02/11/2010
Jocelyne François
Bloc-Notes, 2 novembre / Les Saules
Il arrive que nous oubliions certains êtres parmi ceux qui nous ont été proches. Personne ne sait d'où vient l'oubli. Je n'ai pas oublié René Char. N'avais-je pas écrit à la fin de mon roman "Les Amantes ou tombeau de C": "et que je meure si je l'oublie"? Je suis vivante. Il me reste peu de temps, sept ans seulement, pour atteindre l'âge qu'il avait à sa mort. Ce n'est pas considérable et je vois plus clairement ce que signifient les dernières années d'une vie.
Ainsi commence ce court récit, consacré à sa rencontre avec René Char, par le lien de la poésie - cette fragile, forte et inexplicable passerelle. De ces années passées à Saumane-de-Vaucluse avec son amie Marie-Claire Pichaud et sa fille Dominique, non loin de L’Isle-sur-la-Sorgue - où résidait le poète - Jocelyne François parle avec beaucoup de pudeur, de délicatesse et de clairvoyance de son amitié avec René Char, qui fut immédiate. En lui, elle loua la simplicité, la justesse, la générosité, le naturel; de même l'expression de son visage, son regard, ses mains, sa voix.
Sa pièce de travail, assez petite, abritait une grande table presque entièrement couverte de papiers, de livres, de documents, de courrier reçu ou en partance, mais toujours avec une place vide pour une ou quelques fleurs. Sa bibliothèque tenait dans un meuble modeste où tout était visible, mais par une discrétion qui m'est naturelle envers toutes les bibliothèques, je ne m'en approchais jamais. (...) Le plus souvent nous parlions l'un en face de l'autre, lui derrière sa table et moi assise en biais devant la cheminée, mais parfois il se levait et venait s'asseoir auprès de moi. Lorsqu'il allait chercher un livre pour m'en lire un passage, il se tenait debout contre un angle de la table.
Leurs échanges, qui durèrent huit ans, ressemblaient à un très bon vin que l'on ne se dépêche pas de boire et sur lesquels l'âge ne pèse pas. Puis un jour, peu après le décès de sa soeur préférée, Julia, René Char tenta de transgresser leur belle amitié, et ce fut la fin. Je ne reviendrai plus...
Demeure, au fil du temps, ce chant de reconnaissance qui ne guérit pas les intimes blessures mais s'élance pourtant vers le ciel, pour cette confiance réciproque qui lui permit de grandir et tout dire, pour la préexistence que permet l'écriture, pour le mouvement assuré de leur rencontre, ce signe étrange venu de très loin et qui conduit à la clarté.
Deux passages bouleversants illuminent ces pages d'une sensibilité et d'une douceur à fleur de peau: J'écris à l'orbe de la mort, où Jocelyne François parle du décès de sa fille Dominique, ainsi que Trente ans déjà, poème dédié à René Char, à titre posthume.
Jocelyne François a publié plusieurs romans, parmi lesquels Les bonheurs(1970), Les amantes ou tombeau de C (1978 et 1998), Joue-nous Espana (1980 - prix Femina), tous parus aux éditions du Mercure de France et en coll. Folio/Gallimard. Avec Signes d'air (1982), elle se consacre à la poésie : un magnifique recueil qui n'est pas sans rappeler l'univers de René Char - recommandé! - auprès du même éditeur. Enfin, son Journal, constitué à ce jour de trois volumes - Le cahier vert, Une vie d'écrivain et Le solstice d'hiver - couvrant la période 1961 à 2007 mériterait certainement mieux que le timide accueil qui lui fut réservé.
Jocelyne François, René Char - Vie et mort d'une amitié (La Différence, 2010)
03:47 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Jocelyne François, Littérature francophone, René Char | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature; essai; livres | | Imprimer | Facebook |
Commentaires
Je fais là une découverte. Jocelyne François ... Je vais explorer. Merci
Écrit par : DELORD Monique | 02/11/2010
Merci, Monique!
Sans doute une des plus émouvantes histoires d'amitié amoureuse (côté J.F. et moins côté R.C.!) qui ne cherche pas à révéler autre chose que ce qu'elle fut: une trace indélébile...
Avec toutes mes amitiés,
Claude
Écrit par : Claude | 02/11/2010
Je le veux! Depuis quelques temps , René Char est ma rencontre lumineuse ..Je suis curieuse de tout ce qui le concerne... alors,oui, Monsieur Claude, cet article a fait l'effet recherché.. J'ai trés envie de lire cette rencontre qui "ressemble à un trés bon vin que l'on ne se dépêche pas de boire" (comme boire vite une trés bon vin? Sacrilège!), et de voir "ce signe étrange venu de trés loin et qui conduit à la clarté"..
Merci!
Écrit par : kass | 04/11/2010
Bonjour Jocelyne,
Je suis ta cousine Marie José Bagard; fille de Suzanne Chaumont, qui est la soeur de ta maman Simone. C'est grâce à un de mes petit fils et son ordinateur que j'ai pu te retrouver. Je me permets de te contacter pour te faire un gros bisous. J'habite près de chez Roger et Raymonde, je pense souvent à toi.
En souvenir du bon vieux temps, on ouvrira les cages au lapins et on donnera seulement la moitié de la nourriture aux lapins ! Bien affectueusement, Marie José
Écrit par : BAGARD Marie José | 09/10/2011
Merci Mme.François,
J'ai lu et relu Joue-nous 'Espana" et j'avais oublié que je l'avais lu. Quand je le lis, je me lis.
Je jauge mes guérisons et j'embrasse ma liberté.
Le jour où je me suis choisie, je choisissais l'amour sous sa forme la plus pure.
Sans me douter de toutes les répercussions à venir, j'ai vite saisi que l'amour est exponentielle, elle se répand , se déverse, abreuve, elle est eau de Vie.
Elle transmute.
À toujours,
Miche
Écrit par : Micheline Davidson | 28/03/2012
je trouve les textes de jocelyne François d'une telle beauté que je ne cesse de penser à cette écrivaine originaire de lorraine et à cette "école" de Mattaincourt où elle a dù forger la base de son immense culture.
son amitié avec Marie-Claire Pichaud puis avec René Char semble transcender sa vie admirable de simplicité et de travail.
Écrit par : christiane chefson | 12/02/2014
Les commentaires sont fermés.