08/04/2011
Malika Mokeddem 1a
Bloc-Notes, 8 avril / Les Saules
Ce roman est le journal de bord que tient Shamsa. Lou, son compagnon, directeur au C.N.R.S., quitte un jour l'île grecque de Céphalonie à bord du Vent des sables. Au large du golfe de Squillace, tout au sud de la botte italienne, on retrouve son bateau à la dérive. Personne à bord. Lou a disparu. Noyé? Assassiné? Enlevé?
Avec l'aide de Régis - le père de son ami - du carabiniere Lorenzo et de quelques proches, Shamsa entreprend des recherches, déterminée à comprendre ce qui a bien pu entraîner sa disparition, avec le ferme espoir de le retrouver vivant, celui dont elle dit: Je me trouvais avec la hantise de te perdre, toi, et sa double signification: la réalité de l'amour qui avait enfin pris corps avec cette intensité-là et la menace qu'il me fut arraché. Avant toi je n'avais rien à perdre.
Comme toujours avec Malika Mokeddem, cette enquête sur les traces de Lou la confronte à son propre passé: Je suis née d'une tombe de sable. La mer est mon désert. Une fillette abandonnée à sa naissance dans une Algérie violente, recueillie par des soeurs blanches et élevée dans leur orphelinat, puis ses souvenirs traumatisants de journaliste d'investigation: Ces visages de femmes meurtries par des disparitions et errant comme des damnées entre bureaucrates et journalistes. Des visages sans corps. Tous confondus en une masse de calamités et d'obsessions. Et la procession lugubre des foulards juste derrière. (...) La terreur a fini par me faire fuir l'Algérie comme tant d'autres.
La personnalité de Shamsa - que Régis appelle la fille du désert - est extrêmement attachante, forte et fragile à la fois, méfiante envers l'indulgence et la bonté - formes édulcorées de l'arrogance - se reconnaissant au passage en Nina Simone dont le parcours lui ressemble: Elle est comme le ressac des vagues sur toutes sortes de rivages: de roc, de sable ou de boue, dans des vents hurlants ou d'éphémères brises: Again and again, and again. Oh, who am I?
De très belles pages sont vouées à la beauté tragique de la Méditerranée dans ce récit où les saveurs, les éblouissements, les couleurs se mêlent au vécu de ses protagonistes, un continent liquide, aux frontières solides et aux habitants mobiles. (...) Elle est comme toutes les mères. Elle porte ceux qui ont ses faveurs dans la joie et la sérénité et noie, de mille manières, les indésirables.
Par elle s'opère le lien avec Lou - toute entière, elle s'engouffre dans mes yeux au timbre de ta voix - son port d'attache, la lumière de sa vie, enfin. Un roman que l'amour régénère et transfigure à chaque mouvement de plume, ce qui n'interdit pas à Malika Mokeddem quelques coups de griffe sur l'immigration, le machisme ou la différence. La preuve qu'on peut toucher du front les étoiles sans pour autant être frappé de cécité.
Et c'est peut-être cela, la plus belle des libertés...
Malika Mokeddem, La désirante (Grasset, 2011)
photographie: sur El Watan.com
04:16 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Malika Mokeddem | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : litérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
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