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08/01/2011

Philippe Sollers 1b

Bloc-Notes, 8 janvier / Les Saules

C'est en 1821 que Stendhal a composé son épitaphe en italien, se déclarant ainsi milanais d'outre-tombe: Qui giace Arrigo Beyle Milanese. Visse, scrisse, amo. Il a vécu, il a écrit, il a aimé. Une variante apparaît dans les Souvenirs d'égotisme: Je n'ai aimé avec passion en ma vie que Cimarosa, Mozart et Shakespeare...



Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

01:43 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, H.B. dit Stendhal, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citations; musique; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Philippe Sollers 1a

Bloc-Notes, 8 janvier / Nyon

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Quelle est donc cette mystérieuse alchimie qui précède notre choix de lecture? Quelques phrases parcourues au hasard d'une page, l'attrait d'un univers capable encore de nous bousculer ou nous surprendre? La fidélité à un auteur, à une musique des mots, à une langue, à un lieu? Dans le cas de Trésor d'amour, c'est tout cela à la fois.

Fermez les yeux... Vous êtes à Venise, la ville où Philippe Sollers achète quatre roses rouges qu'il dépose sur le sol aux Gesuati, à San Vio, à San Agnese, à San Trovaso, endroits où il a connu les plus grands bonheurs de sa vie. Un trésor de mémoire. Dans cette Venise dérobée et secrète, il y retrouve Minna Viscontini, 35 ans, professeur de littérature comparée, spécialisée dans le domaine français qu'elle consacre à un seul auteur: Stendhal.

Et comme entre Sollers et Stendhal c'est une histoire d'amour, celle de Sollers et Venise aussi, nous voici embarqués dans un théâtre d'ombres où apparaissent, derrière une improbable glycine violette débordant d'un balcon, Mathilde Dembowska; sous un soleil de feu, Fabrice Del Dongo, Julien Sorel, Madame de Chasteller, fiction et réalité de Stendhal mêlées sans autre souci que de les ressusciter sous le signe de l'Amour, clef de voûte de ce roman du bonheur. Célébration de la vie, de la beauté, de la musique, de la littérature, ce texte ne serait qu'une succession de chapitres supplémentaires au Discours parfait - paru voici un an chez le même éditeur - sans la présence de Minna à laquelle il consacre parmi ses plus belles pages d'écrivain.

On ne sort pas, on ne voit personne, l'eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les bateaux, les cloches, le silence, la musique, on est d'accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche maritime, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, soleil sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu'on s'entend. L'amour, c'est comme retrouver un parent perdu, son regard traverse la mort. Et plus loin: Je reste sur les quais rougis de soleil jusqu'à ce que la nuit tombe. Au bord des escaliers de marbre plongeant dans l'eau, les algues deviennent de plus en plus noires, et les piquets de bois du canal mercuriel ont l'air de s'élancer vers le ciel. Encore une fois, la grande certitude m'enveloppe. Je suis assis, à l'écart, dans ce quartier isolé de Venise , je vais rentrer dans un appartement où Minna m'attend, penchée sur son ordinateur. Bateaux illuminés dans l'ombre, barques amarrées tirant sur leurs cordes, derniers passants, bruits sourds, fermeture des volets. Neuf coups au clocher des Gesuati, là-bas, pour dire l'heure. Dîner de friture de poissons avec bouteille de bordeaux. Encore quelques lignes à la main, velours et silence, et puis sommeil, et puis soleil, et puis bonheur.

Et puis le temps s'arrête, on ouvre à nouveau les yeux, revenus d'un incroyable voyage à travers les siècles où se croisent et se découvrent - comme les lignes de la main où se forge le destin - ces mouvements du coeur qui sont de tous les temps, sous le regard de Stendhal, le personnage central du livre, derrière lequel Philippe Sollers s'efface ou se confond.

Nous allons écouter Don Giovanni à la Fenice, et voici que la musique et les voix font voler le théâtre, et toute la lagune avec lui. On sort, on marche un peu dans la nuit, on prend le bateau, l'eau nous enveloppe, tout est velours, tout est gratuit.

Un vrai bonheur! 

Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

image: http://www.histoiredevoyages.fr/venise.html

00:38 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, H.B. dit Stendhal, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; récit; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/01/2011

Rentrée littéraire

Bloc-Notes, 7 janvier / Les Saules

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Depuis mardi dernier, la rentrée littéraire marque son passage à l'an nouveau avec un livre très attendu, Des gens très bien d'Alexandre Jardin (Grasset) qui, contrairement au Roman des Jardin, revient avec une émotion douloureuse sur le passé de son grand-père aux commandes administratives d'une certaine rafle du Vel d'Hiv - de triste mémoire - et de son père pour un récit qui, dit-il, aurait pu s'intituler: Fini de rire... Controversé, haï ou adulé par des critiques qui ne l'ont probablement lu qu'en diagonale, il mérite, contrairement à d'autres de ses textes, une lecture plus attentive et réfléchie...

Chez les auteurs francophones, il est agréable d'évoquer aussi, brièvement - dans un premier temps! - Trésor d'amour de Philippe Sollers (Gallimard), un auteur qui vieillit plutôt bien. Une lecture jubilatoire qui nous emmène une fois encore à Venise, pour une histoire où se mêlent la célébration de la vie, de l'amour, de la beauté et de la musique, avec un personnage central qui n'est autre que Stendhal. Un autre univers - pas moins intéressant - nous est proposé avec La nonne et le brigand de Frédérique Deghelt (Actes Sud), où Lysange vivant une passion amoureuse avec Pierre découvre le manuscrit du journal écrit dans les années 50 par sa soeur Madeleine qui relate ses déchirements entre foi et amour, dont le contenu va modifier son regard sur sa propre vie. Quant à Aline Kiner - nouvelle venue dans le monde des lettres - elle nous offre, avec Le jeu du pendu (Liana Levi) l'un des meilleurs romans policiers français de ces dernières années, avec une intrigue solide qui se déroule en Lorraine dans un village où resurgissent les blessures secrètes de la guerre, la fermeture des mines de fer, les haines inavouables que déchiffrent tant bien que mal un couple d'enquêteurs fort sympathiques. Avec plaisir, nous retrouvons aussi Jean-Louis Kuffer qui, avec L'enfant prodigue (D'Autre Part) au rythme des saisons et des temps de la vie, de l'obscurité et de la lumière, nous livre des points de convergences et de rencontres où dansent les mots avec douceur et gratitude comme sur la toile d'un peintre, à jamais inachevée. Enfin, Les insurrections singulières de Jeanne Benameur (Actes Sud) scrute le monde ouvrier, le drame des délocalisations et du chômage à travers le destin d'Antoine, à lui seul la voix intime de ceux qu'on ne veut entendre...

Parmi les auteurs étrangers, est attendu Dernière nuit à Twisted River de John Irving (Seuil). Il y renoue avec ses thèmes de prédilection, les contrées sauvages - ici les bûcherons, les flotteurs de bois, les ours une fois encore - où se joue le destin d'un père et de son fils. Il en va de même pour La vie très privée de Mr. Sim de Jonathan Coe (Gallimard), l’histoire d’un quarantenaire raté qui est amené à percer les secrets de son propre passé. Mais la palme revient sans doute à Versions de Teresa de Andrès Barba (Bourgois) qui scrute les mécanismes du désir, de la passion et de la culpabilité dans ce roman choral abordant l'amour fou de Manuel pour Teresa, une jeune handicapée rencontrée dans un centre de vacances dont il est le moniteur. Le désir aussi de Véronica, sœur aînée de Teresa pour Manuel. Des voix - celles de Manuel et Veronica - qui se réverbèrent comme un écho, face au mondu du silence: Teresa. Une écriture lyrique, mais sobre échappant au dérapage ou au voyeurisme. Enfin, les fidèles de Donna Leon pourront retrouver le célèbre et sympathique commissaire Brunetti dans La petite fille de ses rêves (Calmann-Lévy), aux prises avec une secte, des secrets de famille et une fillette assassinée qui hante ses nuits...

Pour terminer, un document exceptionnel et un immense succès - mérité - à sa sortie en Italie: Dans la mer il y a des crocodiles - l'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari de Fabio Geda (Liana Levi), le récit d'un gamin de 10 ans qui fuyant son pays d'origine, l'Afghanistan, est abandonné par sa mère à la frontière pakistanaise. S'en suit un périple de cinq ans à travers l'Iran, la Turquie et la Grèce avant qu'il atteigne l'Italie. Dans cette réalité dure et cruelle, tout n'est pas noir et de nombreux personnages sont attachants, généreux, dépeints souvent avec humour. A ne manquer sous aucun prétexte, mais ce titre sera plus longuement évoqué dans les semaines qui suivent, ce qui vaut de même pour la plupart des textes cités dans cet article!    

05/12/2010

Stéphanie Janicot

Bloc-Notes, 5 décembre / Les Saules

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L'originalité n'est pas la caractéristique la plus répandue en littérature. Pourtant, elle tombe parfois entre nos mains, à l'improviste, comme un fruit mûr tombé du ciel. Cela m'est arrivé voici quelques années avec le roman de Stéphanie Janicot, Dans la tête de Shéhérazade - publié chez Albin Michel en 2008 et présenté dans ces colonnes.

Ce même auteur nous partage aujourd'hui son amour de la littérature avec cette plongée ébouriffante dans le monde des lettres, 100 romans de première urgence pour (presque) tout soigner: Je me doute que, comme tout un chacun, vous êtes parfois la proie de questions existentielles, de problèmes matériels, de petits riens agaçants qui vous rendent la vie quotidienne un peu pénible. Lorsque ces soucis se font plus pressants, vous êtes peut-être tentés de courir chez votre psychanalyste - non, ne rougissez pas, on l'a tous fait -, lequel, moyennant une somme exorbitante, va vous écouter en hochant la tête. Au mieux vous délivrera-t-il une petite dizaine de phrases qui vous auront coûté la bagatelle de 80 euros, tarif parisien moyen pour une demi-heure de thérapie. Autrement dit, chaque phrase vous aura coûté 8 euros. Savez-vous que pour ce même prix - 8 euros - vous pouvez obtenir des centaines e phrases, voire des milliers? Il vous suffit pour cela de trouver le roman - en livre de poche de préférence - adapté à votre problème. Et croyez-moi, il en existe toujours un car il n'est pas un problème sur cette terre qui n'ait été expérimenté par un écrivain et relaté sous la forme d'une bonne histoire.

Ainsi commence cette ballade littéraire composée d'une quarantaine de courts chapitres déclinés en symptômes, remèdes et conseils de lecture: En finir avec la famille, booster son ego, négocier avec l'amour, aimer son travail, garder le moral ou toucher le fond... C'est souvent drôle et les observations de l'auteur sur la vie - à coup sûr d'une battante - sont pertinentes, généreuses, pleines de bon sens et truffées d'anecdotes qui nous rappellent à tous, immanquablement, quelque chose! 

Ses choix littéraires sont aussi des perles de savoir dans notre nuit parfois obscure. Ainsi, d'un thème à l'autre elle constitue un bouquet aux mille senteurs, évoquant - parmi d'autres - Stendhal, Stefan Zweig, Emily Brontë, Joyce Carol Oates, Jim Harrison, Jonathan Coe, Sandor Maraï, Assia Djebar, Léonora Miano ou Fatou Diome.

A titre personnel, je suis heureux que l'on se souvienne encore - grâce à Stéphanie Janicot - de La symphonie pastorale d'André Gide (sur le handicap), du Pavillon des enfants fous de Valérie Valère (sur l'anorexie) ou de La cloche de verre de Sylvia Plath (sur la dépression), à tort un peu négligés, depuis une dizaine d'années.

Une lecture savoureuse à laquelle - adultes ou adolescents - nous pourrons ajouter nos propres remèdes puisés dans les livres de nos bibliothèques et qui sait, un jour en faire un livre, jumeau de celui-ci... 

Stéphanie Janicot, 100 romans de première urgence pour "presque" tout soigner (coll. Livre de poche/LGF, 2010)

15/10/2010

H.B. dit Stendhal

9782070412396.gifStendhal, Le rouge et le noir (Coll. Folio/Gallimard, 2002)

 

Ce livre est une chronique du 19e siècle, tableau de société à travers la noblesse de province, le milieu ecclésiastique et l’aristocratie parisienne dont Julien Sorel pourrait être un (anti-)héros tout à fait actuel. Jugez plutôt : Ambitieux, il aspire à une ascension sociale à travers une carrière militaire, autant qu’au bonheur en amour. Dans les bras de Madame de Rénal, épouse du maire de la ville, devenue sa maîtresse, il s’initie aux intrigues de la bourgeoisie locale. Dénoncé par une lettre anonyme, il quitte Verrières pour le séminaire, où il devient le secrétaire du Marquis de la Mole et l’amant providentiel de sa fille Mathilde, qui, comme sa rivale secrète en amour, Madame de Rénal, est prête à tout pour lui et le conduit à devenir Marquis Sorel de Vernaye, avant que la tragédie et l’opprobre ne retombent sur Julien. Condamné à mort, malgré l’intervention de ses deux maîtresses, il refuse de faire appel et est exécuté. A la fois figure de l’apogée du romantisme et manipulateur sans scrupules, il découvre trop tard les vraies valeurs de sa vie, étouffées par la vanité de ses ambitions. Sous la plume de Stendhal, tout est mis en perspective : La haine de l’absolutisme, l’anticléricalisme et la révolte contre les contraintes sociales. Enfin, tout au long de cette histoire, le sang du crime et de la passion (le rouge) se mêle à celui du deuil et de la mort (le noir). Faites de fascination et de dégoût, sur les arcanes du pouvoir, les interrogations que suscite ce formidable roman demeurent inépuisables.

 

publié dans le supplément La bibliothèque idéale des vaudois / 24 Heures 

29/01/2010

Sacré Sollers

Bloc-Notes, 29 janvier / Les Saules 

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Je peux comprendre que le personnage Sollers - parisien jusqu'au bout des ongles, vieux beau séducteur, dandy au légendaire fume-cigarette - puisse agacer les provinciaux que nous sommes. J'ajoute qu'aucun de ses romans n'est venu habiter ma bibliothèque, ni aux heures Tel Quel, ni avant, ni après. Rien de vindicatif ou de revanchard dans mon propos, mais j'admets qu'une absence d'affinités me fait préférer depuis toujours d'autres voix à la sienne.

 

Avec la parution de Discours parfait, je me réjouis de dire - seuls les imbéciles ne changent pas! - qu'il me faut nuancer mon portrait de Sollers. En bien, je le précise d'emblée, car à sa vaste culture et sa  passion de l'écrit - que je n'ai jamais contestées - j'ajoute, en ce qui concerne cet ouvrage particulier, son formidable élan, son enthousiasme contagieux qui nous embarque - sur 912 pages, excusez du peu! - pour un tour du monde de la pensée et de la littérature à travers les siècles, illustré d'anecdotes savoureuses, de citations qui donnent des ailes à ces amis de passages ou compagnons de toujours, comme les célèbres corbeaux de Van Gogh au-dessus des champs de blé. 

 

A titre d'exemple, les chapitres consacrés  à Shakespeare, Châteaubriand, Stendhal, Mauriac ou Céline, valent à eux seuls une lecture attentive. Ainsi que pour Philippe Sollers, mes choix - forcément subjectifs - sont le reflet de rencontres marquantes, et vous en trouverez d'autres assurément, dans ce livre: Nietzsche, Flaubert, Joyce, Bataille, Beckett ou Houellebecq parmi d'autres. Vous avez l'embarras du choix.

 

Aujourd'hui, je vous partage ce qu'il nous dit de mon écrivain préféré, l'immense et indémodable William Shakespeare, dont je vous parlerai souvent, au fil de mes chroniques: C'est le plus grand. on ouvre ses oeuvres, et aussitôt, le globe tourne, les passions se déchaînent, la nature entière se déploie, les flèches du rythme vibrent, criblent la scène, viennent vous frapper en plein coeur.

 

Quelques centaines de pages plus loin, à propos de François Mauriac - l'écrivain moderne dont je me sens le plus proche depuis mon adolescence - il note: On dit qu'un vin vieillit bien, surtout s'il est de Bordeaux, mais la vérité est qu'il rajeunit de l'intérieur, et c'est l'étonnante fraîcheur qui arrive, de plus en plus, au journaliste Mauriac, l'écrivain qui s'est le moins trompé sur toutes les grandes tragédies du XXe siècle (...) Impeccable, direct, précis, implacable.

 

Avouez que lorsqu'on nous présente la littérature avec autant de ferveur, une allégresse diffuse nous étreint, celle qui nous fait prendre la mesure du temps - aussi rare et recherché que l'oxygène - pour lire ou relire les auteurs qu'il convie à son Discours. Pas tous, heureusement! On ne peut aimer tout le monde.Et c'est bien ainsi.

 

De même, ses convictions intimes, ses préférences, ses opinions, peuvent être étrangères aux nôtres, mais qu'importe! L'important, c'est qu'il ouvre des portes, suscite le débat, interroge le langage, dépoussière nos certitudes. Voilà son grand mérite, même s'il consacre une part excessive à... tiens: Philippe Sollers! Mais sans cette touche personnelle, ne le suspecterions-nous pas d'être affaibli ou artificiel?

 

Philippe Sollers, Discours  parfait (Gallimard, 2010)