05/01/2012
Pascal Quignard
Bloc-Notes, 5 janvier / Les Saules
Claire Methuen, la cinquantaine, traductrice à Versailles, rejoint la Bretagne - Dinard, plus précisément - pour assister à un mariage. Elle y retrouve le pays de son enfance et tout ce monde intérieur, secret, vivace qui a fait d'elle ce qu'elle est: Madame Ladon sa professeur de piano, Fabienne sa meilleure amie et surtout Simon, son seul véritable amour, aujourd'hui marié à Gwenaëlle et père d'un petit garçon.
Mais qui donc est Claire, cette amie des Houles qui ressemble à un chemin perdu au-dessus de la mer - nous suggère Pascal Quignard - et pourquoi va-t-elle tout laisser derrière elle et s'installer à la ferme de la Tremblaie? Une autre fuite ou, au contraire, un aboutissement? Au fil de la mémoire de Paul son frère bien-aimé, de Simon bien sûr, de sa fille Juliette abandonnée vingt ans plus tôt, de Madame Ladon qui la considère comme sa propre enfant, de Jean le prêtre ami et amant de Paul, ce roman polyphonique explore et révèle peu à peu la personnalité fascinante, solitaire et craintive de cette femme sans laquelle ces solidarités mystérieuses seraient dépourvues de sens, réduites au seul pouvoir visible des choses qui ne suffit à personne.
On pourrait parler d'osmose dans ce magnifique roman dont les paysages, la nature même, de Saint-Enogat au village de La Clarté, de Saint-Lunaire aux Pierres couchées et la Ville-Géhan semblent absorber dans les tourments, mais aussi dans une infinie douceur, ces destins croisés qui dans l'air parfois aussi rare que les mots, s'ouvrent à une réalité silencieuse qu'eux-mêmes, peut-être, n'auraient envisagée. Un jour, nous dit son frère, elle m'expliqua que le paysage, au bout d'un certain temps, soudain s'ouvrait, venait vers elle et c'est le lieu lui-même qui l'insérait en lui, la contenait d'un coup, venait la protéger, faisait tomber la solitude, venait la soigner.
Tout, avec elle, était adressé à la silhouette lointaine de Simon... C'était un mouvement très sourd mais très intense autour de son corps, qui affleurait sans cesse, frémissait sans cesse autour d'elle, comme une vague circulaire, comme une oppression. Je ressentais ce cercle magique, raconte encore Paul, quand je marchais auprès d'elle des heures durant, je la sentais mais je n'y accédais pas. Et Simon, qui semble n'avoir pas mieux compris le film où il avait obtenu pourtant le premier rôle, par sa mort lève un coin du voile - sans éclaircir pour autant le mystère - qui recouvre le visage de cette femme encore jeune et belle: Elle ne se protégeait plus de rien. Elle descendait vers la mer, qu'on peut presque dire éternelle quand on la contemple beaucoup et pour peu qu'on compare son origine à l'âge des hommes ou à l'invention des cités ou des maisons. Claire était devenue Simon, et était devenue le lieu. Tout était désormais dépourvu de toute crainte. Tout était sublime. Elle était partout chez elle; elle était comme le commencement dans l'origine.
Il règne, dans Les solidarités mystérieuses, une atmosphère ou un climat qui n'est pas sans rappeler Le monde désert d'un Pierre-Jean Jouve, où la vie réelle, attendrissante et forte à ses heures, se mêle à l'absence, à l'indéchiffrable, à l'infini. C'est son corps qui manque à nos heures. Son corps manque déjà au lieu, aux roches. Elle manque à l'escalier de La Clarté qu'elle était bien la seule à emprunter et qu'elle a gravi jusqu'à la fin sans effort. Elle manque aux recoins et aux petites caches d'où elle surveillait les nids, les terriers, les canots, les chaloupes sur la mer. Mon dernier souvenir d'elle? dit encore le Père Calève, un autre personnage du roman: Un troupeau de goélands s'amassent sur la digue pour crier de plus en plus fort autour d'une écharpe, abandonnée, un peu souillée, qui traîne, sur le sol, près du buisson...
Dans un mouvement répétitif et pourtant jamais tout à fait le même, ressemblant aux vocalises des oiseaux sur la lande, se tissent des liens invisibles entre la mort, l'amour et la vie que nourrissent les souvenirs de chacun, exposant sa part de lumière ou d'ombre, mais qui ne se matérialise et ne revêt ses couleurs singulières que confrontée, enrichie, prolongée par la mémoire de tous les autres. Et si c'était cela, la vérité?
La vie est le souvenir le plus touchant du temps qui a produit ce monde.
Avec Pascal Quignard - et je m'en réjouis - l'année nouvelle ne pouvait pas mieux commencer!
Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses (Gallimard, 2011)
Pierre-Jean Jouve, Le monde désert (Mercure de France, 1960)
01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
04/01/2012
Le poème de la semaine
Robert Desnos
Il était une feuille avec ses lignes Ligne de vie Ligne de chance Ligne de coeur Il était une branche au bout de la feuille Ligne fourchue signe de vie Signe de chance Signe de coeur Il était un arbre au bout de la branche Un arbre digne de vie Digne de chance Digne de coeur Coeur gravé, percé, transpercé, Un arbre que nul jamais ne vit.Il était des racines au bout de l'arbre Racines vignes de vie Vignes de chance Vignes de coeur Au bout des racines il était la terre La terre tout court La terre toute ronde La terre toute seule au travers du cielLa terre. Quelques traces de craie dans le ciel,Anthologie poétique francophone du XXe siècle
00:18 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature; poésie | | Imprimer | Facebook |
03/01/2012
Morceaux choisis - Pascal Quignard
Pascal Quignard
Il me semble que la mort de Simon ne les a même pas séparés. C'est peut-être même le contraire. Sa mort ne les a pas réunis non plus, mais il est là. Il est constamment là. Il est là avec elle tout le temps. Et réciproquement: elle est avec lui tout le temps. Elle s'occupe de lui. Il est devenu la baie.
Chaque jour elle allait s'asseoir dans son ombre, dans l'ombre de la baie, chaque jour elle allait se caler dans son coin de roche, se dissimuler juste en face du nid du grand goéland de la falaise.
Mon dernier souvenir d'elle? Il y avait un peu d'herbe coupée ras le long du mur de la ferme. Ce mur-là, de l'autre côté des bambous envahissants, était toujours à l'ombre. Ce côté-là de la ferme sentait bon. Il était surmonté d'une grosse glycine plantée par oncle Paul qui amplifiait cette ombre dès la fin du mois de mai. Tout sentait bon. C'était une chaude journée de juin. Nous nous sommes assises toutes les deux sous les grappes de la glycine. Au loin les passereaux secouaient leurs plumes avant de venir boire dans une tasse d'eau qu'oncle Paul avait laissée par terre. Tout était tranquille. Nous étions toutes les deux. Il n'y avait personne d'autre. Il n'y avait pas Paul. Il n'y avait pas Jean. Il n'y avait pas Simon. Maman m'a pris la main et n'a pas dit un mot. Sa respiration était légère. Elle respirait un peu bruyamment. Elle s'était mise à sentir, en vieillissant, une odeur douce de sueur, de foin, de sel, d'iode, de mer, de granit, de lichen.
Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses (Gallimard, 2011)
09:18 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
02/01/2012
La musique sur FB - 426 F.Liszt
Franz Liszt
Harmonies poétiques et religieuses, S 173
II. Ave Maria
Andrea Bonatta
23:55 Écrit par Claude Amstutz dans Franz Liszt, La musique sur Facebook, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique; facebook | | Imprimer | Facebook |
La musique sur FB - 1738 L.Cherubini
Luigi Cherubini
Sonata for Horn and String Orchestra No 2 in F major
Vladislav Grigorov
Sinfonia Festival Orchestra
Emil Chakarov
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La musique sur FB - 1743 F.Kreisler
Fritz Kreisler
Liebesleid
Itzhak Perlman
pour Jeanine GR
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La musique sur FB - 1737 G.P.Telemann
Georg Philip Telemann
Partia, for violin and continuo in G major, TWV 41:G2
Trio for oboe, harpsichord and continuo in E major, TWV42:Es3
Sonata for oboe and continuo in A minor, TWV 41:a3
"Zischet nur, stechet, ihr feurigen Zungen!" - Sacred cantata for voice, oboe and continuo, TWV 1:1732
Solo, for oboe and continuo in B major, TWV 41:B6
"Dies ist der Gotteskinder Last" - Sacred cantata for voice, oboe and continuo, TWV 1:356
Paul Goodwin, John Toll
Susan Sheppard, Nigel North
Lynden Cranham
23:35 Écrit par Claude Amstutz dans La musique sur Facebook, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique; facebook | | Imprimer | Facebook |
La musique sur FB - 1734 G.Verdi
Giuseppe Verdi
Nabucco
"Va pensiero sull' ali dorate!"
(Chorus of Hebrew Slaves)
Angela Gheorghiu, Roberto Alagna
Orchestra and Chorus Staatskapelle Dresden
Giuseppe Sinopoli
23:35 Écrit par Claude Amstutz dans Giuseppe Verdi, La musique sur Facebook, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : musique classique; facebook | | Imprimer | Facebook |
La musique sur FB - 1735 W.A.Mozart
Wolfgang Amadeus Mozart
Zaide, K 344
"Ruhe Sanft"
Nathalie Dessay
Orchestra of the Age of Enlightenment
Louis Langrée
23:25 Écrit par Claude Amstutz dans La musique sur Facebook, Musique classique, Wolfgang Amadeus Mozart | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : musique classique; facebook | | Imprimer | Facebook |
La musique sur FB - 1710 J.B.Pla/J.Pla
Joan Baptista Pla / Josep Pla
Concerto for Oboe, Strings and Basso Continuo in B major, IV 3
Zefiro Orchestra
Alfredo Bernardini
merci à Jean-Christophe P
23:20 Écrit par Claude Amstutz dans La musique sur Facebook, Musique classique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique classique; facebook | | Imprimer | Facebook |