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26/03/2015

La citation du jour

Pascal Quignard 

citation; livres

Quand on cesse de se soumettre au jugement de ceux dont on s'est retranché, tout ce qui blesse s'effiloche et se gomme d'un coup comme une brume sur la rivière à l'instant où monte le soleil.

Pascal Quignard,  Les désarçonnés (Grasset, 2012)

image: J.M.W.Turner, Looking across the Lagoon / Venice 1840 (www.cineclubdecaen.com)

00:04 Écrit par Claude Amstutz dans La citation du jour, Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : citation; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

12/08/2012

Au bar à Jules - Du roman

Un abécédaire: R comme Roman

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Dans Carnets du vieil écrivain, Jean Guéhenno écrit ceci à propos du roman: Lit-on un grand roman? On s'identifie à son héros. On y vit par procuration. Et cela devient  plus conscient, et vient le moment où on ne lit plus pour aucun intérêt, pour aucun profit, rien que pour admirer, en toute gratuité et dans une joie indéfinissable, au-delà de soi-même. Dès lors, on devient de plus en plus difficile. On ne supporte plus les fantômes d'auteurs, les fantômes d'ouvrages. Mais un vrai livre est devenu la chose la plus précieuse. Un homme vous parle et il vous semble qu'il dise précisément ce que vous attendiez, ce que vous vouliez dire mais n'auriez jamais su dire. C'est tout simple et merveilleusement étrange.

A quelques nuances près, tel est mon sentiment quand je découvre un roman qui me captive dès les premières lignes, aussi redoutables que les dernières. Mais alors, d'où vient cette réticence qui me saisit bien souvent, à propos de la littérature française tout particulièrement? Autrefois, invité de la célèbre émission Apostrophes de Bernard Pivot, Maurice Nadeau , éditeur de Malcolm Lowry, Witold Gombrowicz, Leonardo Sciascia, Georges Perec et Hector Bianciotti entre autres, rappelait - je cite de mémoire - ce qu'est un roman: une oeuvre d'imagination, avec un début, une fin, un cadre, des personnages et une action... Le dictionnaire Littré lui fait écho en ces termes: Une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche à exciter l'intérêt par la peinture des passions, des moeurs, ou par la singularité des aventures.

Et c'est là que la bât blesse, car en France tout est roman, notamment cette majorité de titres parmi les nouveautés dont la qualité n'est pas toujours en cause, mais qui mériterait le titre de récit ou de fiction romanesque - histoire réelle ou inventée que l'on raconte par écrit - ou d'autofiction - autobiographie empruntant les formes narratives de la fiction - prétexte à une quête identitaire de l'auteur. Un éditeur justifiait cette étiquette arbitraire de roman, afin que ses livres puissent figurer sur les rayonnages des grandes chaînes de la distribution. Dans le cas contraire: aucune chance!

Les vrais romans sont ainsi devenus, dans leur construction et leur qualité, plutôt rares. On ne dira jamais assez combien l'émergence du Nouveau Roman aura laissé des traces - exception faite de Samuel Beckett et de Nathalie Sarraute - qui ressemblent à un séisme dont les prolongements demeurent vifs dans la littérature française actuelle. Avec l'acuité habituelle de son regard, Alexandre Vialatte notait: On a tout essayé pour trouver du nouveau: le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu à créer que le roman sans lecteur. C'est un genre connu depuis longtemps!

Rien de tel par exemple chez les anglo-saxons, les italiens ou les espagnols qui savent encore raconter des histoires. Et si nous ne goûtez pas trop les auteurs étrangers, (re)lisez un bon auteur classique ou parmi les auteurs actuels, un roman de Philippe Claudel ou de Pascal Quignard. Vous ne le regretterez pas...  

Jean Guéhenno, Carnets du vieil écrivain (Grasset Digital, 1971)

Alexandre Vialatte, La porte de Bath-Rabimm (Julliard, 1986) 

image: Jean-Jacques Henner, La femme qui lit (culture.gouv.fr)

25/06/2012

Le goût de la lecture

9782715229426.gifLe goût de la lecture - présenté par Michèle Gazier (Coll. Le petit Mercure / Mercure de France, 2010)

La particularité du Petit Mercure consiste à présenter dans chacun de ses ouvrages - plus petits en taille et prix qu'un livre de poche - un sujet vu par les écrivains venus de tous les horizons et de tous les temps. Une trentaine de noms par volumes vient ainsi éclairer votre perception des voyages (Lisbonne, Naples, Istanbul, Montréal ou Vienne) et autres thèmes intéressants (les chats, le désert, la danse, les parfums, le café ou le tabac) qui agrémentent cette promenade littéraire. Dans le présent titre, Le goût de la lecture, vos pas épouseront ceux de Jean-Jacques Rousseau, Marcel Proust, Valéry Larbaud, John Ruskin mais aussi, plus près de nous, Henry Miller, Alberto Manguel, Pascal Quignard, Daniel Pennac. Pour ma part, je retiens l'extrait consacré à Michel de Montaigne: Je ne cherche dans les livres que le moyen de me donner du plaisir pur une honnête distraction, ou, si j'étudie, je n'y cherche que la science qui traite de la connaissance de moi-même - et une science qui m'apprenne à bien mourir et à bien vivre: Tel est le but vers lequel mon cheval doit courir en sueur...

A vous de choisir un autre texte emblématique de cette anthologie aux multiples clartés!

07:44 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature étrangère, Littérature francophone, Marcel Proust, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; anthologie | |  Imprimer |  Facebook | | |

01/05/2012

Le Passe Muraille

Le Passe Muraille, no 88, avril 2012

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Dans son éditorial, Jean-Louis Kuffer rappelle que le Passe-Muraille fête aujourd'hui ses 20 ans d'existence: Au fil des ans, il a consacré ses ouvertures à des textes inédits des plus grands écrivains contemporains, de Salman Rushdie à Toni Morrison, d'Antonio Lobo Antunes à Ivo Andric, Ismaël Kadaré, Le Clézio ou Pascal Quignard; et les auteurs romands majeurs n'ont cessé de nous accompagner, de Charles-Albert Cingria à Nicolas Bouvier, Jacques Chessex et Maurice Chappaz ou encore Alice Rivaz et Georges Haldas, entre tant d'autres.

Le Passe-Muraille poursuivra-t-il demain sa carrière de papier alors que tant de journaux glissent vers l'Internet? s'interroge-t-il encore. La réponse nous importe moins que le repérage de talents nouveaux, à découvrir dans notre livraison d'été.

Souhaitons à cette revue des livres, des idées et des expressions, de savoir perdurer au-delà des modes, des étoiles montantes ou filantes, des nouveaux moyens d'accèder à la culture et à la littérature en particulier; souhaitons-lui d'être lue, diffusée et soutenue, de demeurer cette fenêtre discrète ouverte au monde qui - pour se borner aux numéros récents - nous a permis de découvrir de nouveaux talents, tels Douna Loup et Quentin Mouron.

Le rayonnement du Passe-Muraille, sa vocation première, c'est tout cela: découvrir, aimer, partager...

Sommaire du Passe-Muraille no 88 

p.1

Le Passe-Muraille a 20 ans, par Jean-Louis Kuffer

En interné, par François Debluë - Inédit

p.3

Autres fausses notes, par François Debluë - Inédit

p.4

Après le désastre - Michaël Ferrier, par Jean-Louis Kuffer

L'amour déchiré - Caroline Boidé, par Claude Amstutz

p.5

Céline à fleur de nerfs - Henri Godard, par Antonin Moeri

Ovni ludique - Marc-Antoine Mathieu, par Matthieu Ruf

p.6

Le poète en scène - Alexandre Voisard, par Matthieu Ruf

Blues de l'aube - Asa Lanova, par Jean-Louis Kuffer

p.7

Une cantate éclatée - Marius Daniel Popescu, par Jean-Louis Kuffer 

Posthume - Anne-Lise Grobéty, par Bruno Pellegrino

Croquis citadins - Alain Bagnoud, par Jean-Louis Kuffer

p.8

La fin d'un homme - Paul Harding, par Claire Julier

L'hommage des amis - Vladimir Dimitrijevic, par Claude Amstutz

La folle aventure de l'Encyclopédie - Pierre Versins, par Jean-François Thomas

p.9

L'Afrique à côté de chez vous - Noël Ndjékéry, par Jean-Louis Kuffer

Une utopie écologique et grinçante - Arto Paasilinna, par Jean-François Thomas

L'amour des prochains - Pascal Rebetez, par Jean-Louis Kuffer

p.10

Derrière les yeux de la renarde, par Pierre-Yves Lador - Inédit

Paysage de Peter Stamm, par Jean Perrenoud

Coup double - Pierre-Yves Lador, par Jean-Louis Kuffer

p.11

La banquette des confidences - Eric Holder, par Antonin Moeri

Carnet nomade: Sept notes sur la liberté, par René Zahnd

p.12

Ces petites images admirables, par François Beuchat - Inédit

Recherche en miniatures, par Jean-Louis Kuffer

 

Pour s'abonner et communiquer: http://www.revuelepassemuraille.ch/

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05/01/2012

Pascal Quignard

Bloc-Notes, 5 janvier / Les Saules

littérature; roman; livres

Claire Methuen, la cinquantaine, traductrice à Versailles, rejoint la Bretagne - Dinard, plus précisément - pour assister à un mariage. Elle y retrouve le pays de son enfance et tout ce monde intérieur, secret, vivace qui a fait d'elle ce qu'elle est: Madame Ladon sa professeur de piano, Fabienne sa meilleure amie et surtout Simon, son seul véritable amour, aujourd'hui marié à Gwenaëlle et père d'un petit garçon.  

Mais qui donc est Claire, cette amie des Houles qui ressemble à un chemin perdu au-dessus de la mer - nous suggère Pascal Quignard - et pourquoi va-t-elle tout laisser derrière elle et s'installer à la ferme de la Tremblaie? Une autre fuite ou, au contraire, un aboutissement? Au fil de la mémoire de Paul son frère bien-aimé, de Simon bien sûr, de sa fille Juliette abandonnée vingt ans plus tôt, de Madame Ladon qui la considère comme sa propre enfant, de Jean le prêtre ami et amant de Paul, ce roman polyphonique explore et révèle peu à peu la personnalité fascinante, solitaire et craintive de cette femme sans laquelle ces solidarités mystérieuses seraient dépourvues de sens, réduites au seul pouvoir visible des choses qui ne suffit à personne. 

On pourrait parler d'osmose dans ce magnifique roman dont les paysages, la nature même, de Saint-Enogat au village de La Clarté, de Saint-Lunaire aux Pierres couchées et la Ville-Géhan semblent absorber dans les tourments, mais aussi dans une infinie douceur, ces destins croisés qui dans l'air parfois aussi rare que les mots, s'ouvrent à une réalité silencieuse qu'eux-mêmes, peut-être, n'auraient envisagée. Un jour, nous dit son frère, elle m'expliqua que le paysage, au bout d'un certain temps, soudain s'ouvrait, venait vers elle et c'est le lieu lui-même qui l'insérait en lui, la contenait d'un coup, venait la protéger, faisait tomber la solitude, venait la soigner

Tout, avec elle, était adressé à la silhouette lointaine de Simon... C'était un mouvement très sourd mais très intense autour de son corps, qui affleurait sans cesse, frémissait sans cesse autour d'elle, comme une vague circulaire, comme une oppression. Je ressentais ce cercle magique, raconte encore Paul, quand je marchais auprès d'elle des heures durant, je la sentais mais je n'y accédais pas. Et Simon, qui semble n'avoir pas mieux compris le film où il avait obtenu pourtant le premier rôle, par sa mort lève un coin du voile - sans éclaircir pour autant le mystère - qui recouvre le visage de cette femme encore jeune et belle: Elle ne se protégeait plus de rien. Elle descendait vers la mer, qu'on peut presque dire éternelle quand on la contemple beaucoup et pour peu qu'on compare son origine à l'âge des hommes ou à l'invention des cités ou des maisons. Claire était devenue Simon, et était devenue le lieu. Tout était désormais dépourvu de toute crainte. Tout était sublime. Elle était partout chez elle; elle était comme le commencement dans l'origine.

Il règne, dans Les solidarités mystérieuses, une atmosphère ou un climat qui n'est pas sans rappeler Le monde désert d'un Pierre-Jean Jouve, où la vie réelle, attendrissante et forte à ses heures, se mêle à l'absence, à l'indéchiffrable, à l'infini. C'est son corps qui manque à nos heures. Son corps manque déjà au lieu, aux roches. Elle manque à l'escalier de La Clarté qu'elle était bien la seule à emprunter et qu'elle a gravi jusqu'à la fin sans effort. Elle manque aux recoins et aux petites caches d'où elle surveillait les nids, les terriers, les canots, les chaloupes sur la mer. Mon dernier souvenir d'elle? dit encore le Père Calève, un autre personnage du roman: Un troupeau de goélands s'amassent sur la digue pour crier de plus en plus fort autour d'une écharpe, abandonnée, un peu souillée, qui traîne, sur le sol, près du buisson...

Dans un mouvement répétitif et pourtant jamais tout à fait le même, ressemblant aux vocalises des oiseaux sur la lande, se tissent des liens invisibles entre la mort, l'amour et la vie que nourrissent les souvenirs de chacun, exposant sa part de lumière ou d'ombre, mais qui ne se matérialise et ne revêt ses couleurs  singulières que confrontée, enrichie, prolongée par la mémoire de tous les autres. Et si c'était cela, la vérité?

La vie est le souvenir le plus touchant du temps qui a produit ce monde.

Avec Pascal Quignard - et je m'en réjouis - l'année nouvelle ne pouvait pas mieux commencer! 

Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses (Gallimard, 2011)

Pierre-Jean Jouve, Le monde désert (Mercure de France, 1960)

01:08 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

03/01/2012

Morceaux choisis - Pascal Quignard

Pascal Quignard

littérature

Il me semble que la mort de Simon ne les a même pas séparés. C'est peut-être même le contraire. Sa mort ne les a pas réunis non plus, mais il est là. Il est constamment là. Il est là avec elle tout le temps. Et réciproquement: elle est avec lui tout le temps. Elle s'occupe de lui. Il est devenu la baie.

Chaque jour elle allait s'asseoir dans son ombre, dans l'ombre de la baie, chaque jour elle allait se caler dans son coin de roche, se dissimuler juste en face du nid du grand goéland de la falaise.

Mon dernier souvenir d'elle? Il y avait un peu d'herbe coupée ras le long du mur de la ferme. Ce mur-là, de l'autre côté des bambous envahissants, était toujours à l'ombre. Ce côté-là de la ferme sentait bon. Il était surmonté d'une grosse glycine plantée par oncle Paul qui amplifiait cette ombre dès la fin du mois de mai. Tout sentait bon. C'était une chaude journée de juin. Nous nous sommes assises toutes les deux sous les grappes de la glycine. Au loin les passereaux secouaient leurs plumes avant de venir boire dans une tasse d'eau qu'oncle Paul avait laissée par terre. Tout était tranquille. Nous étions toutes les deux. Il n'y avait personne d'autre. Il n'y avait pas Paul. Il n'y avait pas Jean. Il n'y avait pas Simon. Maman m'a pris la main et n'a pas dit un mot. Sa respiration était légère. Elle respirait un peu bruyamment. Elle s'était mise à sentir, en vieillissant, une odeur douce de sueur, de foin, de sel, d'iode, de mer, de granit, de lichen.

Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses (Gallimard, 2011)

09:18 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Morceaux choisis, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; roman; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

07/07/2011

Pascal Quignard

9782020991094.gifPascal Quignard, La barque silencieuse (Seuil, 2009)

 

Comme l’un de ses contemporains – Christian Bobin dans Les ruines du ciel, publié par Gallimard – mais avec un regard différent, l’auteur interroge les anciens, leurs traces dans l’esprit humain, leurs miroirs obscurs dans la civilisation actuelle. Même si sa réflexion trouve un sens dans une nuit parfois ténébreuse ou hostile, il s’en dégage tout de même un sentiment de liberté intérieure à laquelle répond un besoin de silence salvateur. Est libre celui qu’on ne peut contraindre. (…) Est libre l’homme qui n’est pas esclave (…). Est libre celui qui ne demande d’autorisation à personne. Est libre celui qui ne réfère à aucune instance. Tout homme est une citadelle de tyrans qu’il faut faire sauter » Chapeau, Monsieur Quignard !

 

également disponible en édition de poche (Folio/Gallimard, 2011)

08:01 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature; essai; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

19/12/2009

Christian Bobin & Pascal Quignard

Bloc-Notes, 18 décembre / Les Saules

La nuit venue, je reprends avec joie les notes de mes récentes lectures, déjà évoquées dans ces colonnes, en octobre dernier, soit La barque silencieuse de Pascal Quignard auquel répond Les ruines du ciel de Christian Bobin. Chacun à sa manière célèbre le temps, l’urgence de l’écrit, la relation à l’histoire de la pensée, le langage, la nature, la vie ou la mort qui n’est après tout pas nécessairement catastrophique … Ce modeste florilège vaut mieux être découvert dans le contexte original de ses auteurs, bien entendu, mais je vous le partage néanmoins avec beaucoup de plaisir!

Pascal Quignard

Montrer son dos à la société, s’interrompre de croire, se détourner de tout ce qui est regard, préférer lire à surveiller, protéger ceux qui ont disparu des survivants qui les dénigrent, secourir ce qui n’est pas visible, voilà les vertus. (p. 58)

*

Nul ne peut se plaindre de la vie : Elle ne retient personne.  (p.81)

*

A quoi sert d’écrire ? A ne pas vivre mort. (p. 98)

*

Il faut prendre exemple sur les chats qui avancent prudemment leurs coussinets sur les gouttières des toits. Il faut regarder comment ils s’arquent pour bondir avant d’atteindre le toit suivant. Moitié hardi, moitié craintif. Cette prudence est toute la politique du monde. (p. 106)

*

Est libre celui qu’on ne peut contraindre. (…) Est libre l’homme qui n’est pas esclave (…). Est libre celui qui ne demande d’autorisation à personne. Est libre celui qui ne réfère à aucune instance. Tout homme est une citadelle de tyrans qu’il faut faire sauter. (p. 107)

*

La mort qui vient n’a nullement à être fuie comme le prétend l’absurde morale tonique, positive, religieuse des modernes. La mort a sa saison, qui n’est pas plus rebutante que les autres. Quand la saison de la mort est là – ce que tout le monde appelle hiver – il arrive que le ciel de nouveau recoure au bleu intense. La terre craque sous les pas. La mare n’est jamais  aussi propre que quand elle est gelée. Les feuilles ont disparu. Les fleurs, les oiseaux, les hommes, les noms, tout a disparu. Il fait si clair. (p. 124)

*

La chenille ignore le papillon dont elle construit la coque de métamorphose. L’araignée file son filet de prédation sans connaître la proie. De la même manière la musique son chant. La langue son livre.  (p. 135)

*

Durer est celui qui sait retirer sa main avant le trait de trop. (p.160)

*

Le vent du large souffla brusquement sur nous à l’instant où nous fûmes parvenus en haut de la falaise. L’air sur la falaise était une énorme vague transparente qui se perdait dans le ciel, rebroussant soudain son souffle. Le bleu du ciel gagnait l’habit des hommes, de nous tous qui nous tenions penchés en avant, regardant la grève en contrebas, la mer en contrebas, la barque qui venait silencieusement vers l’île, penchés au-dessus de la paroi de tuf qui s’était effritée sur la grève noire. C’était d’une extraordinaire beauté. (p.238)

 Christian Bobin

 Les livres sont la résidence secondaire de l’âme. Quand elle pousse les volets de papier contre le mur, une lumière entre partout dans la pièce. (p. 15)

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L’écriture est une mendiante qui donne une pièce en or à chaque passant. (p.35)

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Sur son échafaudage de notes, Jean-Sébastien Bach lave en sifflant les vitres de l’éternel. (p. 38)

*

Toutes nos pensées reviennent à chercher la clé d’un paradis dont la porte est ouverte. (p. 53)

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Les moineaux par leurs chants construisent des monastères qui durent une seconde.  L’âme surprise dans leurs cloîtres ne craint plus de mourir. (p. 58)

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La vie a besoin des livres comme les nuages ont besoin des flaques d’eau pour s’y mirer et s’y connaître. (p. 68)

*

La jeunesse est le rire du malheur. (p. 70)

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La pluie qui fait chanter les pierres est la madone des refusés. (p.92)

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Je demande à un livre qu’il me donne du courage et ne me trompe sur rien. (p. 99)

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Les yeux des pauvres sont des villes bombardées. (p. 115)

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Je suis vivant, assis devant une table en bois, je regarde la lumière pleuvoir sur le jardin. Qu’irais-je demander d’autre ? (p. 147)

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La première neige est le sourire des morts. (p. 148)

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Nous vivons au pied d’une montagne enneigée qui dès l’instant de notre naissance a commencé à s’écrouler sur nous. (p. 181)

 Pascal Quignard, La barque silencieuse (Seuil, 2009)

Christian Bobin, Les ruines du ciel (Gallimard, 2009)

 

 

03:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |