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08/09/2012

Alain Vircondelet

9782259197014.gifAlain Vircondelet, Nulle part qu'à Venise (Plon, 2003)

Si vous avez cédé un jour à la magie qu'inspire Venise, alors hâtez-vous de lire ce merveilleux ouvrage d'Alain Vircondelet. Ce n'est pas le premier livre qu'il consacre à cette ville et nul autre, mieux que lui, sait parler d'elle, la comprendre et l'aimer. Vous êtes invité à une promenade unique à travers Venise, attirante comme une trace d'éternité ou imprévisible comme les eaux qui l'entourent, seul - si vous êtes enclin à la méditation et au mysticisme - ou en agréable compagnie pour tous les autres! Une lecture attachante et indispensable, à accompagner d'un billet de train ou d'avion, de préférence...

08:17 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages, Littérature francophone | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essai; voyages | |  Imprimer |  Facebook | | |

29/05/2012

Colette Fellous

images-2.jpegColette Fellous, Pour Dalida (Flammarion, 2010)

En écho à Aujourd'hui et Avenue de France (en coll. Folio/Gallimard) Colette Fellous - née à Tunis et qui vit actuellement à Paris - poursuit la douce évocation de sa famille, avec ce portrait croisé de Dalida et de sa mère. Il respire la tendresse de l'auteur envers l'interprète de Ciao, ciao bambina, Il venait d'avoir 18 ans et Gigi l'amoroso qui a bercé son enfance, illuminé la maison familiale et résonne encore au profond de son coeur. On retrouve dans ce livre un parfum typiquement méditerranéen, des joies ou des bonheurs simples qui résonnent avec nostalgie à nos oreilles, comme les réminiscences d'un temps révolu et qui pourtant, aux heures mélancoliques, nous habitent toujours.

Colette Fellous est aussi l'auteur de Maria, Maria - un autre texte magnifique - écrit avec Paul Nizon (Maren Sell, 2004).

29/04/2012

Luc Ferry

littérature; philosophie; essai; livresLuc Ferry, L'anticonformiste - Une autobiographie intellectuelle (Denoël, 2012)

A lui seul, ce titre de Luc Ferry - des entretiens avec Alexandra Laignel-Lavastine - résume bien les sentiments ambivalents que l'on peut éprouver envers sa personne: mélange de respect et d'agacement, de curiosité et de sympathie, d'estime et de réserve. Anticonformiste, il l'est indiscutablement par son parcours atypique: les réminescences de son parcours personnel sont particulièrement chaleureuses et attachantes, à la campagne au sein d'une famille aimante ni brillante ou riche, un père résistant qui lui transmet des convictions - dont celle du gaullisme - et une filière dans ses études qui démarre de façon peu conventionnelle avec des cours par correspondance. Anticonformiste, il l'est aussi par son orientation politique plutôt ancrée à droite dans un milieu qui l'est peu. Il ne cache pourtant pas ses amitiés pour des penseurs de gauche, tels Cornelius Castoriadis ou André Comte-Sponville. Un esprit libertaire, impregné de spiritualité laïque et passionné par les bouleversements possibles du monde, pourrait-on dire. Anticonformiste, il l'est beaucoup moins dans son action gouvernementale au ministère de l'Education nationale qu'il quitte sans regrets ni remords, dit-il - on peine à le croire tout à fait - avec l'épreuve d'idées novatrices confrontées au choc des organisations, des hommes, du réel. Anticonformiste, il ne l'est plus du tout dans son personnage de playboy séducteur s'épanchant sur les plateaux de télévision, cédant aus sirènes de la peoplelisation où il distille ses impressions sur les grandes causes autant que sur d'autres agitations médiatiques dont on se passerait bien! Dommage...

Sincère - sans aucun doute - il ne faut cependant pas se laisser pièger par son sourire ou son verbe un brin cajoleurs, car derrière cette apparence se cachent souvent des jugements impitoyables: sur Stéphane Hessel par exemple, sur les réseaux sociaux, sur la politique française dont il a peut-être oublié qu'entre dire et faire, il y a tout un monde de concrétisations difficiles dont il a pourtant fait l'amère expérience. Un peu de retenue et de mémoire ne nuirait à personne, Monsieur Ferry!

Reste, au fil de ces pages, un profond humanisme, une passion pour le progrès, une force de conviction qui nous interpelle sur tous les sujets. Là est l'important. Tout le reste n'est qu'une histoire d'affinités philosophiques, culturelles ou politiques...     

12/04/2012

Annie François

Bloc-Notes, 12 avril / Les Saules

littérature; récit; document; livres

Avec Mine de rien s'achève, partiellement inaboutie, cahotante et comme vidée de ses forces, la trilogie par laquelle Annie avait rntrepris de raconter sa vie, considérée sous le triple rapport de ses relations au livre: Bouquiner, puis au tabac: Clopin-Clopant, et enfin à la souffrance. Ainsi s'exprime son compagnon François Chaslin dans ce texte poignant qu'est De guerre lasse, comblant les trous du récit laissés par Annie François elle-même, à la fin de sa vie. Au regard de l'intérieur se superpose ainsi celui du conjoint: deux réalités bouleversantes, intrinsèquement mêlées.

Tout commence donc un ténébreux 8 février 1991, quand les médecins de Annie François diagnostiquent un cancer du sein. Pas de quoi lui ôter le goût de vivre, ni celui pour son travail aux éditions du Seuil, ni la complicité avec François. Elle sait exprimer en revanche, comme nulle autre, l'altération de la fraîcheur et de l'innocence qu'entraîne la maladie quand tout bascule: la concrétisation de l'abstrait, dit-elle. Ainsi que dans ses précédents ouvrages, l'humour - même s'il fait un peu mal dans ce récit - reste une de ses armes favorites, dont elle use comme d'un bouclier fissuré, mine de rien: Tout milite pour réserver ses angoisses à ses médecins et confrères du malheur. C'est ainsi que j'ai créé le club des irradieuses - fort de quatre membres -, partant du principe qu'on ne peut parler de golf qu'avec des golfeurs et de cancers qu'avec des cancéreux. Même là règnent le mensonge, l'esquive, la dérobade. C'est pourtant dans ces cercles très fermés qu'on peut échanger de vraies informations et surtout se livrer à un humour noir salutaire. Je n'ai jamais autant ri qu'avec Domio, Danièle et Catherine

Elle traduit aussi, avec beaucoup de justesse, la sensation du vide et de l'abandon qui suit un cap critique auquel succède un repos temporaire: Après ce combat intense, presque quotidien, centré sur ma bosse alimentaire, on me livre à mes démons intérieurs, qui adorent le vide et détestent l'action, d'où leur prédilection pour la nuit et les insomnies, pour les temps morts, bien nommés.

Si Mine de rien est un hymne formidable à la vie et s'attache à mettre en lumière - même en situation précaire ou dans la souffrance, la rage, le découragement - le bon côté des choses, son auteur n'en délivre pas moins quelques messages qui mériteraient d'être entendus de toute personne proche en pareilles circonstances: L'entourage baigne dans une abominable confusion des sentiments: angoisse et sollicitude, empathie et exaspération, tendresse et brutalité. Et, réciproquement, du malade envers son entourage. Fais gaffe, ma fille, fais gaffe. Ailleurs, Annie François ajoute: Son rôle est bien ingrat; même démoralisé, même ratiboisé d'angoisse et de fatigue, voire moribond, le malade est actif; même attentif, même aux petits soins, l'entourage est passif. L'un est acteur, souvent peu doué pour son rôle; l'autre spectateur qui ne peut ni applaudir ni huer la pièce qui se joue sous ses yeux. Une approche mutuelle à petits pas, qui réduit peu à peu la distance entre la scène et la ville. Le spectacle demeure, mais les amis intimes comprennent mieux les sautes d'interprétation ou d'humeur de l'actrice.

Le pire n'est pas la fuite, qui trahit une sorte de peur de la contagion de la mort, l'anticipation d'une séparation programmée. Non, le pire, c'est la sollicitude forcée, dit-elle encore.

Annie François a tenu le coup pendant dix-huit ans, forte de sa curiosité, de ses passions, de son entourage. Elle s'est éteinte en juin 2009. Ses cendres, mêlées de terreau, ont été enfouies dans un bel endroit, entre les racines d'un arbuste piquant, conformément à ses volontés... 

Annie François, Mine de rien - Autobobographie 
suivi de:
François Chaslin, De guerre lasse
(Seuil, 2012)

17/03/2012

Victor Lanoux

témoignage; livresVictor Lanoux, Laisser flotter les rubans (Le Cherche Midi, 2009)

Qui ne connaît la série TV de Louis la Brocante, l’une des plus attachantes du petit écran ? En revanche, ils sont nombreux à ignorer le terrible accident dont Victor Lanoux fut victime en 2007. Ce livre en est le témoin, pour tous ceux qui ont traversé semblable épreuve, mais aussi pour ses proches et amis, fidèles dans ces moments difficiles. Sa perception est subtile, sa lucidité émouvante. Un accent de sincérité rayonne entre les lignes de ce récit jamais voisin de la soumission ou de la rancoeur. Sous nos yeux étonnés, voici une belle leçon de vie, de courage et d’amitié ! Merci Monsieur Lanoux ou merci Louis Roman ?

11:43 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

10/01/2012

Pascal Bruckner

9782246736318.gifPascal Bruckner, Le paradoxe amoureux (Grasset, 2009)

30 ans après le Nouveau désordre amoureux – écrit avec Alain Finkelkraut et paru aux éditions du Seuil – Pascal Bruckner revient aux interrogations sur l’amour à travers les multiples courants de pensée de l’histoire. L’un des points forts de sa réflexion porte sur ce début de XXIe siècle oscillant entre passion et liberté, axé sur la performance, en vie de couple comme en entreprise, avec au bout du compte un « licenciement » possible, sec, utile ou nécessaire à la survie. Mais n’ayez pas peur, car si le temps des troubadours est révolu, l’auteur nous montre qu’à toutes les époques, seules les modes – qui ne le laissent pas indifférent - conduisent au pire !

également disponible au format de poche (coll. Livre de poche/LGF, 2011)

00:24 Écrit par Claude Amstutz dans Documents et témoignages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sciences humaines; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

08/01/2012

Les grands violonistes 1a

Bloc-Notes, 8 janvier / Les Saules

musique classique; livres

Peut-être que, comme moi-même, vous ne connaissez la musique classique que par ce que les autres vous ont transmis, ou alors par apprentissage, en autodidacte, trop paresseux à l'égard des études pour ne pas traîner derrière vous des lacunes qui ressemblent à certains cratères du Vésuve. Si tel est le cas, que de surcroît le violon vous inspire, alors ce livre préludera pour vous tous des soirées enchanteresses qui rendront jaloux vos meilleurs amis et vous permettront de rattraper le temps perdu.

Chirurgien de métier et violoniste par passion, Jean-Michel Molkhou, critique musical dans plusieurs revues - dont la célèbre revue Diapason - et producteur de plusieurs émissions sur France Musique, nous fait respirer, sans arrogance ni érudition pesante, le parfum de ces grands violonistes dont le voyage qui nous est proposé commence avec Fritz Kreisler, né en 1875 - sous ses doigts, chaque note prenait une sensualité unique, faite de pure beauté et de joie de vivre - et s'achève, dans ce premier volume, avec Gidon Kremer, né en 1947 - l'indispensable rénovateur et le courageux aventurier - un anticonformiste, un découvreur, voué pour une part non négligeable au répertoire contemporain.

Entre ces deux extrêmes, vous trouverez bien sûr tous les grands noms du répertoire, parmi lesquels Arthur Grumiaux, Yehudi Menuhin, Isaac Stern, Nathan Milstein, Ivry Glytis ou Zino Francescatti, sans oublier... David Oistrakh et Itzhar Perlman, mes deux violonistes préférés! Jean-Michel Molkhou relate une jolie anecdote à propos de Jascha Heifetz, le vrai successeur de Fritz Kreisler. Devant sa maîtrise surhumaine, sa tenue hautaine et son visage impassible, George Bernard Shaw lui écrit ceci: Si vous provoquez la jalousie de Dieu, en jouant avec une telle perfection surhumaine, vous mourrez jeune. Je vous supplie humblement de faire au moins une fausse note chaque soir avant d'aller vous coucher, au lieu de dire vos prières. Aucun mortel n'est supposé jouer aussi parfaitement.

De nombreuses citations ou témoignages de ce genre abondent dans ce livre indispensable à votre bibliothèque musicale. Pour chaque violoniste défini en quelques mots - 82 portraits au total - nous est présenté un aperçu succinct et équilibré sur la vie et la carrière de l'artiste, les caractéristiques de son jeu, les instruments sur lesquels il a joué - une vraie relation de couple, nous dit l'auteur -, ainsi qu'un commentaire sur les illustrations sonores des oeuvres choisies pour le CD qui accompagne le livre: plus de huit heures d'enregistrement - 65 sélections au répertoire très varié - lisibles au format MP3, mais aussi sur PC et Mac! Enfin, l'ouvrage est enrichi d'une iconographie très soignée, reposant non seulement sur les photographies des interprètes, mais aussi sur les reproductions de pochettes originales de 78 tours et de microsillons des années 1940 à 1970.

Cet ouvrage respire vraiment la passion, avec un souci de faire connaître plutôt que juger, car il sait bien, Jean-Michel Molkhou, qu'au-delà de tous les poncifs sur le talent ou le génie, chacun porte en lui l'empreinte d'une oreille musicale unique au monde, de même que sa sensibilité propre, qui n'appartient qu'à lui. Tenez, par exemple: si je vous disais que j'éprouve souvent beaucoup de peine à entendre Yehudi Menuhin ou Isaac Stern, autant que je suis heureux de découvrir Jacques Thibaud ou de retrouver Henryk Szeryng et Josef Suk?

Les grands violonistes du XXe siècle: un véritable événement dans les publications musicales, ainsi qu'un outil indispensable à tous les mélomanes et cela - CD compris - pour 23 €... Qui dit mieux?

Jean-Michel Molkhou, Les grands violonistes du XXe siècle / vol. 1: de Kreisler à Kremer, 1875-1947 (Buchet-Chastel, 2011)

photo: Jean-Michel Molkhou – © Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com

12/12/2011

Notre Dimitri

Bloc-Notes, 12 décembre / Les Saules

Dimitri.jpg

Il n'est pas surprenant qu'après l'hommage rendu à Vladimir Dimitrijevic dans la revue Le Passe Muraille, en octobre dernier, les éditions de l'Age d'Homme à leur tour rassemblent quelques témoignages autour de cet homme hors du commun, éclairant tour à tour son parcours d'éditeur, ses convictions, ses amitiés. Si vous connaissez mal le personnage, lisez le Petit dictionnaire amoureux de l'Age d'Homme, par Jean-Pierre Baronian. Dans son texte, il évoque les grands noms de son parcours d'éditeur: Henri-Frédéric Amiel, Gilbert Keith Chesterton, Charles-Albert Cingria, Pierre Gripari, Octave Mirbeau, Georges Simenon ou Milos Tsernianski. Il faut y ajouter Vassili Grossman - dont parle Eugenio Corti - ou encore Andréï Biély, Grigori Zinoviev - que mentionne Claude Frochaux - sans oublier, bien sûr, Georges Haldas - que met en lumière Georges Nivat -, Branimir Scepanovic, Dejan Stankovic, Alexandre Tisma, et j'en oublie... !

Mais dans ce présent recueil, ce sont les moments d'émotions partagées avec Dimitri qui soulignent son incroyable diversité - bien au-delà des clivages politiques et religieux -, son ouverture à tout ce qui tressaille, interroge, bouge ou vit, tout simplement, dont le catalogue des éditions de l'Age d'Homme portent le prolongement en littérature. Robert Calasso, par exemple, parle de lui comme d'un passeur et d'un jardinier, séduit par ceux qui ont une certaine démesure de l'âme et débordent du cadre de la réalité, propos auxquels résonnent comme un écho les mots de Dobrica Cosic: Vlamidir Dimitrijevic est le Don Quichotte du livre dans la galaxie Gutenberg. Quant à Jean-Michel Olivier, il use d'une jolie image qui illustre bien ce saint contrebandier: Les gitans vivent dans les caravanes. Lui, qui avait un peu de sang rom, passait le plus clair de son temps dans sa camionnette. Il faisait la navette entre les imprimeries, les librairies, sa maison d'édition. Il était toujours en vadrouille. Il passait l'or en contrebande. 

Comme tous ceux qui ont côtoyé Dimitri et ont connu à ses côtés au moins un éclair de folie slave partagée, Jean-Louis Kuffer se souvient d'une soirée où Vladimir Dimitrijevic a récité par coeur les stances de L'ange exilé de Thomas Wolfe, qu'il avait édité: Une pierre, une feuille, une porte inconnue; d'une pierre, d'une feuille, d'une porte. Et tous les visages oubliés. Nus et solitaires, nous vinmes en exil. Dans l'obscurité de ses entrailles, nous n'avons pas connu le visage de notre mère; de la prison de sa chair, nous sommes entrés dans l'inexprimable, l'incommnicable prison de cette terre. Qui de nous a connu son frère? Qui de nous a lu dans le coeur de son père? Qui de nous n'est à jamais resté prisonnier? Qui de nous ne demeure à jamais étranger et seul? 

Tous les autres textes qui constituent cet hommage à Dimitri mériteraient d'être cités ici, mais plutôt que d'en parler davantage, courez vite vous procurer - dans une bonne librairie - ce recueil de textes qui brassent un air tonique et frais dans la grisaille ambiante, parfois même au royaume des lettres...  

Notre Dimitri - Vladimir Dimitrijevic 1934-2011, textes réunis par Lydwine Helly (L'Age d'Homme, 2011)

pour obtenir le numéro 87 de la revue du Passe Muraille consacré à Vladimir Dimitrijevic: http://www.revuelepassemuraille.ch/index12.html

03/12/2011

Elie Wiesel

Bloc-Notes, 3 décembre / Les Saules

littérature; récit; document; livres

Il arrive que les livres les plus courts soient les meilleurs. Cela me vient à l'esprit, comme ça, en refermant le récit de Elie Wiesel, Le coeur ouvert: retour sur une année maudite - 2011 - qui commence à la mi-janvier avec une double pneumonie, à laquelle quelques mois plus tard devant un implacable diagnostic - cinq artères bloquées - succède une opération à coeur ouvert: Les infirmières sont prêtes à pousser mon lit à roulettes vers la sortie. Je jette un dernier regard vers la femme avec laquelle je vis depuis plus de quarante-deux ans. Tant d'événements, de découvertes et de projets nous unissent. Tout ce que nous avons accompli dans la vie, nous l'avons fait ensemble. Et voilà une expérience supplémentaire. La dernière?

Au moment de rejoindre le bloc opératoire, Elie Wiesel laisse monter en lui les émotions, les visages, les souvenirs qui l'habitent - malgré l'effroi devant la mort possible - et donnent un sens à sa vie: Ce n'est pas ainsi que j'avais imaginé ma fin. Et puis je ne me sens aucunement prêt. Tant de choses encore à achever. Tant de projets à élaborer. Tant de défis à affronter. Tant de prières à composer. Tant de mots à trouver, de silences à faire chanter.

Elie Wiesel revisite sa mémoire et son présent dans les regards et les gestes les plus simples, porteurs d'espérance et sources de gratitude. De très belles pages consacrées à son épouse jalonnent son texte: Marion, l'unique, est arrivée. Les yeux fermés, je sens sa présence. Je la vois presque. Les qualités de cette femme extraordinaire, douée, motivée. Sa force de caractère. La sensibilité de son intelligence. Son génie? Elle ne cesse jamais de me surprendre. De même à propos de son fils Elisha: Je lui fais signe de s'approcher. Maintenant il se trouve tout près de mon lit, prend ma main dans la sienne et la caresse doucement. J'essaye de la serrer, mais n'y arrive pas. Je sais qu'il désire me transmettre sa force, sa foi en ma guérison. Enfin devant le docteur Patel: C'est fini. Tout s'est bien passé. Vous vivrez... Jamais je n'oublierai le sourire sur son visage.

Entre l'avant et l'après, il s'interroge aussi sur son passé de rescapé, de témoin, de passeur, face à l'ennemi noir qui le presse, face à Dieu: Qui suis-je? Que suis-je devenu? Je sais avoir échappé à la mort. Je sais aussi que ma vie ne sera plus la même. Plus loin, Elie Wiesel ajoute: La différence tient à ce que je sais combien chaque moment est un recommencement, chaque poignée de main une promesse et un signe de paix intérieure. Je sais que toute quête implique l'autre, de même que toute parole peut devenir prière. Si la vie n'est pas une célébration, à quoi bon s'en souvenir?

Malgré la gravité des faits qui ont entraîné l'écriture de ce livre, il en émane une douceur impalpable coulant même entre les pierres du désespoir - parfois avec légèreté ou un certain humour - et dont le fondement se trouve peut-être dans ces mots de l'Ecriture cités par Elie Wiesel: Ubakharta bakhaim - Tu choisiras la vie.

Méfiez-vous des petits livres - celui-ci se compose de 89 pages à peine! - et lisez vite Le coeur ouvert. Puis relisez-le une fois, et encore une autre, car il s'y nichent des trésors de sagesse et matières à réfléchir, à s'émerveiller et se consoler dans l'autre: Le corps n'est pas éternel, mais l'idée de l'âme l'est. Le cerveau sera enterré, mais la mémoire lui survivra...

Dans la catégorie La citation du jour - le 26 novembre 2011 - vous pouvez retrouver un autre extrait magnifique de ce récit de Elie Wiesel

Elie Wiesel, Coeur ouvert (Flammarion, 2011)

image: Marc Chagall, La paix (Sarrebourg, Moselle)

29/11/2011

In memoriam

Bloc-Notes, 29 novembre / Les Saules

Valérie Valère 2.jpg

Bien avant que n'abondent les récits de vie tels qu'on en découvre une dizaine par semaine de nos jours - plus ou moins inspirés - les années 70 auront été marquées par un témoignage d'une force et d'une rage inoubliables: Le pavillon des enfants fous, écrit par une gamine de quinze ans, Valérie Valère.

Elle y relate son internement pour anorexie, à l'âge de treize, dans un grand hôpital parisien. Une vision implacable du monde psychiatrique qui résonne à nos oreilles en écho aux textes fondateurs de l'antipsychiatrie de Ronald Laing - Le moi divisé et Soi et les autres - ou encore au film de Ken Loach, Family Life: En vérité, tout le monde a perdu, je suis là, triste et morose, méfiante et lâche. Je fais semblant de vivre et je me cache pour pleurer. Ils me reprendraient pour dépression nerveuse, ça les amuserait de me revoir. Ils m'ont gardée dans leurs griffes, j'ai conservé l'angoisse d'un emprisonnement, la colère refoulée d'une injustice, la rage de l'impuissance. (...) Je m'acharne à écrire et je retrouve la solitude. Cette volonté de continuer malgré la fatigue, malgré mes doutes et leur menace rejoint l'autre prison. Je suis restée là-bas, dans la chambre vingt-sept, avec mes refus, avec ce mal de vivre. Et je crois bien que je n'arriverai jamais à en sortir.

Elle s'en sortira pourtant, Valérie Valère, à sa manière, jetant un regard lucide et désespéré sur ses deux années d'internement et son avenir possible, à la fin du livre: Et moi, dans votre monde? Je fuis dans la tendresse des salles de cinéma, je rêve devant l'écran magique pendant les quatre séances de l'après-midi. Et dans le métro, l'éclat métallique des rails m'attire, me renverse comme quelque chose venu d'ailleurs, du plus profond de moi-même. Moi-même c'est tout ce qu'il me reste, tout ce que vous m'avez laissé. (...) J'essaie de retrouver un monde, je regarde tous les chemins avant de choisir le mauvais, mais rien n'est indiqué et personne ne veut me tendre la main, ou plutôt, je ne veux en prendre aucune. Une angoisse me serre le coeur. Ici, la solitude est moins belle car elle est fausse tout en ayant l'apparence d'être véritable. Plus douloureuse. Vivre, qu'est-ce que cela veut dire? Je ne sais pas. Je veux dire, je ne sais pas si cette fois-ci j'ai trouvé la vraie route. Je n'arrive pas à oublier et je me réveillerai encore souvent, en criant, pour avoir entendu le petit bruit de la clé tournée dans la serrure.

L'écriture lui aura été d'un grand secours, mais pas suffisamment pour la guérir de son mal-être ou lui apporter le réconfort. Quelques années après la parution de son premier livre, Le pavillon des enfants fous, Valérie Valère s'éteint un certain 17 décembre 1982 dans son sommeil, victime d'une crise cardiaque après une overdose médicamenteuse: une délivrance pour cette écorchée vive de 21 ans à peine, qui, malgré le succès, n'aura jamais connu le bonheur...

Reste l'oeuvre: Outre Le Pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 1983) réédité en 2001, les autres textes de Valérie Valère sont malheureusement tous épuisés. Je vous les mentionne néanmoins ci-dessous, car chez les bouquinistes ou avec un peu de chance dans les bibliothèques, vous pouvez sans doute les dénicher, pour la plupart: Malika ou un jour comme tous les autres (coll. Livre de poche/LGF, 1983), Obsession blanche (coll. Livre de poche, 1992), Laisse pleurer la pluie sur tes yeux (coll. Pocket, 1988), La Station des Désespérés ou Les Couleurs de la Mort (Bartillat, 1992). Il faut y ajouter un livre qui lui fut consacré, écrit par Isabelle Clerc et Françoise Xénakis: Valérie Valère - Un seul regard m'aurait suffi (Perrin, 2001) indisponible lui aussi.  

Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous (coll. Livre de poche/LGF, 2001)