12/07/2013
Bel Paese 1a
Bloc-Notes, 12 juillet / Curio - Cologny
Si vous ne voulez pas égratiner vos plus beaux souvenirs de l'Italie - du Pont des soupirs à Venise à la Via Veneto de Rome, bercé par le chant populaire O Sole Mio ou la musique du film Le Parrain signée Nino Rota - peut-être que ce livre, Bel Paese, qui présente treize auteurs italiens actuels, n'est pas pour vous, car cette anthologie se veut être l'expression d'une génération contestataire, comme le souligne très bien Serge Quadruppani dans son introduction: Tous nous permettent de vérifier qu'en temps de catastrophe, sous des régimes où la culture officielle est entièrement soumise aux forces de l'argent ou prise dans le carcan d'une idéologie, la création en général et la littérature en particulier peuvent incarner une des formes d'opposition réelle et porteuse d'avenir. Des livres peuvent aujourd'hui encore contribuer à résister aux agressions de la vieille société et peut-être contribuer à la changer. Cette Italie-là est bien l'avenir qu'on peut souhaiter au monde.
Tour à tour drôle ou tragique, empruntant la voie de la nouvelle, du conte ou du document, l'ensemble de ces textes est à même de délivrer un message aux italiens, mais aussi aux touristes et aux fervents de littérature. Reflet de la déstabilisation de l'individu dans un ordre du monde qui change, Des gens perdus de Gioacchino Criaco exprime au mieux ce malaise de la société, par la voix de Ciccio Tucci, rattaché au ROS, le service des opérations spéciales: Jusqu'à il y a quelques années, je t'aurais dit que nous avions fait le bon choix. Que nous avons été du bon côté de la barricade. Aujourd'hui, je regarde autour de nous et je ne distingue plus le bien du mal. Malgré nos sacrifices, d'ici peu, nous serons considérés comme de sales canailles. Le monde a pris un tour bizarre ces derniers temps. On nous a donné cet Etat et nous, nous l'avons conservé, s'ils en avaient construit un meilleur, nous l'aurions fait plus volontiers, en nous évitant peut-être le dégoût.
Francesco De Filippo, pour sa part - auteur d'un roman âpre et dur, L'offense - sur fond de misère sociale, d'exploitation des immigrés et de mafias, nous raconte avec Ordures, le scandale des déchets à Pianura, un quartier de Naples. Le monologue grinçant de Totore, un marin qui répond à un journaliste de la RAI, se joue délibérément des clichés attribués aux italiens pour mieux asséner ses quatre vérités, contre ceux qui ont débarqué, ne se contentaient pas de prendre les maisons, les commerces et la terre, mais voulaient tout. Parce que les ordures, c'est une richesse! Cette nouvelle particulièrement réussie, ressemble à un documentaire décrivant méticuleusement les mécanismes du pouvoir, et donne la parole aux victimes anonymes, broyées dans un système offrant peu de perspectives d'espoir: On s'en est même pas aperçus, et on est devenus africains, on a glissé vers le Sud, alors qu'on pensait être immobiles. Y'a rien d'autre à gagner de cette vie: nous sommes Gaza et nous sommes Kochogoro. On meurt comme les thons, enfermés dans la dernière cage, l'air nous manque. Aidez-nous, aidez les gens de bien, passqu'ici, on vit plus...
Cette anthologie fait aussi la part belle à la légèreté, avec un conte de Michele Serio, Noël Trans, où la créature d'un artisan, Geppino Capece, construite avec un tas de terreau trouvé juste à côté de l'entrée de la chapelle de San Severo - et qu'il affuble du nom de Gros Nez - prend vie. Très beau, à la fois homme et femme, il interpelle sans distinction les passants, hommes, femmes, vieux, gamins: Tu veux faire l'amour avec moi? Et voilà qu'il devient rapidement l'amour de tous... Sauf que soudain, de nombreux habitants de cette ville des Pouilles déambulent voilés, en raison d'une brusque proéminence nasale! Une sympathique allégorie sur la beauté, la différence, l'hypocrisie et la vérité.
Enfin, dans ce recueil, vous trouverez quelques textes purement documentaires, tels celui de Giancarlo De Cataldo, L'anti-Italien, consacré à Giuseppe Mazzini, révolutionnaire et patriote, fervent républicain et combattant pour la réalisation de l'unité italienne. Quant à Andrea Camilleri, avec Qu'est-ce qu'un italien?, il s'interroge sur le fascisme et dresse un portrait peu flatteur de l'italien, ayant davantage le sens de l'historiette que celui de l'histoire, plus ignorant aujourd'hui que par le passé, soucieux de choisir soigneusement - en politique, par exemple - sur quel char triomphal sauter à la dernière minute en fonction de de ce qui lui revient en poche. Un peu excessif, tout de même... En revanche, il insiste à juste titre sur un aspect essentiel de la conscience italienne: La méfiance envers la Justice est totale, fondée sur la conviction répandue qu'elle est un instrument des riches.
Le dernier mot revient à Momodou, le héros malheureux de Wu Ming, victime d'une bavure policière: Il se plaignait: le froid, la brume, les journées toutes pareilles. Et la solitude, surtout ça. J'ai pas beaucoup d'occasions de parler avec quelqu'un, disait-il. Le soir, je suis épuisé. Une fois, je suis rentré tard, et j'ai dû rentrer à pied, je suis arrivé en pleine nuit et, à six heures, j'étais déjà à l'usine. Demander qu'on m'emmène, inutile d'essayer: si t'es noir, la seule voiture qui s'arrête, elle a un gyrophare sur le toit. Quelquefois, je vais dans les pubs au village, je bois une orangeade ou un jus de fruits assis au comptoir, mais personne ne m'adresse la parole...
Un pays somme toute semblable au nôtre, et pourtant unique au monde!
Bel Paese - Introduction, sélection et traduction de Serge Quadruppani (Métailié, 2013)
images: Gioacchino Criaco, Giancarlo De Cataldo, Francesco De Filippo, Michele Serio, Andrea Camilleri
00:03 Écrit par Claude Amstutz dans Andrea Camilleri, Bloc-Notes, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; nouvelles; livres | | Imprimer | Facebook |
04/07/2013
Andrea Camilleri
Andrea Camilleri, Un été ardent (Fleuve Noir, 2009)
D'abord il y a une invasion de cafards, puis de souris, et enfin de rats : la villa que le commissaire Montalbano a trouvée à Vigàta pour les amis de sa fiancée Livia semble vraiment maudite. La série de catastrophes atteint son paroxysme lorsque le petit garçon du couple disparaît, pour être finalement retrouvé sain et sauf dans un sous-sol dont même les locataires ignoraient l'existence. Mais une autre découverte y attend le commissaire: le cadavre d'une jeune fille du village disparue plusieurs années auparavant. Dans la chaleur étouffante du mois d'août en Sicile, Montalbano se lance dans une nouvelle enquête dont la progression est perturbée par la soeur jumelle de la défunte, la ravissante Adriana...
Le plus beau compliment que l’on peut adresser à Camilleri, c’est qu’on ne se lasse pas de découvrir les multiples facettes de la personnalité complexe de son flic – le plus célèbre de la péninsule – Montalbano, et que l’originalité de ses enquêtes demeure au rendez-vous, après tant d’années ! De plus, les personnages qui l’entourent contribuent à notre plaisir : Ses coéquipiers Fazio et Catarella, sans oublier sa compagne Livia dont les scènes de ménage sont légendaires … Enfin, il y a la Sicile, le soleil, une chaleur étouffante qui exacerbe les passions, comme cet épisode ne manquera pas de vous en convaincre !
Egalement disponible en coll. Pocket (Pocket, 2010)
06:36 Écrit par Claude Amstutz dans Andrea Camilleri, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | | Imprimer | Facebook |
01/03/2012
Andrea Camilleri 1b
Bloc-Notes, 1er mars / Les Saules
Voici donc un extrait de l'épisode Le champ du potier, d'après Andrea Camilleri, réalisé par la RAI avec Luca Zingaretti.
Andrea Camilleri, Le champ du potier (Fleuve Noir, 2012)
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Andrea Camilleri 1a
Bloc-Notes, 1er mars / Les Saules
Salvo Montalbano est de retour, en pleine forme, malgré un commissariat à l'ambiance plutôt tendue, avec un Mimi Augello méconnaissable, irascible, amer: allez savoir pourquoi... Pour corser le tout, sur la terre d'une carrière non loin de Vigàta, un corps est retrouvé dans un sac, en trente morceaux. Mais voilà que le sac disparaît, puis réapparaît. Qu'est-ce que cela signifie?
Même si, à chacune de ses rencontres avec la sulfureuse Dolorès - la veuve du mort - notre sympathique commissaire se croit assis sur une chaudière susceptible de mettre à mal son approche rationnelle de l'enquête, il ne cédera pas au chant des sirènes... Une fois n'est pas coutume! Il se désintéresse pourtant de cette affaire - en apparence - qu'il confie officiellement à Mimi Augello, déléguant ses recherches à Fazio, tout à fait dérouté par l'attitude froide ou indifférente de Montalbano: un jeu auquel il doit se prêter sans comprendre ce qui lui arrive.
Dans ce nouvel épisode - et c'est rare - notre ami Salvo, avec l'aide de sa séduisante amie Ingrid, tire les ficelles depuis le début de l'histoire. A la fin de cette partie d'échecs à la sicilienne, il règlera en un seul coup les deux mystères qui le hantent, que ses souvenirs de catéchisme vont éclairer: le mort découvert sur la terre argileuse, et l'inexplicable attitude de son précieux collaborateur, Mimi. Tout cela, avec une générosité de coeur invisible à ses proches. De plus, dans cette enquête, l'humour n'est jamais tout à fait absent, avec le concours de l'inénarrable Catarella. Autre réussite, tous les personnages récurrents de la série des Montalbano y jouent un rôle important, et comme ils sont terriblement attachants, pourquoi bouder notre plaisir?
Une dernière remarque: si vous maîtrisez la langue italienne et le dialecte sicilien, ne manquez pas de vous procurer la collection DVD des aventures de Montalbano, réalisées pour la RAI, dont 22 épisodes sont disponibles. Fidèles aux romans de Andrea Camilleri, ils ont été partiellement diffusés sur les chaînes TV françaises. Luca Zingaretti est très convaincant dans le rôle de Montalbano, de même que Cesare Bocci dans celui de Mimì Augello, Peppino Mazzotta dans le rôle de Fazio, sans oublier Angelo Russo qui interprète le rôle de Catarella. Isabell Sollman, enfin, est une Ingrid pleine de charme. Seule réserve: Katharina Böhm, pas vraiment crédible en Livia, la fiancée éternelle de Salvo...
En annexe, vous pouvez visionner un extrait de cet épisode, Le champ du potier, déjà diffusé à la télévision italienne!
Andrea Camilleri, Le champ du potier (Fleuve Noir, 2012)
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06/09/2011
Loriano Macchiavelli
Loriano Macchiavelli, Bologne ville à vendre (Métailié, 2006)
En Italie, il y des commissaires plus célèbres que d’autres : En Sicile, vous trouvez Montalbano, héros des romans de Andrea Camilleri; à Venise, vous marchez sur les traces de Brunetti, mis en scène par Donna Leon; à Bologne, enfin, Sarti Antonio est incontournable mais peu connu, découvert par le grand public voici quelques années avec Les souterrains de Bologne de Loriano Macchiavelli - chez Métailié également - et qui connut un vif succès. De ces trois policiers, ce dernier est peut-être le plus atypique, le plus complexe, le plus attachant, avec ses intuitions, son humour désabusé, sa parfaite connaissance -et méfiance - des rouages de la politique, des finances et du pouvoir. Et l’amour de sa ville, malgré tout. L’intrigue de ce roman est envoûtante, plus vraie que nature pour tous les amoureux de cette Italie ambiguë où vérité et mensonge se confondent parfois à s’y méprendre… Un polar inventif et original!
23:15 Écrit par Claude Amstutz dans Andrea Camilleri, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
22/07/2011
Loriano Macchiavelli
Loriano Macchiavelli, Derrière le paravent (Métailié, 2008)
L'été 1978 est torride à Bologne. Sarti Antonio est chargé de surveiller une exposition de numismatique dans un musée de la ville, il a fait garder les issues en oubliant qu'un vieil aqueduc arrive dans la cour du bâtiment : les trois plus belles pièces sont volées. Sanctionné, le policier est affecté aux rondes de nuit dans le quartier du Pilastro, celui des immigrés récents, tous venus du Sud du pays, de la petite délinquance et de l'impuissance de la loi. Pour lui, l'enfer. Là, il croise le chemin du petit Claudio, futé, vif, élevé par une mère qui plaît beaucoup à notre enquêteur. Peu après, le cadavre de Claudio est découvert une balle dans la tête, sous le seul lampadaire de la rue qui fonctionne. Révolté, Sarti Antonio va s'obstiner à trouver la vérité sous toutes les apparences et, avec son ami le philosophe Rosas, fouiller derrière le paravent des bonnes consciences. Dans un style inimitable, Loriano Macchiavelli suit son personnage, le tarabuste, le malmène, le plaint, l'aime parce qu'il est imparfait et boit autant de café que lui. Et nous, nous l'accompagnons...
Vous n'avez jamais lu Loriano Macchiavelli ? Encore méconnu en traduction française, découvrez-le sans tarder : l’auteur de Bologne ville à vendre et de Les souterrains de Bologne est sans doute le meilleur auteur de romans policiers italiens avec Andrea Camilleri, ce qui n’est pas un compliment exagéré ! Entre les coups bas des pouvoirs en place, une intrigue tortueuse à souhait et un humour désabusé, l’inspecteur Sarti Antonio deviendra vite, pour votre plaisir, un ami privilégié.
00:48 Écrit par Claude Amstutz dans Andrea Camilleri, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |
15/02/2011
Montalbano, je suis
Andrea Camilleri, La piste des sables (Fleuve Noir, 2011)
Revoilà donc, pour la seizième fois, notre sympathique commissaire Salvo Montalbano de Vigàta - bourgade imaginaire de Sicile, flanqué de ses inséparables acolytes, Fazio, Mimi et Catarella. Tout commence par un fait insolite: Près de la plage, en face de sa demeure de Marinella, gît un cheval mort couvert de sang, fracassé avec une barre de fer. Peu après, il est victime de cambrioleurs, une première fois. Puis, une seconde fois, mais lui restituant ce qui avait été volé. A ne rien y comprendre... Pour simplifier les choses, débarque une créature séduisante, Rachel Esterman, une amie d'Ingrid, déjà présente dans plusieurs autres épisodes: un de ses chevaux a disparu... Et notre défenseur de l'ordre, outre une plongée dans le monde pas très reluisant des courses clandestines, sent le démon de la chair raviver ses instincts premiers, ce qui, bien entendu, va obscurcir pour un temps son investigation!
Sans être le meilleur des Montalbano, ce nouveau roman d'Andrea Camilleri ressemble à ces amis fidèles qu'on retrouve toujours avec plaisir, au détour d'une ruelle, quelle que soit l'humeur du moment. Avec le sourire... Si vous n'avez jamais encore lu les enquêtes précédentes, ne manquez pas La forme de l'eau, Le voleur de goûter, La voix du violon, Le tour de la bouée, La patience de l'araignée et L'été ardent: les épisodes les plus réussis, mettant au mieux en lumière les complexités de la réalité sicilienne. Tous ces titres sont disponibles en coll. Pocket.
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04/05/2010
Loriano Macchiavelli
Loriano Macchiavelli, Une blonde de trop (Bernard Pascuito, 2010)
Franchement, vous en connaissez beaucoup, des sergents qui ressemblent à Sarti Antonio, avec ses colites chroniques provoquées par son supérieur hiérarchique Raimondi Cesare, sa télévision en noir et blanc, sa vieille caisse de la police no 28 conduite par son souffre-douleur, l'agent Felice Cantoni? Non, bien sûr! Sauf que, chez nous, il se serait fait virer! En Italie, en revanche, il est - bien au-delà de Bologne - aussi célèbre que le pape et soutient la comparaison avec deux autres enquêteurs célèbres: Guido Brunetti créé par Donna Leon et Salvo Montalbano crée par Andrea Camilleri.
Héros de trois autres romans - Les souterrains de Bologne, Bologne ville à vendre et Derrière le paravent - parus aux éditions Métailié, notre Sarti Antonio est confronté à un probable pourvoyeur de drogue, Kim, qui débarque chez son amie, une blonde à moitié nue et manifestement accompagnée, pour y mourir, du sang sur tout le corps. Et pour ajouter une touche poissarde à son enquête, il retrouve chez lui, un peu plus tard, une autre blonde - une cousine, prostituée avec laquelle il entretient des rapports affectueux dans plusieurs épisodes! - et bientôt son ami ténébreux Rosas venant lui livrer un nouveau téléviseur en couleurs. Apparemment, sa porte semble ouverte à tout Bologne... Les dialogues sont percutants, drôles, vifs, et malgré un climat désabusé à l'encontre des politiques et de la hiérarchie policière, la considération humaine prend toujours le dessus, heureusement. Du coup, jugé imprévisible et méfiant, le voilà cantonné au rôle de sergent à vie, mais voudrait-il, Sarti Antonio, qu'il en soit autrement?
00:05 Écrit par Claude Amstutz dans Andrea Camilleri, Littérature étrangère, Littérature italienne, Littérature policière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature: roman; livres | | Imprimer | Facebook |