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07/10/2012

Morceaux choisis - Catherine Pozzi

Catherine Pozzi

bouquet oliviers réduit.jpg

Si tu veux
Nous irons ensemble
Tous les deux
Vers le vieux figuier.
Il aura
Des fruits noirs qui tremblent
Sous le vent
Qui vient d’Orvillers.
 
Tu iras
L’âme renversée
Sur ta vie
Et je te suivrai.
Le ciel bas 
Tiendra nos pensées
Par la lie
D’un malheur secret.
 
Tu prendras
L’un des fruits de l’arbre
Et soudain
Le feras saigner
Et ta main
Morte comme marbre
Jettera
Le don du figuier.
 
Le vent vert
Plein du bruit des hêtres
Ouvrira
La geôle du ciel
Je crierai
Comme un chien sans maître
Tu fuiras
Dans le grand soleil.
 

Catherine Pozzi,  Très haut amour - Poèmes et autres textes (coll. Poésie/Gallimard, 2002)

image: lesrevesdemys.com

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05/10/2012

Lire les classiques - Jean Racine

Jean Racine

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Le soleil est toujours riant, 
Depuis qu'il part de l'Orient 
Pour venir éclairer le monde.
Jusqu'à ce que son char soit descendu dans l'onde
La vapeur des brouillards ne voile point les cieux;
Tous les matins un vent officieux 
En écarte toutes les nues:
Ainsi nos jours ne sont jamais couverts; 
Et, dans le plus fort des hivers, 
Nos campagnes sont revêtues 
De fleurs et d'arbres toujours verts.
 
Les ruisseaux respectent leurs rives,
Et leurs naïades fugitives
Sans sortir de leur lit natal,
Errent paisiblement et ne sont point captives
Sous une prison de cristal.
Tous nos oiseaux chantent à l'ordinaire, 
Leurs gosiers n'étant point glacés; 
Et n'étant pas forcés 
De se cacher ou de se taire, 
Ils font l'amour en liberté.
L'hiver comme l'été.
 
Enfin, lorsque la nuit a déployé ses voiles,
La lune, au visage changeant,
Paraît sur un trône d'argent,
Et tient cercle avec les étoiles,
Le ciel est toujours clair tant que dure son cours,
Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.

Jean Racine,  Cantiques spirituels et autres poèmes (coll. Poésie/Gallimard, 1999)

image: Elly Wright, Campagne (http://www.art-en-france.eu/ellywright.html)

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27/09/2012

Morceaux choisis - André Velter

André Velter

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Une lueur sur le toit
On ne sort pas du rayon de lune
C'est aller à la verticale de soi
Et d'un désir plus fort que la mort
 
Il y a tant de fils à renouer dans l'air
Que le souffle fait corps avec le vide
On approche sans crainte d'un ciel noir
Qui est plein de murmures
Comme les rues de la ville
 
Au-dessus du règne de l'insomnie
Un effort physique violent pour accéder
A une offrande radieuse
Ou à la prière qu'improviserait une fée
 
Dieu n'est pas de la partie
L'élévation se joue à mains nues
Palier par palier degré par degré
Tandis qu'en esprit le mouvement se veut soutenu
Musique d'une sphère qui bat avec le coeur
 
Quoiqu'il arrive après
On ne touche plus la même terre
On a pouvoir sur le destin
Et l'univers résonne à la légère
D'un poème d'amour clandestin
 

André Velter, Avec un peu plus de ciel (Gallimard, 2012)

16:09 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/09/2012

Morceaux choisis- Jacques Ancet

Jacques Ancet

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C'est dis-tu ce qu'on appelle le présent
ce qui toujours nous suit toujours nous précède
on voudrait dire cette chose sans corps
mais qui fume des corps
et ils flottent tournent comme des feuilles
qui un instant s'enflamment
brûlent puis s'éteignent et d'autres leur succèdent
dans l'immobile jaillir que nul ne voit
puisqu'il est dans nos yeux nos bouches nos gestes
qui le font être ce mouvement d'eau vive
lui donnent cette existence qu'il n'a pas
alors d'un bouquet d'éclairs naît la lumière
d'une grappe d'éclats la lenteur du jour
les images où nous croyons toucher la vie
la forme rassurante de chaque chose
ton visage et mon visage qui s'approchent
confondent dans la même ombre leur profil
tout ce qui dure le temps d'un bref regard
on l'habite peut-être une main se pose
on entend une phrase voilà la neige
ferme la porte et déjà on ne sait plus
quand ni où puisque cela n'a pas d'histoire
il y a seulement la même stupeur derrière la vitre
une blancheur sans mots
les pas qui se perdent sous le réverbère
sur le seuil la déchirure de l'espace
et la voix qui répète voilà la neige
et tout le paysage qui nous regarde
c'est tout cela qu'on voudrait dire
ce rien où toujours tout ne cesse de commencer
alors je dis je sais que c'est une image
tu me brûles
parce que c'est comme du feu entre nous
même si vraiment rien ne brûle
si c'est plutôt parfois comme la fraîcheur
avec ton rire d'un éclat d'eau
le clair de ton visage qui vient
et c'est encore ce qui nous recommence
nous fait remonter la pente du désastre
encore la vie au milieu de la mort
la pierre se délite le tronc pourrit
le corps se décompose et l'air reste seul en silence
comme pour veiller l'absence
et pourtant on marche au-devant du matin
comme si on ne devait jamais mourir
puisqu'on est là
les mouettes crient le froid fume
sur les lèvres les doigts touchent le métal d'une clé
la forme humide d'une rampe
comme si oui c'était la première fois
tu me brûles
il y a dans le petit jour
venue d'une porte entrouverte
une odeur de café frais
j'avance dans la lumière à ta rencontre
je traverse une rue
son fracas à cinq heures pour te rejoindre
j'ai toutes les raisons de désespérer
mais tu es là tu souris
bonjour dis-tu
 

Jacques Ancet, La brûlure (Lettres Vives, 2002)

image: meriamr.centerblog.net

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31/08/2012

Lire les classiques - Jean Richepin

Jean Richepin

littérature; poésie; anthologie; livres

Le jour où je vous vis pour la première fois,
Vous aviez un air triste et gai: dans votre voix
Pleuraient des rossignols captifs, sifflaient des merles;
Votre bouche rieuse, où fleurissaient des perles,
Gardait à ses deux coins d'imperceptibles plis;
Vos grands yeux bleus semblaient des calices remplis
Par l'orage, et séchant les larmes de la pluie
A la brise d'avril qui chante et les essuie;
Et des ombres passaient sur votre front vermeil
Comme un papillon noir dans un rais de soleil.

Jean Richepin, Les caresses (poesie.webnet.fr)

photo: Robert Doisneau, Mademoiselle Anita

01:12 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

28/08/2012

Lire les classiques - Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud

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Seigneur, quand froide est la prairie, 
Quand dans les hameaux abattus, 
Les longs angelus se sont tus... 
Sur la nature défleurie 
Faites s’abattre des grands cieux 
Les chers corbeaux délicieux. 
 
Armée étrange aux cris sévères, 
Les vents froids attaquent vos nids! 
Vous, le long des fleuves jaunis, 
Sur les routes aux vieux calvaires, 
Sur les fossés et sur les trous 
Dispersez-vous, ralliez-vous! 
 
Par milliers, sur les champs de France, 
Où dorment des morts d’avant-hier, 
Tournoyez, n’est-ce pas, l’hiver, 
Pour que chaque passant repense! 
Sois donc le crieur du devoir, 
Ô notre funèbre oiseau noir! 
 
Mais, saints du ciel, en haut du chêne, 
Mât perdu dans le soir charmé, 
Laissez les fauvettes de mai 
Pour ceux qu’au fond du bois enchaîne, 
Dans l’herbe d’où l’on ne peut fuir, 
La défaite sans avenir. 
 

Arthur Rimbaud, Vers nouveau  - Une saison en enfer (coll. GF/Flammarion, 2007)

image: Henri Fantin-Latour, Arthur Rimbaud (marmellatadistreghe.wordpress.com)

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21/08/2012

Morceaux choisis - Tamara Ganieva

Tamara Ganieva

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J'ai cent ans
Je mesure en siècles
La tristesse de mes victoires et de mes défaites
Je n'interroge pas avec ma curiosité oiseuse
Le lointain encore invisible de mon destin...
 
L'année a passé
Est-ce un siècle?
La plaine des années est vaste...
Et leur compte est sans fin
 
Seule dans les ténèbres, fière et insoumise,
J'observe leur cours infini...
 
Je suis une femme
Je touche à l'éternité
J'ai vécu et lutté des centaines d'années
Dans les bras du Temps je fusionne avec lui
 
Viens, mon heure! Je t'ai tant attendue!
Prends-moi
Garde-moi! 
Donne-moi les brides d'un cheval invisible
Je ramènerai ma tresse en chignon
Et je m'envolerai
Sans qu'on puisse me retenir!
 

Tamara Ganieva, Voix de femmes - Anthologie / Poèmes et photographies du monde entier (Editions Turquoise, 2012)

image: sophieetlavie.over-blog.com

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19/08/2012

Morceaux choisis - Marina Tsvetaeva

Marina Tsvetaeva

littérature; poésie; anthologie; livres

Il est une heure légère
comme un sac jeté à terre,
orgueil dompté en soi!
L'heure du disciple,
dans la vie de tous elle sonne,
retentit et puis s'en va.
 
Heure solennelle:
rendant les armes
devant celui que Sa main désigne,
nous échangeons la pourpre du guerrier,
contre la peau d'une bête fidèle.
 
O heure bénie qui nous appelle
et nous enlève au jeu des jours,
ô heure oû le fruit mûr et lourd,
gonflé de sève, fait ployer la branche.
 
L'épi grossit.
Sonne l'heure joyeuse,
les graines appellent le moissonneur.
La loi
- joug espéré, destin -
a retenti dès le sein de la mère!
 
Heure du disciple!
Déjà visible et pressentie
- vient à sa suite, bénie sois-tu -
l'heure sublime,
de solitude lumineuse.
 

Marina Tsvetaeva, Mon dernier livre / édition bilingue - 1940 (Cerf, 2012)

traduit du russe par Véronique Lossky

image: lewebpedagogique.com

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17/08/2012

Morceaux choisis - Ananda Devi

Ananda Devi

littérature; poésie; anthologie; livres

A quoi pensais-tu en descendant ces marches
que tu ne remonterais plus
 
Je voudrais savoir
percer ta brume et ton mystère
et ta bouche close
Ton âme mystique ton silence
 
Savoir
Ce qui t'a poussé ce jour-là
ton plateau de fruits aux mains
Savoir
Ce que tu allais chercher là-bas
ce que tu demandais de l'ombre
Ce que tu exigeais des dieux
Ce que tu franchissais de néants
Les adieux que tu laissais comme des cendres
De tes paumes multipliées
 
Savoir
Ce que tu pensais rejoindre
Ou quitter
Voler de vos ailes car tu ne supportais plus
Savoir ta main tendue et dépliée
comme le front de l'eau
Ta main molle souple doucement lâchée
pieds titubés
 
Visage plongeant dans l'eau tiède de ses offrandes
de ses miettes de prières
de ses promesses diluées
 
Très haut le soleil chauffait
chauffait
très loin les cloches sonnaient
 
Cloches soleil fleurs ébréchées
eau blondie vie percée tachée de lassitude 
 
Qui tu es mon père
Mieux vaut ne pas savoir
 
Les cloches ont trop longtemps sonné
dans le temple enfumé
De très loin j'ai entendu les chants
Et respire l'âpre sueur des bois de manguier
L'encens le ghee l'adieu
 
Moi je n'ai pas fait mes adieux
Pourquoi l'aurais-je fait
Je ne t'ai pas vu
Je te vois toujours marcher parmi les arbres
Arracher une mauvaise herbe
d'une plate-bande négligée
Ecrire dans ton cahier tes mille choses inutiles
Bribes brèves 
bruits de tes vies qui se fendent
 
On ne saura jamais
Je n'ai pas cherché à savoir
Je t'ai laissé tes secrets
Je ne saurai jamais
 
Si je l'avais pu
Je t'aurais écouté vivre
Vivre
Jusqu'à en mourir
 

Ananda Devi, Le long désir (Gallimard, 2003)

image: Pascal Quelen (photos.linternaute.com)

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13/08/2012

Lire les classiques - John Keats

John Keats

perronneau.jpg

Le jour s'est enfui - et toutes les douceurs avec lui!
Douce voix, douces lèvres, douce main, seins plus doux encore,
Souffle chaud, soupirs de transe, tendre chuchotement,
Oeil brillant, forme accomplie, taille langoureuse!
Enfuis la fleur et ses charmes rêvés
Enfuie de mes yeux la vue de la Beauté
Enfuie de mes bras la forme de la Beauté
Enfuies, la voix, la chaleur la blancheur paradisiaques
Disparues sans attendre, avec la lumière,
Quand le jour et la nuit ont commencé à tisser
La trame épaisse d'ombre du Plaisir secret.
Mais j'ai lu tout le jour le missel de l'Amour
Et il me laissera dormir, voyant que je jeûne et prie.
 

John Keats, Les Odes (Arfuyen, 2009)

traduit de l'anglais par Alain Suied

image: Jean-Baptiste Perronneau, Mademoiselle Huquier, 1747 (eurocles.com)

11:08 Écrit par Claude Amstutz dans Lire les classiques, Littérature étrangère | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie; anthologie; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |