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24/03/2010

Le poème de la semaine

Antonin Artaud


Toute l'écriture est de la cochonnerie.


Les gens qui sortent du vague

pour essayer de préciser quoique ce soit

de ce qui se passe dans leur pensée,

sont des cochons.


Toute la gent littéraire est cochonne,

et spécialement celle de ce temps-ci.


Tous ceux qui ont des points de repère dans l'esprit,

je veux dire d'un certain côté de la tête,

sur des emplacements bien localisés de leur cerveau,

tous ceux qui sont maîtres de leur langue,

tous ceux pour qui les mots ont un sens,

tous ceux pour qui il existe des altitudes dans l'âme,

et des courants dans la pensée,

ceux qui sont esprit de l'époque,

et qui ont nommé ces courants de pensée,

je pense à leurs besognes précises,

et à ce grincement d'automate que rend à tous vents leur esprit,

- sont des cochons.


Ceux pour qui certains mots ont un sens,

et certaines manières d'être,

ceux qui font si bien des façons,

ceux pour qui les sentiments ont des classes

et qui discutent sur un degré quelconque

de leurs hilarantes classifications,

ceux qui croient encore à des "termes",

ceux qui remuent des idéologies

ayant pris rang dans l'époque,

ceux dont les femmes parlent si bien

et ces femmes aussi qui parlent si bien

et qui parlent des courants de l'époque,

ceux qui croient encore à une orientation de l'esprit,

ceux qui suivent des voies,

qui agitent des noms,

qui font crier les pages des livres,

- ceux-là sont les pires cochons.


Vous êtes bien gratuit, jeune homme!


Non, je pense à des critiques barbus.

Et je vous l'ai dit:

pas d'oeuvres, pas de langue,

pas de parole, pas d'esprit,

rien.


Rien,

sinon un beau Pèse-Nerfs ...


Quelques traces de craie dans le ciel,

Anthologie poétique francophone du XXe siècle

00:18 Écrit par Claude Amstutz dans Quelques traces de craie dans le ciel - Anth | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; poésie | |  Imprimer |  Facebook | | |

Commentaires

ça fait grincer les dents ! je ne connaissais pas ce texte sidérant. Merci !

Écrit par : Marianne | 24/03/2010

Les commentaires sont fermés.