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17/04/2011

Erri de Luca 1b

Bloc-Notes, 17 avril / Les Saules

Erri de Luca parle de Il peso della farfalla (Le poids du papillon) en italien et sans sous-titres, malheureusement...



Erri de Luca, Le poids du papillon (Gallimard, 2011) 

13:51 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Erri de Luca, Littérature étrangère, Littérature italienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; interview; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

Erri de Luca 1a

Bloc-Notes, 17 avril / Les Saules 

littérature; nouvelles; livres

Sa mère avait été abattue par un chasseur. Dans ses narines de petit animal se grava l'odeur de l'homme et de la poudre à fusil. Lui, c'est un chamois qui a grandi tout seul, sans règles, a rejoint un troupeau et s'y est imposé. Devenu le roi des chamois, un matin de novembre, vieillissant, il sent que l'heure de la fin de sa suprématie est proche, malgré son instinct de survie. Il sait, au crépuscule de sa vie, qu'il va devoir affronter cet autre roi, le chasseur braconnier, cet ermite des montagnes, dont le temps lui semble aussi compté et qui n'accepte pas l'idée de mourir: Les voix continueront quand son harmonica se taira. La vie sans lui est déjà en chemin. (...) Sa canne en cerisier est munie d'une pointe en fer pour goûter le sol, elle a le son ami des pas d'un aveugle.  

Entre l'homme et l'animal - deux créatures libres, solitaires et justes - le face à face aura bel et bien lieu, après tant d'années de ruses, d'observations silencieuses, de stratégies déjouées dans l'air raréfié de la haute montagne...

Métaphore de la vie, ce court récit de 70 pages pourrait être lu en une heure, mais tel une pierre brute qui prend du temps à épouser les contours de la main et se joue des jeux d'ombre ou de lumière sur le fil mystérieux des saisons, l'intensité et la signification de chaque mot impose la patience, la respiration, la lenteur. Plaisir rare de lecture, d'amour et de poésie mêlés, cernant - d'une écriture aussi ascétique que le physique de l'écrivain - avec une infinie douceur la montagne, le coeur et l'âme, plus facétieuse que la volonté de l'homme, sous la forme d'un papillon blanc qui passant de l'arme de l'homme à la corne du chamois donne un sens au récit dans tout ce qu'il effleure.  

C'est le mois de novembre, l'homme entend tomber le rideau métallique de l'hiver. Dans les nuits où le vent arrache les arbres les plus exposés à leurs racines, la pierre et le bois de la cabane se frottent entre eux et lancent une plainte. Le feu fait claquer des baisers de réconfort. L'âpreté extérieure donne des coups d'épaule, mais la flamme allumée garde unis le bois et la pierre. Tant qu'elle brille dans le noir, la pièce est une forteresse. Et l'harmonica est là aussi pour dominer le bruit de la tempête. (...) Pendant les nuits de lune, le vent agite le blanc et envoie des oies sur la neige, un vieux moyen pour dire qu'à l'extérieur se promènent des fantômes. Il les connaît, à son âge les absents sont plus nombreux que ceux qui sont restés. A sa fenêtre, il regarde passer leur blanc d'oie sur la neige nocturne.

Aussi mordante et douce que le vent qui nous pousse à travers les sentiers escarpés, l'histoire s'achève sur une victoire - que j'éprouve beaucoup de peine à ne pas vous révéler - qui ressemble à une défaite... Lisez Le poids du papillon, et vous comprendrez!

Ce texte est suivi de la Visite à un arbre - 10 pages à peine - célébration d'un pin des Alpes, à 2'200 mètres d'altitude: En montagne, il existe des arbres héros, plantés au-dessus du vide, des médailles sur la poitrine des précipices. Tous les étés, je monte rendre visite à l'un d'entre eux. Avant de partir, je monte à cheval sur son bras au-dessus du vide. Mes pieds nus reçoivent la chatouille de l'air libre au-dessus de centaines de mètres. Je l'embrasse et le remercie de durer.

Magistral! Dans ma besace de randonneur solitaire, Le poids du papillon de Erri de Luca rejoint Sentiers sous la neige de Mario Rigoni Stern et La promenade sous les arbres de Philippe Jaccottet: Trois livres qui me font presque regretter d'en parler tant la justesse de ton, la beauté de la langue et leur habit qui me sied si bien, suffisent à mon bonheur, partagé avec vous... 

Erri de Luca, Le poids du papillon (Gallimard, 2011)

Mario Rigoni Stern, Sentiers sous la neige (La fosse aux ours, 2000)

Philippe Jaccottet, La promenade sous les arbres (Bibliothèque des arts, 2009)

publié dans Le Passe Muraille no 86 - juin 2011

14/01/2011

Finie la comédie 1a

Bloc-Notes, 14 janvier / Les Saules 

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Alors que, la semaine dernière, je rassemblais quelques notes le lecture consacrées à Philippe Sollers à propos de son dernier roman Trésor d'amour qui a pour cadre Venise, j'ai pensé à cette empreinte unique - aussi personnelle que l'ADN - que laisse en nous - un peu inconsciemment - un coin de verdure, une ville, un chemin foulé dans cette curieuse grange secrète qu'on appelle la mémoire. 

Cette mémoire qui, un jour semblable à tous les autres devant l'inéluctable décrochement du corps, de l'esprit et du temps, se figera pour toujours dans le silence de Dieu, la solitude extrême ou le secret préservé, mais avant cela ravivera ces reflets de la vie, où lieux et ombres se confondront pour une minute de bonheur mêlé au vertige de la chute ou du n'importe quoi... 

Et qu'y verrai-je, tous temps confondus, entraîné par une lame de fond tout au fond de moi-même? Sans doute l'émerveillement devant l'aurore, qui me saisit presque chaque matin, quand, traversant le pont du Mont-Blanc à Genève, je vois le soleil se lever sur les Voirons, charriant ses nuances de roses et de bleu où perce la lumière du jour; la même impression et les mêmes teintes, mais plus brumeuses et douces, qui m'ont enchantées à Paris, quand je me promenais tout au long du quai des Célestins, avec vue sur l'Ile Saint-Louis et Notre-Dame, un peu plus loin; la clarté plus affirmée, au printemps - venant de Genève pour gagner Vevey - qui se révélait par la fenêtre du chemin de fer entre Pully et Saint Saphorin, avec sa vue imprenable jusqu'au bout du lac et du Valais et qui en marche vers mon lieu de travail - une librairie: qui l'eut cru! - ressemblait à un départ en vacances.

Une bande-son déroulera les moments salvateurs qui se seront confondus à des lieux mémorables: Les deux anglaises et le continent de François Truffaut dans un cinéma de quartier à Paris, un jour de pluie; les concerts de Jacques Brel et de Barbara, à Thonon-les-Bains et Genève; la dernière soirée des Proms au Royal Albert Hall de Londres; Astor Piazzolla joué au Café Florian à Venise.

A ces images se juxtaposeront à la vitesse de l'éclair, des silhouettes, des visages réels ou imaginaires, qui prennent racine sur une plage de Forio d'Ischia où j'ai connu mes premiers émois amoureux à la manière de Erri de Luca dans Le jour avant le bonheur, suivis par d'autres - en Angleterre ou en Suisse - sur lesquels je ne dirai rien, puisqu'après tout, il ne s'agit que d'une répétition générale!

Un dernier flash - en Italie, bien sûr! - me ramènera à la chapelle de San Damiano à Assise - refuge de Sainte Claire - avec le sourire, pour y avoir connu quelques fragmentsw de bonheur d'un autre monde; à Venise enfin qui me ressemble tant, où je me suis réconcilié avec moi-même, déposant sur le sol de l'église Santa Maria di Nazareth. les plus beaux souvenirs de ma vie, peines et joies confondues.

Et après? Le réveil, à 5h30, comme tous les matins avec une douce musique interrompue par le chant des corbeaux, des mésanges, des merles pour me rappeler que je suis bien vivant, que la comédie des apparences est finie depuis bien longtemps et qu'il n'est pas encore temps de se retirer, même avec élégance...

Philippe Sollers, Trésor d'amour (Gallimard, 2011)

Erri de Luca, Le jour avant le bonheur (Gallimard, 2010)

 

 

04/01/2011

Dans le rétroviseur

Bloc-Notes, 4 janvier / Les Saules

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Voilà, c'est reparti! Le très sérieux Livres Hebdo - revue professionnelle consacrée au livre - n'annonce pas moins de 510 nouveaux romans à paraître au cours des deux premiers mois de l'année, dont 329 voués à la littérature francophone, mais... pas si vite, car l'année 2010 à peine achevée, je prends plaisir à vous partager les petites ou grandes joies que la saison dernière aura suscitées, au nez et à la barbe des statistiques qui, au contraire de la résonance affective des uns et des autres, masquent souvent l'essentiel, heureusement!

Avec un constat très encourageant: Le lecteur actuel cède beaucoup moins que par le passé, aux sirènes des prix littéraires. S'il les lit ou les offre, c'est parce qu'il les découvre ou les aime, qu'il s'agisse de Michel Houellebecq avec La carte et le territoire (Flammarion), de Jean-Michel Olivier avec L'amour nègre (De Fallois/L'Age d'Homme), de Maylis de Kérangal avec Naissance d'un pont (Verticales), de Patrick Lapeyre avec La vie est brève et le désir sans fin (P.O.L.), de Fatou Diome avec Celles qui attendent (Flammarion) ou encore de Sofia Oksanen avec Purge (Stock) et de David Vann avec Sukkwan island (Gallmeister).

Il est aussi plus curieux, exigeant et surtout... prend son temps pour choisir ses livres! Ainsi, il a jeté son dévolu - pour mon plus grand plaisir! - sur Douna Loup avec L'embrasure (Mercure de France), Valérie Zenatti avec Les âmes soeurs (L'Olivier), Rosa Montero avec Instructions pour sauver le monde (Métailié), Erri de Luca avec Le jour d'avant le bonheur (Gallimard) ou Sarah Hall avec Comment peindre un homme mort (Bourgois) - à mon avis le plus beau roman de l'année! - sans oublier Kathryn Stockett avec La couleur des sentiments (Jacqueline Chambon) dont le succès repose pour une part prépondérante sur le bouche à oreille entre lecteurs et le coup de pouce des libraires, ou Jean d'Ormesson avec C'est une chose étrange à la fin que le monde (Laffont), bel exemple de fidélité entre le public et un auteur qui n'a cessé de se remettre en question, de partager ses passions, ses convictions, ses interrogations, auprès des plus jeunes et des autres...  

Qu'on se le dise enfin: La poésie n'est pas reléguée aux oubliettes. Le succès de la correspondance entre René Char et Nicolas de Staël (Editions des Busclats), l'anthologie des Poètes de la Méditerranée (coll. Poésie/Gallimard) ou les écrits récents de Jean-Michel Maulpoix, Andrée Chédid et Charles-Ferdinand Ramuz en sont la preuve vivante.

Seuls auront manqué en 2010 quelques romans légers et attachants comme on les aime... Hormis une réédition - Les raisons du coeur de Mary Wesley (Héloïse d'Ormesson) - et une nouveauté, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi de Katherine Pancol (Albin Michel), je n'ai pas oublié - comme de nombreux lecteurs, ces plaisirs de lecture plus anciens que sont La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt (Actes Sud) ou Les bonnes dames de Jean-Louis Kuffer (Campiche) qui rencontrent aujourd'hui encore un succès aussi vif que celui des dernières parutions en librairie!

Pour en finir avec ce petit tour d'horizon de l'année écoulée, j'ajoute que le lecteur actuel - pour autant qu'il trouve dans les librairies ou bibliothèques ce qu'il cherche - n'est pas nécessairement conditionné par l'attrait de la nouveauté, ce qui me ravit! Savez-vous que le roman de Léon Tolstoï, Anne Karénine, demeure le roman le plus populaire de 17 à 87 ans, aux côtés de celui d'Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo, parmi les classiques? Que Lark et Termite, le chef d'oeuvre de Jayne Anne Phillips (Bourgois), paru en 2009, demeure l'un des choix préférés du public, avec L'ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon (Laffont et Livre de poche) paru en 2004? Qu'on lit toujours le roman d'Axel Munthe, Le livre de San Michele (Albin Michel) ou La montagne magique de Thomas Mann (Fayard et Livre de poche)?

Sur le site de Culture Café - http://500-livres.com/index.html - vous pouvez consulter les 500 meilleurs livres choisis par les internautes, en 2008 - peu de changements, sans doute, avec aujourd'hui - avec près de 5'000 votes et 3'000 titres proposés. Comme moi, vous y reconnaîtrez bien des vôtres...  

image: Jean-Honoré Fragonard, La liseuse (National Gallery of Art, Washington)

 

12/06/2010

La citation du jour

 

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Erri de Luca

On meurt quand on ne demande plus. Le verbe de la vie, c'est demander, avoir une question, lancer le point d'interrogation vers le haut, assombri ou dégagé. Demander pour forcer la solitude, envoyer loin à voix basse la requête, parce que le souffle et non pas le cri va loin. Demander, parce que ne pas demander, c'est capituler.

Erri de Luca, Sur la trace de Nives (coll. Folio/Gallimard, 2008)

00:08 Écrit par Claude Amstutz dans Erri de Luca, La citation du jour | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : citations; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

31/05/2010

Erri de Luca

Bloc-Notes, 30 mai / Les Saules

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Il m'arrive de dire, parfois - tant pis si je me répète - que je viens de connaître un moment de bonheur absolu à la lecture d'un roman au charme et à la qualité d'écriture hors du commun. Tel est le cas du dernier roman de Erri de Luca, l'auteur de Trois chevaux et Montedio (Gallimard) parmi d'autres.

Il nous raconte ici dans le Naples de l'après-guerre, l'histoire d'un orphelin qui, sous la protection généreuse et attentive du concierge de l'immeuble - Don Gaetano, orphelin lui aussi - distille ses souvenirs d'enfance, puis, adulte, deviendra le narrateur de cette histoire troublante. Il se remémore ses années d'école où il y avait les pauvres et les autres, ceux dont on rasait la tête à cause des poux et les autres - enfants de familles aisées - qui gardaient leurs cheveux tout au long de l'année. Deux évenements, au cours de cette période, vont bouleverser sa vie: La première, quand par curiosité il pénètrera dans une grotte, en réalité un entrepôt de contrebande avec un lit de camp et des livres où Don Gaetana avait caché un juif pendant la guerre. Dans ce lieu naîtra sa passion pour les livres, avec la complicité du libraire du village, Don Raimondo, qui lui en prêtera gratuitement, à condition qu'il lui partage ses impressions de lecture.

Le second événement surgira lors d'une partie de football, quand il apercevra, derrière un balcon, une fillette de huit ans, Anna, aux yeux écarquillés et dont la pensée ne le quittera jamais: Devant les buts à défendre s'étalait une mare, due à une fuite d'eau. Au début du jeu, elle était limpide, je pouvais y voir le reflet de la petite fille à la fenêtre, pendant que mon équipe attaquait. Je ne la croisais jamais, je ne savais pas comment était fait le reste de son corps, sous son visage appuyé sur ses mains.

Dix ans plus tard, il la retrouvera mais, fréquentant un jeune de la Camorra en prison, Don Gaetano tentera bien de l'avertir du danger, mais l'adolescent passera outre. Ainsi, réunis une seule fois pour le meilleur et pour le pire, nos deux tourtereaux connaîtront leur premier acte d'amour, comme une dette payée au désir de leur enfance, mais aux conséquences irréversibles. Je n'en dis pas davantage: Vous les apprendrez en chemin! Le jour après le bonheur, j'étais un alpiniste qui titubait dans la descente, dira notre amoureux...

En marge de cette délicate musique du coeur, ce roman, par la voix de Don Gaetano, témoigne de la douleur et de la dureté des temps de guerre à Naples - où moururent davantage de civils que de soldats - dont le narrateur, par son écoute attentive, fidèle, admirative, deviendra le témoin indirect. C'est aussi l'histoire d'une ville, d'une appartenance, d'un code d'honneur qui peu à peu deviendront un reflet unique de l'âme de notre héros. A Naples, le soleil aime ceux qui vivent en bas, là où il n'arrive pas. Plus que tous, il aime les aveugles et leur fait une caresse spéciale sur les yeux. Le soleil n'aime pas les adorateurs qui se mettent à nu sous son abondance et s'en servent pour colorer leur peau. Lui veut réchauffer ceux qui n'ont pas de manteau, ceux qui claquent des dents dans les ruelles étroites. Il les appelle dehors, les fait sortir de leurs petites pièces froides et les frictionne jusqu'à ce qu'ils sourient sous la chatouille. (...) Les vitres sont ses marches d'escalier, la lumière les descend par amour pour toi. C'est signe que le soleil te protège... parole de Don Gaetano!

Et de protection, justement - un couteau offert par le vieil homme - notre héros en aura besoin pour grandir dans la douleur et laver son honneur, à la napolitaine...

Ce livre enchanteur rappelle beaucoup son chef d'oeuvre - à mon sens - Tu mio (Rivages) , l'histoire d'un adolescent de seize ans qui découvre l'amour, la guerre et la mer auprès d'un pêcheur et qui sera prochainement évoqué sur ce site.

Erri de Luca, Le jour avant le bonheur (Gallimard, 2010)

publié dans Le Passe Muraille no 83 - mars 2010