Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/10/2013

Lire les classiques - Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

1.jpg

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet;
 
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
 
Un éclair... puis la nuit! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité?
 
Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais! 
 

Charles Baudelaire, A une passante - Les fleurs du mal , dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)

image: Une passante / Paris (dinosoria.com)

10/10/2013

Morceaux choisis - Maurice Chappaz

Maurice Chappaz

Albert Anker.jpg

O juillet qui fleurit dans les artères
je désire toutes les choses
 
Dans la rouge mémoire de mon sang
bougent les limons et les chairs vivaces
sécheresse sécheresse
là chantent les écumes
mes soifs fument
 
Mais toi tu es délicatesse
tu me seras livrée la nuit comme la forêt
qui dira alors ce qu'est ton coeur?
la pleine nuit de ton coeur?
quel silence
puis quelle voix superbe chantera dans l'ombre.
 
Quand tu seras penchée vers moi
alors mes bras deviendront beaux
tu reposeras sur ma poitrine
et tu seras sur moi comme une source
comme le chant de la source
ô tendresse qui éveille les eaux
et leur abondance douce
 
Je sais que tu es semblable à la terre
que pareille
tu apportes de rustiques présents
que ton corps est comme le vrai froment
tu donnes le pain
le don simple et bon
de ce qui se touche et qui se voit
tu couvres l'homme de moisson
tu es pareille aux fruits des arbres
apportant leur soleil et leur douceur
et je t'appellerai 
le lait le miel le raisin.
 
Puis vient la joie
vous saisons vous matières
vous êtes cédées
oh! j'ai envie de dire merveille merveille
femme combien tu es belle
paraît ta grande nature
tu glisses dans les bras de celui qui t'aime
tout soleil est perdu
 
C'est maintenant le silence frais de la nuit
c'est dans ton coeur qu'il faut chercher l'été
qu'il faut tout chercher
je n'ai plus qu'envie de dire
merveille merveille
 
Qui dira la nuit?
qui dira l'été?
 

Maurice Chappaz, La merveille de la femme / extrait, dans: Verdures de la nuit (Fata Morgana, 2004)

image: Albert Anker, Die kleine Kartoffelschälerin (picstopin.com)

08/10/2013

Morceaux choisis - René Char

René Char

staël_de_nicolas-composition~OMc8d300~10519_20111211_17776_61.jpg

Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l'issue de l'aube que le bougeoir du crépuscule. Elle passa les grèves machinales, elle passa les cimes éventrées. Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau. Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s'inscrivit mon souffle. D'un pas à ne se mal guider que derrière l'absence, elle est venue, cygne sur la blessure, par cette liane blanche.

René Char, La liberté, dans: Georges Jean, La liberté en poésie (coll. Folio Junior/Gallimard, 1998)

image: Nicolas de Staël, Collage (arcadja.com)

04/10/2013

Lire les classiques - Gérard de Nerval

Gérard de Nerval

Frank Cadogan Cowper FB 1.jpg

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phoebus?... Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
 

Gérard de Nerval, Les Chimères / La Bohême galante / Petits châteaux de Bohême (coll. Poésie/Gallimard, 2005)

image: Franck Cadogan Cowper, Vanity (artgalleryartist.com)

17:40 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

27/09/2013

Lire les classiques - William Shakespeare

William Shakespeare

1.jpg

La musique qu'on entend, pourquoi l'ouïr sans entrain?
Le doux se plaît au doux, la joie va à la joie;
Comment aimer ce qu'on n'aime qu'à contrecoeur,
Ou n'avoir de plaisir qu'à ce qu'on soit fâché?
Si la concorde des sons ensemble bien accordés,
Par l'hymen réunis, offense ton écoute,
Ils te grondent doucement de jouer au singulier
La partition des sons qu'ensemble tu devrais jouer;
Entends comme cette corde en épouse une seconde,
Comme, par écho mutuel, les autres sont éveillées,
On dirait du bonheur d'un fils, son père, sa mère,
Chantant à l'unisson une seule mélodie:
 
Chanson privée de mots, ensemble une et plusieurs,
Et qui t'avertirait "Toi, tout seul, tu n'es rien." 
 

William Shakespeare, Sonnet VIII, dans : Sonnets - édition bilingue (Grasset, 2013)

traduit de l'anglais par Jacques Darras

image: www.maxisciences.com

22/09/2013

Lire les classiques - Victor Hugo

Victor Hugo

RH000069_b.jpg

Or, nous cueillions ensemble la pervenche.
 
Je soupirais, je crois qu'elle rêvait. 
Ma joue à peine avait un blond duvet. 
Elle avait mis son jupon du dimanche; 
Je le baissais chaque fois qu'une branche 
Le relevait.
 
Et nous cueillions ensemble la pervenche.
 
Le diable est fin, mais nous sommes bien sots. 
Elle s'assit sous de charmants berceaux 
Près d'un ruisseau qui dans l'herbe s'épanche; 
Et vous chantiez dans votre gaîté franche, 
Petits oiseaux.
 
Et nous cueillions ensemble la pervenche.
 
Le paradis pourtant m'était échu.
En ce moment, un bouc au pied fourchu
Passe et me dit: Penche-toi. Je me penche.
Anges du ciel! je vis sa gorge blanche
Sous son fichu!
 
Et nous cueillions ensemble la pervenche.
 
J'étais bien jeune et j'avais peur d'oser.
Elle me dit: Viens donc te reposer
Sous mon ombrelle, et me donna du manche
Un petit coup, et je pris ma revanche
Par un baiser.
 
Et nous cueillions ensemble la pervenche.
 

Victor Hugo, Toute la vie d'un coeur / 1819, dans: Toute la lyre / Poésie, vol. 4 (coll. Bouquins/Laffont, 2002)

image: Janine Niepce, Le pont des Arts (janineniepce.com)

09:00 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/09/2013

Morceaux choisis - Guillaume Apollinaire

Guillaume Apollinaire

littérature; poésie; anthologie; livres

L’amour est mort entre tes bras
Te souviens-tu de sa rencontre
Il est mort tu la referas
Il s’en revient à ta rencontre
 
Encore un printemps de passé
Je songe à ce qu’il eut de tendre
Adieu saison qui finissez
Vous nous reviendrez aussi tendre
 
Dans le crépuscule fané
Où plusieurs amours se bousculent
Ton souvenir gît enchaîné
Loin de nos ombres qui reculent
 
O mains qu’enchaîne la mémoire
Et brûlantes comme un bûcher
Où le dernier des phénix noire
Perfection vient se jucher
 
La chaîne s’use maille à maille
Ton souvenir riant de nous
S’enfuir l’entends-tu qui nous raille
Et je retombe à tes genoux
 
Tu n’as pas surpris mon secret
Déjà le cortège s’avance
Mais il nous reste le regret
De n’être pas de connivence
 
La rose flotte au fil de l’eau
Les masques ont passé par bandes
Il tremble en moi comme un grelot
Ce lourd secret que tu quémandes
 
Le soir tombe et dans le jardin
Elles racontent des histoires
À la nuit qui non sans dédain
Répand leurs chevelures noires
 
Petits enfants petits enfants
Vos ailes se sont envolées
Mais rose toi qui te défends
Perds tes odeurs inégalées
 
Car voici l’heure du larcin
De plumes de fleurs et de tresses
Cueillez le jet d’eau du bassin
Dont les roses sont les maîtresses
 
Tu descendais dans l’eau si claire
Je me noyais dans ton regard
Le soldat passe elle se penche
Se détourne et casse une branche
 
Tu flottes sur l’onde nocturne
La flamme est mon cœur renversé
Couleur de l’écaille du peigne
Que reflète l’eau qui te baigne
 
O ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s’en vient la saison
Et des dédains et du soupçon
 
Le paysage est fait de toiles
Il coule un faux fleuve de sang
Et sous l’arbre fleuri d’étoiles
Un clown est l’unique passant
 
Un froid rayon poudroie et joue
Sur les décors et sur ta joue
Un coup de revolver un cri
Dans l’ombre un portrait a souri
 
La vitre du cadre est brisée
Un air qu’on ne peut définir
Hésite entre son et pensée
Entre avenir et souvenir
 
O ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s’en vient la saison
Des regrets et de la raison
 

Guillaume Apollinaire, Vitam impendere amori, dans: Poèmes à Lou, précédé de: Il y a (coll. Poésie/Gallimard, 2007)

image: Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou (angelomainardi.it)

16:50 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

14/09/2013

Lire les classiques - Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

9.jpg

merci à Raymonde SP

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!
J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
 
Tout l'hiver va rentrer dans mon être: colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.
 
J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;
L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
 
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui? - C'était hier l'été; voici l'automne!
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
 
J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
 
Et pourtant aimez-moi, tendre coeur! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.
 
Courte tâche! La tombe attend; elle est avide!
Ah! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
De l'arrière-saison le rayon jaune et doux!

 

Charles Baudelaire, Chant d'automne - Les fleurs du mal , dans: Oeuvres complètes (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1961)

image: Cologny, Genève / Suisse (2011)

lu par Janico, sur une musique de Samuel Barber: Adagio for Strings and Orchestra

06/09/2013

Lire les classiques - Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine

66.jpg

O terre, vil monceau de boue
Où germent d'épineuses fleurs,
Rendons grâce à Dieu, qui secoue
Sur ton sein ses fraîches couleurs!
 
Sans ces urnes où goutte à goutte
Le ciel rend la force à nos pas,
Tout serait désert, et la route
Au ciel ne s'achèverait pas.
 
Nous dirions: A quoi bon poursuivre
Ce sentier qui mène au cercueil?
Puisqu'on se lasse en vain à vivre,
Mieux vaut s'arrêter sur le seuil.
 
Mais pour nous cacher les distances,
Sur le chemin de nos douleurs
Tu sèmes le sol d'espérances,
Comme on borde un linceul de fleurs!
 
Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre,
Où chantaient de si fraîches voix;
Toi qui n'es plus qu'un bloc de cendre
Couvert de charbons noirs et froids,
 
Ah!laisse refleurir encore
Ces lueurs d'arrière-saison!
Le soir d'été qui s'évapore
Laisse une pourpre à l'horizon.
 
Oui, meurs en brûlant, ô mon âme,
Sur ton bûcher d'illusions,
Comme l'astre éteignant sa flamme
S'ensevelit dans ses rayons!

Alphonse de Lamartine, Les fleurs, dans: Poésies diverses, précédé de: Méditations poétiques et Nouvelles méditations poétiques (coll. Poésie/Gallimard, 2000)

image: Schynige Platte, Oberland Bernois / Suisse (2007)

23:02 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

05/09/2013

Lire les classiques - Emily Brontë

Emily Brontë

Emily Brontë.jpg

C’était l’un de ces sombres jours ennuagés
Qui traversent parfois la flambée de l’été,
Où du ciel rien ne tombe, où la terre est tranquille
Et d’un vert plus profond se revêt la colline.
 
Deux arbres dans un champ désert
Me chuchotent un sortilège:
Lugubre est le secret que leur sombre ramure
Agite avec solennité.
 
Qu’est-ce que la fumée sans relâche qui roule
Là-bas sur la pente fauve de la colline?
 
Comme elle regardait, les nuages de fer
S’écartant, le soleil brilla dans l’intervalle,
Mais lugubrement étrange, et pâle et froid.
 
Il ne jettera plus d’éclat,
Sa triste course est achevée:
J’ai vu, du froid soleil brillant,
S’abîmer la lueur dernière.
 
Ancien manoir d’Elbë, maintenant en ruine, solitaire,
Maison où la voix de la vie jamais plus ne s’en reviendra,
Salles sans couvert, désolées, où croissent la ronce et le lierre,
Fenêtres aux cintres brisés où les vents de nuit mènent deuil,
Demeure des défunts, des défunts d’un temps révolu.
 

Emily Brontë, Poèmes - édition bilingue (coll. Poésie/Gallimard, 1999)

traduit de l'anglais par Pierre Leyris 

08:54 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |