Le quai de Ouistreham (05/04/2010)

Bloc-Notes, 5 avril / Les Saules

262447423_13a0321b9c.jpg

Dans l’avant-propos de son livre, Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas nous explique sans ambiguïté la démarche qui l’a conduite, six mois plus tard, au témoignage que nous avons sous les yeux : J’ai décidé de partir dans une ville française où je n’ai aucune attache pour chercher anonymement du travail. (…) J’ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, mais je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. J’affirmais m’être tout juste séparée d’un homme avec lequel j’avais vécu une vingtaine d’années, et qui subvenait à mes besoins, ce qui expliquait pourquoi je ne pouvais justifier d’aucune activité professionnelle durant tout ce temps-là. Je suis devenue blonde. Je n’ai plus quitté mes lunettes. Je n’ai touché aucune allocation.

Nous suivons ainsi ses périples à la recherche d’un emploi, avec des impressions qui sonnent juste et vrai – on me traite avec une douceur d’infirmière dans un service de soins palliatifs, mais fermement – et un angle de vue original qui laisse une large place à ceux qui sont de l’autre côté. Et c’est surtout, sans être forcément un écrit militant, un document qui dresse sous nos yeux, les liens de solidarité, voire d’amitié entre ces femmes unies dans la précarité auxquelles elle prête son oreille. Elle décrit avec beaucoup de conviction aussi, l’évolution des Pôles Emploi où les commerciaux ont pris le pas sur les travailleurs sociaux, ce que – soit dit au passage – on retrouve dans l’administration des soins à domicile par exemple et pas seulement en France. Changement d’époque.

Après avoir décroché quelques bribes d’emploi dans des sociétés de nettoyage, elle obtient pour six mois un travail de femme de chambre, sur les ferrys de Ouistreham.

La critique, presque à l’unanimité, ne tarit pas d’éloges sur l’expérience vécue par Florence Aubenas. Les réactions des internautes – à juste titre, me semble-t-il – sont plus contrastées, car si la démarche de l’auteur est généreuse et veut rendre compte d’une réalité douloureuse par un témoignage plutôt qu’un traité sociologique que personne ne lira, usant de sa notoriété pour amener sur la place publique ces angoisses vécues au jour le jour et qu’on voudrait bien étouffer, quelques réserves sont tout de même à souligner : Dans la galère d’une femme sans emploi – qui n’aurait pas la possibilité de quitter le navire – elle aurait probablement, par vagues successives, perdu des amis (Florence Aubenas n’en connaît pas à Caen), sa belle assurance avec au fond des yeux – fréquentes dans la recherche d’un emploi après plusieurs refus – ces vagues qui trahissent les combats perdus d’avance et ce sentiment bien réel d’inutilité à la collectivité, aux autres, parfois même à ses proches. Par honte, lassitude ou culpabilité. D’autre part, j'imagine mal Florence Aubenas, même déguisée, en femme de ménage, car tout dans sa personnalité, son histoire, sa culture portent la marque d’une incroyable détermination. Ainsi, les dés sont tout de même un peu pipés. Enfin, même au service d’une cause juste, son reportage ne peut-il être ressenti quelque part, comme un jeu de rôle ou une tromperie par celles et ceux qui l’ont côtoyée au fil de ces quelques mois ?

Ces réserves mises à part, Le quai de Ouistreham est un livre sincère, terriblement attachant. Il faut le lire, davantage pour la qualité du regard de Florence Aubenas sur les autres que pour sa propre histoire. On en sort un peu triste et surtout soulagé… d’avoir un emploi, si imparfait soit-il. Ne serait-ce que pour parvenir à cette conclusion, son pari est réussi !

Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham (Editions de l'Olivier, 2010)

image de Ouistreham (sur www.tmlvoile.com)

 

00:05 Écrit par Claude Amstutz | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : document; témoignage; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |