévoilé, il restera toujours quelque imbécile, à l'esprit obnubilé, qui couvrira de son corps un autre homme afin de lui procurer la chaleur nécessaire pour vivre une heure de plus.
Graham Greene,La saison des pluies (Robert Laffont, 1977)
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01/11/2010
La citation du jour
Alain
Plus d'un homme, en cette saison, va évoquer les ombres et leur parler. (...) Regardez bien, écoutez bien: les morts veulent vivre; Ils veulent vivre en vous; ils veulent que votre vie développe richement ce qu'ils ont voulu. Ainsi les tombeaux nous renvoient à la vie. Ainsi notre pensée bondit joyeusement par-dessus le prochain hiver, jusqu'au prochain printemps et jusqu'aux premières feuilles. J'ai regardé hier une tige de lilas dont les feuilles allaient tomber, et j'y ai vu des bourgeons.
Alain, Propos sur le bonheur (Coll. Folio Essais/Gallimard, 1985)
00:04 Écrit par Claude Amstutz dans Alain, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : auteurs; citations; livres | | Imprimer | Facebook |